Passer cinq jours d'agréables loisirs avec Anita Starlette dans une auberge cachée au fond des bois, tel est le désir de l'ingénieur Geraldes, un homme que le désordre n'a jamais visité.
« Mais la fragrance de l'aventure devait un jour frapper à sa porte et la voici qui le conduisait maintenant impérieusement vers un lieu secret, une maison masquée, vers laquelle désormais sa mémoire se retournerait chaque fois que cela serait nécessaire, avec son pas menu d'araignée ou de serpent. »
Pourtant, les choses ne se passent pas exactement comme il l'avait prévu et la jeune femme se révèle bien différente de l'objet idéalisé qu'il s'était imaginé…
« Mon Dieu ! Anita Starlette correspondait presque totalement à la jeune fille de ses rêves. Pourquoi parlait-elle donc ? Pourquoi ? Pourquoi lui transmettait-elle des messages, des lamentations, des revendications par le biais d'héroïques histoires de massacre ? »
Ces cinq jours avec Anita Starlette seront bien inoubliables, mais pas pour les raisons que l'esprit amoureux de l'ingénieur quinquagénaire s'étaient forgés, croyant vivre en compagnie de sa belle maîtresse une ultime aventure amoureuse pleine de folles promesses érotiques et sensuelles.
Centrée principalement sur la figure de l'ingénieur Geraldes, cette réjouissante fiction de la romancière portugaise
Lidia Jorge explore, un peu comme une expérience psychologique, les facettes de la passion amoureuse et les limites de la connaissance de l'autre.
Et c'est un régal proprement jubilatoire d'assister aux questionnements incessants, aux rêveries, aux doutes et aux tourments de cet homme mûr au caractère habituellement inflexible, croyant avoir trouvé en la personne de la jeune entraîneuse Anita, la représentation incarnée de tous ses fantasmes et rêves secrets.
Tantôt inquiet, tantôt au comble du ravissement, l'on se délecte de voir ce pauvre homme si peu enclin aux débordements, pris dans les rets de la passion et passer par toutes les couleurs de la palette de l'émotion amoureuse : trouble, nervosité, empressement, agitation, égarement, morosité, incompréhension…
Anita « La coquine », femme-enfant boudeuse, mutine, capricieuse, aux comportements souvent incompréhensibles, ne lui laisse aucun répit.
Mais
Lidia Jorge ne s'est pas seulement bornée à décrire parfaitement et brillamment les émois de l'amour et l'image idéalisée, pas toujours vraie, que l'on se fait de l'être aimé.
Comme savent si bien le faire certains auteurs sud-américains, elle y a ajouté ce petit côté surréaliste qui vous fait naviguer entre fable et roman, entre onirisme et éveil, entre fantastique et réalité.
L'auberge dans laquelle séjournent les deux tourtereaux, avec ses longs corridors, ses chemins forestiers où nul ne se croise jamais, ses serveurs invisibles, ses draperies et ses tentures, est de ce point de vue un modèle de lieu totalement hors de portée réelle.
Un lieu masqué qui renvoie à l'image d'une société décadente, mensongère, pleine de duplicité mais qui, s'il fait dire à l'ingénieur Geraldes « qu'il ressentait de la répulsion pour cette maison trompeuse où l'on était constamment entre le mensonge et la vérité, entre l'imposture et la prétention », lui permet finalement d'éclairer un peu plus les troubles de sa conscience opaque.
Au final, l'auteur du « Rivage des murmures » ou plus récemment de «
Nous combattrons l'ombre », nous offre un texte brillant, plein d'humour, très littéraire et travaillé dans la syntaxe, une oeuvre originale, à la fois pleine d'une fantaisie débordante et d'une redoutable finesse d'analyse psychologique.
Excellent et totalement réjouissant.