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EAN : 9782253938705
264 pages
Le Livre de Poche (10/01/2024)
3.88/5   303 notes
Résumé :
Au Nord de l’Inde, dans une ville pauvre de l'Uttar Pradesh, se trouve La Ruelle où travaillent les prostituées. Y vivent Gowri, Kavita, Bholi, ainsi que Veena, et Chinti, sa fille de dix ans. Si Veena ne parvient pas à l'aimer, les femmes du quartier l'ont prise sous leur aile, surtout Sadhana. Elle ne se prostitue pas et habite à l’écart, dans une maison qu’occupent les hijras, ces femmes que la société craint et rejette parce qu’elles sont nées dans des corps d’... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (62) Voir plus Ajouter une critique
3,88

sur 303 notes
Veena est l'une des prostituées de la Ruelle, dans le bas-fond d'une ville située au Nord de l'Inde. Sa fille Chinti, aujourd'hui âgée de dix ans, est devenue la mascotte de tous les parias du quartier : les prostituées, mais aussi la petite communauté de hijras, ces transsexuels qui vivent en marge de la société indienne, avec un statut plus bas encore que celui des Intouchables. Aussi, lorsqu'un client de Veena, le puissant swami Shivnath qui se prend pour l'un des dieux du temple où il officie, kidnappe Shinti et l'emmène en pèlerinage à Bénarès pour couvrir ses appétits pédophiles, c'est tout le groupe de ces femmes méprisées, en tête desquelles Veena et Sadhana – Guru des hijras de la Ruelle –, qui s'élance sur ses traces pour récupérer Chinti et la venger.


Ce n'est sans doute pas un hasard si Ananda Devi a choisi de situer son roman dans l'Uttar Pradesh. Cet état, le plus peuplé et l'un des plus pauvres de l'Inde, est aujourd'hui dirigé par un moine hindou nationaliste à l'image extrémiste, déjà condamné pour incitation à la violence, qui n'hésite pas à se targuer de pouvoirs magiques acquis au travers de rituels et de la pratique du yoga. Au travers du personnage fictif de Shivnath, chef religieux amoral et mégalomane, usant sans vergogne d'un pouvoir sans limite assis sur les privilèges de la caste brahmane et sur la crédulité d'une population si misérable qu'il ne lui reste pour viatique que le sourire des dieux qu'on lui fait cyniquement miroiter, ce n'est, ni plus ni moins, ce que certains appellent la dystopie hindouiste de l'Uttar Pradesh que déplore et ridiculise cette histoire.


Aux antipodes du mirage clinquant des idoles et de la folie de leurs maîtres, grouille une population semblable à une « marée de chair », harassée par l'effort de survivre jour après jour, sur une terre aux allures de géhenne. Au plus noir de cet enfer, là où s'efface quasiment jusqu'à leur statut d'êtres humains, des parias subissent leur sort sans espoir : femmes vouées sans échappatoire à la prostitution, transsexuels rejetés dans un étrange mélange de crainte et de respect. Curieuse place qu'ont les hijras dans la société indienne : ni hommes ni femmes, elles sont désormais légalement reconnues dans le pays comme un troisième genre, mais, déclassées des structures sociales de base de la famille et des castes, elles se rassemblent en communautés hermétiques et soudées, encadrées par des règles fortes d'appartenance, dont un rituel d'intégration passant par une émasculation à vif, sans anesthésie.


De la violence faite aux femmes et de l'asservissement de leurs corps, à l'emprise spirituelle d'une population soumise à de dangereux chefs religieux, Ananda Devi nous dépeint une société indienne au foisonnement étouffant et d'une violence écrasante, qu'une étincelle semble pouvoir embraser dans d'incontrôlables mouvements de foule. Son récit aussi poétique qu'incisif nous livre une série de tableaux, tous plus hallucinants les uns que les autres, qu'il s'agisse du cauchemar des bas-fonds où l'on reste invisible jusque dans la mort, du gigantisme d'un pèlerinage semblable à une marée humaine, de la somptuosité qui pare les idoles dans les temples, ou de l'atmosphère crépusculaire des bûchers funéraires de Bénarès. Frappé d'un effroi mêlé de sidération, le lecteur sentira sa tendresse croître pour ces femmes encore capables de se révolter du fond de leur détresse, sinon pour elles-mêmes, pour le sort d'une enfant.


Un roman d'une grande puissance et d'une vraie poésie, où se dessine une Inde de contrastes, colorée, misérable et mystique, où s'il ne fait pas toujours bon être femme, il est sans doute encore pire de n'être ni femme, ni homme, et parfois, tout simplement un enfant.

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J'émerge à l'instant de la boue du bout du monde, de la fange du Gange où doit éclore une déesse à Bénares pour étancher la bassesse des hommes.
Chinti, dix ans sera la fille de Kali, c'est Shivnath l'homme de Dieu qui le veut et qui pour ça, l'emporte. « Son corps est si léger et si lourd de promesses… »

Ananda Devi avouait à la grande librairie que la genèse de ce livre est due à un choc ressenti lorsqu'elle a vu des myriades de prostituées suivre les pèlerinages religieux afin de satisfaire les pulsions sexuelles des pèlerins bien plus conséquentes pour parfaire la purification et mieux se concentrer sur la dévotion.
« Imaginez que leur sexe les trahisse au milieu de la prière, parmi tous les pèlerins. »
Pauvres petits hommes asservis au rigide lingam inassouvi !

Dès les premières lignes le ton est donné, ma zone de confort a été bien vite dépassée lorsque je me suis retrouvé projeté dans la Ruelle suffocante de puanteur et de misère où Veena se donne chaque nuit, juste pour survivre avec sa fille Chinti confinée, abandonnée sans amour derrière un morceau de contreplaqué.
« Survivre ne vous donne guère le temps de vous préoccuper d'amour. »
De cette même Ruelle, Sadhana, une hijra offrira à Chinti sa tendre affection, véritable bouffée d'oxygène dans cette atmosphère crasseuse et corrompue. Ces femmes qui naissent dans un corps d'homme, constituent le troisième sexe présent depuis 4000 ans en Inde.
Elles obtiennent leur divinité dans l'émasculation au couteau qui leurs confèrent la possibilité de donner la bénédiction aux mariages et aux naissances.
Cependant, la majorité des hommes leurs crachent dessus et les agressent.
« Notre aura semble à certains un pouvoir obscur, d'autres y voient une barrière insupportable. »
Toutes ces femmes de riens vont se liguer pour faire exploser les desseins de Shivnath, bouffi de son outrageuse sainteté.

De cette glaise de fatalité putride Ananda Devi extirpe la noirceur de l'inhumanité pour façonner un roman de colère et d'exaspération qui tel un Golem doit ravager l'ignorance, bannir la pédophilie, éradiquer les viols et faire germer des sentiments plus sages, des existences plus équilibrées dans ce pays où la religion excuse tout aux hommes.

De cette histoire vous en connaissez maintenant l'essentiel mais vous n'en avez toujours pas les mots qui cisaillent, qui percutent, qui fouillent et surpassent la haine, l'amour et la mort.

N'hésitez pas.




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Calcutta, les bas fonds. Une ruelle. Là où des prostituées accueillent des hommes de passages.
Veena, l'une de celles-ci, met au monde un enfant. C'est une fille. Veena hésite – mais non, elle va la garder, la cacher derrière une mince cloison pendant que les hommes se succèdent à côté. Cette fille n'a même pas de nom. Parfois, lassée par ses cris, Veena lui donne le sein. Mais pas d'amour : trop risqué de s'attacher.

La petite grandit malgré tout. Elle se baptise elle-même : ce sera « Chinti » ce qui signifie fourmi. Insignifiante, justement, Chinti grandit dans la rue. Quelques autres prostituées s'intéressent à elles, et l'accueillent à leurs côtés. Mais c'est surtout une « Hijra » qui va l'accueillir.
Sadhana – c'est son nom - va prendre la parole dans ce récit. C'est elle qui va raconter son histoire – des pages incroyables sur l'évènement de l'émasculation, effectuée à vif, sans anesthésie par exemple – et c'est elle qui va organiser la suite.

Car bien sûr, il y a un problème. Ce problème s'incarne dans un religieux – excellente critique de ces faux prêcheurs que le peuple suit benoitement – qui s'appelle Shivnath et qui fréquente Veena. Mais il s'en lasse très rapidement. Par contre il a aperçu Chinti, qui va alors vers ses 10 ans, et celle-ci l'attire irrésistiblement. Alors il va vouloir en faire « sa chose » et l'emporte avec lui, au grand dam de Veena et de toutes les femmes de la Ruelle – y compris Sadhana et ses amies Hijras qui vont jouer un rôle décisif dans cette histoire qui se déplace alors à Bénarès.

J'avoue avoir un peu de mal au début de cette lecture, devant le caractère caricatural des personnages – jusqu'à ce que je comprenne qu'il faut le comprendre comme un conte.

Un conte qui dénonce la domination masculine en Inde, où les femmes sont forcément inférieures. Ananda Devi vilipende le système où les prostituées sont la lie de la société et où on n'accorde aucune importance à celles qui disparaissent, un système où de pseudo religieux peuvent commettre le pire au nom de leur foi, où les transsexuels sont bafoués – dans ce roman Calcutta, les bas fonds. Une ruelle. Là où des prostituées accueillent des hommes de passages.
Veena, l'une de celles-ci, met au monde un enfant. C'est une fille. Veena hésite – mais non, elle va la garder, la cacher derrière une mince cloison pendant que les hommes se succèdent à côté. Cette fille n'a même pas de nom. Parfois, lassée par ses cris, Veena lui donne le sein. Mais pas d'amour : trop risqué de s'attacher.
La petite grandit malgré tout. Elle se baptise elle-même : ce sera « Chinti » ce qui signifie fourmi. Insignifiante, justement, Chinti grandit dans la rue. Quelques autres prostituées s'intéressent à elles, et l'accueillent à leurs côtés. Mais c'est surtout une « Hijra » qui va l'accueillir.
Sadhana – c'est son nom - va prendre la parole dans ce récit. C'est elle qui va raconter son histoire – des pages incroyables sur l'évènement de l'émasculation, effectuée à vif, sans anesthésie par exemple – et c'est elle qui va organiser la suite.
Car bien sûr, il y a un problème. Ce problème s'incarne dans un religieux – excellente critique de ces faux prêcheurs que le peuple suit benoitement – qui s'appelle Shivnath et qui fréquente Veena. Mais il s'en lasse très rapidement. Par contre il a aperçu Chinti, qui va alors vers ses 10 ans, et celle-ci l'attire irrésistiblement. Alors il va vouloir en faire « sa chose » et l'emporte avec lui, au grand dam de Veena et de toutes les femmes de la Ruelle – y compris Sadhana et ses amies Hijras qui vont jouer un rôle décisif dans cette histoire qui se déplace alors à Bénarès.
J'avoue avoir un peu de mal au début de cette lecture, devant le caractère caricatural des personnages – jusqu'à ce que je comprenne qu'il faut le comprendre comme un conte.
Un conte qui dénonce la domination masculine en Inde, où les femmes sont forcément inférieures. Ananda Devi vilipende le système où les prostituées sont la lie de la société et où on n'accorde aucune importance à celles qui disparaissent, un système où de pseudo religieux peuvent commettre le pire au nom de leur foi, où les transsexuels sont bafoués – dans ce roman Sadhana manque de peut mourir sous les coups d'un homme qui a découvert son émasculation.

Mais c'est pour toutes les femmes qu'Ananda Devi se bat : pour celles de Calcutta, qu'elle a rencontré à l'occasion de l'un de ses voyages, mais aussi toutes les femmes méprisées.
On peut penser aux femmes afghanes, qui sont aujourd'hui la proie des talibans, mais aussi à l'Occident, qui croit avoir réglé la question de la prostitution, mais où la pornographie révèle un monde sordide qui détruit les femmes des Pays de l'Est attirées par de pseudos bienfaiteurs (il y a quelques semaines un reportage du Journal « le Monde » sur le monde ignoble de la pornographie m'a fait frémir).

Ananda Devi pousse ce cri pour toutes ces femmes et elle a bien raison.

Si la fin onirique est un cri de vengeance pour toutes celles qui subissent la violence de ces sociétés inhumaines, Ananda Devi a raison de continuer le combat qu'elle mène depuis ses premiers écrits. On pense par moment à Arundhati Roy et son « Ministère du bonheur suprême » qui parle des transgenres : le combat pour la reconnaissance des droits des LGBT en particulier, et des femmes en général dans de nombreuses sociétés, est loin d'être terminé.
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Veena est une prostituée comme tant d'autres qui vit dans « La Ruelle », dans un taudis. Elle a eu une fille dont elle ne voulait pas et pour nier son existence, vue l'absence d'avenir qui la guette, elle ne lui a même pas donné de nom.

A 9 ans, l'enfant qui a grandi tant bien que mal dans cet univers sordide, rabrouée par sa mère, mais un peu choyée quand même par les autres prostituées, observe derrière une fente, dans le réduit où elle est cachée pour ne pas susciter la convoitise de hommes, ce que ceux-ci font subir à sa mère, telle une fourmi, qui passe inaperçue. Elle décide de s'appeler Chinti, c'est-à-dire fourmi.

Dans la maison d'en face, vit Sadhana, jeune homme transgenre qui a dû fuir sa famille maltraitante (il est une honte pour eux !). Recueillie par d'autres « Hijra » comme elle, elle se fait émasculer… ce qui donne une scène terrible. Sadhana s'attache à la petite fille.

J'ai choisi de découvrir ce roman car l'Inde est un pays que j'aime malgré son système de castes, le statut qu'elle réserve aux femmes, des transgenres, ses inégalités depuis des lustres. Et, on ne peut pas dire que les choses se soient arrangées pour elles avec l'arrivée au pouvoir d'un intégriste hindouiste. J'aime ce pays dont je connais un peu quelques régions, mais je ne baigne pas dans l'angélisme à son sujet.

Ce roman m'a saisie aux tripes, j'ai ressenti la colère de Veena, et aimé sa transformation au cours des évènements, j'ai eu envie de trucider maintes fois ce religieux cinglé pédophile qu'est Shivnath… Les intégristes de tout poil me hérissent, ce n'est pas nouveau et on en trouve hélas dans toutes les religions. « La religion est l'opium du peuple » comme l'a dit si justement qui vous savez…

Le statut (enfin l'absence de statut) des Hijras m'a beaucoup touchée et notamment le personnage de Sadhana, sa vie, sa souffrance et sa capacité d'amour. On se sent proche, en tant que femme, de ce qu'elles vivent ainsi que les prostituées, tandis que résonne, comme un cri de guerre, le rire des déesses, joli titre soit dit en passant…

Ananda Devi décrit très bien la situation des femmes dans ce pays, avec une écriture imagée, on sent les odeurs, l'encens, les fruits autant que les ordures, on perçoit la ferveur lors du pèlerinage vers Bénarès et la purification dans le Gange et à côté ces pèlerins qui ne perdent jamais une occasion de profiter des prostituées. Où sont passées la dévotion ? La purification ?

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et la plume de son auteure dont je lirai probablement les autres livres si ma PAL me la permet.

#Leriredesdéesses #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Passionnée de littérature indienne ou toutes oeuvres se rapportant à l'Inde, j'ai de suite souhaité livre ce roman d'Ananda Devi.

Veena, une jeune femme qui " porte sa rage en bannière ", prostituée au coeur de la Ruelle, est mère de la petite Chinti. Chinti c'est elle même qui s'est donnée son prénom, sa mère n'avait jamais senti le besoin de l'appeler autrement que l'enfant. Car elle n'avait pas souhaité, désiré cette enfant. Ainsi pensait-elle quand ne lui donnant aucun nom, elle disparaitrait facilement.

Mais le destin a été tout autre.

Chinti découvre le monde proche d'elle avec des yeux et une âme d'enfant. Elle devient le soleil de toutes ces femmes, et surtout de Sadhana, la hijra de la maison d'à côté.

Ainsi Chinti " vogue sur un nuage d'illusions " quand un jour elle ressent un amour particulier pour le swani Shivnath, le maître, un homme aux apparences saintes. Toute sa confiance va vers lui. Cette petite fille en manque de tendresse et d'amour certain, s'abandonne en toute innocence aux bras de celui qui lui promet une vie meilleure : " Tu seras traitée comme une princesse. Tu ne seras plus jamais pauvre. "

En effet et si Chinti était déesse, fille de Kali ?

Le rire des déesses est un roman puissant mettant en scène les femmes abusées, maltraitées, esclaves par des hommes guidés seulement par leur lingam ! Cette histoire racontée se déroule en Inde, mais sachons bien que les Indiens ne sont pas plus hommes-bestiaux qu'ailleurs dans le monde. C'est universel cette idée que certains hommes profitent de la faiblesse des femmes, des jeunes filles, des enfants même. Comme le souligne le Swani, agissant en pleine conscience, l'hypocrisie règne partout autant en Occident qu'en Orient ....

Enfin l'auteure nous mènent dans une danse folle à la fois décadente et qui a force de volonté prend un tout autre sens. Un chemin nouveau peut s'ouvrir pour entendre le rire des déesses !

Merci infiniment à la plateforme NetGalley et à la fidèle confiance des Éditions Grasset

#Leriredesdéesses #NetGalleyFrance
#universelicec
#rentreelitteraire2021
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critiques presse (4)
Telerama
20 février 2024
Tout au bout de cette histoire remarquable explose Le Rire des déesses, tel un cri de guerre, de révolte et de bouleversement.
Lire la critique sur le site : Telerama
LePoint
19 janvier 2022
Dans ce dernier roman, le style Devi évolue tout en se restant fidèle : d’une sensualité extrême, se déroulant lentement, au point qu’il nous faut patienter avant que la Ruelle ne devienne un théâtre de l’action. Et de son écriture, Ananda Devi dit tout dans un essai qui paraît cette rentrée, où l’écrivaine s’adresse à la jeune fille qu’elle fut.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeMonde
20 octobre 2021
La romancière mûrit ce roman depuis une rencontre à Calcutta avec des prostituées, et la vision de pèlerins hindous en transe dans le Gange souillé.
Lire la critique sur le site : LeMonde
RevueTransfuge
22 septembre 2021
Ananda Devi signe avec Le rire des déesses un roman saisissant sur la vie des prostituées en Inde, et la surpuissance du religieux.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
Citations et extraits (55) Voir plus Ajouter une citation
Dès l’âge de dix ans, ils s’activent autour des bûchers. L’odeur imprègne leur peau, qui devient grise à force de vivre parmi les cendres. Ils manipulent tous les cadavres, jeunes, vieux, malades, amputés, en morceaux, décapités, ou si parfaits qu’on a du mal à croire qu’ils sont morts. Avec le temps, ils ne les voient plus. Enveloppés de leur suaire blanc, les défunts sont tous pareils, tous voués à la désintégration. Une fois les corps brûlés, les enfants sont chargés de retrouver ce que le feu n’a pas détruit. Ils marchent parmi les cendres à la recherche de bijoux, de pièces ou d’ustensiles, et pataugent dans la boue du Gange pour récupérer ce qui pourrait être vendu. Ils ramassent les morceaux de bois qui n’ont pas été brûlés pour les ramener à la maison, où ils seront utilisés pour cuisiner. Tout dans cette industrie est récupérable. Grande leçon, pour notre époque !
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Ah, je me le demande parfois : que se serait-il passé si elles avaient vraiment été les filles de Kali ? Imaginez un seul instant que cette déesse toute-puissante se manifeste à chaque fois que les femmes sont abusées des mille façons inventées dans ce pays d’excès et de dérives, dans ce pays où l’homme est la seule vraie religion et les femmes ses adoratrices subjuguées ! Il suffit qu’une femme soit seule sur un chemin mal éclairé, un soir, pour qu’elle soit plus qu’un corps offert. Ministre, femme d’affaires, médecin, enseignante, millionnaire ou villageoise intouchable, peu importe ce que tu es : la nuit, toutes les femmes sont chaire. Corps offert en pâture.

(…) Personne n’érige de temples à la seule gloire du vagin. Mais le sexe de Shiva, lui, se dresse, triomphal, dans toute l’Inde, des plus grands temps aux coins paumés de la campagne, où il suffit d’une pierre judicieusement formée ou taillée, dressée, haute et phallique, pour que toute l’Inde se prosterne devant elle.
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Shivnath sait qu’il doit avancer masqué. L’époque est moins tolérante que jadis. Avant, une fillette de prostituée de dix ans sous la protection d’un swami, cela n’aurait pas fait scandale. Maintenant, c’est différent. Il doit évaluer la crédulité des croyants et se tenir au courant des informations qu’ils reçoivent sur leurs téléphones depuis les quatre coins du monde. Il suffirait qu’une foutue féministe ait vent de lui pour que les médias se précipitent. Il le sait, chacun est désormais soumis au jugement international, qui n’a rien à voir avec le jugement de son peuple, qui se fout royalement des enfants des prostituées.

Le politiquement correct règne, et il faut montrer du respect aux femmes, aux enfants, aux pauvres, aux intouchables, etc. Même un Premier Ministre doit faire semblant de se plier au jugement international, pense Shivnath, mais en réalité il continue de faire ce qu’il veut. On peut violer les femmes et massacrer les musulmans à condition de ne pas se faire prendre.
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Survivre ne vous donne guère le temps de vous préoccuper d’amour. Survivre est un combat où toutes les présences sont ennemies. L’amitié, l’affection, l’amour, tout cela vous rend poreuse, fragile. Alors, vous fermez la porte, vous la verrouillez, vous la cadenassez. Et cette enfant de votre chair, vous la gardez à distance pour qu’elle ne soit pas une lame de plus qui vous transperce au moment où vous vous y attendez le moins. Cette enfant de votre chair n’est pas vous, n’est pas à vous : une fois née, elle suivra son propre chemin. Essayer de la sauvez, c’est vous enliser, c’est vous laisser parasiter quand vous devez au contraire être forte pour la seule qui compte : vous-même.

C’est ça, survivre.
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Notre monde tourne autour de l’invisible. Au cœur de tout, il y a un vide : l’énigme qui est notre origine et notre fin. Celle que nous cherchons à tout prix à percer sans comprendre que c’est impossible.
Mais vivre en faisant face à ce vide nous est aussi impossible. Il nous faut alors tenter de le remplir d’êtres invisibles, forgés de toutes pièces par notre imagination, dieux, saints, anges, démons, sorcières ou esprits, bref toute une ménagerie qui peuple notre tête et nous promet autre chose que la mort tandis que notre corps, lui, est occupé à mourir. C’est bien cela qui nous pousse à nous traîner dans la poussière, à nous flageller, à faire dix génuflexions ou à marcher sur des braises pour prouver notre sincérité et notre pureté d’âme. Tout cela pour que nous ne puissions comprendre que tout est de notre propre fait, vivre comme mourir, aimer comme haïr, donner la vie comme la prendre – ta main qui tient le couteau n’a jamais été aussi libre, comprends-le bien, ô guerrier qui prétends obéir aux dieux !
Shivnath, lui, n’éprouve aucune crainte face au vide : ses croyances sont aussi fausses que la statue à son image dans son temple. L’on aurait pu penser qu’il craindrait de proférer, ne serait-ce que dans sa propre pensée, de telles hérésies, mais ce n’est pas le cas. Non, il sait que lorsqu’il mourra, ce qu’il ressentira, ce sera le bois brûlant autour de son corps, et le feu qui le consume, et les étincelles qui l’éclairent une dernière fois tandis que sa peau fond comme du beurre et sa chair comme un sirop amer. Il sera ce corps pris dans une danse macabre à laquelle ceux qui le regardent seront totalement indifférents. Rien de plus.
Et donc, sachant sa fin, sa futilité, sa finitude, il peut y faire face sans avoir à se cacher et l’assumer avec la plus grande certitude : nous ne sommes pas faits pour être bons. Nous sommes mauvais dès la genèse, êtres retors, impulsifs, pervers, égocentriques, et même ceux qui croient faire le bien le font pour des raisons égoïstes – pour s’acheter un paradis, racheter une faute, se réhabiliter à leurs propres yeux. Il n’y a rien de plus faux que la sainteté des hommes dits saints, et ça, Shivnath ne le sait que trop bien. (Les êtres vraiment saints ne le crient pas sur tous les toits, ils risqueraient de mourir sur une croix.)
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À l'occasion du Forum des libraires 2023, Olivier Nora, Président-Directeur général, présente la rentrée littéraire des Éditions Grasset - @editionsgrasset7893
Au programme de la rentrée d'automne 2023 : 0:00 Introduction 1:01 *_perspective(s)_ de Laurent Binet* 1:15 *_À ma soeur et unique_ de Guy Boley* 1:29 *_l'enragé_ de Sorj Chalandon* 1:55 *_Rose nuit_ d'Oscar Coop-Phane* 2:30 *_strange_ de Geneviève Damas* 2:50 *_Le Jour des caméléons_ d'Ananda Devi* 3:06 *_Adieu Tanger_ de Salma El Moumni* 3:17 *_Le Grand Feu_ de Léonor de Récondo* 3:47 *_Comédie d'automne_ de Jean Rouaud* 3:58 *_Croix de cendre_ d'Antoine Sénanque* 4:11 *_Impossibles adieux_ de Han Kang* 4:39 Conclusion
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