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Critiques de Alberto Moravia (266)
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Le Conformiste

Marcello ! Non, ce n'est pas celui qu'Anita Ekberg poursuivait de ses pulpeux atours autour de la fontaine de Trévi, aux grandes heures du cinéma italien. Ce Marcello-là, n'a aucune disposition pour la Dolce Vita. Enfant, il a été persécuté par ses camarades d'école qui le trouvait efféminé. Il se sent différent, fait preuve de cruauté vis-à-vis des animaux et échappe de peu à un pédophile. Quand on se sent différent, que les autres vous le font méchamment comprendre, il est très difficile d'accepter sa différence. Marcello aspire à rentrer dans le rang et à la normalité la plus banale. Il fera tout pour se conformer à la norme, sociale, sexuelle, affective, politique. Et lorsqu'il devient un obscur mais ordinaire fonctionnaire, dans cette Italie de la fin des années trente, cela signifie aussi se compromettre et prêter main forte (ou faible) aux basses besognes d'un régime dictatorial.

« Dans son désir de se soumettre à une norme quelconque, il n'avait pas choisi celle de la religion chrétienne qui défend de tuer, mais bien une autre, toute différente, politique celle-là et de fondation récente, à laquelle le sang ne répugnait pas. »

C'est glaçant, d'autant que le personnage n'éprouve en général, aucune émotion, n'a d'empathie pour rien ni personne, même pas pour le fascisme et ses dirigeants sur lesquels il ne se fait aucune illusion. Il est fasciste parce que c'est la norme et parce qu'il éprouve… «Une aspiration à être normal; une volonté d'adaptation à une règle reconnue et générale; un désir de ressembler à tous les autres puisque, être différent signifiait être coupable. »

Et si nous tentions, cinq minutes, de quitter le conformisme qui cantonnerait ce roman à une énième condamnation du fascisme. Oublions un peu le fascisme, il appartient au passé, même s'il renaît perpétuellement sous d'autres formes, dans d'autres lieux, en se drapant d'autres oripeaux, avec la même bêtise, la même lâcheté et les mêmes bassesses. Ce serait, à mon sens, particulièrement réducteur pour ce roman, à l'écriture fluide et à la lecture facile, qui mérite mieux que quelques larmes de crocodile à verser sur un passé tragique : «C'était donc cela le passé : ce vacarme devenu silence, cette ardeur désormais éteinte auxquels la matière même du journal, ce papier jauni qui, avec les années, s'effrite et tombe en poussière, prêtait un caractère vulgaire et médiocre. le passé était fait de violences, d'erreurs, de duperies, de futilités, extravagantes et qui assourdissent… seules choses que, jour par jour, les hommes trouvaient dignes d'être publiées et transmises à la postérité. La vie normale et profonde était absente de ces feuillets… »

C'est avant tout un roman sur la différence, la culpabilité, le refoulement, le besoin d'être accepté, d'être considéré comme normal, d'appartenir au groupe et, pour finir, sur le manque d'empathie.

« Et se découvrir insensible, c'était se découvrir guéri. » C'est bien souvent, ce manque d'imagination et d'empathie, qui conduit des individus ordinaires, assurés qu'ils sont d'être en conformité avec les autorités ou l'air du temps, à se conduire, vis-à-vis de ceux qu'on leur a désigné comme différents, comme la lie de l'humanité. C'est autant valable pour les sicaires nazis ou mussoliniens, que pour les nervis des goulags soviétiques et les égorgeurs d'otages ou les crucificateurs d'aujourd'hui.

Mais quid de l'homo occidentalus qui écrit ce billet ou qui le lit en cet instant ? Il n'a pas de sang sur les mains, mais est-il, pour autant, prêt à accepter ou à cultiver sa différence. Ne ressent-il pas le même besoin de se conformer ? N'est-il pas ravi de penser ce que la majorité pense (les médias sont là pour penser à votre place), sans s'être trop documenté ni interrogé ? N'est-il pas ravi de porter les mêmes vêtements, de manger les mêmes repas que ses voisins ou de faire un cadeau à son conjoint le 14 février en même temps que tout le monde ? N'est-il pas heureux de s'en aller chanter, hurler, conspuer et insulter dans un stade, qui l'arbitre, qui l'adversaire, qui le joueur qui ne se conforme pas à ce qu'on attend de lui ? Aussi anonyme qu'on peut l'être, perdu dans une foule, ne se sent-il pas assez fort et invulnérable pour ne pas résister à la tentation de se montrer sous un jour dont il aurait honte s'il était tout seul ?

N'accablons pas (trop) le vulgum pecus car l'Epoque est, elle-aussi, à la conformité, si ce n'est au conformisme. Ces normes énormes dont on finirait par se demander si leur seul but n'est pas d'assurer la subsistance d'une armée de normeurs s'acharnant sur le dos de normés redoutant tous de ne plus être conformes. Tout cela est-il bien normal ? Attention, car, dans l'industrie, les produits non conformes vont au rebus. le Conformisme n'est-il pas un des symptômes d'une société totalitaire ?

Allez, je dois vous quitter, on m'attend pour le Contrôle technique. Pourvu qu'ils ne trouvent rien d'anormal.

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Le Conformiste

Ce roman a reçu un accueil tiède lors de sa sortie : on lui a reproché son cheminement trop didactique, ainsi qu'une condamnation trop réservée du fascisme. Didactique, il l'est, mais c'est du Moravia, et je le trouve magistral ainsi. Quant au fascisme, l'auteur l'a utilisé parce qu'il aime parler de ce qu'il connaît et qu'il lui a paru propre à illustrer le consensus italien de son époque : et on ne peut certes pas le soupçonner, sans une certaine mauvaise foi, de lui avoir été favorable. Mais il aurait tout aussi bien pu se référer à une autre idéologie totalitaire (la définition du totalitarisme étant la pression horizontale exercée par chacun des membres d'une société sur tous les autres, à la différence de l'autoritarisme qui suppose une pression hiérarchique exercée du haut vers le bas.) C'est le premier mode de fonctionnement qui intéresse Moravia en tant que générant une norme à laquelle tous veulent se conformer, ce qui engendre surveillances réciproques, contention des instincts et mélancolie. Mélancolique, Marcel l'est, puisqu'il se condamne par culpabilité à ne pas vivre sa propre vie, mais celle qu'il s'imagine devoir vivre : sa peur de la liberté le conduit au terrorisme par fidélité envers un régime qui lui déplaît mais qu'il suppose devoir soutenir par allégeance envers le plus grand nombre, détenteur, croit-il, de la normalité. Bien sûr, n'étant au fond ni conformiste, ni fasciste, il échouera, et comprendra juste à temps (pour une possible rédemption ?) qu'être libre n'est pas choisir ce qu'on est, mais croître et grandir en plein accord avec ce qu'on est. Spinoziste, Moravia ? En tous cas il s'inscrit dans le courant existentialiste de son temps, même s'il ne privilégie pas l'action politique comme Sartre. Bien au-delà de tous les "ismes", ce roman est une profonde et subtile méditation sur la liberté, et sur une infinité d'autres sujets.

A ne lire qu'un livre d'Alberto Moravia, il faut lire celui-ci.
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Les Indifférents

Les Indifférents est une manière de huis clos autour de cinq personnages, une famille de bourgeois en difficulté financière et l'amant de la mère qui la tient par l’hypothèque sur la villa que cette dernière à contracté auprès de lui. C'est une étude de mœurs d'une acuité sans merci sur une bourgeoisie à bout de souffle, vivant de faux semblants, minés par l'ennui, la lassitude, l'indifférence, la perte d'énergie vitale et de valeurs morales. Le fils de la famille, Michel, est un être plein de velléités, d'aspirations, de révolte, mais qui est toujours gagné par le renoncement. Son regard désabusé, distancié, spectateur, face au spectacle affligeant des attitudes et des postures des protagonistes fait de lui un second narrateur; c'est un Meursault avant l'heure.



Le présent roman est une oeuvre de jeunesse de l'auteur et qui a connu un fort beau succès de scandale. Il est vrai que la description acerbe de la turpitude morale et de la bêtise foncière des protagonistes est des plus réjouissante à l’œil de l'amateur de satyre et d'étude de mœurs acide.
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La Désobéissance

Un roman d'initiation que tout jeune adulte en devenir devrait lire. Moravia déploie ici une description juste et à laquelle chaque adolescent peut s'y identifier : le passage difficile de l'enfance à l'âge adulte. Cet adolescent, Luca passe par des moments de douleurs, de torpeurs, d'envie de mort... Il affronte son corps qui change, se transforme, la haine qu'il éprouve à l'égard de tout ce qu'il aimait auparavant : l'école, la complaisance de ces parents... Seul dans sa chambre d'étudiant, observant le temps changeant depuis sa fenêtre, il est lasse d'étudier, il n'a même plus la volonté de réussir quoique ce soit. Ses parents l'héritent : la bonté un peu naïve de son père faisant chaque soir les mêmes gestes mécaniques lorsqu'il lit le journal, la nature autoritaire et froide de sa mère. Il est fatigué d'obéir, il est fatigué de se soumettre, de se conformer. Un événement sera à l'origine de ce bouleversement de Luca : le jeune adolescent qu'il est surprend ces parents en train de cacher leur argent avidement, dans une coffre, derrière un tableau pourtant saint, en dessous duquel ils sont l'habitude de prier. Cette adoration de l'argent révoltera Lucas, il commencera à haïr la propriété, cette manie de la possession : il se débarrassera de timbres, de jouets... Enfin, il se lasse même de la vie. Il décide de chercher la mort pour désobéir à cette obligation qui lui est imposée : celle de vivre. Il tombe malade, se s'accroche plus à rien, la mort est vécue par lui comme un défi qu'il impose à la société et à ses parents. Mais, Il finira par guérir de cette maladie de la désobéissance en découvrant tout ce que peuvent apporter ces sens, en découvrant le plaisir charnel et sensuel à travers deux images de femmes quasi maternelles : une gouvernante et une infirmière qu'il va tour à tour désirer tout en éprouvant un sentiment paradoxal de dégout. Moravia décrit ici, simplement les tourmentes d'un adolescent, révolté et anticonformiste qui sera sauvé par ce que lui apportent ces deux femmes : un refuge auquel il peut s'accrocher.
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Nouvelles romaines

Sympathique, mais parfois assez plat.

On s'attend à un peu de pêche, l'auteur nous prépare à des finaux surprenants et souvent, les attentes sont déçues.

Ça reste tout de même bien écrit, facile à lire.
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L'Amour conjugal

Le narrateur est un riche oisif qui rêve de devenir écrivain. Son récent mariage lui donne le courage nécessaire de réaliser ce souhait : sa femme le pousse en effet à s’investir dans ce projet. Ils se retireront dans la campagne, isolés du monde, jusqu’à ce que le livre soit prêt.



Entraîné par une imagination débordante, il se voit soudain pétri de talent, et sa femme devient la muse qu’il attendait depuis toujours. Obnubilé par son futur livre, il lui annonce même la fin de leurs rapports sexuels, qui pourraient perturber son rythme de travail. Convaincu de l’amour qu’il porte à son épouse, et persuadé que cet amour est forcément réciproque, d’autant plus qu’il est sacralisé par un mariage récent, notre écrivain en herbe ne réalise pas qu’il s’enferme dans une vision du monde de plus en plus en décalage avec la réalité.



Livre un brin cynique, qui montre que l’amour qu’on pense éprouver pour quelqu’un n’est parfois que nos désirs plaqués de force sur quelqu’un d’autre, qui se laisse rarement enfermer dans le rôle qu’on lui assigne. Mais aussi qu’un réel amour peut naître une fois que les masques sont tombés et qu’on accepte l’autre tel qu’il est.
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Le Mépris

Quel beau livre, quelle intelligence, quelle subtilité et quel désenchantement. C’est la descente aux enfers de Ricardo. Il se rêve auteur de théâtre mais, désargenté, écrit des scénarios pour offrir à sa femme, somptueusement belle mais à son estime inculte, l’aisance matérielle à laquelle elle aspire. Leur couple va se déliter sans qu’il en comprenne les causes et en n’ayant de cesse les chercher. En vain. Elle ne lui opposera que le constat de son mépris. La condamnation sans appel dont il s’épuisera à rechercher les racines. Dans l’ébauche d’une infidélité, dans le malentendu qui aurait consisté à la jeter par opportunisme professionnel dans les bras de son producteur, Battista. Réflexion profonde sur les lectures contradictoires et contrastées de l’Odyssée, film dont il est appelé à écrire le scénario. Il y a la vision de Battista, un film à grand spectacle, un point c’est tout. Il y a la vision du réalisateur, Rheingold qui voit dans Ulysse l’homme moderne et pragmatique qui fuit Pénélope, la femme barbare qui attendait de lui qu’il se comporte en homme, soit qu’il massacre les prétendants. Et puis la vision de Ricardo, le simple héros épique, le héros d’un temps passé, désespérément révolu. Il ne trouvera pas dans l’Odyssée l’explication du mépris, sans doute parce que ce mépris ne s’explique pas. Il vient d’une admiration effacée, de ces tous petits détails qui abîment. SI Emilia, à la marge, consent à se laisser séduire par Battista, ce n’est assurément parce qu’elle rechercherait l’aisance et la richesse, mais bien par une forme de lassitude, sinon de désespoir pudique. Poignante, quand en larmes, elle dit à Ricardo qu’elle lui en veut de ne plus l’aimer et qu’il est le seul homme qu’elle aura aimé. Bien sûr, le propos est quelque peu daté : l’homme est l’intellectuel cultivé confronté à la femme acculturée qui n’a à lui opposer que sa beauté et son instinct. Mais, au-delà de cette concession à une époque que l’on veut révolue, le propos est universel. Il n’y a pas d’amour durable sans admiration. Et les mots ne servent à rien : les mots à entendre et les mots à dire… Ricardo, en les multipliant, ne fait que pétrifier l’échec de son couple.
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Le Mépris

Un vrai chef d'oeuvre .

Moravia distille avec brio comment un changement de situation brutal peut briser un couple ...le couple se déteriore jusqu'à ce que la femme avoue a son mari combien elle le méprise.

A lire absolument...un grand classique de la littérature italienne
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Le Mépris

Deux ans de mariage, deux ans de bonheur pour Emilia et Riccardo. Et puis, plus rien.... Mais que s'est-il passé ? comment une pareille chose a-t-elle pu se produire ? Pourquoi Emilia se comporte-t-elle ainsi ?

Riccardo Molteni, dévasté, se livre à une douloureuse et méticuleuse introspection pour tenter de comprendre la désaffection de son épouse et pire ... le mépris qu'enfin elle avoue éprouver pour lui !

Il questionne, harcèle sa femme, se perd en conjectures, s'interroge sur les raisons possibles ou probables de son changement d'attitude, ne comprend rien, souffre, reprend espoir, analyse scrupuleusement, bouscule Emilia, pleure, demande pardon .... mais pourquoi ce mépris ?



Avant le mépris, il y a le talent. Et celui de Moravia éclate à chaque page, à chaque ligne, ou presque !



Le climat devient étouffant, l'air irrespirable et cela, sous le soleil printanier de Capri, au bord de cette mer dont la couleur est un véritable enchantement, si calme et belle, dans ce décor de rêve fait pour le bonheur et où le malheur et le chagrin ravagent cet homme éperdu, se noyant dans ses funestes interrogations.



D' Emilia, nous ne saurons presque rien.

Nous n'aurons d'elle que l'image que veut bien nous en donner son mari, autant dire donc un portrait bien incomplet.

Nous ne verrons d'elle que son agacement et ne saurons jamais ce qu'elle pense ... et elle n'apparaîtra que comme l'inaccessible déesse qu'elle devient pour Riccardo.



Du coup le lecteur se sent frustré. Il voudrait bien savoir ce qu'il y a dans la tête de cette femme, pourquoi elle se met à mépriser un homme qui l'aime tant ....

et c'est aussi là que réside le talent de Moravia. Nous n'en connaîtrons pas plus que son héros et demeurerons donc amarrés à la vision forcément tronquée du mari !



Moravia nous impose, à la force de son verbe puissant, de ses évocations précises, une impitoyable analyse du couple, âpre, cruelle, désespérante ! Il nous en conte l'impossible entente, en détaille la chimérique harmonie, en trace le portrait glaçant tandis que Riccardo décortique avec obstination, vient et revient incessamment sur les raisons d'un échec qu'il ne peut pas comprendre, et que le lecteur haletant se coule, inquiet, bouleversé au fond de l'âme du héros.

Passionnant !

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Les Indifférents

Il y a ceux qui se meuvent avec facilité dans le monde, sans interrogation éthique ; ils savent ce qu'ils veulent et prennent le plus court chemin pour y parvenir : ils ont toutes les cartes en main parce qu'ils y ont travaillé sans relâche et ils remportent la mise. Tel est Léo.

Il y a les rêveurs, ceux qui vivent entre deux mondes : une réalité dont ils s'évadent le plus souvent possible car ils y sont impuissants et s'y laissent déposséder par paresse ou par bêtise ; un univers onirique rempli de dangereuses chimère et d'un sentimentalisme creux. Telles sont Marie-Grâce et Lisa.

Il y a ceux enfin que leur lucidité et leur horreur du mensonge ne sauvera pas, ni ne rendra plus moraux, car leur incapacité à agir ne leur permet d'éviter aucun écueil : tels sont Carla et Michel.



Le monde d'Alberto Moravia était désenchanté déjà à l'âge où il écrivit "Les indifférents", c'est à dire entre dix huit et vint et un ans. Il est vrai que, cloué au lit par une tuberculose osseuse, il avait une vision acérée et impuissante de son époque sans horizon et de son pays, rongé par une bien-pensance et une hypocrisie qui conféraient aux moeurs et à la culture un provincialisme abhorré.

Les indifférents furent édités en 1949 et firent un scandale à leur sortie du fait de leur immoralité. Un peu plus tard, ils furent salués pour leur projet moral. Les deux ne s'excluent pas : en brossant une société de petite bourgeoisie nauséabonde, le narrateur du livre la condamne sans concession.

Moravia n'apporte ici aucune solution à la déliquescence de son milieu, mais dresse un état des lieux convainquant.
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Le Mépris

Hum... C'est une belle analyse de la mésentente au sein d'un couple.

Nous sommes dans les années cinquante. Richard est scénariste à Rome. Il est marié depuis deux ans à Emilie qui a abandonné son travail de dactylo. Battista est un riche producteur qui lui propose d'écrire un scénario pour produire un film sur l’Odyssée d'Homère. Bien qu'il préfère écrire sur le théâtre, Richard saute sur l'occasion pour assurer les traites de l'appartement qu'il a acheté pour faire plaisir à Emilie. Mais celle-ci devient indifférente à ses attentions, alors qu'elle s'intéresse au producteur...

.

Alberto Moravia a une très belle écriture, et produit une superbe analyse psychologique d'un couple en déconfiture.

Richard pense qu'Emilie l'aimait, et, par de petits indices, des attitudes, un ton, s'aperçoit qu'elle "cesse" de l'aimer. Une question obsessionnelle revient dans son esprit :

Pourquoi a-t-elle cessé de m'aimer ?

Elle répond par de l'indifférence ou des paroles vagues, et ça le travaille encore plus...

.

Ce qui est intéressant, c'est que j'ai opéré des basculements de pensée, trois " phases".

D'abord, je trouve qu'Emilie n'est pas correcte, et humilie son mari.

Ensuite : mais non, c'est lui qui exagère à être lourd, harceleur et même violent : pauvre Emilie, pourquoi reste-t-elle ?

Enfin, ce Battista me fait penser à DSK ou Harvey Weinstein, un fortuné qui saute sur tout ce qui bouge, et il manque de savoir-vivre à détourner Emilie de son mari.

Bref, Richard est vraiment maso de laisser les choses se faire ainsi, car il ne le fait même pas par intérêt, ce n'est pas la promotion canapé, il aime vraiment sa femme.

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La comparaison Richard / Ulysse et Emilie / Pénélope est bien amenée. Ulysse est-il un héros antique, ou, comme le suggère le metteur en scène, d'après la version de James Joyce un homme dont les valeurs "modernes" ne s'accordent pas avec celles "antiques" de Pénélope, et qui part faire un long voyage pour prendre de la distance ?

.

Bref, la question est éternelle :

qu'il est dur de choisir un conjoint avec lequel on sera sûr de partager les valeurs, et être heureux toute la vie terrestre... Et au-delà : )

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L'Amour conjugal

Sous l'apparente naïveté d'un récit d'impuissance et de trahison, Moravia distille une ironie d'autant plus amère qu'elle est celle du héros pour lui-même. Ce benêt de Silvio, qui croit qu'en choisissant la chasteté des rapports conjugaux il obtiendra la fécondité littéraire, nous rappelle maint mari trompé de la comédie italienne. Une allusion à l'Aminta du Tasse confirme que ce bref roman est aussi une pastorale comique, où satyres et faunes ne sont jamais très loin. La truculence et la grivoiserie percent sous la limpidité d'une historiette de bonheur amoureux. Le cadre de campagne toscane, où Silvio tente d'écrire enfin une oeuvre, offre d'intéressants aperçus de théorie esthétique. Spontanéité de l'instinct ou organisation de la pensée, lucidité ou jaillissement aveugle : quelle est la véritable clé du succès créateur ? En tout cas, si l'amour est le moteur de l'écriture, Moravia y insiste : il a ses exigences charnelles. L'innocence ne suffit pas. Tout séjour bucolique dresse ses meules de foin, complices de fougueux abandons. La belle Silvia dans la pièce du Tasse ne cède qu'à la fausse nouvelle du suicide accompli de son berger. Silvio devra-t-il se suicider à son tour pour sa Muse infidèle ? Une réjouissante farce sous des airs d'idylle rustique, et une réflexion sérieuse sur l'art d'écrire.
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Le Conformiste

Un fonctionnaire de police fasciste utilise son voyage de noces pour mener à bien une mission secrète. Sur cette trame assez mince, Moravia greffe une problématique psychologique, existentielle : comment rester soi-même tout en préservant sa place dans la société ? peut-on assumer une individualité particulière sans souffrir d'être hors normes ? Le sort de son héros incline à une réponse pessimiste. Poursuivi par les démons de son enfance, Marcel essaie en vain de se fondre dans la masse, et finira victime d'un destin où il entraîne ceux qui lui sont chers. Quelques invraisemblances détonnent sur ce récit, surprenant le lecteur qui considère a priori Moravia comme un réaliste. C'est que l'accent est mis sur les drames intérieurs, les hantises et les obsessions du personnage, plutôt que sur une intrigue qui sent le prétexte. Politique et sentiments composent une ambiance étouffante, à l'érotisme sulfureux. L'histoire s'enchaîne bien, et tient en haleine à la façon d'un scénario. Le conformiste a du reste été adapté au cinéma par Bertolucci, avec Jean-Louis Trintignant dans le rôle principal. Un bon livre pour introduire au monde narratif du grand romancier italien.
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L'ennui

L'intrigue est simple. Un jeune homme, peintre raté, issu de la haute bourgeoisie romaine devient l'amant d'une jeune fille, son modèle. Relation qui s'enlisera peu à peu dans une jalousie féroce de la part de l'amant lorsqu'il s'apercevra de l'inconséquence de la jeune fille. Remise en question de ses origines bourgeoises également face aux origines modestes de la fille. Roman très riche. A une époque, le tournant des années 60, où la société de consommation arrive en Italie, où les valeurs traditionnelles laissent la place à une société basée sur l'apparence et la vulgarité, modifiant également l'ensemble des rapports sociaux. Tout cela apparaît plus ou moins directement dans ce roman. La chair et le sexe sont également des thèmes abordés ici par Moravia. Sexe de consommation, sans amour possible, ne suscitant que lassitude et ennui. Malheureusement pour notre peintre, on n'échappe pas à sa condition sociale. Les personnages de second plan comme la mère du peintre et les parents de la jeune fille me semblent aussi rendre compte de toute la dimension sociale déterministe du roman.

Encore une fois, Moravia s'en prend aux valeurs italiennes bourgeoises à travers le personnage de cette mère intransigeante qui ne comprend pas le désarroi de son fils, qui n'a que la transgression pour échappatoire, confinant presque à la folie.

Du très grand art.
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Les Indifférents

J'ai lu ce roman il a quelques années. Les règlements de comptes familiaux sont un des grands thèmes italiens, aussi bien en littérature qu'au cinéma. (cf « I pugni in tasca » de Marco Bellochio).

Histoires bien poussiéreuses bien ancrées dans les campagnes isolées de l'après-guerre. Mais cette fois, c'est du lourd. Moravia, pour son premier roman, y va à la tronçonneuse. Il élague une après l'autre les branches de la généalogie familiale italienne. Comme dans beaucoup de pays méditerranéens, la famille est le dépositaire et la garantie, de l'ordre et de la sécurité, institution quasi confucéenne (voir aussi les premiers films de Marco Ferreri). Ou plutôt biblique, avec le patriarche comme autorité. Et la figure de Dieu omniprésente comme le symbolise souvent le crucifix au dessus du lit nuptial. Et bien, Moravia détruit tout ce bel agencement. Tous les dessous, au propre comme au figuré sont dévoilés, arme au poing, dans ce drame de la famille bourgeoise ordinaire.

Car, c'est bien de la bourgeoisie qu'il s'agit, celle qui porte le pays, celle qui possède, celle qui vote Démocratie Chrétienne. Il y va fort, le jeune Moravia, quelle audace, quelle écriture. Chaque personnage est décrypté et ensuite coupé, isolé de son lien avec les autres, tous englués dans la même fange. Personne n'en sort indemne.

Lu en VO. Une langue claire, précise, sans fioriture. L'auteur décrit page après page l'ignoble forfaiture familiale.

C'est magistral, c'est un des plus grands romans italiens que j'ai lu.
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Le paradis

34 nouvelles écrites à la première personne par des femmes très différentes dans leur statut mais quasiment toutes sensuelles comme les aimait l'auteur. Belles partitions féminines sur lesquelles les hommes trouvent peu de place sauf pour les admirer et se laisser séduire ce qui est très facile.
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Nouvelles romaines

Bien loin de l'aboutissement et des grandes problématiques de ses romans, Moravia, se contente dans ces nouvelles de décrire des situations de la vie quotidienne romaine dans les années 50. Pas inintéressant mais vites parcourues. Lues en VO pour l'apprentissage de la langue, il ne m'en reste que peu de souvenirs.
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Moi et Lui

Dialogue très long d'un homme avec son sexe; on peut y voir une analyse humoristique de la sexualité de l'homme avec des moments sérieux sur le sujet. C'est bien écrit, envoyé assez crûment, intellectuellement original, avec des références psychologiques intéressantes et, bien sûr, d'autres artistiques .
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L'homme qui regarde

La Feuille Volante n° 1258

L'homme qui regarde – Alberto Moravia – Flammarion.

Traduit de l'italien par René de Ceccatty.



Quand on est dans l’œuvre de Moravia, ce titre un peu original ne peut s'appliquer qu'au regard d'un homme pour une femme, même à une passante inconnue, un plaisir des yeux innocent, furtif et frustrant chez un timide, prometteur chez un séducteur. L'homme exerce ce regard inquisiteur ou fantasmé comme un voyeur, un scopophyle mais celui (ou celle) qui est regardé peut aussi être un exhibitionniste avec toute la charge valorisante, érotique voire pornographique que cela suppose, le plaisir de regarder et d'être regardé étant ainsi partagé, entre envie d'être vu et attirance sexuelle. Les yeux sont le vecteur essentiel du regard. Par eux on perçoit la réalité extérieure mais quand on rencontre ceux d'un autre, ils peuvent faire office de miroir où se reflète sa propre personnalité mais aussi se transforment en verre transparent ce qui permet la lecture des pensées les plus secrètes de l'autre. Moravia excelle évidemment dans ce registre où la psychologie se mêle parfois à la sexualité. Ici l'auteur met en scène Eduardo, le narrateur, jeune mais obscur professeur de littérature française, époux et amoureux de la belle Sylvia qui l'aime mais le quitte sans autre raison que de vouloir « réfléchir », situation bâtarde et hypocrite puisqu'il y a un autre homme dans sa vie dont elle ne dévoile pas l'identité à Eduardo qu'elle accepte cependant de revoir. Auparavant, ils vivaient ensemble dans l'appartement du père d'Eduardo, un brillant professeur d'université, un Don Juan sur le retour, cloué momentanément au lit à la suite d'un accident de voiture, mais encore plein de vitalité.

Eduardo est un intellectuel, et, à ce titre, convoque Mallarmé, Baudelaire et Dostoïevski et même l'apocalypse de St Jean pour nourrir ses fantasmes. Ce thème du regard, favori des philosophes, des psychiatres, des artistes est traité par Moravia, avec son habituel style fluide et son regard aigu, est intéressant même si l'histoire se perd un peu dans un épisode de vie entre Eduardo et Sylvia, dans sa rencontre avec une autre femme, dans l'opposition œdipienne entre un fils et son père, et pas au seul niveau théorique de la comparaison. Il y a autre chose pour Eduardo qui regarde par le trou de serrure, ce qui lui donne une vision réductrice des choses en ce sens qu'il ne voit pas ce qu'il devrait voir, pour la seule raison que cela se passe devant ses yeux, même s'il est vrai que sa cécité est favorisée par le mensonge et la trahison et que ses soupçons sont suscités par le seul hasard. Pour autant, devant ce qu'il croit finalement être une évidence, a-t-il réellement envie d'en avoir confirmation, au point de cultiver le non-dit voire le silence ou la dénégation, alors qu'il pourrait facilement lever ses doutes. Il y a même ce refus d'admettre les certitudes au point de se mentir à soi-même et aux autres pour sauver les apparences et son acceptation étonnante de la décision finale de son épouse qui néanmoins maintient le secret. Il y a aussi le fantasme d'Eduardo pour un improbable champignon nucléaire au dessus du Vatican, un contexte de fin du monde ! Cette obsession n'est évidemment pas gratuite, l'explosion dévastatrice éventuelle rompant le silence dans lequel il vit, la fission de l'atome évoquant la fente, allusion forcément sexuelle, mais aussi l'endroit par lequel le voyeur regarde puisqu'il doit rester caché.

Moravia sollicite ici beaucoup le registre érotique, voire pornographique, à ce titre use beaucoup de l'état d'infériorité physique du père d'Eduardo et de la mise en retrait de celui-ci, autant que l'opposition de son fils. L'âge et la condition du père d'Eduardo ouvrent une réflexion sur la vieillesse, même si cette période nécessairement déclinante en matière de vitalité est ici compensée par une activité sexuelle quelque peu débridée. Tout ce contexte permet à l'auteur de mener son analyse intime sur les rapports toujours compliqués entre les hommes et les femmes faits d'amour, de sexe, de plaisirs mais aussi de trahisons, de mensonges, d'adultères et de secrets. Encore doit-on se sentir soulagé quand, comme c'est le cas ici, on accepte de solliciter le pardon de l'autre, de tourner la page en tentant de réinstaller la confiance perdue.

© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Histoires de guerre et d'intimité

La Feuille Volante n° 1257

Histoires de guerre et d'intimité – Alberto Moravia – Flammarion.

Traduit de l'italien par Simone Casini et Francesca qui en ont également établi l'édition.



Ce que j'aime chez Moravia, outre son style fluide et agréable à lire, ce qui est toujours un plaisir, c'est l'observation des choses de la vie et l'analyse pertinente qu'il en fait. Ces nouvelles, écrites par l'auteur entre 1928 et 1951 en sont une preuve supplémentaire et nous concernent tous. Elle sont, selon les éditeurs, des « Nouvelles dispersées » dont beaucoup avaient déjà été publiées dans la presse avant de l'être sous forme de recueil.

Dans une vie où tout est terne, n'avons nous pas, n'avons nous pas la tentation d'avoir recours à notre imagination pour lui donner plus d'éclat ? Même si le résultat est bien souvent nul ! L'auteur excelle dans l'évocation qu'il fait des relations amoureuses, l'analyse de la faute, de l'adultère qu'on commence par regretter quand il est découvert, qu'on justifie ensuite pour se donner bonne conscience avec la volupté d'être en tort, coupable d'avoir transgresser un interdit, au point qu'on se promet de renouveler l'expérience à la première occasion, le moment d'orage passé. Les relations intimes entre les hommes et les femmes l'intéressent donc plus particulièrement. Elles sont faites d'amour, de sexe, d'érotisme mais aussi de silences, de non-dits, de mensonges, de trahisons, d'adultères. Il les analyse avec l’œil aiguisé d'un observateur de la condition humaine qu'il porte spécialement sur les femmes à cause peut-être du fait qu'une littérature complaisante les a longtemps parées de la vertu artificielle que confère le rôle de donner la vie et d'être le garant de la stabilité de la famille, le rôle de l'infidélité étant traditionnellement réservé aux hommes. Il y a sans doute quelque plaisir à tromper ceux qui sont autour de nous et qui nous font confiance et personne ne peut raisonnablement jurer qu'on n'en sera pas capable parce qu'ainsi on aura l'impression d'être différent, peut-être plus malin, plus désirable que le commun des mortels et on se sent autorisé à prendre ce genre de liberté en jetant par dessus les moulins l'amour qu'on vous porte.

Un peu selon son habitude Moravia met en scène des décors et des personnages bourgeois avec des femmes qu'il aime à présenter comme belles, sensuelles et parfois érotiques, ce qui, dit-on lui coûtât un prix Nobel pourtant largement mérité.

Ce recueil cède aussi à la réalité, celle que l'auteur a vécu pendant cette période de guerre où il dût, pour échapper au fascisme, parce qu'ils était un opposant à ce régime mais aussi parce qu'il était juif, se réfugier dans les montagnes près de Naples, avec son épouse. Ce fut une période de neuf mois où il mena une vie rustique, dépouillée, parmi les paysans, dans la crainte des Allemands qui se battaient avec un certain désespoir et les Alliés attendus impatiemment. Là il abandonne la fiction pour évoquer cette période mouvementée où il est plus question de la peur de mourir, de la faim, des bombardements… Il n'oublie pas son traditionnel regard critique porté sur l'espèce humaine, capable du pire comme du meilleur, mais surtout du pire avec hypocrisies, mensonges et fourberies parce que ce genre de période où la vie est en jeu réveille des valeurs parfois enfouies de solidarité, d'hospitalité mais aussi de recherche du profit, de trahison ou pire encore. Il y a chez lui une manière d'angoisse existentielle, de pessimisme que n'auraient pas désavoué Sartes et Camus, une sorte d'ennui de vivre mais aussi, peut-être en réaction et illustration à celle-ci, un univers créatif fait de manipulations, de perversions, de voyeurisme.



Je suis assez partagé après cette lecture qui me laisse une impression inégale. Certes, comme je l'ai déjà dit dans cette chronique, sélectionner des nouvelles pour en faire un recueil est une chose difficile et délicate mais, à titre personnel, lire Moravia correspond toujours à un bon moment .



© Hervé-Lionel – Juin 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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