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EAN : 9782080432230
336 pages
Flammarion (10/01/2024)
3.99/5   89 notes
Résumé :
"Il aura fallu quinze ans de cheminement incertain, une enquête menée aux confins de mémoires étiolées, pour retrouver une image sur laquelle j'espérais figurer, puis pour chercher mes compagnons de fuite. Quinze ans pour m'autoriser enfin à écrire cette histoire. La mienne et à travers elle, car il s'agit bien de me réinscrire dans un collectif, la nôtre, l'histoire des enfants des convois." Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au R... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE 2024]

Dans quatre brefs chapitres de présentation, Beata Umubyeyi Mairesse résume la trame narrative de son témoignage. Elle situe son histoire dans le temps et dans l'espace et explique les terribles circonstances de son départ du Rwanda. Elle expose ce qui l'a amenée à finalement écrire ce livre et tire les conclusions qui se sont imposées à elle. Elle développe ensuite chacun de ces points au fil de ses trouvailles et de ses réflexions dans quatre parties intitulées « Quatre photos  », « Le temps du témoignage », « Terre des hommes » et « L'heure de nous-mêmes ». Les doutes, les questions et les réticences qui l'habitent hantent la totalité de ce récit. Est-elle la personne appropriée pour nous raconter sa fuite du Rwanda ? Est-elle légitime avec sa peau de métisse, noire pour les Blancs, blanche pour les Noirs ? Peut-elle parler au nom de tous ? Peut-elle sortir de la fiction dans laquelle elle s'est réfugiée jusqu'à maintenant pour parler de ce traumatisme ? Elle a eu sa possession (elle racontera comment c'est arrivé) quatre photos du convoi du 18 juin 1994 dans lequel elle et sa mère se trouvaient. Que va-t-elle, que peut-elle faire de ces photos sur lesquelles elle n'a vue ni sa mère ni elle-même ? Elle commence alors une enquête pour tenter de retrouver les enfants qui paraissent sur les photos, mais se rend compte au fil des rencontres qu'il est plus facile de trouver de la documentation sur les sauveurs que sur les victimes… Comment redonner aux victimes la place qui leur est due ?
***
Le titre de ce document, le Convoi, rappelle forcément d'autres convois qui me viennent à l'esprit avant ceux du Rwanda. Je trouve que le choix de ce titre permet de sensibiliser le lecteur aux plus récents, ceux du Rwanda. Cependant, dans ce cas, le projet des organisateurs est tout autre : il s'agit de soustraire ces enfants aux mains des génocidaires ! Dès le début, l'autrice pointe d'autres responsabilités que celles des Hutus : « Personne ne veut entendre les rares voix qui rappellent que l'ethnicisation de la société rwandaise est une construction coloniale. Ils s'entretuent depuis la nuit des temps, n'est-ce pas » (p. 17). La chronologie présentée à la fin de l'ouvrage permet de retrouver et de situer les événements, du protectorat allemand (1897) à l'arrivée des Belges (1916) jusqu'à juillet 1994. Même dans la présentation de cette chronologie apparaît l'attitude de la France avant et pendant le génocide. Je vivais au Québec à cette époque, et je me souviens de la froide colère de Roméo Dallaire quand il parlait, en interview, des responsabilités de l'Occident dans ce massacre, tout en déplorant son impuissance à agir en tant que commandant de la MINUAR. Passionnant aussi le questionnement de l'autrice à propos des photos que les reporters prennent des victimes. Elle s'interroge sur leur droit à l'image, sur la violence de cette représentation, sur la conservation des ces témoignages visuels et sur la manière souvent désinvolte dont ils sont utilisés, classés, perdus, diffusés, etc. Comme souvent ceux qui écrivent sur leur propre passé, l'autrice s'interroge encore sur les pièges de la mémoire, la manière dont on transforme ses propres souvenirs, la méfiance qu'elle éprouve envers les interprétations a posteriori, celles des autres, bien sûr, mais, avec un grand souci de vérité, les siennes propres. Un document intéressant et nécessaire, à mon avis, parfois confus et souffrant de quelques redites.
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Convoi humanitaire.

Beata Umubyeyi Mairesse a été sauvée avec sa mère, le 18 juin 1994 soit quelques semaines avant la fin du génocide des Tustsi au Rwanda, par un convoi humanitaire suisse.

Cette enquête commence simplement, des proches de Beata Umubeyi Mairesse les auraient vues, elle et sa mère, traverser la frontière entre le Rwanda et le Burundi sur la BBC. L'auteure va ainsi entrer en contact avec l'équipe de la BBC présente ce jour-là, treize ans après les faits. La quête de ces rushes va la pousser à mener l'enquête sur le convoi humanitaire suisse qui les a sauvées toutes les deux.

La première partie se concentre sur les premiers pas de Beata Umubeyi Mairesse dans son enquête. Elle fait également une réflexion intéressante sur le devoir de mémoire. Ainsi elle estime que témoigner peut permettre d'éveiller une conscience citoyenne chez les enfants, et les pousser à se questionner si une population particulière devait devenir bouc émissaire. Cela permettrait, peut-être, en cas de nouveau génocide, que des individus agissent contre.

La deuxième partie est le témoignage de Beata Umubeyi Mairesse durant le génocide en 1994. Ce témoignage est très instructif. le lecteur ressent la peur au ventre de celle qui témoigne, les journées d'angoisse dans leurs différentes caches. Ces jours sont l'expression de la folie d'une partie de la population rwandaise. La majeure partie des Hutus considèrent normal d'exterminer les Tutsis. Ils parlent même de « travail ».

Les troisième et quatrième parties sont malheureusement en deçà. L'auteur mélange son enquête sur les organisateurs du convoi, avec les témoignages d'enfants en ayant bénéficié. Elle ajoute également sa recherche d'autres photos et le témoignage de journalistes ayant couvert le génocide. L'ensemble devient très confus. Enfin, elle conclut son enquête en questionnant le rôle des témoins et des victimes. Les occidentaux ont imposé leur propre vision du génocide, quand les victimes n'avait pas le droit à la parole.

Bref, un témoignage instructif même si la forme est parfois brouillonne.

Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE 2024.
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Le 18 juin 1994, Beata Umubyeyi Mairesse a 15 ans lorsqu'elle fuit son pays et le génocide des Tutsis au Rwanda avec sa mère. Grâce à un convoi humanitaire organisé par l'ONG suisse « Terre des hommes », les deux femmes passent entre les mailles du filet et échappent à une mort certaine. Dans les jours qui suivent, des gens disent les avoir vues dans un reportage de la BBC au moment où le convoi passe la frontière avec le Burundi.
Les années passent… le vie continue. En 2007, Beata réussit à entrer en contact avec l'équipe de tournage de la BBC. Elle et sa mère ne sont pas sur la fameuse vidéo mais un des journalistes lui envoie quatre photos du convoi du 18/06/1994. Ces photos sont le point de départ d'une enquête qui va durer 15 ans. Beata, détentrice de ces photos, veut les rendre accessibles aux enfants qui y apparaissent. C'est leur histoire. Beata va alors tout mettre en oeuvre pour retrouver ces enfants, une quête qui va la mener à parler des sauveteurs, des simples citoyens aux humanitaires qui ont risqué leurs vies pour les sauver.
Alors que l'écrivaine avait toujours refusé de parler de son expérience personnelle et intime, préférant parler de son rapport à la littérature et de son expérience de survivante qui écrit de la fiction, une évidence s'impose à elle. Parler de ce convoi qui a sauvé ces enfants, c'est aussi parler d'elle.

1994-2024. Cette année aura lieu la commémoration des 30 ans du génocide des Tutsis au Rwanda, le dernier génocide du 20 e siècle.
J'ai lu un certain nombre d'ouvrages sur le génocide des Tutsis au Rwanda, fictions, documentaires, récits… et celui de Beata est intéressant et bouleversant à bien des égards.
La première chose qui m'a touchée dans ce récit est la réflexion que livre Beata sur son statut de survivante. A quel titre peut-elle écrire sur ce convoi et sa propre expérience, elle qui n'a été ni violée, ni coupée ? Quelle est sa légitimité ? Question pour nous totalement fortuite mais révélatrice d'une immense honnêteté de la part de l'auteure.
Souhaitant rester la plus fidèle possible à ce qu'il s'est passé, l'écrivaine se pose énormément de questions sur sa quête et enquête, s'interrogeant sur la forme d'écriture que doit prendre ce récit, s'inquiétant des défaillances de la mémoire, s'échinant à parler de tous tout en parlant d'elle-même... cette jeune fille métisse, amoureuse des livres déjà, que de nombreux « deus ex machina » ont sauvé à plusieurs reprises. L'enquête est minutieuse, parsemée de nombreux vides, mais de fil en aiguille, Beata recolle les morceaux.
Ensuite, il s'agit pour moi du premier récit qui aborde cet épisode du génocide, le sauvetage des enfants par les organisations humanitaires. Beata rend un hommage bouleversant à ces gens, qui à force de courage, de culot, de diplomatie et de ténacité, ont réussi à soustraire à la barbarie des miliciens hutus des enfants destinés à une mort certaine et nous fait découvrir tout un pan du « travail humanitaire ».
Enfin, la toute dernière partie du livre m'a beaucoup interpellée lorsque l'auteur revient sur ces fameuses photos. Des milliers de photos ont été prises lors du génocide des tutsis au Rwanda par les journalistes occidentaux. Des journalistes, qui bien souvent malheureusement, ne connaissaient rien à l'histoire de ce petit pays si ce n'est les stéréotypes habituels que l'on trouvait dans les journaux justement ou dans les paroles des politiques français qui, on le sait maintenant, n'étaient pas du tout neutres dans le conflit… D'où des interprétations totalement erronées de ces photos où la vérité était bafouée, où les victimes se retrouvaient une fois de plus trahies...

Cette enquête sur les archives est dense, passionnante, bouleversante, nourrie de multiples réflexions sur travail de la mémoire collective et de l'écriture de soi. C'est aussi une écriture sobre et très belle qui révèle toute l'exigence de l'auteure dans la narration de ce récit. Un récit essentiel qui s'ajoute à la littérature déjà existante sur génocide des Tutsis au Rwanda.

Un grand merci à Babelio pour l'envoi de ce livre.
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Le 18 juin 1994, après 3 mois de massacre des Tutsis par les Hutus et de terreur, Beata Umubyeyi Mairesse et sa mère ont eu la vie sauve grâce à un convoi de l'organisation humanitaire suisse Terre des Hommes qui les a emmenées de Butare à la frontière avec le Burundi. Elle avait 15 ans; sa mère et elle n'auraient pas du être acceptées dans ce convoi car il était réservé aux enfants de moins de 12 ans. Elle arrive dans le nord de la France, est scolarisée, est entourée d'affection et de soutien par sa famille d'accueil, se marie et a des enfants.
le titre de ce livre évoque, souvent, les heures sombres de la deuxième guerre mondiale et la déportation de Juifs vers la mort. Ici, le mot "convoi" se charge d'une image positive car il a transporté des enfants vers la vie.
L'auteure a suivi un long cheminement de trois décennies avant de pouvoir écrire le récit de ces mois d'horreur mais aussi de témoigner pour les autres enfants, pour saluer le courage de celles et ceux qui les ont aidées, sauvées. Elle a commencé par de la fiction avec des romans autour du génocide, puis elle a accepté de témoigner devant des lycéens de 15 ans à partir de 2016 et s'est lancée dans la quête d'une photo qui aurait été prise au moment de son passage de la frontière avec sa mère; son désir était de retrouver les autres enfants du convoi et leur faire parvenir les photos où on les voyait. Cette (en)quête a été semée d'embûches, d'obstacles, d'espoirs déçus mais riche de rencontres, d'échanges, d'amitié.
L'auteure s'interroge sur ce qu'est la responsabilité de témoigner sans trahir ceux qui ont subi le même drame, sans que son propre vécu oblitère la réalité, sans que ses mots soient mal perçus, mal interprétés.
Elle nous livre également une réflexion sur la place des photos prises par des étrangers, dont l'interprétation peut être faussée par le biais occidental. C'est, pour elle, ce qui s'est passé au Rwanda. Elle souligne le sentiment de dépossession que peuvent ressentir ceux qui ont été photographiés. Où s'arrête le droit à la propriété intellectuelle et où commence le droit à l'image alors que les enfants ont été photographiés et sont apparus dans les média occidentaux sans leur consentement? le regard de l'autre. le regard sur l'autre.
On sent que Beata Umubyeyi Mairesse choisit ses mots avec soin pour essayer de rendre compte d'une réalité dont elle est la porte-parole mais qui ne lui appartient pas. le texte est sobre, précis, sans pathos mais puissant.
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Le Convoi

Beata Umubyeyi Mairesse



Ceci n'est ni un récit, ni un roman, ni un document historique, ni un essai, ni peut-être même pas un livre. Peut-être une sorte de témoignage en lumière qui naît du plus profond de l'obscurité d'un tunnel morbide pour très lentement se rapprocher d'une lumière d'abord floue, puis peu à peu devenir un peu plus nette, et finir par éclater au grand jour. Un livre, bien sûr, si on veut bien, mais beaucoup plus que cela.
L'autrice, Beata, est une rescapée, comment peut-on seulement définir ce mot, une survivante improbable d'un massacre, là encore quels mots se cachent derrière cette expression, celui d'un génocide, cela devient plus net et plus explicite, celui de la communauté Tutsi au Rwanda par l'autre ethnie, celle des Hutus. Nous sommes en 1994. Pour ma part j'avais 38 ans, et comme tous les Blancs qui suivaient l'actualité géopolitique de cette époque, je n'ai pas oublié le massacre incompréhensible d'une communauté par une autre, du même pays, de la même culture, de la même religion, de la même ethnie, formation, éducation, scolarité.
Beata a 15 ans à l'époque. A la fois très mature et encore enfant. Son récit, magistralement organisé (j'allais dire malencontreusement « découpé » ! ) nous raconte sa fuite vers le Burundi avec l'aide d'une ONG suisse, Terre des hommes. Elle n'y a pourtant pas droit. Elle a 15 ans, et le sauvetage de ces convois d'enfants n'a été âprement négocié que pour des enfants de12 ans maximum, entre Terre des Hommes et le gouvernement Hutu de l'époque. Mais Beata est blanche, franco-rwandaise, parle couramment le Français, elle va parvenir à se cacher sous les couvertures, au fond du camion qui emmène ces enfants, avec sa maman, et parvenir à se faire exfiltrer au Burundi. Rien que ce récit au titre ravageur, qui nous rappelle d'autres temps sombres pas si anciens, est mortifère, générant une émotion et une angoisse sans nom. Mais Beata, ne pourra pas dans sa vie d'adulte se satisfaire du seul miracle de son évasion, elle a vu , elle a entendu, elle a compris ce qui se jouait, les exactions sur les Tutsis, les meurtres à la machette, au couteau, au gourdin. Les 250 000 femmes tutsis qui ont été violées pendant le génocide, l'ont souvent été délibérément par des hommes que l'on savait séropositifs ! Ces images atroces qui se sont imprimées, collées, additionnées dans sa mémoire, elle ne peut pas mettre le couvercle de l'oubli par-dessus.
Tout son récit va se croiser avec une enquête minutieuse qu'elle va entreprendre une fois adulte, on appelle ça un devoir de mémoire, je dirais une obligation de mémoire. A partir de 4 photos de son Convoi, vagues, floues, recueillies grâce à la BBC, Beata va avec une minutie et une patience sans relâche, reconstituer en convoquant le passé, par des témoignages, par des recherches dans les archives de la BBC, de Terre des Hommes, de la presse, de la Croix Rouge, et retrouver, identifier, nommer, ne pas laisser l'oubli s'installer. Entremêlant naturellement les deux récits, mais aussi en peignant les portraits des protagonistes, journalistes, photographes, simples témoins, archivistes, elle va relier, bout à bout, les minuscules pièces d'un puzzle fait d'horreurs, d'histoire mais aussi de vérité et d'humanité. C'est un livre qui, par moments, m'a fait penser au très beau récit « la Carte Postale » d'Anne Berest, cette volonté farouche d'écrire, de reconstituer un lien pour que l'oubli n'efface rien de ce que l'âme humaine peut faire de pire. Mais aussi de beau de désintéressé voire d'exaltant, donner du sens . Un livre où rôde l'esprit de Saint Ex, celui de Terre des Hommes, celui aussi du journaliste français Patrick de Saint Exupéry dont elle parle peu mais qui fut le Grand témoin français à mettre à jour ce qui se jouait au Rwanda.
L'enquête, terriblement complexe, est menée avec humanité, douceur parfois, pour surtout ni ne rien oublier, ni commettre un impair en n'ayant pas la preuve sur chaque pièce quelle avance. D'abord la Vérité. Beata cite beaucoup, nomme beaucoup les journalistes britanniques dont certains resteront à jamais traumatisés par ce qu'ils ont vu, les photographes ( il y a dans ce livre une admirable réflexion sur le pouvoir des instants figés par le temps de la photo, des caméramen, des preneurs de sons, des journalistes dont certains ont pris des risques insensés pour que tout soit vu et dit, du fondateur de Terre des Hommes Alexis Briquet organisateur du Convoi qu'elle va retrouver à la fin de sa vie, tant d'années après et avec lequel elle partage une affection infinie. Elle tisse une gigantesque toile d'araignée humaine qui va relier les photos d'enfants devenus adultes qui vont se reconnaître, après qu'elle les ait contactés, sur ces photos anciennes. Beata n'a pas besoin d'asséner des jugements ou des commentaires, c'est ce qui fait la force de son récit, les faits parlent d'eux-mêmes. Ces faits qui nous font honte à nous blancs. Que faisions nous, pour les plus anciens, en 1994, pour ma part que faisais je si ce n'est regarder incrédule, sans comprendre qu'un génocide (100 000 morts en 100j) se déroulait sous nos yeux, avec l'assentiment tacite du gouvernement Français, que l'autrice a l'incroyable pudeur de ne ni nommer ,ni accabler, accuser, attaquer. Parfois ne pas exposer donne encore plus de force au propos.
Mais nous avions l'habitude sans doute de voir défiler sur nos postes, d'horribles images venues d'Afrique Noire, nous avions eu le Biafra, nous avions eu Mandela et l'Afrique du Sud, sans doute, avons-nous eu nos bons et nos mauvais pauvres, nos bons et nos mauvais sans papiers, nous avions nos bons et nos mauvais génocides, blancs de préférence. On avait déjà eu tant de mal à se sortir du guêpier Algérien, pour ne pas en plus aller se fourrer dans celui d'un pays dont nous peinions à prononcer le nom. Nous avions en quelque sorte eu nos génocides à nous. Nous avions eu la Shoah, nous avions eu le massacre des Arméniens, nous avons aujourd'hui le film horrible de ce qui se déroule en Palestine, alors le Rwanda… Qui savait d‘ailleurs où situer ce petit pays sur la carte d'Afrique, vous imaginez ? des gens qui se tuaient à coups de machette ? La désinformation faisait son travail, le gouvernement de Paris soutenait le pouvoir en place. Alors, nous regardions distraitement avec un zeste d'empathie un massacre supplémentaire du plus grand prédateur de l'espèce humaine, l'Homme lui-même.

Impossible de dire que ce livre est beau. Les adjectifs de valeur n'ont ici guère de signification. Ce livre nous renvoit à notre condition d'homme blanc et nous fait gicler comme une gifle la honte au visage. D'une immense dignité, il nous fait comprendre la dette terrible que nous avons, envers le Rwanda bien sûr, où la colonisation porte une écrasante responsabilité en ayant pour d'obscures raisons économiques, dressé à mort l'une contre l'autre deux communautés qui avaient jusqu'alors réussi à cohabiter paisiblement, mais aussi et surtout avec l'Afrique dans son ensemble, dette que nous ne cessons d'abonder avec une impudence sans limites, que nous serons incapables de rembourser un jour. Tout au plus pourrons-nous, peut-être, nous agenouiller devant un mémorial et demander pardon à ces frères humains. Parce qu'au fond, nous n'avons encore rien compris aujourd'hui , tiré aucune leçon, certes nous ne tuons pas frontalement, mais Total continue de défoncer la terre en Ouganda pour y rechercher l'or noir et faire carburer les voitures des blancs, 40 % des femmes africaines meurent du cancer du Col de l'utérus , deuxième rang en termes d'incidence et de mortalité, parce que les laboratoires pharmaceutiques ne veulent pas mettre des vaccins à des prix abordables, et un jeune premier ministre français de 34 ans ne trouve comme solution à la désertification médicale en France que de proposer d'aller piller les médecins africains pour les faire venir dans nos campagnes.
Une dette avez-vous dit ?

Ce livre, sobre dans son écriture, pudique, nous émeut, que ce soit par le récit d'évasion de Beata de sa mère et de centaines d'enfants par des humanitaires qui ont donné leur vie en lui donnant un sens, mais conduit une intelligente et intuitive réflexion qui va bien au-delà des massacres, en nous demandant de nous observer sans fard dans le miroir de nos existences humaines. La réflexion sur le regard du photographe, qui rend le témoignage ineffaçable, est imparable « « le fait d'être photographié nous permettait d'avoir un regard sur ce que nous vivions, et nous pouvions confusément espérer, que ce regard nous sauverait ». Même si la photographie ultime, qui devrait clore l'enquête, n'a pas été encore retrouvée, peu importe, nous savons qu'elle existe, qu'elle est quelque part dans une archive, dans un carton, et que si la retrouver est intensément important pour l'auteur, pour nous lecteurs, nous avons compris ce que nous devons à Beata.
En refermant le livre, j'ai repensé au dernier livre de Cynthia Fleury : « la Clinique de la Dignité ». C'est exactement cela.
Merci Madame.
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critiques presse (8)
LaLibreBelgique
09 avril 2024
En juin 1994, elle s'en est grâce à un convoi humanitaire suisse, lors du génocide des Tutsis du Rwanda. À travers ce livre, elle assume son rôle dans la nécessaire transmission de la mémoire.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
OuestFrance
15 mars 2024
Trente ans après le génocide au Rwanda contre les Tutsi, dont elle est une rescapée, l’écrivaine signe un recueil de poèmes et un récit poignants en guise de mémorial.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
LesInrocks
20 février 2024
En se lançant, des décennies plus tard, dans une enquête pour retrouver les photos des enfants que ce convoi humanitaire transportait grâce auquel, sa mère et elle, cachées, ont été sauvées, prises par des reporters et des journalistes de la BBC, elle va reconstituer le quotidien de sa survie, le quotidien d’un génocide. Et c’est ce qu’on a lu de plus fort depuis Triste tigre de Neige Sinno.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LePoint
02 février 2024
En revenant sur son sauvetage en 1994, Beata Umubyeyi Mairesse retrace l'histoire des convois d'enfants exfiltres du Rwanda pendant le massacre des Tutsis.
Lire la critique sur le site : LePoint
Telerama
02 février 2024
Rwanda, 1994. Menacés de mort, un millier d’enfants tutsi sont exfiltrés. Parmi eux, Beata Umubyeyi Mairesse. Dans “Le Convoi” elle en fait le récit, au nom de tous, pour que soit enfin entendue la parole des victimes du génocide.
Lire la critique sur le site : Telerama
LesInrocks
22 janvier 2024
Le Convoi, une œuvre de mémoire importante, en même temps qu’un texte à la force littéraire. À lire absolument.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LeMonde
09 janvier 2024
Auprès des journalistes comme des humanitaires, Beata Umubyeyi Mairesse part en quête d’images, rushs de reportage, photos oubliées, clichés ambigus… Quête souvent entravée mais riche en surprises.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
08 janvier 2024
L’écrivaine livre, avec « Le Convoi », le récit de son sauvetage, il y a bientôt trente ans, en juin 1994, lors du génocide des Tutsi au Rwanda. Pour se réapproprier cette histoire comme pour la transmettre.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
N'allez pas croire que la propagande ne fonctionne que sur des paysans africains en majorité analphabètes, n'oubliez pas que le système nazi a su gagner les esprits de très nombreux intellectuels européens, voyez comme aujourd'hui les discours néo-fascistes gagnent du terrain dans les médias français , interrogez-vous sur les convictions politiques des propriétaires de certaines chaînes de télévision, journaux ou maisons d'édition. Ici et maintenant. Nous devons être vigilantes et vigilants.
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C'est en lisant le texte de Susan Sontag, "Devant La Douleur des autres", que j'ai pu mettre des mots sur le malais que j'ai ressenti en voyant le traitement par certains journalistes des dernière commémorations du génocide. L'essayiste américaine y rappelle que les spectateurs du monde riche ne considèrent pas de la même façon les morts et les suppliciés africains et ceux de leurs propres pays, soulignant à juste titre que si les médias occidentaux ont fait en sorte de ne pas diffuser d'images des victimes des attentats du 11 septembre 2001, "l'Afrique postcoloniale existe avant tout comme une succession de photos inoubliables exhibant des victimes aux yeux immenses; la série débute à la fin des années 1960, avec les silhouettes émaciées des Biafrais dans leur terre de famine et se poursuit avec le génocide de près d'un million de Tutsis rwandais".
Toutes ces images de nous, de nos morts, de leurs restes qui continuent à être diffusées sans nous demander notre avis.
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Dans l'esprit des Français, qui ne l'avaient pour la plupart jamais entendu jusqu'à ce qu'il s'immisce dans leurs journaux, ce mot "Rwanda" est devenu synonyme d'horreur, de violence. Il sous-entend aussi "massacres interethniques", "sauvagerie tribale", "machette". Tout se mélange. On a pris l'habitude de simplifier quand il s'agit de l'Afrique.
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En y repensant, il y a trois mots : qui dit "Rwanda" implique "machette", qui lui-même sous-entend "génocide". Trois mots qui se contaminent sans cesse dans une causalité macabre, laquelle étouffe tout déploiement narratif individuel, circonstancié : une histoire à soi.
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Le 6 juin, à Omaha Beach, Mitterrand célèbre le cinquantenaire du débarquement des Alliés en Normandie. Les journalistes rapportent son discours, dans lequel il dit - quelle ironie pour celui dont on sait combien il a soutenu le gouvernement rwandais génocidaire : "Puissent [...] s'apaiser les déchirements qui, près de nous - dans l'ancienne Yougoslavie -, plus loin de nous - en Afrique noire -, et dans combien d'endroits du monde, ne profitent qu'à la mort ! Puisse s'organiser partout le dialogue pour la paix des pays du monde, des peuples, sous l'égide de nos Nations unies, elles-mêmes nées de notre victoire !"
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Vidéo de Beata Umubyeyi Mairesse
Rencontre avec Beata Umubyeyi Mairesse autour de la parution de son récit le convoi aux éditions Flammarion.


Beata Umubyeyi Mairesse est née à Butare, au Rwanda, en 1979. Elle arrive en France en 1994 après avoir survécu au génocide des Tutsi. Son premier roman Tous tes enfants dispersés a reçu le Prix des Cinq continents de la Francophonie et Consolée, son deuxième roman Consolée, le Prix Kourouma 2023; les deux, publiés chez Autrement, ont été largement salués par la presse et les libraires. Consolée paraît chez J'ai lu en janvier2024.
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