Sidonie avait en réalité un certain nombre d’atouts : une réelle vivacité d’esprit, la sensualité d’un corps désirable et d’évidentes réserves de tendresse. Mais tout en elle semblait feutré, en demi-teintes. On la devinait, dès le premier regard, timide et méfiante, craintive même. Et des sujets de crainte, cette époque de violence gratuite, de débilité souvent inquiétante et de folie plus meurtrière que créative en dispensait à jet continu.
Cette histoire n’aurait eu sa véritable force de percussion que jetée sur papier avec le maximum de sincérité, de véracité qui dépassait de très loin toute fiction. Il ne pourrait que l’affadir, la rétrécir, la recréer tant bien que mal, surtout que sa mémoire du vécu était particulièrement défaillante. Jamais il n’aurait pu rendre dans toute son incohérente sauvagerie tout ce que leur liaison, si souvent rompue chaque fois reprise, avait brassé d’excès et de dérapages, de convulsions et d’exaspération, trimbalée au gré des ans entre l’admiration et le mépris, la rancune et l’indulgence, le remords et le besoin de revanche, l’attachement inébranlable et l’infidélité déchaînée, la compassion et la cruauté, le désir et le refoulement, la quiétude et la hargne, autant d’états contradictoires qui se catapultèrent en vrac dans la confusion, à un rythme qui lui donna souvent le vertige, le déstabilisa avec une navrante régularité que ni l’habitude, ni la résignation, ni l’érosion des ans n’arrivèrent à tempérer.
Elle mouille si bien qu’en quelques minutes je dois déjà me rejeter au-delà d’une jouissance trop prévisible, je m’accroche à ses hanches, m’arrache un instant à sa succion, je la fais chavirer face au sol, elle dessale facile, d’instinct se juche sur quatre pattes comme un félin tout en nage et en muscles, puis me tend son cul avec une telle ivresse d’écarter à plaisir chaque fesse que l’on pourrait jurer qu’elle va s’ouvrir en deux comme un citron ; elle me viole le regard de ses fonds les plus secrets, son sexe tâtonne à l’aveuglette pour trouver le mien, le frôle par hasard en l’inondant, le happe alors en douce et se referme en étau sur ce membre, me gavant de la sensation de n’être plus qu’un pieu incroyablement sensibilisé, à jamais soudé à une matière hurlante, en fusion, en ébullition, une chose qui fut Zoé si intensément engouffrée en elle-même qu’elle en arrive à perdre ses contours, sa définition, pour se multiplier en une seule jouissance continue.
Moi aussi, j’ai faim d’elle, mais ne pouvant pas me nourrir de ses cuisses pourtant fort appétissantes, je dois me résigner à commander un repas lourd que je crois adapté à la situation. Des crustacés, du céleri en branche piqueté de clous de girofle, un steak au poivre noyé dans du riz au curry et une triple ration de gingembre pour dessert. Zoé n’a pas besoin de ces ingrédients pour lui mettre le sang en feu, les prunelles en brume, les nerfs en fusion et les pulsions en eau. Elle se contente d’une salade de tomates qu’elle avale à contrecœur alors qu’elle me boit des yeux, me donne sans répit sa langue à déguster entre deux bouchées, ses poils à tirailler, ses bouts de seins à titiller, tellement coupée de toute perception du monde extérieur, si constamment abandonnée à elle-même, à ses ravageuses pulsions qu’elle ne peut être qu’une vibrante provocatrice, une source permanente de scandale et d’attentat à la pudeur.
J’ai toujours été sensible aux mots les plus simples, ce qu’il y a de plus rare dans le dialogue. Et j’ai toujours aimé les femmes qui savent parler pour dire quelque chose. De toute évidence, de façon lumineuse, Zoé semble disponible, désœuvrée, vibrante, ouverte à l’imprévu, et elle me le fait comprendre de tout son regard déjà allumé, de son sourire ravi et même de tout son ventre plat qui ondule au ralenti en se frottant à la table. Je lui demande de venir s’asseoir près de moi et, sans perdre une seconde, avec la vitesse et la souplesse d’un écureuil, elle me fourre son museau dans le cou, ses cheveux liquides tout flous dans les narines, ses mains cajoleuses sous ma chemise, aussi confiante qu’un jeune chiot à l’abandon qui aurait enfin trouvé un maître.
Cinéma
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Robert BENAYOUN,
Jean Louis BORY,
Georges CHARENSOL, Pierre MARCABRU, débatent des
films suivants :
- "Le Point de non retour", de John BOORMAN
- "Le Cameraman", de
Buster KEATON
- "
Je t'aime, je t'aime", d'
Alain RESNAIS (le co-scénariste du film
Jacques STERNBERG prend la parole et répond aux critiques)
- "Le Rapace", de
José GIOVANNI
- "Phantasmes", de Stanley...