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sur 1068 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quel livre ! Que de richesses en ces lignes et quel courage. Sans doute en fallut-il beaucoup pour tout déconstruire. Pour aller contre son temps et à contre-courant des appartenances. Pour ne pas feindre mais bien pour se garder, en intégrité, d'aller par l'avant à l'encontre, mais vers soi-même. Ne faut-il pas désapprendre pour mieux créer ? S'immerger dans l'eau gelée d'un lac, en ressortir purifié, quand nous malmène un langage intérieur qui crie d'évidence, aux normes arrêtées, désolantes à l'instinct. Pour avoir tout tenté n'avoir rien fait, que contenir un entre-soi à son corps défendant. Tandis que s'en aller renaître ! Passer le gué, d'opprobre en probité. Alors, il faut de la force pour se dresser à tout rompre, du rituel à l'emprise, de l'amitié au désaveu. Et puisque le temps nous est compté, de braver les esprits pour revenir aux sources ou dépérir, à moins qu'un mode ancestral nous ait rivé, condamné moitié pensé déjà jusqu'à sa propre reddition.
Alors, c'est triste et gai à la fois puisque c'est drôle. Ce Des Esseintes qui nous attache, qui nous relie entre ses murs et dans sa tête, si bien pourvu d'élans épars, si cultivé, en peinture, en littérature, en musique… Il nous y perd et nous nous y prêtons tant l'écriture est belle. Il nous bouscule et nous nous échappons de rythmes linéaires au sortir du commun.
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Un véritable monument de littérature et d'érudition.
Ce roman n'a pas d'intrigue. C'est le portrait de des Esseintes.
Portrait très complet, précis, raffiné d'un décadent de la fin du XIXème siècle.
Des Esseintes est le tableau vivant du mal-être, de l'ennui, de l'angoisse.
Après une vie sociale vouée à la recherche de son plaisir, sans aucune moralité, perverse, vouée à un ego surdimensionné, il se réfugie dans la solitude dans sa maison de Fontenay.
Sa recherche de sensations nouvelles et rares le mène à tous les extrêmes.
Avec un raffinement touchant à la perfection, il explore de nombreux domaines : l'aménagement intérieur, la décoration, la peinture, la lecture, la musique, la botanique…..
La description des tableaux de Gustave Moreau et d'Odilon Redon, par exemple, est éblouissante.
Mais la solitude le mènera à tous les cauchemars, à toutes les névroses, et le retour à la société, qu'il contemple avec cynisme, semble bien difficile à envisager.
Le langage employé par Huysmans est remarquable. Il manie la langue française avec excellence, les mots sont beaux, précis, rares (d'où le recours au dictionnaire fréquent). Je n'ai pas souvenir d'avoir lu de si belles lignes.
J'ai mis longtemps à lire ce livre, par petits morceaux quotidiennement savourés. le lire d'une traite aurait peut-être pu mener à l'indigestion par abus de richesse et de puissance.
Outre la culture littéraire, picturale, musicale…. il y a des moments délicieux qui donnent le sourire aux lèvres.
Un détail amusant : des Esseintes invente « l'orgue à bouche », qui n'est rien d'autre que « le pianocktail » de Boris Vian
J'ai passé grâce à Joris Karl Huysmans un grand moment littéraire que je ne suis pas prête d'oublier.
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J'ai longtemps hésité à rédiger une critique de ce livre qui a été une de mes lectures favorites pendant de longues années. Difficile d'écrire son ressenti lorsqu'il y a trop d'émotions ! Mais je vais essayer de dire en quoi ce livre me trouble ! Loin de m'identifier à Des Esseintes en tant qu'aristocrate dégénéré, c'est sa volonté de se retirer du monde qui me séduit et que j'envie. Cette possibilité de s'enfermer au milieu de ce qui lui est le plus cher, le plus précieux, artistiquement parlant, s'enivrant de la beauté de ses oeuvres d'art. Bien sûr, il est complètement névrosé, rejeton dégénéré d'une lignée familiale a bout de course et sa pathologie est à l'origine de son mode de vie. C'est d'ailleurs, en partie, ce que Huysmans dénonce. Mais qu'importe, il saisit la moindre subtilité d'une oeuvre, en apprécie ce qui en constitue l'originalité. Refusant la médiocrité du monde extérieur - à cet égard, son projet de voyage à Londres, s'achevant dans une taverne des environs de la gare Saint Lazare, est édifiant - il ne recherche que le beau, la perfection. Je sais que ce retrait volontaire le mène à une mort certaine, comme l'alertera son médecin, mais Des Esseintes est un esthète. On passera sur la perversité de sa relation passée avec ce jeune garçon dont il fera un voyou.
Concernant la forme, maintenant, Huysmans écrit un livre riche, d'un vocabulaire rare, précis, dont la description du monde de son personnage est d'une préciosité comme seuls, les auteurs du tournant du siècle savaient le faire. La description d'un monde décadent, finissant, témoin d'un changement d'époque où l'industrialisation règnera dorénavant en maître. Je pense entre autre à Jean Lorrain et à Rachilde. En peinture, à Klimt ou Moreau.
"A rebours" constituera toujours moi un refuge, une régression assumée , face à la vulgarité d'un monde qui est maintenant devenue la norme, acceptée par tous.
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"À Rebours" : encore une preuve, s'il en fallait, que pour ce qui est du destin d'un livre, mieux vaut celui de «long-seller» se bonifiant avec le temps que celui de «best-seller» d'un jour..!!
Huysmans, d'ailleurs, avait lui-même eu le sentiment, au moment où il l'écrivait, que le sien «ferait un four» et ne serait apprécié que par «une dizaine de lecteurs». (Un peu plus, tout de même, mais en rien comparable, en effet, à l'immense succès d'une littérature réaliste et naturaliste occupant largement le devant de la scène éditoriale en 1884, année de sa publication.)

Il est vrai que totalement à contre-pied du roman alors en vogue, en rupture de ban avec les canons littéraires et les valeurs progressistes et scientistes prédominantes en ce dernier quart du XIXe, à rebours aussi des attentes de ses meilleurs comparses, tel son grand ami Zola par exemple, ainsi que de ses propres lecteurs, habitués jusque-là à être abreuvés par l'écrivain à la source d'un réalisme consensuel, Huysmans lançait avec ce livre volontairement provoquant, transgressif et saugrenu, un véritable pavé dans la mare, un «aérolithe tombé du ciel» selon ses mots ! Un «OVNI littéraire», dirions-nous aujourd'hui.
S'il fut malgré tout accueilli par ses contemporains comme un authentique «hapax», admiré par ses compères, majoritairement salué par la critique pour l'audace et l'originalité du propos, sans pour autant bénéficier, donc, d'un franc succès auprès du public, avec le temps, l'ouvrage gagnerait de plus en plus de lecteurs, finissant par accéder au statut d'un des évangiles sacrés du «dandysme esthétique » et de l'esprit de «décadence», considérés comme une posture, un art de vivre et un style à part entière.

Témoin de la première heure également du culte qui serait voué au cours du XXe siècle à la «singularité» idiosyncratique, y compris sur le plan de la création artistique, «À Rebours» ne cessera en effet, en dehors des circuits de la production culturelle mainstream, par une sorte de capillarité discrète, de s'infiltrer, de séduire et d'influencer de plus en plus de lecteurs et d'artistes, depuis Oscar Wilde, qui s'en était inspiré ouvertement pour son célèbre «Portrait de Dorian Gray», jusqu'à Serge Gainsbourg, dont, semble-t-il, c'était le livre de chevet, en passant par le mouvement « décadentiste » de la fin du siècle dont il fut également l'un des principaux instigateurs.
Redécouvert par le grand public notamment à partir de années 1960/70, Huysmans aurait été étonné de constater que ses toutes premières estimations en termes de lectorat potentiel se seraient vu ainsi exponentiellement accroître, et que son livre, un siècle plus tard, tel un inoxydable Dorian Gray, n'aurait pas pris la moindre ride!!

Oeuvre d'esthète et de brillant critique d'art, à la fois synthèse de mouvements et d'auteurs plus ou moins en marge de la culture officielle, surgis durant la deuxième moitié du XIXe, avant-gardistes au moment de sa parution ou réservés toujours à un public d'initiés, ou bien entourés d'une réputation sulfureuse, tel Baudelaire (dont l'imaginaire, l'esprit et les motifs – visiblement sources principales d'inspiration, et pour l'auteur et pour son personnage- y seront omniprésents), représentés entre autres par Stéphane Mallarmé ou Tristan Corbière, Gustave Moreau ou Odilon Redon, Aloysius Bertrand ou Paul Verlaine, le roman développera, parallèlement, une thèse insolite et parfaitement anachronique accordant une place privilégiée à la notion de «décadence» dans le renouveau de la langue littéraire et de la création en général.
«À Rebours» se révèlera d'autre part être une fiction inventive, pittoresque et souvent comique, autour d'un personnage devenu emblématique, Des Esseintes , futur archétype moderne du dandy esthète et névropathe, égoïste et amoral, élitiste, misanthrope et intraitable.

Les aventures de Des Esseintes en quête de cette thébaïde où, en fin de compte, tout un chacun, n'est-ce pas, aura probablement songé au moins une fois dans sa vie à trouver refuge contre «l'incessant déluge de la sottise humaine», auront en revanche pour décor des contrées essentiellement intérieures, se déroulant la plupart du temps dans le quiétisme et la dans la plus grande immobilité, située à quelques encablures de Paris, à Fontenay plus précisément, où cet ermite d'une nouvelle catégorie déciderait de se retirer du monde au tout début du roman.

Dépourvu d'une vraie intrigue, rédigé avec une liberté de ton bluffante, ayant pour seul et unique credo l'envie d'aller à contresens de ce qui est communément admis, « À Rebours » est à classer sans aucun doute parmi les précurseurs de «l'anti-roman» du XXe siècle, genre qui atteindrait son apogée avec la notion contemporaine de «déconstruction» véhiculée par les courants postmodernistes.

Roman à (anti)thèse aussi, l'ouvrage semble se soustraire en même temps à toute tentative simple de réduction. Conservateur, anti-progressiste, mais aussi subversif et avant-gardiste, exalté et baroque, quoique sous certains aspects incisif et lucide, à la fois drolatique et profond, Huysmans s'avère seul maître à bord et, feinte sur feinte, mène la barque de son récit là où il veut bien la conduire. Et le lecteur par le bout du nez !! Toujours à contre-pied, par rapport aussi aux attentes et aux impressions que ce dernier essaie tant bien que mal d'assembler, la richesse et la qualité de la plume éblouiront et parfois assommeront par une érudition exigeante et superfétatoire; les excès, le «mysticisme dépravé et artistement pervers» vers lequel le personnage se sent irrésistiblement attiré, ou encore les penchants trop prononcés de celui-ci vis-à-vis «des idées au goût blet et les styles faisandés», amuseront et agaceront à tour de rôle son lecteur. Huysmans réussit diablement, par ailleurs, aussi bien à le mettre à grande distance de son anti-héros, qu'à lui faire à d'autres moments adhérer pleinement à son discours ! Et enfin, en mêlant les pistes à l'aide notamment d'un style indirect libre qu'il maniera avec beaucoup de dextérité, à se cacher à ses yeux ou, au contraire, à lui donner l'impression que l'auteur se faufile en douce derrière son improbable créature.

Chacun de ses seize chapitres de l'ouvrage est travaillé comme une pièce à part du décor en miniature du grand théâtre baroque du monde que Des Esseintes essaie de mettre en oeuvre, à sa seule fin et jouissance, dans l'espace aménagé rigoureusement selon ses plans de la maison de Fontenay.
De l'horticulture à la parfumerie, de «l'orgue à bouche» lui permettant de composer des symphonies gustatives, jusqu'aux caprices décoratifs qui lui feront glacer d'or et incruster de pierreries la cuirasse de sa tortue, il ne s'agira tant pour lui d'y jouer un rôle de spectateur privilégié du spectacle du monde, mais bien plus d'usurper celui du grand Architecte, et de recréer une scène artificielle construite exclusivement selon ses désirs et caprices, gardée sous son stricte contrôle, faite à son image et ressemblance.

Ne serait-ce pas là, d'ailleurs, que résiderait une des clés permettant d'accéder au sens caché derrière les foucades en apparence farfelues et arbitraires de son dandysme ?

S'il est vrai, comme le résumait bien cette formule succincte (énoncée par qui déjà..?), qu'au XVIIIe l'on avait réussi à supprimer les prérogatives du Roi, qu'au XIXe le même destin serait réservé à Dieu, avant qu'au XXe siècle l'on s'attaque en définitive à l'Homme lui-même, ne pourrait-on dès alors envisager ce «dandysme esthétisant» comme préfigurant en quelque sorte l'une de ces tentatives désespérées de lutter contre le sentiment d'absurde de l'existence qui verraient le jour et occuperaient progressivement l'esprit du XXe siècle, constituant l'un de ses défis majeurs ?

Malade, certes, mais aussi «acteur» dans le sens camusien du terme, hésitant entre l'imitation de Schopenhauer, son maitre absolu à penser, et celle du Christ, nourrie insidieusement par le paradis perdu de sa foi et par une solide éducation religieuse, ainsi que, d'autre part, par une forte angoisse de mort à l'origine de ses symptômes névrotiques, c'est par ses vains efforts de pouvoir vivre en autarcie, par son besoin de «franchir les limites de la pensée», par ses pathétiques élucubrations baudelairiennes autour d'une «extase par le bas» comme forme plutôt d'émancipation spirituelle que de débauche purement sensuelle, c'est en tant que démiurge pleutre, maladroit et risible, que Des Esseintes finit par toucher, voire susciter de l'empathie chez le lecteur.

«À Rebours» annoncerait-il ainsi, à un autre niveau et à grands renforts de métaphores, l'une des principales chimères des temps modernes : l'obsession à se singulariser face à la standardisation et à la mécanisation, à l'importance croissante accordée aux progrès techniques - au détriment des savoirs et croyances transmis de génération en génération-, face à la massification érigée au rang d'idéal «égalitaire» promu par nos démocraties modernes, devant ce que son personnage, reprenant encore une fois à son compte Baudelaire, dénonçait comme un nivellement par le bas - «médiocratie» des temps nouveaux.

"C'était aussi" - vitupérait-il déjà en 1884!- «le grand bagne de l'Amérique transporté sur notre continent, l'immense, la profonde, l'incommensurable goujaterie du financier et du parvenu, rayonnant, tel qu'un abject soleil, sur la ville idolâtre qui éjaculait, à plat ventre, d'impurs cantiques devant le tabernacle impie des banques».
Tout un programme!

À l'image de ces bonbons violets inventés par le célèbre confiseur parisien «Siraudin» que Des Esseintes affectionnait particulièrement, «À Rebours» serait en définitive une lecture au goût subtilement trouble et évocateur, entre le sucré et le givré, le praliné et le vinaigré.
Une friandise exquise à déguster avant tout par les amateurs de parfums composés, au bouquet inhabituel et équivoque, et en même temps curieusement familier - mais aussi, pourquoi pas, qui pourrait plaire tout autant à ceux en manque d'une certaine richesse de saveurs de la langue à déguster, aujourd'hui malheureusement en déperdition, et que celle de Huysman, absolument magnifique, saurait à mon avis parfaitement combler !


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Si vous cherchez un livre entrainant, un roman d'action, des intrigues croustillantes ou un ton optimiste... vous pouvez irrémédiablement passer votre chemin. À rebours est un roman, sans intrigue, sans action, quasiment sans dialogue ni rapports humains. Publié en 1884 en France par Joris-Karl Huysmans, À rebours n'a effectivement pas d'intrigue à proprement parler mais nous propose plutôt une sorte de catalogue des gouts et dégouts, des pensées et envies de son protagoniste principal (et unique) : des Esseintes.


De fait, des Esseintes est un personnage complexe et névrosé. Il s'agit d'un aristocrate complétement désoeuvré qui vit reclus dans sa propre maison, évitant au maximum les contacts humains. Érudit et esthète, la recherche de la beauté (picturale, littéraire, musicale etc.) et de la distinction dans ses gouts (il ne s'agirait tout de même pas d'aimer une oeuvre que le vulgum pecus serait également en mesure d'apprécier) l'obsède de manière pathologique. Cette recherche esthétique compulsive s'accompagne d'un plaisir lié à la provocation, d'un individualisme forcené et d'une quête du plaisir égoïste et artificiel qui reste toujours inassouvie. Sans valeurs, sans but, sans famille, sans amis, sans religion, sans travail ni utilité sociale, des Esseintes se sait perdu dans une société en quête de sens. Il se perçoit comme médiocre au sein d'une époque, d'un monde qui l'est tout autant, rejeton fragile et "dégénéré" issu d'une lignée abâtardie par l'oisiveté et la perte de ses repères moraux : c'est un décadent. Il le sait et trouve sans doute même un certain plaisir à cette idée. En dehors de brèves phases d'excitations, Des Esseintes n'en finit pas de s'ennuyer, d'un ennui sophistiqué et excentrique mais surtout désespéré et profond.


Joris-Karl Huysmans associe la forme au fond avec un style absolument remarquable où chaque mot semble avoir été soigneusement recherché et choisi avec précision. Un style précieux parfaitement coordonné avec son personnage et que l'on lit comme on savoure une friandise onctueuse. du travail d'orfèvre.


Ce roman reflète sans nul doute parfaitement ce que l'on appela l'esprit fin de siècle. Une époque où la religion s'efface ("Dieu est mort" annonça même Nietzsche en 1882) et avec elle les repères moraux traditionnels s'estompent et apparaissent dans tout leur arbitraire. La défaite de Sedan (1870), quinze ans plus tôt, a porté un coup fatal aux rêves de conquêtes et de gloire militaire en France. Reste donc pour seul exutoire le rêve matérialiste et bourgeois dans lequel des Esseintes plonge malgré lui via une inexorable soif d'accumulation (meubles, joaillerie, livres) qui comble bien mal son vide intérieur.

Ceci d'autant que notre protagoniste est également un aristocrate, dernier fruit d'un ordre social qui a peu à peu perdu le pouvoir, le prestige et le rôle social qu'il possédait dans l'ancien régime. Cela est mis en lumière dès la première phrase du livre (« À en juger par les quelques portraits conservés au château de Lourps, la famille des Floressas des Esseintes avait été, au temps jadis, composée d'athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres ») où une série de portraits accrochés au mur montre la « dégénérescence » de la famille au fur et à mesure des siècles. À l'image de l'aristocratie toute entière, des Esseintes est réduit à l'oisiveté et à un « déclassement » symbolique.


Si le personnage du roman est fortement ancré dans un cadre français, je ne peux m'empêcher de voir un lien avec les personnages que décrit à la même époque l'écrivain russe Fiodor Dostoievski rendus fous suite à l'effondrement des repères moraux traditionnels (déclin de la foi orthodoxe, fin du servage) comme le fameux Raskolnikov de Crime et Châtiment (1866) ou Ivan Karamasov (Les Frères Karamasov - 1879). Dostoievski résumera remarquablement la crise morale qui caractérise son époque et traverse ses personnages avec ces questions d'Aliocha Karamasov : « Mais alors, que deviendra l'homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? ».


Pour en revenir à Joris-Karl Huysmans, on lui prédit* après lecture de ce livre, le funeste destin d'un suicide ou une conversion imminente à la religion chrétienne. C'est finalement la seconde option que choisira l'auteur dans les années qui suivirent.


Voilà donc un livre très intéressant qui comporte plus que son lot d'aspérités mais qui, à ma propre surprise, m'a complétement subjugué. Ce livre fut pour moi une belle expérience de lecture, sans doute la plus mémorable de cette année, car elle appartient à celles, rares, qui nous marquent parce qu'elles bouleversent nos habitudes et nous inspirent.



*Jules Barbey d'Aurevilly dans une critique du 28 juillet 1884 « Après un tel livre, il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix. »
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Quel roman !
Fatigué de la vie parisienne, lassé des amusements de sa jeunesse, Des Esseintes se retire à Fontenay. Il y a acquis une maison loin du village, qu'il aménage avec un goût particulier et y enferme tous ses trésors : livres, tableaux, meubles, liqueurs, tapis... Il entend y vivre reclus, seulement accompagné par un couple de vieux domestiques auquel il cède tout le premier étage.
Dans sa solitude, pourtant, la névrose le rattrape et le voilà, entouré de tant de richesses, de nouveau en proie aux fantaisies de son corps.

Quel roman, comme je disais, quel roman ! Rien de ce que je pourrais écrire dans cette critique ne sera à la hauteur de ce que m'a inspiré ce livre. Il s'agit d'une petite merveilleuse, tant sur le fond que sur la forme.
Une bonne moitié des chapitres reviennent sur les arts : peinture, littérature, etc, mais aussi botanique, au travers des objets que Des Esseintes a emporté dans sa maison, ce qui est l'occasion d'exposés extraordinaires d'érudition. L'autre moitié revient sur les souvenirs du personnage, un peu à la manière que Marcel Proust développera dans La Recherche du temps perdu, ou nous expose les maux dont il souffre, tout rongé par l'ennui qu'il est. Dans ce roman, Huysmans entendait rompre avec le réalisme, courant littéraire qu'il juge arrivé en fin de vie.
Quant à la forme, que dire sinon que l'écriture de Huysmans est somptueuse? J'en suis restée sans voix. Il y avait un moment que je n'avais pas été autant impressionnée par le style d'un auteur. Pour une découverte, c'est un coup de coeur !

Challenge ABC 2017/2018
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Le mal du siècle s'est emparé de Des Esseintes avec la même avidité que ce dernier s'empare et se nourrit d'oeuvres d'art insolites.
On pénètre dans une sorte de cabinet de curiosités aux éléments disparates et aux couleurs chatoyantes.
Esthète en proie à son mal, Des Esseintes se consume dans un huis clos - contemplatif - propice à la dissection de l'esprit.
Un roman dans lequel on ne pénètre pas à rebours qui m'a beaucoup marquée et qui me donne envie de découvrir l'oeuvre de Huysmans dans son ensemble.
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Quel est le comble du dandysme?

Se faire servir un oeuf à la coque dans une vaisselle précieuse et par ses gens de maison en grande livrée? Aller boire une bière rousse au pub de la rue de Rivoli et décréter que tout voyage à Londres est superfétatoire et vain, puisqu'on connaît désormais de fond en comble l'Angleterre? In cruster de pierres précieuses la carapace de sa tortue domestique? Donner un grand banquet pour se virginité défunte , en prenant soin d'accorder mets et boissons au noir requis par un tel deuil?

Je ne sais si tous les détails sont parfaitement exacts: je ne suis pas allée vérifier, et me suis fiée à ma seule mémoire: j'ai lu ce livre voilà plus de 30 ans, c'est dire si les marottes de l'extravagant Des Esseintes m'avaient frappée!

Ce manifeste désespéré du dandysme qui proclame hautement son refus du réel, sa haine du naturalisme, ne manque ni de panache, ni...d'humour , tant il est provocateur et outrancier. Je me souviens d'avoir ri, oui ri, et j'en souris encore en y pensant.

Que ceux toutefois qui ne supportent pas la description en littérature passent leur chemin: à côté de A rebours, Salammbô , c'est Zola rewrité par le Reader's Digest!
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De Huysmans, je ne connaissais que La Cathédrale roman lu à l'adolescence, dont je n'avais gardé qu'un vague souvenir, et dans mon esprit Huysmans était un de ces écrivains catholiques que le 19ème et le début du 20ème siècle avaient produit.
C'est d'abord le roman plutôt médiocre de Houellebecq, Soumission, qui m'a mis à nouveau sur le chemin de cet écrivain, le héros étant un spécialiste de Huysmans. En écho à la décadence présumée de notre époque, il évoque ce roman À rebours, comme un roman de la décadence et un jalon important dans l'oeuvre du romancier. Et puis, d'excellentes critiques de mes amis babeliotes m'ont amené à franchir le pas.
Je ressors ébloui, déconcerté, étourdi, ébahi, par ce roman complètement baroque, hors normes.

Le héros, Jean Floressas des Esseintes, est le dernier descendant d'une lignée de nobles abâtardis par les mariages consanguins.
Lassé du monde parisien, il décide de s'installer dans une demeure ni trop loin, ni trop près de Paris, à Fontenay, et d'y vivre, "à rebours" reclus.
Mais cette retraite n'a rien de monacal.
Des Esseintes se crée une atmosphère luxueuse, factice, et on ne peut s'empêcher, par exemple en le voyant vivre dans son imitation d'ambiance de cabine de bateau, aux ersatz de réalité virtuelle qu'est capable de nous proposer notre époque.

Le roman nous livre les expériences multiples et décadentes auxquelles se livre le héros, certains de ses souvenirs insolites, et ses réflexions diverses sur la peinture, la musique et surtout sur la littérature.

Dans les expériences, j'en retiendrai celles qui excitent les sens, parfois jusqu'à l'excès, où l'ironie pointe souvent le bout de son nez, mais où l'on trouve aussi une réminiscence des Correspondances de Baudelaire:
- Une description fascinante et morbide de toiles de Gustave Moreau, d'Odilon Redon, du Greco, de gravures d'artistes hollandais ou français;
- Une liste à faire pâlir d'alcools de toutes sortes parfois assemblées sur un orgue, l'ancêtre du piano-cocktail de Boris Vian;
- une sélection d'horribles plantes dont certaines aux formes suggestives et sensuelles, d'autres aux odeurs nauséabondes;
- un choix insensé de parfums qui vont rendre malade notre Des Esseintes.
Il y a aussi un voyage à Londres avorté et fantasmé, dont la narration est un vrai régal.
Toutes ces "expériences" se soldent par des échecs et vont progressivement faire sombrer le héros dans ce que l'on appellerait maintenant une grave dépression.

Les souvenirs racontés par Des Esseintes nous montrent un être qui cherchait à nuire aux autres ou à les pervertir, sa relation ambiguë avec un jeune homme pauvre faisant étrangement écho au poème Pauvre Enfant Pale de Mallarmé, et dans un autre chapitre ses relations bizarres avec une femme athlète, qui l'attire par sa masculinité et une ventriloque qui le plonge dans un monde d'illusions. Toutes ses recherches excentriques du factice et de l'anormalité se soldent aussi par des échecs.

Tout à fait remarquables, sauf le chapitre indigeste consacré aux écrivains latins de la décadence, sont les chapitres où notre héros se livre à l'analyse d'une série d'auteurs de son siècle, voire contemporains.
Derrière les réflexions si profondes sur Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, qu'il met en opposition avec les médiocres écrivains catholiques de son époque, celles sur Poe (qui font penser à Freud), sur Verlaine, Villiers de l'Isle Adam, sur certaines oeuvres significatives pour lui de Flaubert (La tentation de Saint-Antoine), de Goncourt, Zola (la faute de l'abbé Mouret) enfin de Mallarmé, qui lui écrira le poème Prose pour des Esseintes, il y a un sentiment général qui rejoint ses préoccupations personnelles, le dégoût du monde, l'angoisse existentielle, le spleen, la solitude volontaire et le sentiment de l'artiste, si présent chez Baudelaire et Mallarmé, l'inutilité de la recherche des plaisirs, la tentation de la mort, mais aussi la notion de péché et de recherche du salut.
C'est tout à fait passionnant, très riche, mais d'un pessimisme noir, inspiré aussi par Schopenhauer que Des Esseintes évoque dans un autre chapitre.

La fin du livre déconcerte. Je ne vais pas la dévoiler, disons que c'est un "à rebours" à l'envers, un retour à la case départ, dont je ne sais que penser, si ce n'est que c'est une triste capitulation d'un être qualifié ainsi Barbey d'Aurevilly " le névropathe de M. Huysmans est une âme malade d'infini dans une société qui ne croit plus qu'aux choses finies".

Quelque mots sur la forme. La langue est absolument magnifique, une richesse de vocabulaire à faire frémir les candidats à une dictée de Pivot, et même les longues énumérations ne m'ont pas fatigué, il est vrai que j'ai l'expérience d'un lecteur de Georges Perec.
Et il ne faut pas croire que tout y est triste et morbide, il y a tant de passages savoureux, pleins d'ironie désabusée et d'humour. Ainsi le chapitre du départ à Londres qui se termine dans une taverne près de la Gare Saint-Lazare est absolument magique, de même le souvenir de la relation avec l'athlétique Miss Urania, ou la description musicologique de l'orgue à alcools, ou celle toute de sensualité féminine des locomotives, la blonde Crampton et la brune Engerth, ou enfin le désopilant passage sur la "falsification des substances sacramentelles", dans lequel Des Esseintes nous explique que des hosties falsifiées faites avec de la fécule de pomme de terre ne peuvent assurer la transsubstantiation!

En conclusion, vous le comprendrez, A rebours a l'apparence d'un roman, mais ce n'est pas un roman, c'est pour moi un objet littéraire non-identifié, une perle rare, et tout ce qui est rare m'est cher.
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"Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la nuit, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir !"

Exhalant de capiteux fumets de venaison, À rebours estampe irrémissiblement le goût de ses ouailles ; on ne se remet jamais d'une telle lecture et, quelques trente ans après mon baptême, j'y communie avec une ferveur intacte.

Dans ces envoûtantes miscellanées du beau bizarre, Huysmans nous guide, cicérone pervers, à travers les dédales d'une névrose. Celle du duc Jean Floressas des Esseintes, raffiné blasé, qui s'isole du commun et du vulgaire dans sa villa de Fontenay-aux-Roses. Souffrant de nervosisme -et plus certainement d'une syphilis-, ce misanthrope recrée dans sa thébaïde un univers qui lui ressemble : original, factice et décadent.

Plus son sanctuaire s'orne des oblations qu'il y dépose, plus son être se vide de sa substance. L'ennui et le pâle tréponème le tuent à petit feu en une immolation funeste. Qu'il feuillette avec passion les décadents latins, les Parnassiens et Poètes Maudits du jour, distille les parfums les plus suaves, s'immerge dans l'exubérance d'un jardin corrupteur ou se noie dans les pigments faisandés des tableaux de Gustave Moreau ou dans les gravures tératologiques d'Odilon Redon, ce triste babilan reste désespérément flasque.

Car le fruit est pourri. Des Esseintes, "né sur un lit de roses fanées", snobissime pourfendeur du naturel qui se grise d'artifices, entretient un coeur vicié. Pédéraste refoulé, sadique perfide, il s'est longtemps nourri de la détresse humaine. Seul face à lui-même, "dans ce confinement contre nature où il s'entêtait", ce devancier d'un Dorian Gray, exsude ses poisons sans le secours d'une rédemption divine.

Démiurge excentrique, Huysmans brode une étoffe chatoyante où brasillent les fils d'or d'une imagination baroque : un orgue à alcools dont Vian saura se souvenir, un dîner monochrome, une Salomé chelonienne qui meurt sous le poids des pierreries dont elle est revêtue, un voyage immobile où seuls les sens sont activés... Son génie séminal a généré de beaux enfants et la littérature comme la chanson lui doivent beaucoup.

Véritable pierre philosophale, la plume de l'écrivain transmute le plomb ordinaire en or. Tout à la fois chantournée et plantureuse, l'écriture huysmanienne surabonde de préciosités et d'extravagances mais privilégie une expression lumineuse et un débraillé de façade. Sa mise en voix procure d'ineffables plaisirs. Morbide ou rutilant, chaque chapitre profusément référencé est un miracle d'intelligence et de poésie. de la gelée royale !

Une aventure "déliquesseintes", une épectase littéraire : l'indispensable Baedeker Fin de Siècle.

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