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sur 118 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Blasphème,blasphème...Et pourtant elle tourne!
En 1632, Galilée dut abjurer son héliocentrisme devant l'inquisition du Saint-Office.
En 1644, le poète anglais Milton plaida " la liberté d'imprimer sans autorisation ni censure", dans son "Aeropagitica.".
En 1766, Voltaire défendit la mémoire du chevalier de la Barre qui, pour n'avoir pas ôté son chapeau devant une procession, fut torturé, décapité et brûlé avec le Dictionnaire philosophique.
Depuis, en terres d'Occident et des Lumières, nous croyons être débarrassés de ces entraves à la liberté d'expression mais, là ne fut que douce illusions quand en 1989, le fanatisme que Voltaire appelait " l'Infâme ", jeta sa griffe fétide, venue de l'Islam, sur un livre et son auteur...
Une autobiographie dont le titre se confond avec celui de l'auteur, pour marquer une forme de schizophrénie dont l' ambiguïté, est entretenue tout au long du récit où l'auteur joue de son alter ego.
A bien des égards, le monde était sens dessus-dessous. Plus d'un repère politiques et intellectuels sont en train de sauter. Et, ce qui rend ce roman passionnant,c'est qu'il témoigne, au ras du quotidien, d'un moment de bascule, alors difficilement perceptible.
C'est à cette époque que les références politiques occidentales (nationales, socialistes, libérales...) furent défiées pour de bon par l'Islam radical et la puissance de son mouvement. le concept d'Islamophobie est né.
En 1979, le philosophe Michel Foucault, dénonçait le problème de l'Islam, comme force politique pour les années à venir.
Dix ans plus tard quand les Ayatollahs condamnent à mort un citoyen britannique, pour avoir écrit un roman impie, le fait sidérait encore.
Des versets sataniques à la sainte fatwa... Ainsi s' imposa le reflet obscur d'une société incapable de rationalité.
- Les attentats du 11 septembre n'avaient pas eu lieu.
- le cinéaste Théo van Gogh n'avait pas encore été assassiné.
- Les caricatures de Mahomet n'avaient pas encore mis le feu aux poudres.
- Les locaux de Charlie hebdo, n'avaient pas encore brûlé et Cabu, Charb, Wolinski dessinaient encore...
Avec les Versets sataniquesRushdie se retrouve propulsé sur la scène internationale, pour y devenir plus qu'un romancier célèbre, le symbole de la lutte pour la liberté d'expression...
Un roman complexe où se mêlent "les mémoires, le document romancé et l'autoportrait non seulement de moi mais aussi d'une époque", dit-il.
Je remercie grandement mon ami Ahasvérus pour la découuverte de cet auteur.
Le récit est long oui, foisonnant de détails dont on peut se passer mais, Rushdie est incontestablement un maître de l'écriture.
Just read it!


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En revenant sur son parcours et particulièrement sur ses dix années de « détention », l'auteur des Versets sataniques nous offre une profonde et brillante réflexion sur ce qui définit notre société. Une ode à la liberté d'expression et un plaidoyer contre sa régression actuelle.

Si l'affaire a été très médiatisée, entrer dans l'intime permet au lecteur de prendre conscience d'une réalité inconnue. Tout d'abord, se loger. La vie n'est pas comme la fiction. Aucun abri fourni et payé par l'état. Salman Rushdie doit lui-même trouver des endroits sûrs qui seront agréés par son équipe de sécurité.

L'impact de la fatwa non seulement sur l'écrivain mais sur son fils, sa famille, ses proches et le domaine de l'édition. le monde divisé en deux parties ; l'avant et l'après fatwa. Ceux qui brûlent des livres, ceux qui refusent de les vendre, ceux qui renoncent à les éditer, à les traduire, et ceux qui ont le courage de défendre cette liberté.

Le temps, très court, où les versets sataniques n'était qu'un roman et était jugé en tant que tel, les éditeurs étrangers frileux à publier le texte, l'aventure de la version poche, l'assassinat de deux traducteurs, la kabale de l'opinion publique qui se demande si l'auteur mérite les frais engagés par le contribuable pour le défendre, la difficulté d'entretenir une relation amoureuse dans une vie de musellement... L'extrême isolement d'un homme seul contre tous.

Un livre fouillé, détaillé, foisonnant, parfois trop. Comment lui reprocher cette nécessité urgente de tout dire, de tout expliquer ? le monde a parlé a la place de l'auteur durant tellement d'années. Je salue son courage de publier un livre qui risque de raviver la haine que de nombreux extrémistes lui portent (la prime pour la tête de Salman Rushdie lancée en 1989 s'élèvent aujourd'hui à 3,3 millions de dollars).

En tournant les pages, j'ai été frappée par le manque de réaction de l'Occident et je me suis souvent interrogée. Suite aux attentats du 11 septembre, l'islamisme est connu du plus grand nombre. Salman Rushdie aurait-il été condamné à mort aussi longtemps sans qu'aucun gouvernement ne s'y oppose officiellement si la fatwa avait été prononcée après 2001 ?

Quoi qu'il en soit, Joseph Anton n'est plus. Heureusement pour lui et pour nous.
Lien : http://www.audouchoc.com/art..
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« L'amour de la littérature était une chose impossible à expliquer à ses adversaires qui n'aimaient qu'un seul livre, dont le texte était immuable et fermé à toute interprétation puisque c'était de toute éternité l'oeuvre de Dieu. »
Le 14 février 1989, tombait sur la tête de Salman Rushdie une fatwa, sentence mortifère émanant de l'ayatollah Khomeiny, alors président de la république islamique d'Iran. C'est le point de départ de cette autobiographie dense qui traverse dix ans d'une vie d'assignation à résidence pour Rushdie, éclairée par quelques échappées hors de son bocal, non sans peine et sans crainte.
Contraint de vivre en permanence entouré d'une garde de policiers de la Special Branch britannique, le célèbre auteur des Versets sataniques voit son existence familiale et professionnelle complètement chamboulée du jour au lendemain, interdit de séjour dans son pays d'origine, l'Inde, ostracisé par les citoyens de confession musulmane du monde entier, persona non grata de tout événement public et bloqué par la plupart des compagnies aériennes. Ce que raconte Rushdie est profondément choquant et bouleversant, et il le fait sans concession et avec grande ouverture.
J'ai d'abord été déroutée par la narration distanciée qu'il emploie, se livrant au lecteur à la troisième personne du singulier. « Il était un homme sans armée contraint de se battre en permanence sur plusieurs fronts. » L'appui et le soutien de ses éditeurs, de ses amis écrivains et de sa famille lui ont permis de résister à la tempête médiatique, et ce, malgré l'inertie et l'attentisme des politiciens au pouvoir à cette époque. le récit n'est pas sans humour, le genre pince-sans-rire, et qui s'avère ici salutaire à la lecture, donnant un peu d'air frais au huis-clos littéraire.
Joseph Anton (son pseudonyme issu des prénoms de Joseph Conrad et d'Anton Tchékhov) offre plus de 700 pages de papier bible sur les méandres de l'imagination et de l'écriture, éloge de la littérature sous toutes ses formes et quête absolue de la liberté d'expression chère à tout artiste.
Salman Rushdie a déjà prouvé sa résilience et son courage et je souhaite qu'il en trouve encore à puiser en lui-même pour l'avenir de la littérature.

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Un livre étonnant. Je vous avertis, il est long. Sans doute, trop long. Mais si vous voulez comprendre ce qui se passe aujourd'hui avec la montée de l'intolérance religieuse, ce livre peut être intéressant. C'est un style très particulier puisqu'il s'agit d'un mélange de mémoire et de réflexions philosophiques. Salman Rushdie nous raconte sa vie suite à la fatwa qui a été lancée contre lui en tant que auteur des « Versets sataniques ». Je n'ai pas lu ce roman donc je n'ai pas d'avis sur le roman. Par contre ayant lu d'autres livres de Rushdie où la religion joue un rôle important, il me semble que son écriture est un moyen de dénoncer des positions extrémistes.

Dans tous les cas, je ne peux comprendre les fatwas, ni toutes ces manifestations de haine, ces menaces de morts. Comment une religion peut amener de tels débordements ? Cela restera un mystère pour moi.
Pour revenir à Joseph Anton, le titre fait référence au patronyme choisi par Salman Rushdie pendant toutes ces années passées caché. Il s'agit de la combinaison des deux prenoms de ses auteurs favoris Conrad et Chekhov
Plusieurs points sont intéressants dans ce roman / mémoire en dehors de la narration des évènements. J'ai aimé l'analyse de Rushdie sur la montée de l'intolérance religieuse et comment il est venu à la rédaction des versets sataniques. La narration de son enfance et de sa relation avec son père, la religion (sa famille est musulmane depuis plusieurs générations) et le racisme britannique est éclairante dans le sens où il connait la religion musulmane. Il est devenu athée mais il n'a pas de haine ni contre la religion, ni contre les Anglais. Son éclairage des relations géopolitiques et des relations avec les services secrets internationaux, non spécialisé et bien entendu d'un point de vue très personnel, permet de mieux comprendre les petites lâchetés et compromis pris pour faire des affaires as usual !!

Il raconte la guerre menée contre les libraires, éditeurs, traducteurs (assassinat du traducteur Japonais), et sa famille. Il narre comment la gauche ne va pas le soutenir alors que les conservateurs vont le faire. Tous pour des mauvaises raisons mais dans tous les cas il doit subir des critiques car il aurait cherché cet opprobre. C'est l'histoire de la lumière qui laisse la place à l'obscurantisme car il ne faut pas faire de vagues !
Par contre, ses déboires amoureux et familiaux sont lassants. Bien qu'il batte sa coulpe régulièrement et se reconnaisse certains torts, il est des pages où son attitude est vraiment limite et ses plaintes le rendent peu sympathiques.

En dehors de ce bémol, c'est un livre puissant, éclairant, à lire !

Pour ceux qui pensent qu'il ne faut pas faire de vagues : suite à la publication de Joseph Anton, la récompense promise à celui qui tuera Salman Rushdie a augmenté de 500 000 USD et est maintenant de 3,3 millions de dollars.

La première phrase « Afterwards, when the world was exploding around him and the lethal blackbirds were massing on the climbing frame in the school playground, he felt annoyed with himself for forgetting the name of the BBC reporter, a woman, who has told him that his old life was over and a new, darker existence was about to begin.”
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Joseph Anton : les éditeurs de Salman Rushdie lui ayant conseillé de se trouver un autre nom après la fatwa prononcée , associant le prénom de Conrad à celui de Tchékhov , il choisit momentanément ce pseudo .

Une biographie atypique où à la manière de Semprun , Rushdie mêle quelques disgressions littéraires au récit d'une période de sa vie . C'est inégal , parfois amusant , parfois un brin trop intello , parfois dense , d'autres fois léger mais pas le moins du monde ennuyeux .

Bien des épisodes du livre relatent ses amitiés avec d'autres auteurs ou personnalités politiques , Harold Pinter ou Vaclav Havel par exemple et agrémentent l'intérêt de la lecture .

Auteur de langue anglaise , son pays d'adoption , Rushdie , une fois la fatwa prononcée , y vit comme un exilé sous protection policière et doit sans cesse trouver un nouveau domicile .

Un pavé de plus de 700 pages qui se lit bien malgré quelques longueurs parfois indigestes .
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Ouvrage copieux, de prime abord, Joseph Anton fait un peu peur. En réalité, il se lit facilement, grâce à une plume agréable, un style accessible (précision utile, je n'avais jamais lu Salman Rushdie), et un bon découpage de l'ouvrage.

Joseph Anton, c'est sous ce pseudonyme que Salman Rushdie a vécu caché durant de nombreuses années, ne relate que les années noires de Salman Rushdie à partir du jour où sa tête fut mise à prix par les religieux islamistes iraniens.
Cette autobiographie limitée fourmille de détails, et de précisions ; l'auteur semble avoir tenu des carnets minutés tant ses faits et gestes ainsi que ceux de son entourage, semble avoir consigné ses émotions, états d'âmes.

Ce qui frappe, c'est avant tout la machine infernale qui se met en branle dès l'annonce de sa mise à mort. Les services de protection fondent sur lui, pour le mettre sous cloche quasi hermétique. Toute sortie fera l'objet d'âpres négociations pour (parfois) parvenir à (relative) satisfaction, ou le plus souvent aboutir à renoncement ou résignation. Il mènera une vie d'errance qui aurait fait craquer plus d'un être humain. Lui, en dépit de ses découragements, de ses moments de doute, de maladresse dont tout homme aux abois est capable, n'a en réalité jamais baissé les bras. Est-ce la dureté de l'exil dès l'âge de 14 ans qui l'a préparé à lutter, est-ce ses profondes convictions pour la liberté d'expression, de penser, de prier, de croire ou non? Est-ce l'amour de ce petit bonhomme, Ahar, son fils, supportant tout sans broncher.
La lutte pour la liberté est un souci de tous les instants. Chaque moment acquis est une victoire.
Salman Rushdie va devoir faire avec les amis fidèles qui seront nombreux, les écrivains engagés qui jamais le laisseront à son triste sort ; il connaîtra aussi les traitres, la presse anglaise qui lui sera hostile, les politiques plus soucieux de la diplomatie que de la liberté d'expression, les éditeurs ou traducteurs courageux qui paieront parfois de leur vie pour que l'auteur puisse être lu par le plus de personnes possible.
Pas simple d'être un écrivain, un homme, un mari, et un père quand il faut se cacher en permanence…

Curieusement cette autobiographie est écrite à la troisième personne, comme pour bien se démarquer de celui qui sous les traits de Joseph Anton, était lui, mais pas tout à fait lui …

L'ouvrage est très prenant, et difficile à lâcher. Et si parfois quelques longueurs se font sentir, elles se feront vite oublier…car j'ai eu la liberté de les lire !!!



Lien : http://leblogdemimipinson.bl..
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En 1989, des Américains-lambda portaient des badges "JE SUIS SALMAN RUSHDIE" ; en 2015, des Français-lambda portaient des tee-shirt "JE SUIS CHARLIE". Décidément l'histoire n'a aucune imagination.

Entre 1989 et 2015 venait se caler le onze septembre. Il suffit actuellement de dire le onze septembre et l'on n'a plus à préciser ni le siècle, ni l'année parce que ce jour-là on a dit que ça ne serait jamais plus comme avant. On avait tort ! La fois d'après était comme la fois d'avant, elle-même déjà comme sa fois d'avant, elle-même déjà etc. le tout avec quelques variantes pour la forme : un peu d'inventivité dans l'horreur, dans l'arme, dans la cible, dans la nationalité et dans le décompte des victimes, dans le nombre du ou des bourreaux... Mais dans le fond rien n'a changé : c'est toujours, toujours, toujours la même histoire ! Toujours la même chanson ! Toujours le même combat entre la liberté et l'intolérance !

Ce bras de fer, Salman Rushdie en a été l'acteur à l'occasion de la publication de ses Versets Sataniques en 1988. Il l'a raconté à son fils Zafar dans son livre pour enfants, où il imaginait une princesse aux lèvres cousues et des créatures inquiétantes qui étouffaient le génie de la création, Haroun et la Mer des Histoires.

Ce combat contre le culte du silence, il nous le raconte, à nous les adultes, au travers de Joseph Anton. Il en appelle à Orange Mécanique, à Alice au Pays des Merveilles, à 1984 et à sa chambre 101, ainsi qu' aux Oiseaux d'Alfred Hitchcock pour illustrer son propos et frapper notre imaginaire.

Joseph Anton est la biographie d'un homme caché, mais d'un homme debout. Menacé de mort après la publication des Versets Sataniques pour cause de blasphème, Rushdie a vu le monde en général et en particulier changer autour de lui.

Rédigé à la troisième personne du singulier, l'autobiographie dit par le menu les années de clandestinité d'un homme imparfait mais déterminé à vivre libre et à s'exprimer. Avec talent et lenteur, Rushdie raconte le particulier et le général. Au-delà de l'autobiographie et de quelques pointes d'humour, il pose des questions et livre ses réflexions sur l'islam, sur la terreur et ses mécanismes. Si l'ennui est inévitable au fil des 900 pages du récit, on retient surtout la pertinence des observations de l'auteur, qui sont malheureusement d'une actualité brûlante. Salman Rushdie est un écrivain qui se mérite. Il écrit des pavés, mais ces pavés sont luisants. Il fait partie des grands du monde contemporain de la littérature, peut-être des futurs classiques. En attendant c'est sur le présent et sur notre position d'équilibre que ce livre apporte un éclairage saisissant qui nous invite à choisir entre liberté et obscurantisme.

En réponse aux Versets Sataniques fut créé le film pakistanais International Gorillay, mémorable nanar de 1990 dans lequel Salman Rushdie et le méchant Batu-Batu cherchent à provoquer la chute du Pakistan. Rushdie, après 2 heures 45 de film et un combat épique, y est foudroyé par des Corans volants. Ce film, manqua d'être censuré en GB. C'eut été dommage : la liberté d'expression doit répondre à la liberté d'expression et cette mise à mort cinématographico-divine, Salman Rushdie l'a bien cherchée !

Je conclurai par cette pensée réconfortante de Caroline Fourest : Qu'est-ce qu'ils sont cons ces intégristes. Ils voulaient vous faire taire. Ils ont abonné le monde à Charlie Hebdo.
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Londres, 14 février 1989, Salman Rushdie s'apprête à sortir. Un coup de téléphone de la BBC va changer définitivement le cours de vie. A des milliers de kilomètres de là, l'ayatollah Khomeiny vient de lancer une fatwa. Rushdie est accusé d'avoir osé blasphémer le Coran et le Prophète dans ses « Versets sataniques ».
Dès lors, l'écrivain vit en permanence sous la protection de la police. Insidieusement, il est traité non plus comme une victime, mais comme un clandestin, presque un criminel à qui l'on va demander de renoncer à tout ce qui constitue l'essence de la vie d'un homme libre, jusqu'à sa propre identité. Dorénavant pour que Salman Rushdie vive, il faudra qu'il devienne Joseph Anton, le nouveau nom qu'il s'est choisi à partir de deux de ses auteurs favoris (Conrad et Tchekhov). En plus du risque réel encouru, la fatwa constitue un révélateur de la médiocrité et de l'hypocrisie de certaines belles âmes.
Ce long témoignage (plus de 700 pages sur papier bible tout de même) raconte par le menu ses longues années de traque et d'errance. Il fourmille de détails incroyables, parfois rocambolesques : ah les problèmes techniques posés par une Jaguar blindée !
Si l'on dépasse cet aspect documentaire à l'américaine et le style baroque de Rushdie (ce qui est une question de goût, personnellement j'aime), on ne peut qu'être saisi par les principaux fils conducteurs du récit : la défense de la liberté d'expression, le mystère de la création artistique bien sûr, mais surtout la manière dont on peut continuer à vivre, aimer, penser lorsqu'on vous impose de vivre sous des contraintes fortes !
Rushdie y répond brillamment, sur un ton ironique, parfois humoristique, toujours percutant. Même s'il prend le temps de citer et remercier toutes les personnes qui l'on aidé, il ne laisse aucune place à la langue de bois. Il ne lâche, ni ne renonce à rien sur le fond. En dépit des menaces qui pèsent aujourd'hui encore sur sa vie, Rushdie est et demeure un homme libre, un écrivain pour qui, seuls la connaissance et le débat arriveront à repousser la bêtise, la violence et l'obscurantisme. Respect, admiration et chapeau bas !
Un seul bémol peut être, avoir lu ce livre trop rapidement dans le cadre du prix des lectrices de Elle, alors que ce texte mérite vraiment qu'on lui accorde beaucoup plus de temps.
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Une autobiographie écrite à la troisième personne, désignée par le pseudo Joseph Anton que l'auteur a dû emprunter pour assurer sa sécurité. Cela se présente comme une fiction, mais c'est en fait le récit de ce qu'il a vécu au jour le jour. Je ne sais si ce choix était le bon ; il laisse le lecteur un peu mal à l'aise aux prises avec un luxe de détails souvent inutiles qui pourrait se justifier dans un journal, mais passe mal pour le héros d'un roman qui prend, de ce fait, de façon dommageable, des allures de téléréalité.

On comprend malgré tout ce qui a motivé l'auteur : ce besoin de se distancier d'une période douloureuse, où sa liberté voire son identité a été saccagée et occultée, pour en être réduit à ce triste personnage fuyant qui prend des allures de fantôme, sous une menace constante. Pas de domicile vraiment fixe puisqu'il doit changer de lieu presque tous les six mois. Pas d'intimité puisqu'il doit vivre en permanence avec quatre policiers en état d'alerte. Pas le moindre déplacement sans autorisations qui prennent souvent des jours avant d'être validées. Voir son fils est une entreprise ardue, surtout quand on comprend que les politiciens jouent un jeu dangereux plus soucieux de ménager l'Iran (relation diplomatique) que de prendre une résolution ferme amenant une solution durable pour l'écrivain.
La raison de tout ceci : une sorte de récit apocryphe comme on en connait dans toute religion qui a été écarté pour des raisons plus ou moins obscures par le prophète lui-même et dont l'auteur s'est servi pour écrire une fiction. C'est bien une fiction avec des noms de personnages fictifs. Et l'auteur, d'origine indienne, de culture musulmane, est athée : sa démarche qui veut en quelque sorte esquisser l'historiographie d'une religion n'est pas un secret. Tout homme laïc ou athée a le droit d'avancer une hypothèse, de se construire une idée sur la naissance de ce qu'il considère comme un mythe. Personne ne devrait concevoir que c'est un blasphème. Et pourtant une Fatwa sera lancée en Iran par l'ayatollah Khomeyni. Une façon habile de désigner un bouc émissaire pour détourner l'attention de ses échecs (guerre avec l'Irak) et de rassembler les croyants contre un ennemi commun, Rushdie, désigné comme le diable en personne.

L'auteur passera des années dans une prison dorée, il est vrai. Il a les moyens financiers d'assurer sa « cavale » et il sera soutenu par des célébrités parmi lesquelles je retiens : Paul-Auster, John-Irving, Isabelle Adjani qui aura le courage de lire un extrait des versets lors de la remise de son César de la meilleure actrice pour Camille Claudel.
Ce livre m'a permis de faire le tri : je ne lirais pas Jacques-Derrida, John-Le-carré.
La lâcheté des uns et des autres et des politiciens en particulier fait frémir : en Angleterre, sous l'ère de Tony-Blair, ils ont bien failli remettre en circulation une nouvelle loi sur le blasphème (elle n'est pas passée à une voix près). La gauche incarnée par Jacques-Derrida a osé répondre à Salman-Rushdie qui défendait l'idée que l'Islam lui-même, l'Islam réellement existant ne pouvait être exonéré des crimes commis en son nom, que « la rage de l'islam était provoquée non par l'islam, mais par les mauvaises actions de l'occident. L'idéologie n'avait rien à voir là-dedans. Ce n'était qu'une question de pouvoir. » p506
On culpabilise l'Occident (ce qui en soi n'est pas une attitude erronée), mais pour ratifier le fait que les victimes ont le droit de devenir des bourreaux, ce qui est une absurdité !
Allez dire ça aux femmes afghanes lapidées, aux fillettes qui n'ont pas le droit d'aller à l'école, aux jeunes femmes iraniennes qui ont perdu la vie pour avoir ôté le voile !
Et, ne serait-ce pas cette même lâcheté qui a conduit à ce que certains terroristes se sentent suffisamment légitimes aux yeux du monde entier pour commettre les attentats les plus terribles pour ne pas dire des carnages? Les tours jumelles, le 11 septembre 20O1, Charlie, l'Hyper Casher, les 7 et 8 janvier 2015, Nice, le 14 juillet 2016 et tant d'autres parmi lesquels l'assassinat de deux traducteurs de Salman-Rushdie et de nombreux écrivains.
La suite est glaçante : 12 août 2022, Salman-Rushdie est poignardé et laissé pour mort.
Les médias ont placé plus de temps sur l'affaire Palmade que sur cette terrifiante atteinte à la liberté d'expression qui conduit les écrivains à se museler pour ne pas vivre le cauchemar des menaces et de la mise sous-protection policière.
Où est passée la civilisation des lumières qui s'était fait une gloire de lutter contre l'obscurantisme ?
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13 années. 13 années de surveillance ininterrompue sur ordre des services secrets britanniques. On comprend que le ciel lui tombe sur la tête à l'annonce de la fatwa iranienne et des répercussions qu'elle aura sur sa vie.
Ce livre est autobiographique, bien qu'il soit écrit à la 3e personne, il plonge le lecteur dans l'ambigüité. Est-ce Joseph Anton qui écrit la vie de Salman Rushdie, ou Rushdie qui écrit la vie d'Anton ? La biographie de son pseudo lui permet de se présenter à la troisième personne, pour prendre du recul sur ce qu'il a vécut tout le temps que dura son ‘'enfermement'' pour raison de sécurité. Gardé nuit et jour, surveillé dans tous ses déplacements, on se demande comment dans cette situation on peut garder un semblant de vie familiale, et de vie intime.
Nous assistons aux répercussions de cette fatwa, toutes les conséquences dans tous les domaines. Nous sommes aussi témoins des camps politiques qui se forment, ceux qui crient au scandale sans avoir lu les versets sataniques, ceux qui lâchent celui qu'ils présentaient comme leur ami, mais aussi les fidèles qui s'engagent corps et âmes dans la défense de la liberté.
Les bouleversements se traduisent aussi psychologiquement, et nous vivons en direct l'état d'esprit de l'auteur, ses hauts et ses bas. Comment combiner cette double identité de Salman Rushdie (ce qu'il est, ses origines, sa culture, sa famille, ses études, tout ce qui fait de lui ce qu'il est devenu) et de Joseph Anton (Joe), seul nom utilisé avec lui pendant 13 ans par ses agents de sécurité ? Comment être Joe et continuer à écrire du Rushdie ?
Un livre sincère qui montre la force d'un homme qui veut garder la tête hors de l'eau quand certains voudraient le voir noyer, un livre pour comprendre le contexte de cette époque, et mieux cerner cette affaire, que tout le monde connait aujourd'hui, sans forcément en comprendre tous les aspects.
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