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Christine Zeytounian-Beloüs (Traducteur)
EAN : 9782070783069
126 pages
Gallimard (01/02/2007)
3.97/5   19 notes
Résumé :

La nuit n'en finit pas de tomber sur Moscou. La ville, que désertent peu à peu ses habitants, est encore hantée par des foules sporadiques et inquiétantes. Plus rien ne fonctionne : téléphoner, prendre l'autobus se procurer des produits de première nécessité relève de l'exploit. Les intellectuels, eux, vivent dans un monde souterrain auquel on accède par un boyau très étroit débouchant ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Coup de génie, parabole en forme de dystopie, la désintégration de l'URSS comme seconde dimension, développée avec un talent tel qui la rend universelle.
Dense roman du clair-obscur, de la claustro-agoraphobie, fait d'une langue forte et évocatrice, physique, où comme dans « L'étoile de Ratner», la solution se trouve peut-être dans ce trou que l'on creuse.
Bien que cette fin de la lumière ne laisse qu'un faible espoir, ses espaces éclairés ménagent quelques îlots de chaleur, contraste brillant aux scènes terrifiantes, d'une beauté formelle évidente, où le terme « tellurique » est pleinement justifié.
Econome mais généreux, ce petit roman de Makanine est à ranger avec les autres plus grands, ces déjà-classiques bien que toujours d'actualité
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La brèche de Vladimir Makanine
Klioutcharev a besoin d'une pelle, alors il passe par la brèche se faufile comme il peut, se blesse dans l'étroit corridor, perd quelques boutons et se retrouve sous terre. On l'interroge sur ce qui se passe »là haut ». « Comme avant »est sa réponse. L'entrepôt est là, gardé par une femme, elle veut qu'on lui fasse la cour et lui il a besoin de sa pelle, d'une pioche aussi, alors…Il remonte péniblement, les outils le gênent, l'air libre et les immeubles Kroutchéviens. Il rejoint son appartement et étudie son projet de caverne, dès le soir il commence à creuser, ça ressemble à un terrier. Il est tranquille, il y a peu de monde en surface, il doit être le dernier intellectuel qui n'ait pas rejoint les autres derrière la brèche. Il est marié, un fils anormal qui parle à peine, il est énorme. Plus rien ne fonctionne dans la ville, le téléphone de temps en temps, plus d'essence, les bus un peu et la nuit c'est le royaume des voleurs et des bandes.

Un monde sans issue dans lequel la communication se fait par une brèche qui s'agrandit ou se rétracte au gré du temps, une sorte de roman post apocalyptique dans sa conception mais qui malheureusement est le reflet de la réalité vécue par les hommes. Glaçant.
Makanine est né en 1937 en Russie, décédé en 2017, il a reçu le prix Booker en 1993.
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Dans Moscou, tout manque et plus rien ne fonctionne, chacun reste terré chez soi par peur des pillards et des foules meurtrières qui déferlent dans les rues. Malgré cela, Klioutcharev est resté là avec sa femme et son fils ; il ne s'est pas refugié dans le monde souterrain sous la ville comme les autres intellectuels. Est-ce par nécessité pour son fils handicapé, ou bien pour ne pas être coupé du réel ? Pour rester en contact avec les intellectuels, il emprunte régulièrement un passage par la brèche pour rejoindre cette cité souterraine. Là, les intellectuels ne manquent de rien (si ce n'est de l'air et de la lumière !) et les conversations profondes vont bon train, notamment sur l'avenir de la société et les possibilités de son évolution ; mais aucun ne semble croire qu'il peut revenir dans le monde d'en haut ni influencer son devenir.

La brèche est le récit de l'errance de Klioutcharev pour se procurer une pelle pour creuser un abri sous terre pour sa famille, pour téléphoner, pour aller enterrer un ami, ses allers-retours entre la surface et le souterrain, à travers une brèche qui ne cesse de rétrécir et le blesse ; le récit de ses peurs, ses efforts pour rester au contact des intellectuels, de la pensée, même lorsque tout manque, ses efforts pour conserver une humanité et ne pas devenir uniquement un animal apeuré dans son terrier.

« La conversation reprend à la table où il se trouve (il est question de Dostoïevski, du refus de bâtir son bonheur sur le malheur d'autrui, début classique). Deux minutes plus tard, l'âme de Klioutcharev commence déjà à s'imprégner de ces paroles élevées. Ils parlent. Les sphères de leurs esprits s'unissent familièrement au-dessus de la table. Et Klioutcharev qui avait perdu tous ses mots (perdu la vie ?) dans les rues désertes où la seule compagnie est celle du voleur fouillant les poches de sa victime, Klioutcharev sent la présence du verbe. Comme un poisson rendu à son élément, il revit ; c'est pour cela qu'il est venu. »

Livre poignant, la brèche est une puissante métaphore de l'effondrement de la société soviétique, de l'impossibilité de communiquer entre deux mondes, un monde livré à la pauvreté et à la barbarie, et un monde protégé d'intellectuels et de privilégiés, mais coupé de la base, des difficultés du réel.

Au-delà de ce miroir de l'effondrement soviétique, « la brèche » peut être vu comme une métaphore aux multiples dimensions, qui rend ce récit universel - métaphore de l'homme coupé en deux, de l'esprit coupé du corps, le passage dans la brèche comme allégorie des efforts qu'il faut fournir pour conserver les lumières quand la société s'effondre, ou encore comme une allégorie de la douleur de la naissance.

« La terre retombe en mottes et s'égrène : Klioutcharev égalise l'espace grossièrement creusé à coups de pioche. Il taille soigneusement les angles et remarque que le résultat évoque pour le moment un terrier ou même le trou par lequel il a eu tant de peine à remonter. Oui, il copie malgré lui. C'est plus instinctif qu'intuitif : C'est sa mentalité souterraine qui met à profit un savoir-faire étranger sans en référer à la conscience. Il suit une ornière séculaire. Ses mouvements de reptation, le frottement (le polissage) de ses épaules et de ses genoux contre les parois supposent le recours à une expérience millénaire qui remonte au temps où l'expérience personnelle ne se distinguait pas encore de celle d'autrui, où n'existait qu'une seule expérience, instantanée et éphémère.»

Un récit très noir qui résonne profondément et qui (heureusement) conserve un espoir dans l'humanité.

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Plutôt qu'un roman, une parabole sur la Russie, un récit à la limite du fantastique par la façon dont il exprime la rupture entre le peuple et ses élites.

On ne situe pas ce récit dans l'histoire, mis à part le fait que cela se situe après Krouchtchev (une simple phrase de description de l'auteur nous donne ce seul repère). Mais ce n'est sans doute pas là l'essentiel. le message transmis par ce livre est non seulement intemporel mais aussi universel, le cadre russe n'est pas forcément indispensable.

Ce livre est rempli d'oppositions. Intellectuel-ouvrier, foule-individu, réflexion-survie. Et le drame du héros est sans doute de se trouver à la charnière de chacune de ces oppositions; d'être de ceux qui peuvent emprunter la brèche; d'être de ceux qui hésitent entre se regrouper et chercher la solidarité oui s'isoler pour éviter le danger que représente les masses; d'être de ceux qui sont trop fatigués pour bien réfléchir, mais qui ne peuvent s'empêcher d'aimer écouter ceux qui ont encore le courage ou la lâcheté de philosopher.

La seule différence avec une parabole c'est sans doute l'absence de message final. L'auteur nous laisse avec des constats amers, sans réponse, sans solution, désabusés.
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Publié en 1991, année de l'effondrement de l'URSS, "La Brèche" est une allégorie sur la société soviétique, une société sclérosée, bouchée pour faire ici référence à la brèche qui peu à peu se referme dans le livre éponyme, et qui a durement censuré nombre d'écrivains russes dont Makanine (ou Boulgakov).

Les intellectuels critiques se sont réfugiés sous terre, laissant le monde de la surface à une foule quasi-animalisée. le personnage principal est l'un des rares intellectuels à vivre à la surface sans doute parce qu'il ne pourrait y emmener son fils (trop épais au deux sens du terme, l'enfant étant une force de la nature et handicapé mental). Klioutcharev éprouve le besoin de se rendre sous terre, quitte à ramper dans la boue et à se taillader le corps, pour y respirer et retrouver les plaisirs des discussions rationnelles et lettrées. Livre évidemment touchant venant d'un auteur contraint au silence.

Ceci dit, on dit parfois que les livres échappent à leur auteur. Lu aujourd'hui, dans notre contexte, une toute autre lecture pourrait être faite : cela serait sans doute un contre sens mais certains passages du livre laissent à penser que les intellectuels ne sont pas exempts de tout reproche.

Au prix d'un changement lexical minime, on peut aussi dire que les intellectuels, totalement coupés d'un Peuple qu'ils méprisent et dont ils ont peur (qu'on pense aux discours tenus par certains d'entre eux à la fin du livre), se terrent préférant le confort de l'entre soi à toute forme de responsabilité. Et là on pensera très fort à tous ces intellectuels médiatiques qui squattent nos antennes de radio et les plateaux de télévision ! Tout cela pour dire qu'à mon avis, le propos de Makanine est a contextualiser et historiser.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Il n'a pas besoin de la pelle ni du pic pour le moment. La pioche, en revanche, lui est tout de suite utile : ce n'est pas pour rien qu'il s'est donné tant de peine pour la ramener et qu'il se l'est presque enfoncée sous la clavicule. Il se met au travail. Cette idée légèrement douteuse est une sorte de dernier recours : à défaut de s'unir avec d'autres personnes, il peut au moins créer cet abri pour lui et sa famille, au cas où continuer à vivre en appartement deviendrait impossible. Klioutcharev creuse. Il retire son pull. Il ne veut pas s'arrêter avant d'avoir épuisé son regain d'énergie. Maintenant (toujours sans marquer de pause) il prend la pelle. La terre retombe en mottes et s'égrène ; Klioutcharev égalise l'espace grossièrement creusé à coups de pioche. Il taille soigneusement les angles et remarque que le résultat évoque pour le moment un terrier ou même le trou par lequel il a eu tant de peine à remonter. Oui, il copie malgré lui.
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La rancoeur sociale, pour peu qu'elle affleure, rend tout le monde plus primitif et plus méchant.
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Mais Klioutcharev est incapable de supporter ce regard. "Mon enfant", pense-t-il, et il détourne les yeux. Son fils lui caresse le dos. Peut-être sait-il que sa voix est rauque et inarticulée, peut-être est-ce uniquement pour cette raison qu'il ne dit pas "Papa...". Mais c'est ce mot que son geste exprime en cet instant. Et très clairement.
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Paradoxalement, la nature ne les pousse pas à se rassembler pour survivre, mais au contraire à rester séparés, à rentrer chacun dans son terrier, à se faire le plus petits possible pour qu’on ne les remarque pas, car ceux qui se dispersent et deviennent pareils à des grains de poussière ont davantage de chances de s’en sortir
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Video de Vladimir Makanine (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Vladimir Makanine
Vladimir Makanine: Assan, la guerre et la vie .Entretien avec l'écrivain russe Vladimir Makanine, en mars 2013, quelque jours après la remise du Prix européen de littérature à Strasbourg, à propos d'Assan, son dernier livre traduit ( éditions Gallimard), de son regard sur la guerre de Tchétchénie, la corruption, et de la littérature en climats politiques divers.. Entretien réalisé par Dominique Conil et Sophie Dufau pour Mediapart. Traduit par Christine Zeytounian-Beloüs.
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