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Citations de Erckmann-Chatrian (189)


- Le parchemin, le vieux parchemin, dit-il, j’aime ça ! Ces vieux feuillets jaunes, vermoulus, c’est tout ce qui nous reste des temps écoulés, depuis Karl-le-Grand jusqu’aujourd’hui ! Les vieilles familles s’en vont, les vieux parchemins restent ! Que serait la gloire des Hohenstaufen, des Leiningen, des Nideck et de tant d’autres races fameuses ?… Que seraient leurs titres, leurs armoiries, leurs hauts faits, leurs expéditions lointaines en Terre-Sainte, leurs alliances, leurs antiques prétentions, leurs conquêtes accomplies, et depuis longtemps effacées ?… Que serait tout cela, sans ces parchemins ? Rien ! Ces hauts barons, ces ducs, ces princes seraient comme s’ils n’avaient jamais été, eux et tout ce qui les touchait de près ou de loin !… Leurs grands châteaux, leurs palais, leurs forteresses tombent et s’effacent, ce sont des ruines, de vagues souvenirs !… De tout cela, une seule chose subsiste : la chronique, l’histoire, le chant du barde ou du minnesinger... le parchemin !
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eux qui vont aujourd’hui tranquillement à l’école de leur village et qui reçoivent en quelque sorte pour rien les leçons d’un homme instruit, honnête et très souvent capable de remplir une meilleure place, ceux-là ne se figurent pas combien d’autres, avant la Révolution, auraient envié leur sort. Ils ne se figurent pas non plus la joie d’un pauvre garçon, comme moi, lorsque M. le curé voulait bien me recevoir, et je me dis :- Tu sauras lire, écrire ; tu ne vivras pas dans l’ignorance, comme tes pauvres parents !
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Tu penses bien que j’invitai les camarades à boire l’absinthe, et que nous sortîmes tous bras dessus, bras dessous, pour aller à la cantine. Jusqu’à cinq heures on ne fit que rire, trinquer et se représenter la vie en beau. Mais à cinq heures, Grosse sonne encore une fois aux fourriers. Nous sortons, et là, devant le quartier, on annonce que le maréchal des logis Goguel est désigné pour aller rejoindre le détachement àTizi-Ouzou, avec quatre chasseurs non montés.
Tu sauras que Tizi-Ouzou se trouve en Kabylie,à trente-cinq lieues environ de Blidah, et que nous avons en cet endroit un fort qui protège les villages européens. Des hommes étaient morts là-bas, soit par maladie, soit autrement ; on envoyait quatre de nos chasseurs les remplacer et monter leurs chevaux.
C’était très bien ; mais de faire porter le porte-manteau et les bagages à mes hommes pendant trente-cinq lieues, sous le soleil d’Afrique, cela me paraissait un peu dur.J’ai toujours pensé qu’il faut ménager le soldat autant que possible, et je passai le reste de la journée à tourmenter l’intendance pour faire voiturer mes chasseurs par la charrette et la vieille bique du père Lubin, qui remplissait ce service depuis quinze ans.
On finit par me l’accorder.
Le lendemain donc, avant le petit jour, ayant harnaché mon cheval et fait compléter les effets d’habillement de mes hommes, je leur donnai l’ordre de prendre l’avance.
Moi, je courus serrer la main de mon ami Jaquel, avoué à Blidah. Mon cheval piaffait à la porte. Nous prîmes sur le pouce un petit verre de kirschen-wasser qu’il avait reçu du pays ; puis, nous étant embrassés, je sautai en selle et je rejoignis mon petit détachement d’un temps de galop.
La vieille rue des Juifs était encore déserte ; quelques bonnes femmes donnaient leur coup de balai le long des murs et tournaient la tête pour voir filer le maréchal des logis à franc étrier, le sabre sonnant contre la botte.
Une fois hors de la porte d’Alger, j’eus bientôt rattrapé la charrette, qui s’en allait au pas, avec mes quatre chasseurs fumant leur pipe à la fraîcheur du matin et causant entre eux de choses indifférentes.
Un peu plus loin, nous prîmes la route deDalmatie, chemin stratégique qui longe le pied de l’Atlas et qui devait nous conduire directement à l’Arba, notre première étape.
Jamais je n’oublierai le calme joyeux de notre départ, à cette heure matinale où la fraîcheur règne encore à l’ombre de hautes montagnes. Les cailles s’appelaient et se répondaient au milieu des blés ; elles sont innombrables enAlgérie. À notre droite montait l’Atlas, avec ses broussailles de lentisques et d’ajoncs dorés ; à notre gauche s’étendait la plaine de la Métidja, couverte de récoltes, et ses mille ruisseaux qui sortent en bouillonnant des gorges voisines.
À mesure que s’élevait le soleil, les tourterelles, les rossignols et d’autres oiseaux du pays s’égosillaient dans les sycomores, et nous distinguions mieux, à travers le crépuscule, la grande masse de pierres en pyramide qu’on appelle le Tombeau de la Reine, et, tout au bout de l’horizon, le grand mont du Zackar.
C’était quelque chose d’immense, personne ne peut se faire une idée de cette abondance des biens de la terre.
Si l’on avait construit des chemins de fer enAlgérie depuis trente ans, les villages seraient venus se poser par milliers sur leur parcours, comme on le raconte de l’Amérique ; nous aurions là une France plus belle et plus riche que la première. Mais nous autres, nous voulons que les villages existent avant d’établir des routes et des chemins de fer ; nous donnons des pays entiers à des gens qui ne cultivent rien, et puis nous avons les bureaux arabes. Tu ne sais peut-être pas ce que c’est qu’un bureau arabe, je vais te le dire, ce ne sera pas long.
D’abord, toute l’Algérie est divisée en trois grandes provinces : celle d’Alger au centre, celle d’Oran à l’ouest, et celle de Constantine à l’est.
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Ce que je ne peux pas comprendre, c'est qu'un homme grave tel que vous, dans une assemblée que toutes les nations regardent, parce qu'elle représente la France, vous monsieur le député, vous alliez crier comme dans un cabaret, chaque fois qu'on parle de la République, et que vous tapiez sur votre pupitre avec un couteau à papier, en riant jusqu'aux oreilles, en faisant la bête, de manière à déshonorer notre pays aux yeux des étrangers qui sont là, dans les tribunes, et qui naturellement se figurent que nous sommes tous aussi dépourvus de sens que vous, puisque nous vous avons choisi pour nous représenter.
(...)
Souverain de quoi, monsieur le député, je vous le demande. Souverain des gens qui vous ont nommé, qui vous payent pour les représenter à la Chambre?...
Allons donc ! Celui que je paye n'est pas mon souverain, c'est mon commis et rien de plus.
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Nous eûmes mille peines à entrer sous la voûte de la mairie, et à grimper le vieil escalier de chêne, où les gens montaient et descendaient comme une véritable fourmilière. Dans la grande salle en haut, le gendarme Kelz se promenait, maintenant l'ordre autant que possible. Et dans la chambre du conseil, à côté, - où se trouve peinte la Justice un bandeau sur les yeux, - on entendait crier les numéros. De temps en temps un conscrit sortait, la face gonflée de sang, attachant son numéro sur son bonnet, et s'en allant la tête basse à travers la foule, comme un taureau furieux qui ne voit plus clair, et qui voudrait se casser les cornes au mur. D'autres, au contraire, passaient pâles comme des morts.
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Le lendemain, la nouvelle de l’entrée des alliés à Paris était affichée aux portes de l’église et aux piliers de la halle. On n’a jamais su par qui. Dans ce temps on parla de M. de la Vablerie et de trois ou quatre autres émigrés, capables d’avoir fait le coup, mais rien n’était certain.
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Le contrebandier, grâce à sa connaissance approfondie de tous les défilés de la montagne, et de tous les chemins de traverse de Dagsburg à Sarrbrück, de Raon-l'Etape à Bâle en Suisse, se trouvait toujours à quinze lieues de tous les endroits où l'on avait commis un mauvais coup.

2139 - [Le Livre de poche n° 5075, p. 61]
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Cette lettre fut une grande consolation pour nous tous.
Et quand je songe que nous étions alors le 8 avril et que bientôt allaient commencer les batailles, je la regarde comme un dernier adieu du pays pour la moitié d'entre nous : - plusieurs ne devraient plus entendre parler de leurs parents, de leurs amis, de ceux qui les aimaient en ce monde.
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Nous arrivâmes à minuit au tournant d'un chemin, près d'une espèce de ferme couverte en chaume et pleine d'officiers supérieurs. Ce n'était pas loin de la grande route, car on entendait défiler la cavalerie, l'artillerie et les équipages comme un torrent. Le capitaine venait à peine d'entrer à la ferme, que plusieurs d'entre nous se précipitèrent dans le jardin à travers les haies. Je fis comme les autres, et j'empoignai des raves. Presque aussitôt tout le bataillon suivit ce mouvement, malgré les cris des officiers; chacun se mit à déterrer ce qu'il put avec sa baïonnette, et, deux minutes après, il ne restait plus rien. Les sergents et les caporaux étaient venus avec nous; lorsque le capitaine revint, on avait déjà repris les rangs.
Ceux qui volent et pillent en campagne méritent d'être fusillés, mais que voulez-vous? les villages qu'on rencontrait n'avaient pas le quart de vivres qu'il aurait fallu pour nourrir tant de monde.
Les Anglais avaient déjà presque tout pris. Il nous restait bien encore un peu de riz, mais le riz sans viande ne soutient pas beaucoup. Les Anglais, eux, recevaient des boeufs et des moutons de Bruxelles; ils étaient bien nourris et tout luisants de bonne santé. Nous autres, nous étions venus trop vite, les convois de vivres étaient en retard; et le lendemain, qui devait être la terrible bataille de Waterloo, nous ne reçûmes que la ration d'eau-de-vie.
Enfin, en partant de là, nous montâmes une petite côte, et malgré la pluie, nous aperçûmes les bivouacs des Anglais. On nous fit prendre position dans les blés entre plusieurs régiments qu'on ne voyait pas, parce qu'on avait l'ordre de ne pas allumer de feu, de peur d'effaroucher l'ennemi s'il nous voyait en ligne, et de le décider à continuer sa retraite.
Représentez-vous des hommes couchés dans les blés, sous une pluie battante, comme de véritables Bohémiens, grelottant de froid, songeant à massacrer leurs semblables, et bien heureux d'avoir un navet, une rave ou n'importe quoi pour soutenir un peu leurs forces.
Cela ne nous empêchait pas de claquer des dents, et de voir en face de nous les Anglais, qui se réchauffaient et se gobergeaient autour de leurs grands feux, après avoir reçu leur ration de boeuf d'eau-de-vie et de tabac. Je pensais :
« C'est nous, pauvres diables, trempés jusqu'à la moelle des os, qui sommes forcés d'attaquer ces hommes remplis de confiance en eux-mêmes, et qui ne manquent ni de canons, ni de munitions, ni de rien.; qui dorment les pieds au feu, la panse bien garnie, pendant que nous couchons dans la boue ! »
Toute la nuit ce spectacle me révoltait. Buche disait:
« La pluie ne me fait rien, j'en ai supporté bien d'autres à l'affût; mais au moins j'avais une croûte de pain, des oignons et du sel. "
Il se fâchait. Pour ma part, j'étais attendri sur mon propre sort et je ne disais rien.
Entre deux et trois heures de la nuit, la pluie avait cessé. Buche et moi, nous étions dos à dos dans le creux d'un sillon, pour nous réchauffer, et la grande fatigue avait fini par m'endormir.
Une chose que je n'oublierai jamais, c'est le moment où je me réveillai, vers les cinq heures du matin : les cloches des villages sonnaient matines sur cette grande plaine ; et, regardant les blés renversés, les camarades couchés à droite et à gauche, le ciel gris, cette grande désolation me fit grelotter le coeur. Le son des cloches qui se répondaient de Planchenois à Genappe, à Frichemont, à Waterloo me rappelait Phalsbourg; je me disais :
" C'est aujourd'hui dimanche, un jour de paix et de repos. M. Goulden a mis hier son bel habit au dos de la chaise, avec une chemise blanche. Il se lève maintenant, et pense à moi.... Catherine aussi se lève dans notre petite chambre ; elle est assise sur le lit et pleure; et la tante Grédel aux Quatre-Vents pousse ses volets ; elle a tiré de l'armoire son livre de prières pour aller à la messe. »
Et j'entendais les cloches de Dann, de Mittelbronn, de Bigelberg bourdonner dans le silence. Je me figurais cette bonne vie tranquille .... J'aurais voulu fondre en larmes ! Mais le roulement commençait, un roulement sourd comme dans les temps humides, quelque chose de sinistre. Du côté de la grande route, à gauche, on battait la générale, les trompettes de cavalerie sonnaient le réveil. On se levait, on regardait par-dessus les blés. Ces trois jours de marche et de combats, le mauvais temps et l'oubli des rations avaient rendu les hommes plus sombres. On ne parlait pas comme à Ligny ; chacun regardait et réfléchissait pour son propre compte.
On voyait aussi que ce serait une plus grande bataille, parce qu'au lieu d'avoir des villages bien occupés en première ligne, et qui font autant de combats séparés, ici c'était une grande plaine élevée, nue, occupée par les Anglais; derrière leurs lignes, au haut de la côte, se trouvait le village de Mont-Saint-Jean, et beaucoup plus loin, à près d'une lieue et demie, une grande forêt qui bordait le ciel.
Entre les Anglais et nous, le terrain descendait doucement et se relevait de notre côté ; mais il fallait avoir l'habitude de-la campagne pour voir ce petit vallon, qui devenait plus profond à droite et se resserrait en forme de ravin. Sur la pente de ce ravin, de notre côté, derrière des haies, des peupliers et d'autres arbres, quelques maisons couvertes de chaume indiquaient un hameau; c'était Planchenois. Dans la même direction, mais bien plus haut et derrière la gauche de l'ennemi, s'étendait une plaine à perte de vue, parsemée de petits villages.
C'est en temps de pluie, après un orage, que ces choses se distinguent le mieux; tout est bleu sombre sur un fond clair. On découvrait jusqu'au petit village de Saint-Lambert, à trois lieues de nous sur la droite.
A notre gauche, et derrière la droite des Anglais, se voyaient aussi d'autres petits villages dont je n'ai jamais su le nom.
Voilà ce que nous découvrions au premier coup d'oeil dans ce grand pays plein de magnifiques récoltes encore en fleur, et chacun se demandait pourquoi les Anglais étaient là, quel avantage ils avaient à garder cette position. Alors on observait mieux leur ligne, à quinze cents ou deux mille mètres de nous et l'on voyait que la grande route que nous avions suivie depuis les Quatre-Bras, et qui se rend à Bruxelles, cette route large, bien arrondie et même pavée au milieu, traversait la position de l'ennemi à peu près au centre; elle était droite, et l'on pouvait la suivre des yeux jusqu'au village de Mont-Saint-Jean, et même plus loin, jusqu'à l'entrée de la grande forêt de Soignes. Les Anglais voulaient donc la défendre, pour nous empêcher d'aller à Bruxelles.
En regardant bien, on voyait que leur ligne de bataille se courbait un peu de notre côté sur les deux ailes, et suivait un chemin creux qui coupait la route de Bruxelles en croix. Ce chemin était tout à fait creux à gauche de la route, à droite il était bordé de grandes haies de houx et de petits hêtres, comme il s'en trouve dans ce pays. Là, derrière, étaient postées des masses d'habits rouges, qui nous observaient de leur chemin couvert ; le devant de leur côte descendait en pente comme des glacis : c'était très dangereux.
Et sur leurs ailes, qui se prolongeaient d'environ trois quarts de lieue, était de la cavalerie innombrable. On voyait aussi de la cavalerie sur le haut du plateau, dans l'endroit où la grande route, après avoir passé la colline, descend avant de remonter vers Mont-Saint-Jean ; car on comprenait très bien qu'il se trouvait un creux entre la position des Anglais et ce village, pas bien profond, puisque les plumets de la cavalerie s'apercevaient, mais assez profond pour y tenir de grandes forces en réserve à l'abri de nos boulets.
J'avais déjà vu Weissenfelz, Lutzen, Leipzig et Ligny : je commençais à comprendre ce que les choses veulent dire, pourquoi l'on se place d'une manière plutôt que d'une autre, et je trouvais que ces Anglais s'étaient très bien arrangés dans leur chemin pour défendre la route, et que leurs réserves, bien abritées sur le plateau, montraient chez ces gens beaucoup de bon sens naturel.
Malgré cela, trois choses me parurent alors avantageuses pour nous. Ces Anglais, avec leur chemin couvert et leurs réserves bien cachées, étaient comme dans une grande fortification. Mais tout le monde sait qu'en temps de guerre on démolit tout de suite, autour des places fortes, les bâtiments trop près des remparts, pour empêcher l'ennemi de s'en emparer et de s'abriter derrière. Eh bien ! juste sur leur centre, le long de la grande route et sur la pente de leurs glacis, se trouvait une ferme dans le genre de la Roulette, aux Quatre-Vents, mais cinq ou six fois plus grande. Je la voyais très bien de la hauteur où nous étions : c'était un grand carré, les bâtisses, la maison, les écuries et les granges en triangle du côté des Anglais, et l'autre moitié du triangle, formée d'un mur et de hangars, de notre côté; la cour à l'intérieur. L'un des pans de ce mur donnait sur les champs avec une petite porte, et l'autre sur la route, avec une porte cochère pour les voitures. C'était construit en briques bien solides. Naturellement les Anglais l'avaient garnie de troupes, comme une espèce de demi-lune; mais si nous avions la chance de l'enlever, nous étions tout près de leur centre, et nous pouvions lancer sur eux nos colonnes d'attaque, sans rester longtemps sous leur feu.
Voilà ce que nous avions de meilleur pour nous. Cette ferme s'appelait la Haie-Sainte, comme nous l'avons su depuis.
Plus loin, en avant de leur aile droite, dans un fond, se trouvait une autre ferme avec un petit bois, que nous pouvions aussi tâcher d'enlever. Cette ferme, d'où j'étais on ne la voyait pas, mais elle devait être encore plus solide que la Haie-Sainte, puisqu'un verger entouré de murs et plus loin un bois la couvraient. Le feu des fenêtres donnait dans le verger, le feu du verger donnait dans le bois, le feu du bois donnait sur la côte, l'ennemi pouvait battre en retraite de l'un dans l'autre.
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En face de la chapelle Saint-Sébalt, à Nuremberg, au coin de la rue des Trabans, s’élève une petite auberge, étroite et haute, le pignon dentelé, les vitres poudreuses, le toit surmonté d’une Vierge en plâtre. C’est là que j’ai passé les plus tristes jours de ma vie. J’étais allé à Nuremberg pour étudier les vieux maîtres allemands ; mais, faute d’espèces sonnantes, il me fallut faire des portraits… et quels portraits ! De grosses commères, leur chat sur les genoux, des échevins en perruque, des bourgmestres en tricorne, le tout enluminé d’ocre et de vermillon à plein godet.

Des portraits, je descendis aux croquis, et des croquis aux silhouettes.

Rien de pitoyable comme d’avoir constamment sur le dos un maître d’hôtel, les lèvres pincées, la voix criarde, l’air impudent, qui vient vous dire chaque jour : « » Ah çà ! me payerez-vous bientôt, Monsieur ? savez-vous à combien se monte votre note ? Non, cela ne vous inquiète pas… Monsieur mange, boit et dort tranquillement… Aux petits oiseaux le Seigneur donne la pâture. La note de Monsieur se monte à deux cents florins et dix kreutzer… ce n’est pas la peine qu’on en parle. »
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Fritz, me dit-il d'un air solennel, tu es un savant, tu as étudié bien des choses dont je ne connais pas la première lettre ; eh bien ! apprends de moi qu'on a toujours tort de rire de ce qu'on ne comprend pas.

"Hugues le loup".
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« Les beignets sont excellents, Katel, excellents ! Il est facile de reconnaître que tu as suivi la recette aussi bien que possible. Et cependant, écoute bien ceci – ce n’est pas un reproche que je veux te faire –, mais ceux de la ferme étaient meilleurs ; ils avaient quelque chose de plus fin, de plus délicat, une espèce de parfum particulier – fit-il en levant le doigt –, je ne peux pas t’expliquer cela ; c’était moins fort, si tu veux, mais beaucoup plus agréable.
– J’ai peut-être mis trop de cannelle ?
– Non, non, c’est bien, c’est très bien ; mais cette petite Sûzel, vois-tu, a l’inspiration des beignets, comme toi l’inspiration de la dinde farcie aux châtaignes.
– C’est bien possible, monsieur.
– C’est positif. J’aurais tort de ne pas trouver ces beignets délicieux ; mais au-dessus des meilleures choses, il y a ce que le professeur Speck appelle “l’idéal” ; cela veut dire quelque chose de poétique, de...
– Oui, monsieur, je comprends, fit Katel : par exemple, comme les saucisses de la mère Hâfen, que personne ne pouvait réussir aussi bien qu’elle, à cause des trois clous de girofles qui manquaient.
– Non, ce n’est pas mon idée ; rien n’y manque, et malgré tout... »
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C'est notre défaut à nous autres Français, de nous attacher aux hommes plus qu'aux principes, et de leur croire tous les talents et toutes les vertus, du moment qu'ils défendent nos idées : il nous faut absolument des chefs ! Cette malheureuse faiblesse de notre nation est cause des plus grands malheurs; elle a divisé les républicains, elle les a poussés à se détruire les uns les autres et finalement elle a perdu la république .
Chauvel seul, de tous les patriotes que j'ai connus en ce temps,mettait les principes bien au dessus des hommes ; il avait raison, car les hommes passent et les principes sont éternels .
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(Phalsbourg 20 décembre 1813) - Devant l’église, sur la place d'armes, stationnaient quinze ou vingt charrettes de blessés, arrivant de Leipzig et de Hanau. Ces malheureux, pâles, hâves, l’œil sombre, les uns déjà amputés, les autres n'ayant pas même été pansés, attendaient tranquillement la mort. (…) On frissonnait à voir ces groupes d'hommes mornes, avec leurs grandes, capotes grises, entassés sur la paille sanglante, l'un portant son bras cassé sur ses genoux, l'autre la tête bandée d'un vieux mouchoir ; un troisième, déjà mort servant de siège aux vivants, les mains noires pendant entre les échelles. Hullin en face de ce lugubre spectacle, resta cloué au sol. Il ne pouvait en détacher ses yeux. Les grandes douleurs humaines ont ce pouvoir étrange de nous fasciner ; nous voulons voir comment les hommes périssent, comment ils regardent la mort : les meilleurs ne sont pas exempts de cette affreuse curiosité. Il semble que l’éternité va nous livrer son secret !

2129 - [Le Livre de poche n° 5075, p. 35/36]
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C'est sur l'ignorance des peuples qu'on bâtit des trônes et qu'on fonde le despotisme.
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La grande masse suit ses habitudes comme un troupeau, et c'est pour cela que l'éducation fait non seulement les individus, mais les nations tout entières
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Mais alors, elle, sans me regarder, sans m'écouter, se prit à jeter des cris de paon, des cris à vous déchirer les oreilles, tout en grimpant l'escalier aussi vite que lui permettait son énorme corpulence. De mon côté, saisi d'une horreur inexprimable, je m'accrochai à sa robe, pour la prier à genoux. Mais ce fut pis encore. J'avais beau lui dire : "Madame, regardez-moi. Je ne suis pas ce que vous pensez..." Bah ! Elle était folle d'épouvante, elle radotait, elle bégayait, elle piaillait d'un accent si aigre que si nus n'eussions été sous terre, tout le quartier en eut été réveillé.
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« Ainsi tant de souffrances, tant de larmes, deux millions d'hommes sacrifiés sur les champs de bataille, tout cela n'avait abouti qu'à faire envahir notre patrie. »
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C'est le 15 septembre 1812 qu'on apprit notre grande victoire de la Moskowa. Tout le monde était dans la jubilation et s'écriait : "Maintenant nous allons avoir la paix... maintenant la guerre est finie..."
Quelques mauvais gueux disaient qu'il restait à prendre la Chine ; on rencontre toujours des être pareils pour désoler les gens.
Huit jour après, on sut que nous étions à Moscou, la plus grande ville de Russie et la plus riche ; chacun se figurait le butin que nous allions avoir, et l'on pensait que cela ferait diminuer les contributions. Mais bientôt le bruit courut que les Russes avaient mis le feu dans leur ville, et qu'il allait falloir battre en retraite sur la Pologne, si l'on ne voulait pas périr de faim. On ne parlait que de cela dans les auberges, dans les brasseries, à la halle aux blés, partout ; on ne pouvait se rencontrer sans se demander aussitôt : "Eh bien... eh bien... ça va mal... la retraite a commencé!"
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Étant donc montés sur le talus, nous vîmes d’où venait l’attention de ce monde. Tous les ennemis, Autrichiens, Bavarois, Wurtembergeois, Russes, cavalerie et infanterie, mêlés ensemble, se répandait autour de leurs retranchements comme des fourmilières, s’embrassant, se serrant la main, levant les shakos au bout des baïonnettes, agitant des branches d’arbres, qui commençaient à verdir.
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