Frédéric Lenoir après avoir écrit une biographie lumineuse de
Spinoza nous revient en force ici avec cet essai sur
Carl Jung, psychiatre et philosophe suisse qui s'est éteint en 1961. A priori le lien entre
Spinoza et
Jung n'est pas évident, quoique.... Trois siècles les séparent mais tous deux ont porté une vision du monde et une pensée très en avance sur leur temps, tous deux viennent d'un milieu religieux (ancêtres pasteurs protestants chez
Jung et rabbins chez
Spinoza) et tous deux ont eu le sentiment d'être incompris car justement trop en avance sur leur temps.
Tous deux ont également refondé une spiritualité basée sur l'intuition après avoir quitté la religion de leur enfance.
Jung au départ est médecin psychiatre. Il a toujours eu une grande ouverture d'esprit et a voyagé beaucoup en rencontrant différents peuples dont les Indiens Pueblos.
Il rencontre
Freud lorsqu'il était jeune et leur collaboration va durer 7 ans. Ils vont toutefois rompre définitivement en 1913,
Freud ayant peut-être eu peur que
Jung ne lui "vole" la paternité de la psychanalyse alors même que celui-ci l'a aidé à internationaliser la psychanalyse. Leur divergence porte surtout sur le thème de la libido, trop réduite à la sexualité dans l'oeuvre de
Freud,
Jung voulait surtout "l'élargir" à la spiritualité;
l'inconscient d'après
Jung peut avoir une dimension spirituelle, (dans
l'inconscient collectif par exemple) et selon
Jung nous portons en nous des images qui nous viennent de ce que nos ancêtres ont vécu.
Jung rejette donc ce dogme inébranlable de la sexualité que voulait établir
Freud.
Jung s'intéressait aussi aux phénomènes paranormaux: rêves prémonitoires, synchronicités.. s'attirant ainsi les critiques et la méfiance des autres scientifiques.
Selon
Jung la thérapie commence quand on connaît l'histoire personnelle du patient, ce qui est novateur à l'époque. Pour lui il existe une sorte de "karma familial" qui fait que nous naissons dans des familles où nous devons suivre ce qui n'a pas été fait par nos ancêtres.
Comme le souligne
Frédéric Lenoir, la pensée de
Carl Jung est complexe et très en avance sur son temps. Ses livres sont difficiles à lire car il a une pensée "en arborescence" et qui fonctionne un peu comme des hyper-textes ...
Néanmoins pour mieux retenir l'essentiel, on peut citer quelques mots-clés:
- inconscient familial: on doit faire progresser la conscience de sa lignée.
Jung est l'inventeur de la psycho-généalogie. On se soigne par l'étude des secrets de famille.
- inconscient collectif: nous héritons des choses expérimentées avant nous. On ne peut pas changer d'inconscient collectif d'après
Jung, ce qui pose le problème de conversion à une autre religion par exemple
- les symboles: ce sont des passerelles avec
l'inconscient, de même que les archétypes
- les archétypes: ce concept est inventé par
Jung. Il existe selon lui des symboles universels qui sont comme des énergies, des "caves vides", exemple la sorcière, le héros, le vieux sage...
Dieu serait aussi selon
Jung un archétype car sa représentation varie selon les cultures,
- l'esprit relié à la matière: un concept important pour
Jung qui a travaillé dans ce domaine avec
Wolfgang Pauli, physicien prix Nobel, l'un des fondateurs de la physique quantique, Selon l'auteur
Frédéric Lenoir, cette vision novatrice est de nature à porter un nouveau paradigme qui pourrait être développé dans le futur..-
- l'individuation: c'est un chemin spirituel intérieur, non religieux que doit réaliser tout individu; il faut trouver un équilibre entre l'individuel et le collectif; chaque individu doit développer un jugement personnel et s'affranchir des différents conditionnements que nous recevons.
Jung devient ainsi le pionnier du développement personnel,
-l'animus/ l'anima: chacun porte en soi, quel que soit son sexe, une part masculine (animus) et une part féminine (anima); il faut faire
vivre harmonieusement ces dimensions. Ainsi
Jung pose le questionnement de la place des femmes dans les religions. A cet égard, il est un des pionniers du féminisme, puisqu'il récuse les sociétés patriarcales de l'époque qui n'accordent aucune place à l'anima.
- le numineux, l'expérience du sacré. Face à
Freud,
Jung réhabilite la transcendance qui peut, selon lui, aider à
vivre, car elle peut donner du sens aux expériences traversées et notre cerveau a besoin de sens!
- les synchronicités: c'est un des thèmes de prédilection de
Jung qui s'est beaucoup penché sur les religions, orientales beaucoup plus tournées vers l'intérieur que les religions occidentales.
Jung découvre les synchronicités (occurence de deux événements n'ayant a priori pas de lien de causalité entre eux mais dont l'association revêt un sens pour celui qui les vit). à travers l'observation du yi-king, technique divinatoire chinoise. Il a observé que ce "tirage de baguette" permettait de trouver une réponse à la question posée. le yi-king vient des sages chinois et date de 3 000 ans!! Encore une fois il va travailler sur cette question avec Pauli. La psyché de l'observateur vécue comme influençant la matière...d'après
Jung il existerait au-delà de l'espace et du temps un "réel voilé" où l'esprit et la matière se rejoindraient. Nous y avons accès seulement par
l'inconscient et l'intuititon.
On voit ainsi que la pensée de
Jung est complexe, riche et très évolutive. J'ai été plus particulièrement frappée par ses travaux sur
l'inconscient et les synchronicités.
Jung a développé la thèse selon laquelle une personnalité inconsciente mal reliée à la conscience pouvait porter à la violence. Ce n'est pas
l'inconscient qui est mauvais en soi mais l'ignorance de cet inconscient.
Le livre de
Frédéric Lenoir nous fait
vivre une pensée étonnante qui a toute sa place dans notre monde actuel.
Pourquoi
Carl Jung est-il peu connu en France, dépassé par les autres psychanalystes
Freud,
Lacan?
Peut-être son approche du paranormal a paru suspecte, on l'a de plus accusé à tort d'antisémitisme alors qu'il a fait fuir de nombreux Juifs vers la Suisse.
Il est vrai qu'il n'a pas toujours été prudent ni réfléchi, ainsi de publier une étude sur la psyché juive alors que les violences nazies commençaient à se répandre. de même on lui a reproché d'avoir continué à diriger une association de psychiatrie à l'époque nazie mais il s'est empressé d'en modifier les statuts pour détourner les lois nazies anti-juifs.
Le livre de
Frédéric Lenoir vient rétablir cet "oubli" et permet de comprendre l'importance de l'oeuvre de
Jung.
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