J'ai découvert, lu et étudié ce livre il y a quelques années déjà ; j'en garde le souvenir d'un auteur et d'une lecture difficiles.
Pourtant, je me replonge dans mes notes pour vous parler d'
À rebours de Huysmans, un roman du XIXème siècle qui nous parle de mélancolie, car son approche est intéressante.
Huysmans a écrit ce livre étrange et provocateur, publié en 1884, pour rompre avec le naturalisme et se démarquer de
Zola qu'il a pourtant beaucoup fréquenté. C'est tout le sens du titre car ce livre est un tour de force, puisqu'il a fallu procéder « à rebours » de tout, prendre le contre-pied de tous les usages, des idées, des goûts, des pratiques romanesques alors dominants.
Il a défini ainsi le sujet de son roman dans une lettre à Mallarmé : « le dernier rejeton d'une grande race se réfugie, par dégoût de la vie américaine, par mépris de l'aristocratie d'argent qui nous envahit, dans une définitive solitude ».
Des Esseintes, le héros souffre ici d'une véritable maladie du système nerveux affectant la sensibilité, la mobilité et l'intelligence. Il est non seulement mélancolique, mais surtout complètement névrosé.
Il est difficile d'éprouver de l'empathie pour ce personnage, issu d'un milieu privilégié, celui des riches oisifs, délivrés de tout souci matériel, qui ont les moyens de se consacrer à leur vie intérieure, au risque de s'y perdre et nous avec. Des Esseintes est un aristocrate en total décalage avec son temps mais assez riche cependant pour pouvoir cultiver sa différence et se construire un refuge dédié à l'art et à la culture, où il s'enferme pour se nourrir de son propre fond, s'abandonnant au flux ininterrompu de ses souvenirs, de ses rêveries et de ses réflexions.
À rebours est un roman où il n'y a pas d'intrigue à proprement parler ; en fait, il ne se passe rien de vraiment concret. Huysmans décrit la façon de vivre de Des Esseintes dans une existence esthétisée à l'extrême : un personnage unique, un huis clos, une longue introspection… de nombreuses digressions très intellectualisées perdent le lecteur dans une quête esthétique et métaphysique à laquelle je n'ai jamais vraiment réussi à m'intéresser, même en faisant preuve de persévérance.
Huysmans donne la priorité à l'analyse psychologique d'un état de malaise et de mal-être, à l'assouvissement de pulsions perverses et transgressives et à l'évasion dans des espaces imaginaires. Hors de toute temporalité humaine, Des Esseintes règle sa vie comme une oeuvre d'art et se lance dans une série d'expériences inédites et originales, dont il espère un plaisir raffiné, susceptible de le sortir de sa léthargie et de lui procurer des émotions nouvelles, singulières et fortes ; mais toutes se révèleront vaines et ratées.
On trouve une dimension métaphysique dans les expériences sensorielles et esthétiques de Des Esseintes ; l'art dépasse la notion de décoration pour ce faire nourriture spirituelle, mais la crise existentielle aboutira aussi dans une impasse.
À rebours a même été considéré comme un véritable manifeste décadent. Des Esseintes illustre à lui seul tous les symptômes de la décadence : la névrose, les complications sensuelles et cérébrales, la ferveur esthétisante, la fascination pour le monstrueux, la lassitude de vivre… L'écriture semble également corrompue : le récit est divisé en chapitres désordonnés et fragmentés, sans logique apparente, les phrases sont souvent bizarrement construites, avec des inversions, des antépositions… Et puis, on est vite noyé sous une abondance de détails, de nuances, de redondances… C'est comme si l'écriture aussi était atteinte de névrose, était malade et désorganisée…
L'auteur se met un peu en scène à travers son personnage et force le trait avec un humour très particulier, ironique… Les gouts artistiques de Des Esseintes reflètent sans doute ceux de l'auteur de même que son opinion sur ses contemporains ; il y a une grande part de lucidité parfois, une prise de conscience de la vacuité de son existence et de l'inutilité de ses efforts.
Certaines situations sont particulièrement comiques, cependant, mais à un tel niveau d'absurdité de de cocasserie que s'en est pitoyable. Huysmans pousse vraiment très loin et à outrance l'extravagance de son personnage.
Puis, la volonté de s'isoler devient de plus en plus angoissante dans une maison dont les pièces sont disposées en gigognes, dont la chambre devient cellule monacale et où Des Esseintes se replie complètement sur lui-même.
Le final apocalyptique fait coïncider la fin de la retraite de Des Esseintes avec la vision d'une destruction grandiose du monde. C'est plus ou moins convaincant, une attitude très pessimiste par laquelle la posture mélancolique de cette fin de XIXème siècle affirme que l'on s'éloigne d'un âge d'or irrémédiablement perdu et que l'on va vers un écroulement inéluctable.
Un roman sur l'art de tromper l'ennui où l'on s'ennuie justement beaucoup…
Des parallèles avec
Baudelaire que je ne suis pas parvenue à approfondir.
Un livre difficile et fastidieux, pour un lectorat d'érudits et d'initiés.
Une curiosité littéraire à connaître mais à aborder en lisant d'abord les préfaces, notices et dossiers qui figurent dans toutes les bonnes éditions.
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