Ce livre qui reprend l'intégralité du texte Un été avec
Homère et l'enrichit des toiles de Laurence Bost, des photographies du voyage de
Victor Bérard réalisées par
Frédéric Boissonnas en 1912 et des commentaires inédits de
Sylvain Tesson. Il a été publié en parallèle d'un cycle de 5 reportages qui content le périple de
Sylvain Tesson parti à bord d'un voilier sur les traces d'Ulysse. Pendant plusieurs semaines, il a sillonné la Méditerranée, plongé dans la mare nostrum, escaladé des volcans, rencontré des savants et des déesses de la culture, comme
Andrea Marcolongo, l'auteure de "
La langue géniale : 9 bonnes raisons d'aimer le grec", qui ont éclairé son odyssée.
Sylvain Tesson se lance dans le jeu de ce qu'il appelle lui même "La «géomythologie» est un jeu de l'esprit. Merveilleux et absurde. Comment pourrait-il exister une inscription terrestre de ce qui n'existe pas, disent les cartésiens. Et alors ? répondent les rêveurs.
Pourquoi le poète ne se serait-il pas inspiré du réel ? Et nous errons ainsi sur la mer pour trancher ces questions"
Suivant ainsi les traces de
Victor Bérard qui en 1912 s'était mis en tête de démontrer, avec force détails, que les poèmes homériques n'étaient pas une oeuvre de pure fiction, mais la description fidèle de la Méditerranée à l'époque des marins phéniciens dont les recueils nautiques auraient inspiré
Homère.
Alors, bienvenue à bord de l'Akhenaton ! Toutes voiles hissées, la goélette fend la Méditerranée sur fond bleu azur. Pour ce périple, Tesson et ses compagnons s'appuient sur le
Homère, en édition de poche (traduction de
Victor Bérard aux éditions Folio), qu'il trimbale partout avec lui ; sur la carte réalisée en 1912 par l'helléniste français
Victor Bérard, persuadé que
Homère s'est inspiré de lieux réels ; et sur les photographies prises par le Suisse Fred Boissonnat. Une fois chaque site identifié, il a ensuite fallu trouver les héritiers d'
Homère, un charpentier sicilien à Catane, un pêcheur à Stromboli, une ethnologue, un archéologue, une romancière italienne.
"Parfois la mythologie ne serait que la transposition métaphorique des scènes réelles de la vie des hommes. le travail de Bérard revient à illustrer le poème en retrouvant les faits et gestes qui l'ont inspiré. Selon Bérard, reprenant les intuitions de Strabon, Charybde et Scylla sont la représentation allégorique du combat des pêcheurs siciliens contre les espadons dans le détroit de Messine. Les bouillonnements de sang et d'écume, la vigueur de la chasse, le danger sur l'embarcation, la position des marins, harpon à la main, ont inspiré à
Homère les monstres qui ravissent des compagnons à Ulysse."
Sylvain Tesson sait aussi se faire incisif, tout en subtilité. Ainsi, lorsqu'il évoque le lotus, la plante de l'oubli de la mythologie, qu'il compare à celui que procurent l'alcool et la musique techno des boîtes de nuit d'aujourd'hui, sur l'île de Mykonos.
Il pointe l'inconstance de la nature humaine, qui n'épargne pas Ulysse, lorsque, après avoir échappé au Cyclope, il lance : "Je m'appelle Ulysse, j'habite Ithaque" , provoquant la colère dévastatrice de Poséidon. de même, quand les compagnons du héros de
Homère ouvre le "sac des vents", équivalent de la boîte de Pandore. "Par convoitise, par envie, par médiocrité (…), ils ne peuvent pas s'en empêcher."
Ce livre est donc à la fois un version illustrée d'Un été avec
Homère, mais aussi le supplément à ce voyage homérique.
Les légendes inédites de
Sylvain Tesson, véritables poèmes en prose et des tableaux de la peintre voyageuse, Laurence Bost sont absolument complémentaires et fabuleux.
Mention spéciale à ce tableau en forme de tête à tête entre
Homère et
Andrea Marcolongo, comme une mise en abyme entre celle qui fait constamment le lien entre nos époque et les écrivains antiques.
À cela s'ajoutent des photos en
noir et
blanc du photographe
Frédéric Boissonnas qui dans les années 1920 accompagna
Victor Bérard, le traducteur d'
Homère, pour identifier les lieux de la géographie ullyssienne
Mention spéciale à cette photo des montagnes et notamment le mont Circé.
À Hissarlik, sur les ruines turques de Troie,
Sylvain Tesson découvre les vestiges de la guerre qui fut le point de départ de L'Odyssée. Perché au sommet du mât principal de son voilier, l'infatigable grimpeur évoque ensuite l'événement initial du périple mythologique : le jour où, par orgueil et démesure, Ulysse et ses troupes pillent et massacrent les Cicones. Puis le voilier de l'écrivain vogue en direction de Mykonos, temple des paradis artificiels. L'île rappelle celle du peuple Lotophage, où les marins grecs goûtent aux joies du loto, une plante délicieusement anesthésiante « prémices à nos formes d'oubli contemporaines ». le rêve homérique se poursuit sur la terre des Cyclopes : le volcan du Vésuve, dans la baie de Naples. Ulysse y pèche par vanité pour la première fois. Au bord du cratère, symbole de l'oeil unique des géants,
Sylvain Tesson raconte comment le héros grec réveille la colère de Poséidon, le dieu des océans.
Puis c'est l'arrivée sur l'île de Stromboli, dans l'archipel italien des Éoliennes, qui aurait pu inspirer à
Homère l'épisode où Ulysse jouit de l'hospitalité d'Éole, le maître des vents. Aux côtés du vulcanologue Mario Pruiti, l'écrivain foule les flancs de la demeure divine : le volcan qui donne son nom à l'île. Sur la plage de sable
noir, le lendemain, le rêve homérique semble prendre vie. Il y rencontre Gaetano, un vieux marin farouche. Puis, sur l'île sarde de Tavolara, Tonino Bertoleoni, souverain de la seule famille de l'îlot.
"Dans le port de Catane, c'était flagrant : les Européens étaient bel et bien rentrés à Ithaque et se passaient fort bien des secours du ciel en ce siècle XXI. Nous vivons à présent dans un âge technique où l'homme s'affaire. Il ne s'occupe plus de rendre ses grâces aux dieux. Ou alors ses dieux portent d'autres noms : la puissance et la gloire, la machine et ses propriétés, la machine en somme. La Technique est un dieu puissant. Nul ne peut en décrire le contour ni en prévoir le dessein. On la croit notre enfant, elle nous soumet déjà, à peine née. Nous nous sommes agenouillés devant sa face. Nous ne savons rien de son pouvoir, sommes au début de son règne. Nous ne savons pas si elle nous veut du bien. Il est probable que pas du tout. Car les dieux sont méchants. On l'apprend dans
Homère.
Puis guidé par les dauphins d'Apollon, le voilier atteint la côte tyrrhénienne italienne et l'imposant mont Circé, baptisé d'après
Homère. C'est là que la magicienne du même nom, fille de Zeus et de Perséis, aurait exercé ses sortilèges. Grâce à l'élixir d'Hermès, Ulysse évite le sort de ses compagnons, transformés en cochons par un philtre trompeur. Auprès de l'auteure et botaniste Stéphanie Baudet, l'écrivain évoque l'âme de la première « sorcière » de l'humanité.
Après avoir échappé aux sirènes, Ulysse doit franchir le détroit de Messine gardé par les deux fléaux qui guettent les marins, le gouffre Charybde et le monstre Scylla. Dans le port de Scilla, l'écrivain voyageur part à la rencontre des pêcheurs d'espadon. La traversée se poursuit vers la Sicile, l'île d'Hélios, le dieu du soleil. Après un détour au marché de Catane, il rejoint le vulcanologue Marco Tomasello pour s'approcher au plus près de l'Etna, bouillonnant et fumant :
"Comme le cyclope, le volcan éructe. Il bombarde la mer de ses projectiles basaltiques. C'est un monstre gentil aux colères effroyables. Sur les flancs de la montagne poussent des forêts fertiles, sur l'île du monstre poussent les jardins de l'Âge d'or.
Vu du sommet, le cratère est un puits. Il ressemble à l'oeil unique sur le front des créatures.
Homère, en décrivant l'île de Polyphème, fait coup double : il évoque les âges bénis et diablement révolus, où les hommes n'avaient
qu'à tendre la main pour se nourrir. Il rappelle que des peuples sauvages vivent encore aux confins du monde connu. Ces infra-hommes et ces anthropophages attendent une poussée civilisatrice, c'est-à-dire l'expansion grecque."
Les marins d'Ulysse sont anéantis par la colère de Zeus. le héros grec dérive seul vers une île habitée par la nymphe Calypso. En compagnie de la linguiste
Andrea Marcolongo,
Sylvain Tesson évoque la destinée des amantes d'Ulysse et rend visite aux habitants de Pilur, un village encore empreint des traditions illyriennes. le voyage s'achève à Ithaque, l'écrivain y découvre les ruines du « château d'Ulysse », lieu mythique du sanglant dénouement de l'Odyssée.
Un livre fabuleux de voyage, de culture et d'embruns.
Un livre d'une beauté exemplaire sur le fonds et la forme
Tesson le dit lui même : "Naviguer, c'est flotter le plus longtemps possible pour plonger dans ses pensées.", et on a jamais envie de refermer ce livre pour que jamais la navigation ne cesse
Et de nous donner la technique "le réel est là, offert à notre fièvre, ne demandant que notre propre effort pour s'animer de présence. Il suffit de donner à la substance du monde des noms de dieux, de diviniser les reliefs et les phénomènes, d'animer les éléments, de reconnaître chaque pétillement de lumière, chaque pli de la mer, chaque frémissement de feuillage. Alors, on ne pourra plus jamais se prétendre seul dans cette vie morose !"
Autant de raisons pour le suivre...