AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782130455165
416 pages
Presses Universitaires de France (01/09/2000)
4.22/5   23 notes
Résumé :
Un concept de différence implique une différence qui n'est pas seulement entre deux choses, et qui n'est pas non plus une simple différence conceptuelle. Faut-il aller jusqu'à une différence infinie (théologie) ou se tourner vers une raison du sensible (physique) ? A quelles conditions constituer un pur concept de la différence ?Un concept de la répétition implique une répétition qui n'est pas seulement celle d'une même chose ou d'un même élément. Les choses ou les ... >Voir plus
Que lire après Différence et RépétitionVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« Derrière les masques il y a donc encore des masques, et le plus caché, c'est encore une cachette, à l'infini. Pas d'autre illusion que celle de démasquer quelque chose ou quelqu'un ».
« Le masque se trouve être la vérité du nu ».

La question qui importe désormais c'est : qu'est ce qui force à penser ? ou qu'est-ce qui fait la différence ?

PROLOGUE. Deleuze et anti-Deleuze.

On commence par tourner autour des deux mots répétition et généralité. Ils évoquent deux manières de comprendre un ensemble d'éléments.
La généralité a la puissance logique du concept de son côté, dans la compréhension de Leibniz. (Blocage logique d'un concept qui n'a qu'une seule chose) ; à noter dans ce livre, une grande proximité avec les mathématiques.
La répétition comprend des éléments dont la différence ne peut pas s'expliquer selon cette logique, mais qui exprime la puissance de quelque chose qui insiste, et la différence en train de se faire. Pour l'illustrer, on peut déjà évoquer la répétition des mots et la puissance du langage. (Cas de blocage naturel du concept)

Deleuze tente de créer des concepts, mais selon une autre logique, pour comprendre précisément en quoi consiste l'expérience de la création. Il faut donc être attentif à la fois à ce qu'il dit et à ce qu'il fait. La création est entendue dans un sens large : création de concepts en philosophie, création artistique, etc…

Deleuze m'est apparu d'abord comme une éponge qui absorbe amoureusement tous les jus philosophiques. C'est tout le charme de sa philosophie de dire oui à l'existence sans chercher d'abord l'opposition. Il chante haut et fort avec Nietzsche, l'hymne de l'éternel retour, avec Dun Scott, l'univocité de l'être, etc…

Il trouve « l'anti-platonisme », mais dans le platonisme lui-même. Il repère les moments d'anti-kantisme dans le kantisme, etc… Et si on suit ce process, il faut s'attendre à trouver un univers anti-Deleuzien dans le système Deleuzien.

L'opposition est cependant marquée avec Aristote et Descartes, parce qu'ils représentent, avec une fidélité supposée sans failles, ces philosophies de la représentation, de la puissance logique du concept.
Cette opposition est en fait le moment, où les facultés de la conscience vont être systématiquement répudiées ou reléguées au second plan, au nom de l'inconscient tout puissant.

Et c'est dans ces oppositions, qu'on peut trouver une différence plus profonde, et un écart entre ce que Deleuze dit et ce qu'il fait. « L'opposition ne nous renseigne nullement sur la nature de ce qui est censé s'opposer ». « Les problèmes échappent par nature à la conscience, il appartient à la conscience d'être une fausse conscience ».

Le thème de prédilection de la philosophie de la différence c'est la différence entre l'homme et l'animal en général. Voyons donc ce qui se passe autour de Aristote, Descartes et Deleuze. Je propose un commentaire en 3 actes, suivis d'un épilogue.

ACTE 1 : Qui croit encore en cette antique définition de l'être humain ? : l'homme est un animal (genre) qui a la capacité de raisonner (différence)…

Si on appelle cela un spécisme (philosophique), alors le livre de Deleuze apparait comme un anti-spécisme, ou une manière de penser la différence sans chercher à se rassurer derrière le gros mythe de la grosse espèce.

Deleuze, l'éponge rebelle, ne veut surtout pas être pris pour une « belle âme ». Il se dit nomade, et non sédentaire. « Remplir un espace, se partager en lui, est très différent de partager l'espace ».
« Lui », c'est aussi l'Etre univoque : « il se dit, en un seul et même sens, de toutes ses différences individuantes ». Et l'espace partagé, c'est le monde de la représentation, des catégories, genres, espèces.

Ce qui intéresse Deleuze c'est ce qui agit dans les individus, « comme transcendantal, comme principe plastique, anarchique et nomade, contemporain du processus d'individuation ».

La différence se distribue dans un espace qui devient le monde théâtral de la répétition. Cet espace n'est alors rempli que de signes et de masques. Pour le figurer, Deleuze nous invite à lire la fin « grandiose » du Sophiste où est démontrée l'impossibilité de distinguer le « simulacre » (le songe, l'ombre, le reflet, la peinture), de l'original ou du modèle.

Ce théâtre de la répétition, ou ce complexe inconscient, a le secret de nos enchaînements et de nos libérations. « On ne répète pas parce qu'on refoule, mais on refoule parce qu'on répète ». En résumé, « la roue dans l'éternel retour est à la fois production de la répétition à partir de la différence, et sélection de la différence à partir de la répétition. »

Ou comme le résume David Lapoujade*, seul sera retenu, car seul revient, ce qui affirme ou exprime la différence. L'éternel retour ou l'instinct de mort, fait mourir l'identique, le Même et l'Un. (* Deleuze, les mouvements aberrants).

Après le domaine de la « répétition spirituelle », on revient à la « répétition matérielle ».
En tant qu'animal en général, il est dit que nous sommes une somme d'organes qui sont autant d' « âmes contemplatives » dont tout le rôle est de contracter l'habitude, « dans sa pleine généralité » ; c'est-à-dire « soutirer une différence à la répétition ». « Nous sommes nos mille habitudes composantes, formant en nous autant de moi superstitieux et contemplatifs, autant de prétendants et de satisfactions. »

« Finalement, on n'est que ce qu'on a, c'est par un avoir que l'être se forme ici, ou que le moi passif est ». Et en même, on est toutes nos différences individuantes.

ACTE 2. «  Je pense donc je suis », comme chacun est supposé le savoir.

Après Aristote, Descartes exprime un autre genre de présupposé, « enveloppé dans un sentiment au lieu de l'être dans un concept ».
« Or voilà que des cris surgissent, isolés et passionnés. Comment ne seraient-ils pas isolés puisqu'ils nient que tout le monde sache ? ».

Notre Deleuze de mauvaise volonté, dénonce le présupposé implicite qui se trouve dans le « sens commun logique », le bon sens, ou le principe du « clair et distinct », cette pensée en affinité avec le vrai.
Le bon sens se fonde sur la première synthèse du temps, celle de l'habitude. Il va du passé au futur, comme du particulier au général.
(Je relirais autrement Isabelle Stengers au sujet de ses « ruminations du sens commun »)

La philosophie de Descartes, est présentée de manière exemplaire, comme « le quadruple carcan du monde de la représentation, où, seul peut être pensé comme différent ce qui est identique, semblable, analogue et opposé ».

Deleuze rappelle, entre le Je pense et le Je suis, la césure qui ordonne l'avant et l'après. « Une fêlure dans le Je, une passivité dans le moi. voilà ce que signifie le temps » ; le temps comme « dégradation de l'éternité ».

« Le Je est la qualité de l'homme en tant qu'espèce » nous dit-il (page 330) ; et en même temps, c'est l'unicité et l'identité de la substance divine, qui « garantit » le Moi comme le Je, un et identique.
Nietzsche l'affirmera sans détour ; mais Kant aussi, un bref instant soustrait au devoir moral, a montré la façon dont « la mort spéculative de Dieu » entraine la fêlure du Je.

D'où on comprend, qu'il ne reste plus de qualité propre à l'homme, en tant qu'espèce, en dehors de celle qu'il trouve en Dieu.

ACTE 3. Encore, et toujours la même chanson : « je ne suis pas un animal ».

La messe est dite ; malheureusement, Deleuze ne peut pas s'empêcher de chanter la vieille rengaine. Exemple : « la bêtise comme bestialité proprement humaine ». Alors que « l'animal est garanti par des formes spécifiques qui l'empêchent d'être bête ».

Or, on vient de voir que le seul garant dans cette histoire, c'est l'unité de Dieu lui-même ; celle qui apparaît justement dans l'identité et la simplicité du Je ; mais la fêlure du Je nous a rappelé la fragilité de cette garantie. C'est dire à quel point les propositions qui précèdent sur l'exceptionnalité humaine ont déjà perdu toute crédibilité.

Et pourtant, les propositions de ce genre se répètent jusqu'au bout du livre (et au-delà) : « Le problème comparé de la sexualité animale et de la sexualité humaine consiste à chercher comment la sexualité cesse d'être une fonction et rompt ses attaches avec la reproduction. ». etc…

On ne sait pas quel problème caché insiste à travers cette répétition stéréotypée. On entend seulement que l'animal, hors du règne humain, doit rester en dehors de toute cette philosophie : sans fêlure, sans bêtise, pris dans le carcan de son espèce, hors du champ d'individuation. J'ai cru lire la bible : l'animal créé selon son espèce versus l'homme créé à l'image de Dieu.

À la fin, Deleuze ne fait même plus la différence entre le fixisme et la théorie de l'évolution, qui est décidément la bête noire de nombreux philosophes. Sa prière pour la « réconciliation » satisfera de nombreux croyants ; ce serait son côté assertif.

C'est bête, mais le théo et la logique me semblent faits l'un pour l'autre. Laissons Deleuze poursuivre : « la logique est une instance transcendantale » et « Leibniz seul s'était approché des conditions d'une logique de la pensée ».
C'est vraiment difficile, et il faudrait déjà commencer par les gammes. Pour ça, les cours sur webdeleuze sont parfaits ; sauf ses leçons de mathématiques que je ne trouve pas très convaincantes.

Leibniz aurait approché le « vrai mouvement de la pensée », et en même temps, il l'aurait « trahi au maximum ». Mais il faut bien que le Moi deleuzien qui prétend enfin approcher du « vrai », ait aussi sa garantie, sa monade des monades. Ce serait l'assurance d'une divine complication, la meilleure possible.

Finalement, voici la logique remaniée : « la pensée ne pense qu'à partir d'un inconscient, et pense cet inconscient dans l'exercice transcendant. ». (Au-delà du possible).

On ne sera pas surpris de croiser ici Lacan, « le logicien de l'inconscient » ; et on sait qu'il a lui aussi prêché sa formule sur l'exceptionnalité humaine ; c'est lassant, mais la formule en question nous rappelle le thème du masque derrière le masque : l'animal serait incapable de « feindre la feinte ».

On a vu que les choses douteuses ne forcent pas nos logiciens à penser car ils sont de mauvaise volonté et ces choses « présupposent la bonne volonté du penseur ». Mais les paradoxes devraient les y forcer ; ils fourmillent dans ce livre.

Et pourtant, rien ne force Deleuze à penser que les animaux pensent, hors du règne humain ; les animaux souffrent sans se poser de questions.
La souffrance animale devenait embarrassante (J. Bentham) ; elle ne l'est plus.
On pouvait être frappé par la sensibilité mobilisée dans le fait de former des habitudes (J. Dewey) ; s'est-elle évaporée ?

Entre l'homme raisonnable et l'homme affligé d'une bêtise humaine, c'est toujours la même chanson. Mais maintenant il feint l'impuissance ; ce que font tous les animaux. (Tant qu'ils vivent)
Qu'est-ce qu'il aurait à voir, avec la 6ieme extinction de masse, ce pauvre homme, « au Je et au Moi minés », à la « plate conscience », objet du « ciel » de son inconscient ?

Et sans doute, Deleuze s'oppose t'il frontalement à Sartre, pour qui l'inconscient a été la « mauvaise foi » personnifiée, ou l'excuse. Si on veut, il y a des beaux thèmes de dissertation : l'inconscient peut-il servir d'excuse ? Ou bien même : l'opposition conscient vs inconscient fait-elle encore du sens ?

Deleuze, à l'affût de la nouvelle révolution copernicienne, tente un retourné acrobatique : « La bêtise (non pas l'erreur) constitue la plus grande impuissance de la pensée, mais aussi la source de son plus haut pouvoir dans ce qui la force à penser. »

EPILOGUE. J'imagine un numéro de masques du Sichuan pour ouvrir cet épilogue : un masque derrière un masque…

C'est un peu comme l'idée de la puissance de l'idée : une idée de l'idée. « C'est l'excès de l'Idée qui explique le défaut du concept ». Elle est « différentielle de la pensée ». Je pense que je pense…

Mais on peut se demander ce que devient la machine à penser dans le chaosmos. Que devient-on dans ce sans fond de la pensée ?

Deleuze s'est passionné pour le calcul différentiel, et pour bien d'autres sujets, mais la fatigue le guette : « ce moment où l'âme ne peut plus contracter ce qu'elle contemple ». Et si ce n'est pas la fatigue, « il semble qu'on ne puisse pas échapper à un devenir-fou ». Nécessairement « solitaire et solipsiste », on est entre la vie et une petite mort.

Pris dans le « mouvement terrible de la pensée », avec ces idées qui « fourmillent dans la fêlure », les seules conditions viables sont celles d'un « sujet larvaire » ; à l'image de l'embryon qui est la seule forme capable de supporter des « métamorphoses intenses », qui déchireraient n'importe quel individu adulte. Mais c'est déjà un « pur individu ».

Or, face à l'objet de l'idée, c'est-à-dire face à un problème, que nous dit cet individu ? Il nous renvoie à la « société » : elle a ce qu'elle « mérite ». « La solution est toujours celle qu'une société mérite, engendre, en fonction de la manière dont elle a su poser, dans ses relations réelles, les problèmes qui se posent en elle et à elle dans les rapports différentiels qu'elle incarne. »

Il y a matière à réfléchir, mais comme engagement politique, ça reste en effet larvaire. Ce qui pose la délicate question du passage à l'expérience actuelle (ou comme dirait un.e coach, c'est la question de l'incarnation de ses valeurs). Au fond, la philosophie de Deleuze est-elle un cri ou une chanson ?

Encore une image chinoise : le non-agir (taoïsme), WuWei, 无为. À tous les niveaux, dans ce livre il y a une subtile dynamique du passif en même temps actif, une « passivité constituante », une « contemplation contractante ». Il faudra prolonger cette lecture et la rencontre avec Deleuze, pour comprendre le devenir du sujet larvaire, le devenir-minoritaire. (Voir Mille Plateaux)

Concrètement, ce qu'il fait, c'est créer des concepts, comme on crée des oeuvres dans les domaines artistiques. Pour les concepts des philosophes, comme pour des peintures originales, il serait donc dénué de sens de les opposer ou les identifier.
Dans ce livre, on explore le concept de « differen.t/c.iation », ou le délicat passage de l'Idée à son actualisation, ou du virtuel à l'actuel. (A ce sujet, on peut lire Étienne Souriau, comme Isabelle Stengers nous y invite, mais sans chercher l'affinité).

« L'empirisme transcendantal » de Deleuze est une autre manière d'exprimer ce concept. Il a pris très au sérieux l'art de poser les problèmes, en proposant un certain genre d'expérience de pensée au niveau de l'existence problématique, ou un « exercice transcendant de la sensibilité », c'est-à-dire hors de la simple expérience. « L'empirisme, c'est le mysticisme du concept »…

Pour terminer ce commentaire, je vais supposer quelque chose sur la folie de Nietzsche. Un article de presse relate quelques informations. Tout aurait démarré après avoir assisté à une scène à Turin, où on avait violemment fouetté un cheval. Plus tard, il dit à sa mère « Vois en moi le tyran de Turin ! ».
Je crois qu'il s'est effondré d'un coup, après avoir réalisé qu'il était un animal sans exception ; absolument sans exception ; et que si un homme ne peut pas souffrir sans se poser de question, alors le cheval à Turin et tous les animaux maltraités avant lui ne pouvaient pas souffrir sans se poser de question.
Commenter  J’apprécie          92
Un essai très inspirant, qui propose des concepts originaux. L'organisation générale du livre manque selon moi de structure mais cela correspond à la philosophie de l'auteur, immanentiste, rhizomique. Je ne partage pas tout ce style de philosophie peu "systématique" et j'arrive pourtant à m'en inspirer : car je m'accorde néanmoins à cet esprit non-oppositionnel, conceptuellement créatif. C'est souvent à l'inspiration que produit une philosophie sur des esprits différents mais honnêtes que l'on reconnait une bonne oeuvre de philosophie. Et c'est là qu'on voit que Deleuze prend au sérieux tous les nombreux auteurs qu'il cite.

Commenter  J’apprécie          352

Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
La tâche de la philosophie moderne a été définie : renversement du platonisme. Que ce renversement conserve beaucoup de caractères platoniciens n'est pas seulement inévitable, mais souhaitable. Il est vrai que le platonisme représente déjà la subordination de la différence aux puissances de l'Un, de l'Analogue, du Semblable et même du Négatif. C'est comme l'animal en train d'être dompté, dont les mouvements, dans une dernière crise, témoignent mieux qu'à l'état de liberté d'une nature bientôt perdue : le monde héraclitéen gronde dans le platonisme. Avec Platon l'issue est encore douteuse ; la médiation n'a pas trouvé son mouvement tout fait. L'Idée n'est pas encore un concept d'objet qui soumet le monde aux exigences de la représentation, mais bien plutôt une présence brute qui ne peut être évoquée dans le monde qu'en fonction de ce qui n'est pas « représentable » dans les choses. Aussi l'Idée n'a-t-elle pas encore choisi de rapporter la dilTérence à l'identité d'un concept en général ; elle n'a pas renoncé à trouver un concept pur, un concept propre de la différence en tant que telle. Le labyrinthe ou le chaos sont débrouillés, mais sans fil, sans l'aide d'un fd. Ce qu'il y a d'irremplaçable dans le platonisme, Aristote l'a bien vu, quoiqu'il en fit précisément une critique contre Platon : la dialectique de la dilTérence a une méthode qui lui est propre — la division — mais celle-ci opère sans médiation, sans moyen terme ou raison, agit dans l'immédiat, et se réclame des inspirations de l'Idée plutôt que des exigences d'un concept en général. Et c'est vrai que la division, par rapport à l'identité supposée d'un concept est un procédé capricieux, incohérent, qui saute d'une singularité à une autre. Mais n'est-ce pas sa force du point de vue de l'Idée ? Et loin d'être un procédé dialectique parmi d'autres, qui devrait être complété ou relayé par d'autres, n'est-ce pas la division, au moment où elle parait, qui remplace les autres procédés, qui ramasse toute la puissance dialectique au profit d'une véritable philosophie de la différence, et qui mesure à la fois le platonisme et la possibilité de renverser le platonisme ?

Notre tort est d'essayer de comprendre la division platonicienne à partir des exigences d'Aristote. (pp. 82-83)
Commenter  J’apprécie          40
Que penser soit l’exercice naturel d’une faculté, que cette faculté ait une bonne nature et une bonne volonté, cela ne peut s’entendre en fait. « Tout le monde » sait bien qu’en fait les gens pensent rarement et plutôt sous le coup d’un choc que dans l’élan d’un goût (…) La pensée ne pense que contrainte et forcée, en présence de ce qui donne à penser, c’est aussi bien l’impensable ou la « non-pensée » c’est-à-dire le fait perpétuel que nous ne pensons pas encore.
Commenter  J’apprécie          180
Pourquoi Nietzsche, connaisseur des Grecs, sait-il que l'éternel retour est son invention, la croyance intempestive ou de l'avenir ? Parce que « son » éternel retour n'est nullement le retour d'un même, d'un semblable ou d'un égal. Nietzsche dit bien : s'il y avait de l'identité, s'il y avait pour le monde un état qualitatif indifférencié ou pour les astres une position d'équilibre, ce serait une raison de ne pas en sortir, non pas une raison d'entrer dans un cycle. Ainsi Nietzsche lie l'éternel retour à ce qui paraissait s'y opposer ou le limiter du dehors : la métamorphose intégrale, l'inégal irréductible. La profondeur, la distance, les bas-fonds, le tortueux, les cavernes, l'inégal en soi forment le seul paysage de l'éternel retour. Zarathoustra le rappelle au bouffon, mais aussi à l'aigle et au serpent : ce n'est pas une « rengaine » astronomique, ni même une ronde physique... Ce n'est pas une loi de la nature. L'éternel retour s'élabore dans un fond, dans un sans fond où la Nature originelle réside en son chaos, au-dessus des règnes et des lois qui constituent seulement la nature seconde. Nietzsche oppose « son » hypothèse à l'hypothèse cyclique, « sa » profondeur à l'absence de profondeur dans la sphère des fixes. L'éternel retour n'est ni qualitatif ni extensif, il est intensif, purement intensif. C'est-à-dire : il se dit de la différence. Tel est le lien fondamental de l'éternel retour et de la volonté de puissance. L'un ne peut se dire que de l'autre. La volonté de puissance est le monde scintillant des métamorphoses, des intensités communicantes, des différences de différences, des souffles, insinuations et expirations : monde d'intensives intentionnalités, monde de simulacres ou de « mystères ».

L'éternel retour est l'être de ce monde, le seul Même qui se dit de ce monde, y excluant toute identité préalable. (pp. 312-313)
Commenter  J’apprécie          30
(du pur Deleuze…)
« Le distinct n'était pas autre chose que l'obscur, il était obscur en tant que distinct ; mais maintenant le clair n'est pas autre chose que le confus, et est confus en tant que clair »

(sic)

(Ok, voici les lignes qui précèdent…)
« il faut dire que le clair et le confus ne sont pas plus séparables, comme caractère logique dans l'intensité qui exprime l'Idée, c'est-à-dire dans l'individu qui la pense, que le distinct et l'obscur ne sont séparables dans l'Idée elle-même. Au distinct-obscur comme unité idéelle, correspond le clair-confus comme unité intensive individuante. Le clair-confus qualifie non pas l'Idée, mais le penseur qui la pense ou l'exprime. »

(Et maintenant, est-ce confus en tant que clair ?)

(lol)
Commenter  J’apprécie          62
L'histoire de la philosophie détermine trois moments principaux dans l'élaboration de l'univocité de l'être. Le premier est représenté par Duns Scot. Dans Opus Oxoniense, le plus grand livre de l'ontologie pure, l'être est pensé comme univoque, mais l'être univoque est pensé comme neutre, neuter, indifférent à l'infini et au fini, au singulier et à l'universel, au créé et à l'incréé (...) l'on voit l'ennemi qu'il s'efforce de fuir, conformément aux exigences du christianisme : le panthéisme, dans lequel il tomberait si l'être commun n'était pas neutre.
(...)
Avec le second moment, Spinoza opère un progrès considérable. Au lieu de penser l'être univoque comme neutre ou indifférent, il en fait un objet d'affirmation pure. L'être univoque se confond avec la substance unique, universelle et infinie : il est posé comme Deus sive Natura. Et la lutte que Spinoza entreprend contre Descartes n'est pas sans rapport avec celle que Duns Scot menait contre saint Thomas (...) les attributs sont donc absolument communs à la substance et aux modes, bien que la substance et les modes n'aient pas la même essence ; l'être lui-même se dit en un seul et même sens de la substance et des modes, bien que les modes et la substance n'aient pas le même sens, ou n'aient pas cet être de la même façon (in se et in alio). Toute hiérarchie, toute éminence est niée, pour autant que la substance est également désignée par tous les attributs conformément à leur essence, également exprimée par tous les modes conformément à leur degré de puissance. C'est avec Spinoza que l'être univoque cesse d'être neutralisé, et devient expressif, devient une véritable proposition expressive affirmative.
(...)
Lorsque Nietzsche dit que l'hybris est le vrai problème de tout héraclitéen, ou que la hiérarchie est le problème des esprits libres, il veut dire une seule et même chose : que c'est dans l'hybris que chacun trouve l'être qui le fait revenir, et aussi cette sorte d'anarchie couronnée, cette hiérarchie renversée qui, pour assurer la sélection de la différence, commence par subordonner l'identique au différent. Sous tous ces aspects, l'éternel retour est l'univocité de l'être, la réalisation effective de cette univocité. Dans l'éternel retour, l'être univoque n'est pas seulement pensé et même affirmé, mais effectivement réalisé. (pp. 57-60)
Commenter  J’apprécie          10

Lire un extrait
Videos de Gilles Deleuze (11) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Gilles Deleuze
David Lapoujade vous présente l'ouvrage "Sur la peinture : cours mars-juin 1981" de Gilles Deleuze aux Éditions de Minuit. Entretien avec Jérémy Gadras.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2928333/gilles-deleuze-sur-la-peinture-cours-mars-juin-1981
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Linkedin : https://www.linkedin.com/in/votre-libraire-mollat/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Vimeo : https://vimeo.com/mollat
+ Lire la suite
Dans la catégorie : FranceVoir plus
>Philosophie et disciplines connexes>Philosophie occidentale moderne>France (324)
autres livres classés : philosophieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (87) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
438 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}