L'éditeur reprend dans cet opuscule deux nouvelles extraites de «
La Tempête de neige et autres récits ». «
Le Cheval », écrit en 1885, et « Albert », achevé en 1858. Résultat d'une découpe à deux euros et secret d'une mystérieuse réunification que ne dévoile pas la courte introduction. A chacun d'en découvrir le sens et la vertu ou l'inutilité. le meilleur est sans doute ici dans la lecture. Avec Tolstoï. D'abord à cheval et ensuite dans un petit bal à Saint-Pétersbourg. Deux domaines où il est souverain.
«
Le Cheval »: À une troupe de jeunes chevaux vraiment trop folâtres ayant pris la sévère habitude de l'importuner un vieux hongre au bout du rouleau, « grave et méditatif », reconnu par une vieille pouliche qu'il avait jadis « honorée », finit par révéler l'infortune de son destin. Toute la troupe soudainement assagie se rassemble autour de l'Arpenteur (c'est son nom) dans l'enclos à la tombée du jour pour écouter l'animal pendant cinq nuits. Sous la robe « pie » qui valut jadis au vieux cheval son rejet par les hommes sa fougue retrouvée rythme le climat réaliste de cette belle fable cruelle qui est surtout une méditation désenchantée sur la nature humaine et porte un regard lucide sur la décrépitude de la vieillesse. L'écriture de Tolstoï fait merveille avec ses évocations puissantes magnifiant la beauté animale cavalière et ses charges, par animal interposé, contre l'iniquité des hommes. L'écrivain, en vieux cheval, laisse deviner en filigrane la révolte des années de vieillesse aggravée après la crise de 1880.
« Albert » : Un petit bal à Saint-Pétersbourg offre des pistes plus dansantes à un officier fatigué de la vie qui s'ennuie au milieu de l'amusement des autres. Ecriture de jeunesse qui aborde la lassitude de la maturité et la dégringolade d'un artiste. L'ambiance de cette petite fête laisse entrevoir les plus brillantes à venir de "La Guerre et la Paix" (cf. la soirée inaugurale du roman donnée par la dame d'honneur de l'impératrice). La réception présente n'a ni leur brio ni leur faste … L'enjeu n'est pas le même, plus resserré ici. Quarante-trois pages. Délessov terrassé d'ennui tombe sous le charme du violon d'un musicien étrange, intrus à cette réunion, et se laisse envahir par les notes d'une « Mélancolie en ré majeur » où il retrouve intacte la fièvre de ses bonheurs passés, inconsolable d'une jeunesse révolue. Il prend le violoniste, Albert, sous sa coupe et lui offre l'hospitalité… Amples réflexions et brusques accélérations surgies des profondeurs gouvernent l'âme des personnages. Ce rythme singulier qui communique sa tonalité très « tolstoïenne » aux deux nouvelles fait partie intégrante du plaisir qu'il y a à les lire.