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EAN : 9782370551412
311 pages
Le Tripode (11/01/2018)
4.22/5   9 notes
Résumé :
« Chacun essaie d'entrer sans succès, comme dans un rêve, dans son propre fleuve. » Celui de Juan José Saer, qui occupe toute son oeuvre, et ce livre plus particulièrement, est le Río de la Plata. Le Fleuve sans rives, seul texte de commande que Saer ait accepté d'un éditeur, n'est ni un roman, ni un essai historique, ni un récit de voyage. Mise en abyme de la création et quête impossible de l'identité, ce texte « hybride sans genre défini » comme il le présente lui... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Il s'agit d'un livre sur commande, le seul dans l'oeuvre de Juan José Saer : l'éditeur de Claudio Magris lui a demandé un livre sur l'exemple de Danube, consacré au Rio de la Plata, le grand fleuve argentin. Saer a écrit un livre à sa façon, bien différent de celui de Magris.

Le fleuve sans rives se composent de cinq parties : d'abord une sorte d'avant propos, puis quatre moments, qui portent chacun le nom d'une saison. Dans l'avant propos, l'auteur nous parle de son voyage, de Paris (où il vivait à l'époque) jusqu'en Argentine, à l'occasion de l'écriture de ce livre. Il évoque le voyage en avion, les souvenirs que tout cela remue en lui, la commande du livre, les questionnements que sa rédaction provoque. D'emblée, il nous laisse entendre que la question d'appartenance, d'identité, lui pose un problème, essentiel, fondamental. le livre traite aussi, en filigrane de ce questionnement. Mais Juan José Saer ne dit pas les choses d'une façon linéaire, nous sommes dans plein de détours et méandres comme ceux d'un fleuve, qu'il observe, en espérant l'inspiration pour son livre. Qui ne vient pas. Alors il se tourne vers les livres, vers ceux qui ont écrit, qui ont observé, étudié. Et aussi vers ceux qui permettent de comprendre d'une façon plus générale, donner un sens à du factuel, de transcender une expérience singulière : dès l'avant propos nous sommes confrontés à Adorno, Freud, Heidegger, Lacan, Héraclite...Nous voilà prévenu, ce sera un voyage qui n'aura pas forcément grand-chose de pittoresque ni couleur local à tout prix.

Même si cet ouvrage est difficile, voire impossible à résumer, je vais essayer de faire ressortir quelques éléments qui m'ont frappé. Déjà d'une certaine façon, le fleuve, Rio de la Plata, se confond avec l'Argentine. Parler de l'un, c'est parler de l'autre. Et parler de l'un et de l'autre, le pays où Juan José Saer est né, c'est parler de soi. L'auteur était très réticent vis-à-vis des biographies, mais dans ce livre il livre au final énormément de lui-même : pas tant en événements, mais plutôt dans la façon d'appréhender le monde, et tout particulièrement le pays dans lequel il est né et où il a grandit, avec lequel, malgré une mise en distance permanente, il garde des liens affectifs, sensoriels, qu'il nous fait entrevoir, dans une construction littéraire complexe mais jouissive.

La première partie, ÉTÉ, évoque les premiers temps, le moment où le fleuve, ou le pays qui deviendra l'Argentine a été découvert par les explorateurs venus d'Europe, et tout d'abord Juan Diaz de Solis. Saer évoque aussi les premiers habitants, les Indiens, les premiers temps de la colonisation…

L'Automne a comme fil directeur les étrangers qui ont écrit sur l'Argentine. Parce que la distance permet peut-être de mieux voir qu'une trop grande proximité. Ce qui nous ramène à la question d'identité, d'identification à une culture, qui est peut être plus une construction, un stéréotype qu'une réalité. Ils ont été nombreux, et Saer en évoque quelques uns. Il a un intérêt particulièrement fort pour Darwin, Ulrich Schmidel, Alfred Ebelot, mais aussi beaucoup d'autres. Il ne prend jamais rien pour argent comptant : il analyse, scrute, compare et nous livre sa lecture de ses lectures. Qui est aussi une façon de livrer à travers les écrits des autres.

L'Hiver évoque l'histoire politique de l'Argentine, sa violence tout particulièrement. Il dissèque impitoyablement le fonctionnement de son pays, les exactions des militaires pendant la terrible junte, et on ne peut pas dire qu'il soit très optimiste pour l'avenir.

Enfin, dans le Printemps, nous abordons une partie plus sensible pourrait-on dire (même si avec Saer, tout passe par le tamis de son redoutable intelligence), des images, des souvenirs, une évocation de sensations, d'odeurs, de couleurs etc. Mais pour finalement nous dire que ces expériences, vécues ici et maintenant pourraient être vécues ailleurs, à un autre moment, par d'autres, qui sont d'une façon les mêmes dans leur apparente diversité.

Il est vraiment impossible de rendre compte d'un tel livre, de toute sa richesse, et tous ses possibles. de toutes les façons, plusieurs lectures sont sans doute indispensables pour en appréhender les divers contenus. C'est un objet étrange, à la construction très pensée, malgré une apparence de digressions, de changements de sujets, de chemins de traverses que semble prendre régulièrement l'auteur, non pas pour égarer son lecteur, mais pour le faire arriver d'une façon plus complète non pas au but, mais à un endroit possible.

Fascinant, d'une intelligence remarquable, d'une sensibilité très contenue, qui n'empêche jamais l'esprit critique, mais qui donne aussi un sens aux choses, ce livre est un objet rare.
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LE FLEUVE SANS RIVES de JUAN JOSÉ SAER
Livre de commande de son éditeur, Saer va écrire un roman dont le héros est un fleuve, le Rio de la Plata. En partant d'une surprenante analogie avec un sexe féminin, il va analyser le Rio au fil des quatre saisons. Voyage géographique bien sûr mais tout autant historique puisqu'on va se trouver transportés en 1516 à l'arrivée des espagnols, là où s'élève désormais Buenos Aires et où il n'y avait personne à cette époque là. En cherchant un passage vers les Indes, les îles Moluques, les espagnols avaient exploré la partie littorale et découvert des dizaines de tribus qui vivaient de pêche, de cueillette et de chasse, et étaient majoritairement anthropophages. Solis qui découvrit le Rio était un scientifique contrairement à Cortez ou Pizzaro. La fondation de Buenos Aires se fera en 1536 par Pedro de Mendoza, miné par la syphilis. Darwin dans son livre sur l'évolution consacrera 8 chapitres sur 21 au Rio de la Plata tant sa richesse botanique et animalière est grande. Saer va faire un long historique sur les Gauchos, entre mythe et réalité, phantasmes véhiculés par nombre d'écrivains de Maurois à Gombrowicz en passant par Graham Greene et Drieu La Rochelle. Autre vision idyllique erronée, l'embouchure du Rio si prometteuse sur la carte qui s'avère une vaste étendue boueuse balayée par la pluie les orages et les crues violentes.

Entre histoire et géographie, science et naturalisme, c'est un panorama complet de l'histoire de l'Argentine que déroule Saer, bien au delà des contours du Rio de la Plata. Et toujours la superbe écriture de Juan José Saer, un argentin dont on parle trop peu.
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Entre essai et littérature, Juan José Saer, écrivain argentin considéré comme l'un des auteurs majeurs de son pays, nous dévoile une estampe tout en ironie de son pays.

De sa découverte à l'époque moderne en passant par la dictature des généraux, c'est l'histoire et la culture de l'Argentine avec lesquels l'auteur tisse un portrait pour le moins peu flatteur du pays, jouant de ses images d'Épinal. Prenant comme point de départ l'immense embouchure du Rio de la Plata, ce texte de commande s'organise en quatre chapitres, quatre saisons, qui sont autant d'invitations à digresser sur ce pays né dans la violence, sur sa littérature, sa culture et quelques autres choses plus personnelles, le goût du céleri par exemples.

Seul texte de commande accepté par l'auteur, le livre débute par une merveilleuse introduction, ou Juan José Saer nous parle de ce projet iconoclaste, ni roman ni livre historique, qu'il transforme en exercice presque spirituel.

Avec Une certaine dose d'humour et une totale maîtrise de son écriture, Juan José Saer nous offre un texte emprunt de poésie, réflexions sur l'écriture et la création.

Magnifique.
Lien : https://bonnesfeuillesetmauv..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Un beau matin de printemps, par un accord parfait et sans doute purement matériel entre le dedans et le dehors, par un consentement circonstanciel et fugitif des choses, nous voilà transportés, l'espace d'un instant, hors de l'éternel va-et-vient de l'offre et de la demande, hors des cauchemars du passé et des inquiétudes de l'avenir, ne faisant plus qu'un, enfin, avec le monde. Ni récompense méritée, ni préfiguration de quelque transcendance, il prend possession de nous lorsque nous parcourons, sous les grands acacias en fleur, les alentours du fleuve. Du fait d'être déjà un don, la perfection d'un tel instant ne recèle aucune promesse ; elle ne nous prépare nullement à un ordre plus élevé ; elle est une fin en soi, et il n'est pas question de l'invoquer en vue de telle ou telle ascèse, ni de prétendre l'avoir méritée à la faveur de douteuses prérogatives dues à l'étude, à l'intelligence ou la à la personnalité ; elle est donnée pour rien, et à n'importe qui, sans nécessité d'avoir été choisi en haut lieu, de sorte qu'il est inutile de perdre son temps à à remercier un quelconque dispensateur. Et si nous la considérons comme un don, c'est parce que, trop conscients de l'horreur, nous ne nous attendions guère à ce qu'elle nous fût octroyée. C'est le présent comme don : reçu non dans l'angoisse, ni dans l'étrangeté du sentiment d'être, mais dans la joie, qui englobe et dissout la conscience même de l'étant. Dans la lumière du matin, quand on marche parmi les pétales jaunes recouvrant les trottoirs, le présent infini n'est désormais plus perçu par les sens, mais en parfaite identité avec eux.
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L'expérience directe n'avait pas abouti : je devais me contenter de l'érudition. Ainsi va le monde : une chose vous paraît proche, immédiate, et voilà qu'il vous faut faire un long détour pour parvenir à seulement l'effleurer, ne serait-ce que furtivement, du bout des doigts. Rien de ce qui nous intéresse vraiment ne nous est directement accessible. Le corps que nous sommes censés désirer n'est qu'une superposition de projections culturelles inculquées par un système tortueux dont le but est précisément de nous interdire sa jouissance, et notre plat préféré, le seul choix que nous laisse un répertoire rigide ratifié par la coutume. Notre passé le plus lointain, le coucher de soleil que nous sommes en train d'admirer, aussi bien que la nature exacte de l'extrémité de notre langue, ne peuvent trouver de sens ou du moins de description acceptable que dans quelque chapitre ou volume d'une bibliothèque infinie. Se retrancher derrière l'empirisme n'augmente pas la connaissance, mais seulement l'ignorance.
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Epouvante et vulgarité sont le lot principal des avions. Non contents de nous faire passer, à toute vitesse, de la terre ferme où nous étions à dix mille mètres d'altitude, et mettant à rude épreuve l'endurance de leurs moteurs, les professionnels du transport aérien aggravent la situation en se croyant obligés de nous fournir ce qu'ils considèrent comme un environnement agréable, tous les lieux communs imaginés par la société de loisirs : sourire stéréotypé des hôtesses, voix mielleuse du steward dans deux ou trois langues, free shop où le superflu se vend à prix avantageux, obligation de voir le film que nous avons soigneusement évité au cours des derniers mois et, bombardées à travers nos écouteurs en plastique, mais heureusement inaudibles, ces "marchandises musicales" dont Adorno a démonté les ressorts faussement artistiques depuis plusieurs dizaines d'années dans "Quasi una fantasia".
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En pratiquant des excavations dans les vieux jardins de Rome, les hommes du XVe siècle relancèrent, en la renouvelant, la tradition classique, et tentèrent d'y greffer, y compris dans l'art religieux, un christianisme humanisé, presque mondain, sur la sensualité réaliste du paganisme. Le littoral américain leur révéla, à travers les péripéties atroces qui les attendaient, qu'ils étaient contemporains d'un passé encore plus archaïque. A trois mois de navigation, de l'autre côté de l'océan, ils pouvaient vivre aux côtés de la préhistoire. En plein humanisme, le sauvage - de salvaticum, ce qui vient de la sylve, de la forêt - était la négation même des idéaux d'émancipation qui lui avaient donné naissance.
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Grâce à la distance, qui élimine accidents et reliefs, tout se résout en géométrie. Ce roc stérile et poreux que nous appelons lune se voit stylisé en cercle parfait par nos yeux inventifs qui, incapables d'en distinguer les détails, lui donnent une apparence d'archétype. De même, le premier à avoir appelé "delta", à cause de la similitude avec la majuscule grecque, la confluence de deux fleuves, est certainement quelqu'un qui la regardait de loin et de haut : autrement, il n'aurait jamais pu voir le triangle parfait formé par la terre ferme au point de jonction des deux bras fluviaux.
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Video de Juan José Saer (3) Voir plusAjouter une vidéo

Juan José Saer : le fleuve sans rives
Olivier BARROT présente le livre de Juan-José SAER, "le fleuve sans rives"(JULLIARD). BT photos de l'Argentine.
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