Les romans de
Simenon sont comme ce gâteau des familles facile à faire, inimitable, variant au goût selon le coup de patte du cuisinier, mêlant subtilement des arômes – fleur d'oranger, vanille, cannelle, muscade-, je veux parler du quatre-quarts.
On n'est jamais déçu par un quatre-quarts, on n'est jamais déçu par un roman de
Simenon.
C'est que ce diable d'auteur belge s'y entend pour pétrir le sujet et faire lever la pâte pour notre plus grand régal.
C'est le cas avec
la Marie du port, un titre alléchant, dont la vulgarité supposée ne polluera jamais le récit tout en subtilités.
Les ingrédients :
Un port de pêche en Normandie, Port-en-Bessin, des patrons pêcheurs taiseux, confrontés à la concurrence des consortiums qui commencent à se créer, des anciens sceptiques et mauvais conseilleurs, des enfants respectueux mais piaffant d'impatience.
En filigrane, il y a la faillite de Viau, un ouvrier pêcheur qui a voulu devenir patron contre l'avis de tous, qui s'est endetté et dont on doit vendre le bâtiment, la Jeanne, aux enchères pour éponger ses dettes, le jour même des obsèques de Jules le Flem.
Une famille tranquille frappée par le malheur, la mort du père, Jules le Flem, qui laisse des orphelins.
Deux filles, Marie et Odile, déjà autonomes, même si Marie n'est pas encore majeure, deux garçons, Joseph 13 ans, Hubert 8 ans et la petite dernière, La limace parce qu'elle se traîne encore à quatre pattes.
Les oncles et les tantes Pincemin et Boussus, des paysans âpres au gain se disputent les dépouilles à peine Jules enterré, à l'issue du repas de funérailles, et décident de l'avenir des enfants, de
la main d'oeuvre à bas prix pour eux.
« …c'étaient des étrangers, des gens de la campagne. »
C'est sans compter sans l'esprit rebelle de Marie, serveuse au café de la Marine à Port-en-Bessin, elle dit à Port, comme tous les habitants de la ville, qui entend y rester.
Marie n'a pas grand-chose pour elle, on l'appelle la sournoise, elle est maigrichonne.
La soeur aînée à des atouts elle :
« La fille aînée, Odile, arrivée le matin de Cherbourg, ou elle faisait la vie. »
Odile après en avoir été la serveuse est devenue la maîtresse de Chatelard, un homme d'affaires, propriétaire d'un bar et d'un cinéma à succès tous les deux.
Elle aussi proposera à sa soeur de les rejoindre à Charbourg, elle et Chatelard, car elle pourrait s'y faire une situation :
«À ta place, je viendrais à Cherbourg…Je parlerai à Chatelard et je suis sûre que… »
Mais pas plus qu'au projet des oncles, elle ne tient au projet de sa soeur.
Chatelard fouine dans Port, parle aux uns et aux autres, fait l'homme d'affaires de la grand-ville, décide d'acheter la Jeanne sur un coup de tête, et c'est à ce moment que tout bascule. Au fond, il ne comprend pas pourquoi Marie ne veut pas suivre sa soeur, et s'est mis dans la tête de la convaincre. L'achat de la Jeanne lui donne un motif de visite à Port.
Très vite on comprend de quel côté va basculer le récit. le coup
le Chatelard Odile bat de l'aile, pour autant qu'il ait un jour jamais pu voler :
« Elle n'avait qu'à le suivre quand il l'emmenait, sans rien dire, s'assoir dans un coin quand il faisait sa partie ou qu'il discutait avec des amis. Moyennant quoi il lui tapotait parfois l'épaule avec l'air de reconnaître que c'était une brave bête. »
Marie est une fille coriace, pugnace, avec des idées bien arrêtées, elle veut tout pour elle, elle ne se contentera pas d'un strapontin comme sa soeur :
« Et il se passait ceci, c'est que la Marie était avec lui comme il était avec Odile, c'est-à-dire que la plupart du temps, elle ne se donnait pas la peine de répondre. »
« Une fois elle avait dit :
C'est assez d'une dans la famille !
Et il n'avait rien trouvé à répondre. »
Admirable étude de personnages, où on retrouve comme souvent chez
Simenon, des femmes fortes, des hommes aveuglés par leur désir pas seulement sexuel, mais le désir de dominer, d'exercer le pouvoir, de contraindre sans avoir les moyens d'y parvenir, et prêts à tout sacrifier pour en avoir au moins un ersatz ou un substitut.
« Il n'aimait pas se montrer naïf. Il murmura :
- Ça te fait peur ?
- Quoi ?
- Tu ne comprends pas, non ?
Alors elle eut un drôle de geste. Elle montra le lit défait, où il y avait encore du linge d'Odile roulé en boule. Elle prononça :
- C'est de ça que vous parlez ? »
Le sexe chez
Simenon a une dimension triviale, presque animale, un passage obligé entre un homme et une femme ; l'amour en est souvent exclu. Chatelard veut Marie, Marie veut la position sociale que l'argent de Chatelard lui procurera ; il est réduit à la dimension d'accessoire dans la démarche de Marie.
Chatelard se nourrit d'illusions :
« C'était bien la peine de s'être levé pour la première fois depuis des semaines avec du soleil ! Et d'avoir changé de linge comme un collégien… »
Tout au long du récit, le style de
Simenon, apporte des couleurs, des sons, des atmosphères, en une phrase constituée de mots simples, sans ostentation, il nous fait entendre, voir, sentir, goûter tout à la fois, une ambiance dont on sait qu'on ne la retrouvera plus que dans ses livres :
« On entendait les billes s'entrechoquer sur le billard du Café de la Marine et la lumière jaune du store donnait un avant-goût de café arrosé au Calvados. »
« Ce matin-là, par hasard, il y avait du soleil, une soleil jaune mais un soleil quand même. »
« Il y avait toujours, à la seconde fenêtre, un coin de rideau qui ne tombait pas d'aplomb et, par l'ouverture, on pouvait voir à l'intérieur. »
A lire et relire, sans modération…
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