Thomas Porcher est docteur en économie et membre du groupe des économistes atterrés. Son
Traité d'économie hérétique est un excellent livre pas trop difficile à lire et qui répond, point par point, à tous les diktats formulés à longueur de journée sur les médias par les économistes « orthodoxes » qui ne font que se tromper, sont incapables d'anticiper les crises et surtout précipitent les peuples et les pays pauvres vers plus de pauvreté et d'insécurité.
Les économistes « orthodoxes » prétendent qu'ils ne font pas d'idéologie, ce qui est naturellement absurde car l'économie est « un rapport de force par des moyens détournés ». La base de l'économie concerne la production de richesse et sa répartition. La manière dont cette répartition s'opère est éminemment idéologique puisqu'il s'agit de justifier pourquoi certains ont droit à une plus grosse part que d'autres. Ainsi, tous les économistes et tous les journaux spécialisés en économie font, de fait, de la politique.
Si deux économistes, tous deux «
Prix Nobel » d'économie, tels que
Joseph E. Stiglitz et
Jean Tirole disent, à propos de l'Union Européenne, exactement l'inverse l'un de l'autre, il serait souhaitable de savoir raison garder et de ne pas considérer l'économie comme une science exacte et « objective », contrairement à ce que prétendent Cahuc et Zylberberg qui ont fait paraître en 2016 un essai intitulé : le négationnisme économique. Et comment s'en débarrasser. En effet, Stiglitz observe que l'Union Européenne a creusé les inégalités et que les pays faibles le sont devenus encore plus tandis que les pays forts se sont renforcés. Tirole -a contrario- soutient que l'Union Européenne a réduit les inégalités de revenus. Il n'y a donc pas de « consensus scientifique », pas de « vérité » et pas de « certitudes » en matière d'économie. Par ailleurs, les politiques qui émanent du consensus de Washington (1989) et dont s'inspirent le FMI et la Banque Mondiale ont eu des effets désastreux sur les populations les plus pauvres. La Chine et la Corée du Sud qui n'ont pas appliqué les recommandations de ce consensus ont réussi à sortir du sous-développement, ce que n'ont pas réussi les pays qui les ont appliquées.….C'est la preuve que les économistes ne cessent de se fourvoyer mais que jamais ils n'ont à payer le « coût de leurs erreurs » alors que leurs erreurs ont des conséquences gravissimes sur les populations les plus fragiles de la planète.
En fait, actuellement le courant de pensée dominant est occupé par les économistes néo-classiques alors que dans les années 60, c'est plutôt la logique keynésienne qui dominait avec une place importante consacrée à l'Etat (protecteur et investisseur) ainsi qu'à une meilleure redistribution des richesses.
Le courant néo-classique tend à décrédibiliser les rapports de force entre classes sociales en se focalisant sur les comportements individuels et sur le « marché ». du point de vue des comportements individuels les néo-classiques considèrent que les individus ont des choix à faire (études plus ou moins longues, ratio entre travail et loisirs) et que leur destin n'est que la conséquence des bons (ou moins bons) choix qu'ils auront fait. Mais il n'est tenu aucun compte du fait que ces choix sont pipés par les origines sociales des individus ! Dans ce courant de pensée, « le chômage est donc le résultat d'un choix individuel et volontaire entre loisir et travail ». La conséquence de ce mode de pensée est naturellement le mépris qui entoure le traitement des chômeurs, forcément soupçonnés de paresse et de fraude.
Pourtant, le chômage est la conséquence des politiques choisies depuis bon nombre d'années et tendant à privilégier la résorption du déficit plutôt que l'investissement.
Ainsi, la France a opéré de nombreuses réformes pour assurer la flexibilité du marché du travail. Or, deux chercheuses de la Sorbonne, Muriel Pucci et Julie Valentin (2008) ont effectué une recherche sur le lien entre flexibilité du marché du travail et baisse du chômage et montré l'absence de consensus sur cette question ! On constate par exemple que des pays comme le Royaume-Uni qui ont flexibilisé le marché du travail au maximum (contrat de zéro heure par exemple) ont certes de meilleures statistiques concernant le chômage mais les emplois très précaires ne permettent pas aux populations de vivre décemment et le Brexit du 24 juin 2016 est la conséquence de ce marché du travail trop peu protecteur accompagné de services publics dégradés. Même observation sur les « jobs act » en Italie, véritable « catastrophe sociale » qui, pour faire sortir 500 000 chômeurs des quotas a vu des cinquantenaires travailler quelques heures par semaine ou devenir « stagiaires ». La flexibilité du marché du travail n'a qu'une seule conséquence, c'est la baisse des droits des salariés. Et l'augmentation des revenus du patronnat et surtout des actionnaires !
Le leitmotiv des économistes « orthodoxes », la preuve de leur « sérieux » est leur mantra récurrent : « il faut faire baisser la dépense publique ». Or, la dépense publique, c'est le financement de l'école, des universités, de la santé de l'armée et la police, de la justice, des retraites ou des aides pour les plus démunis… La dépense publique est donc considérée uniquement du point de vue de son coût et jamais du point de vue de son utilité. Or, cette dépense publique est toujours « dramatisée » de telle sorte que l'opinion publique soit convaincue qu'il et effectivement nécessaire de la réduire. Ainsi, les calculs qui servent à la mesurer (57% du PIB) laissent sous-entendre qu'elle capte une part de richesse plus importante que le secteur privé, ce qui est faux. D'autre part, cette mesure ne signifie pas grand-chose. Par exemple, certains pays, comme l'Allemagne ont une dépense publique plus faible que la France (44% du PIB) parce que leurs retraites sont majoritairement par capitalisation et facultatives alors qu'en France elles sont par répartition et obligatoires. La conséquence en est que la dépense publique est moindre en Allemagne mais que les retraités allemands sont plus pauvres que les retraités français. La dépense publique correspond donc à un choix de société du point de vue de la protection de ses habitants. La dépense publique se finance par l'impôt et par conséquent les services sont financés par l'ensemble de la population, ce qui n'est pas le cas partout. Ainsi, aux Etats-Unis, le système de santé est privé, plus cher et totalement inégalitaire. Il faudrait donc toujours rappeler que la dépense publique comporte des aspects bénéfiques pour la population voire même pour les entreprises qui profitent de nombreux services publics ! Par ailleurs, pèsent sur la dépense publique les « cadeaux » faits aux entreprises comme le CICE (2013) et le CIR (Crédit Impôt Recherche : 2006).
La question de la « dette » est aussi une obsession des économistes « orthodoxes ». Or qu'est-ce qu'une dette si l'on ne tient pas compte du patrimoine (crédit) qui l'accompagne ? D'autre part, d'où vient donc cette dette si fortement augmentée depuis la crise de 2007 ? N'a-t-on pas renfloué des banques en même temps qu'il a fallu supporter les fortes baisses d'activité économique qui ont diminué les rentrées budgétaires, du fait de la crise. Ne parlons pas du chômage qui réduit les rentrées et accroît le déficit ! Mais ne nous leurrons pas, la dette sert d'épouvantail lorsque l'on veut modifier les règles ; en revanche, personne ne parle plus de la « dette » lorsqu'il s'agit de diminuer les impôts des plus riches. Ainsi, le coût des baisses de la fiscalité aux plus aisés « se chiffre à 100 milliards entre 2000 et 2010 ». Par ailleurs, « les 457 niches fiscales vont faire perdre près de 100 milliards de recette à l'Etat en 2018, bien plus que le déficit que l'on s'acharne à rembourser avec des politiques d'austérité »….sans parler de la suppression de l'ISF sur les placements financiers qui coûte 3.5 milliards d'euros par an. Ce sont donc les choix politiques qui font baisser les recettes et creuser les déficits que l'on va rattraper en saccageant le « modèle social » qui protège surtout les plus faibles. On augmente ainsi les inégalités -ce qui, contrairement à la théorie du « ruissellement » qui voudrait que les riches fassent profiter toute la société de leurs richesse, pèse sur la croissance économique. Mais les investissements publics pour rénover notre service public sont prohibés par les traités européens car « la Commission Européenne a volontairement organisé la dérégulation de l'économie en n'imposant pas de socle social et fiscal commun aux différents pays de l'Union , laissant s'installer une concurrence entre vingt-huit modèles sociaux ». A force de laisser les services publics se dégrader du fait de politiques publiques pratiquant l'austérité, on finit par préparer l'opinion publique à leur suppression. Pourtant, notre « modèle social » est nécessaire et bénéfique pour le plus grand nombre, le critiquer n'a qu'un but : le livrer au secteur privé.
Sur le plan de la protection de l'environnement, tout le monde s'accorde à dire qu'il faut changer notre consommation (plus modérée et surtout plus « locale »), se tourner vers des modes de production d'énergie renouvelable et non polluante afin de juguler le réchauffement climatique. Tout le monde est d'accord, mais personne ne fait rien ! Pourtant, c'est une politique « volontariste » qui serait indispensable.
Le « libre échange » théorie initiée par
Adam Smith au 18ème siècle et
David Ricardo au 19ème est le crédo des économistes « orthodoxes ». Or, le libre –échange est « un jeu inégal de domination ». « Les grandes multinationales sont les grandes gagnantes du libre-échange qui peuvent désormais produire là où le coût de la main-d'oeuvre est le moins cher, vendre là où il y a du pouvoir d'achat et payer leurs impôts là où la fiscalité est la plus faible ». La conséquence en est l'appauvrissement des pays les plus pauvres qui ne peuvent pas rivaliser du point de vue des technologies et qui n'ont que leurs matières premières à échanger, matières premières dont les prix fluctuent sur les marchés , ce qui les asservit. Les traités de libre-échange (voire CETA et TAFTA) n'auront comme conséquence que la casse des droits du travail. Leur prochaine cible est la question des « normes ». Derrière l'euphémisme d' « ajustement », on trouve tout naturellement l'alignement sur les normes les moins contraignantes et les plus favorables aux grandes entreprises au détriment de la santé des habitants et de l'environnement des pays pour lesquels on aura diminué les exigences. Ce qui se prépare en douce, c'est aussi l'établissement d'un tribunal supranational qui arbitrera les conflits entre les Etats et les entreprises comme ce fut le cas de la firme fabricante de cigarettes Philp Morris qui a attaqué les gouvernements de l'Uruguay et de l'Australie car ces pays avaient mis en place des politiques de santé anti-tabac !
En conclusion, il faut se débarrasser de la pensée économique dominante qui détruit des vies et retrouver une économie protectrice et égalitaire. Il faut essayer « de peser dans le rapport de force en questionnant, en exigeant, en débattant et en n'acceptant plus comme parole d'évangile une soi-disant vérité économique ».