Pour le commun des mortels (dont vous et moi faisons partie, dites-moi si je me trompe), «
Thérèse Raquin » (1867) est un petit peu le poisson-pilote des Rougon-Macquart. C'est le troisième roman de
Zola, après «
La confession de Claude » (1865) et «
Les Mystères de Marseille » (1867). Et c'est un roman expérimental. Et c'est bien le terme idoine (le mot juste, quoi, vous aviez compris), puisque l'auteur mettait en pratique dans ce roman des notions et des principes puisés dans « l'Introduction à la médecine expérimentale » de
Claude Bernard, un ouvrage paru en 1865. Ces principes sont essentiellement l'observation clinique, l'expérimentation et l'étude du sujet non seulement dans sa propre personnalité (y compris son patrimoine génétique) mais aussi en par rapport à son environnement, tant physique que psychologique.
Zola, déjà adepte du positivisme d'
Auguste Comte et d'
Hippolyte Taine, ne fait qu'appliquer ces principes à la littérature :
« Dans
Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus ».
On est loin du romantisme. On est même déjà plus loin que le réalisme de
Flaubert. On a pu dire que «
Thérèse Raquin » était un roman sombre, d'une noirceur totale, tant dans l'ambiance générale que des sentiments exprimés : c'est d'une justesse absolue : l'histoire des amants maudits qui tuent le mari gênant et sombrent en suivant dans leur propre folie, on a connu plus sémillant comme scénario. Noir, sombre, sordide, putride même, comme l'ont souligné les critiques, le roman est tout ça. Paradoxalement, si on se place du point de vue de
Zola, je dirais qu'il est d'une blancheur clinique, une blancheur d'hôpital, ou même de salle de dissection et c'est
Zola tient le scalpel : si les personnages éprouvent des émotions, elles sont épidermiques, en réaction aux évènements, jamais contrôlées, et il y a un contraste entre ce débordement de passions exacerbées (dans la sensualité comme dans le meurtre) avec la froideur, l'impassibilité dans lesquelles opère , c'est le mot qui convient, le narrateur. Ici, contrairement à ce que nous pourrons constater dans les Rougon-Macquart, il y a peu de compassion, les personnages sont tellement enfoncés dans la noirceur et la médiocrité qu'ils n'engendrent ni la pitié, ni un regard bienveillant.
Roman expérimental, donc. Il faut le prendre comme tel. Mais c'est aussi (heureusement) un vrai roman littéraire :
Zola fait la preuve qu'il est un véritable écrivain. Ses descriptions, toutes réalistes qu'elles soient, ont un côté impressionniste qui séduit (notamment les scènes d'extérieur). En lisant
Zola, on ne peut s'empêcher d'avoir devant les yeux des scènes de Monet ou plus encore de Caillebotte ou Degas…
En tous cas un roman qu'il faut avoir lu avant (ou après) les Rougon-Macquart, si on veut saisir toute l'ampleur de cette fresque.
Au cinéma, une bonne adaptation de
Marcel Carné en 1953 avec
Simone Signoret, Raf Vallone et
Jacques Duby.