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Critiques de André Gide (710)
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La symphonie pastorale

Écrivain mélomane, André Gide invite le lecteur à entrer dans le récit rétrospectif d’un pasteur interprétant une partition musicale bien singulière. Celle des épanchements affectifs et des sentiments.

Le récit s’ouvre sur des notes douces de bienveillance lorsque le pasteur recueille au sein de son foyer une jeune orpheline aveugle et recluse avec la volonté affichée de la sortir de sa torpeur et orchestrer son éducation morale et intellectuelle. Mais la candeur et la beauté incandescente de Gertrude irradient laissant place à un mouvement crescendo des émotions.

A son contact, le pasteur découvre une intelligence vive trop longtemps mise en sommeil, une sincérité désarmante, une âme pure qu’il lui appartient de préserver de la corruption des hommes au point de devenir lui-même aveugle à sa propre doctrine et à la réalité qui l’entoure...



Avec une écriture à la musicalité ancienne, André Gide séduit par ses efforts constants dans la recherche du mot juste, de la phrase dense qui, pour autant, ne se confond pas avec une plume esthétique. Effectivement, c’est une littérature qui s’inscrit au cœur de la conscience humaine et de la morale, qui met à l’épreuve le rapport du pasteur avec sa jeune protégée et expérimente sans cesse l’éthique revendiquée.

C’est également une littérature qui invite à regarder entre les lignes par un jeu subtil qui jongle entre désir et censure, volonté de dire et nécessité de taire, liberté de conscience et doctrine religieuse. Elle signe l’émergence du courant individualiste et la liberté d’être soi face aux contraintes morales.

Indubitablement, la force de ce roman est d’avoir adopté l’écriture intime pour conter au lecteur une histoire douloureuse où la spontanéité des émotions, le repli sur soi et le questionnement reflètent le conflit intérieur auquel est confronté le pasteur. Malgré la violence des sentiments, l’auteur réussit également à ne pas noyer le récit sous le poids des émotions dans ce difficile exercice d’équilibriste.

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La symphonie pastorale

Ce petit roman de Gide, écrit sous forme de récit à la première personne, se lit vite et sans ennui.

Son style est de haut vol, comme souvent chez l'auteur, mais pas trop pompeux, comme on pourrait de temps à autres lui en faire le reproche. Le style est, à mon sens, le principal point fort de l'ouvrage car le scénario est un peu brimbalant et parfois téléphoné voire facile.

André Gide revisite le mythe de l'enfant sauvage que l'on éveille peu à peu à la civilisation et qui se révèle finalement pétri de sensibilité interne contrairement à ce que les rudes manières pouvaient laisser entrevoir de prime abord.

L'auteur multiplie les artifices et les cas limites en faisant de la jeune fille une aveugle et de son précepteur un pasteur.

À ce stade, l'éveil de la jeune fille est prévisible et visible comme le nez au milieu de la figure, mais en plus, une espèce d'amourette à deux sous vient se greffer dans le cœur noble et franc du preux chevalier pasteur, sans même qu'il s'en rende compte.

Ici, on a envie de crier " N'en jette plus André ! ", mais comme si cela n'était pas suffisant, le propre fils du pasteur tombe lui-même amoureux de la jeune aveugle.

Humm ! miam ! miam ! Gide fait grincer les violons à pleins tubes dans le registre de l'amour impossible, de la rivalité père-fils et au comble de l'invraisemblance et de la guimauve, on nous assène une possibilité d'opération qui pourrait rendre la vue à Gertrude. (Disons qu'à partir de là en ce qui me concerne la limite de l'indigeste est franchie depuis longtemps et seule la longueur restreinte du livre m'incite à aller au bout.)

Chose dite chose faite, notre Gertrude retrouve la vue et comme Gide est réfractaire aux happy-ends et qu'il se dit qu'il a déjà épuisé sa ration de sucré et qu'il craint La Dysenterie Post-orale (pardonnez-moi encore ce calembour vaseux), il s'arrange pour faire absolument capoter l'histoire à la fin afin qu'il y ait une belle mort tragique digne du théâtre antique.

Je vous avoue que (toujours de mon point de vue, par ailleurs critiquable sous tous angles) cette histoire vaut plus pour la façon dont elle est écrite que pour le brio sans pareil et l'imagination diabolique du scénario, qui pourrait parfois faire rire alors que ce ne semble manifestement pas être l'objectif premier de l'auteur.

Quelque chose dans ce roman me rappelle le film La Nuit Du Chasseur avec Robert Mitchum. Une œuvre soi-disant mythique mais qui a tellement vieilli, qui est tellement téléphonée et bateau qu'elle en devient drôle au second degré, mais bien sûr, tout cela n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les faux-monnayeurs

Au risque de ne pas brosser la majorité dans le sens du poil, je vais donner un avis honnête, qui n'engage que moi mais qui est tellement différent de ceux que j'avais pu lire qu'il peut éventuellement être utile à certaines et certains.

J'avais beaucoup entendu parler de la réputation de ce livre sans jamais toutefois avoir cherché à en connaître plus. C'est donc à peu près vierge d'a priori que j'entamai ce roman :



Acte I : les faux espoirs...



Après un bref moment d'euphorie suscitée par la joie de me plonger dans un grand vieux classique, m'attendant à être happée par l'histoire ou le style ou les deux, une quelconque magie qui aurait pu opérer, je me suis rendue compte que je m'ennuyais effroyablement et, chose qui ne m'est quasiment jamais arrivée, j'ai laissé tomber après 10 chapitres tellement ce livre ne m'accrochait pas du tout, mais alors ce qui s'appelle pas du tout.



Les dialogues où les personnages parlent au passé simple étaient artificiels au possible à mes yeux et sonnaient faux comme une casserole à mes oreilles ; je ne m'identifiais à personne, l'histoire ne présentais pas un grand attrait de prime abord. Bref, j'ai vécu une réelle déception avec ce livre et, si vous avez le courage, essayez de passer le cap du chapitre 10. (Il est vrai que je sortais d'une lecture qui m'avait enthousiasmée et d'un style hyper pêchu, ceci pouvant expliquer cela.)



Acte II : le syndrome musée d'art moderne...



Néanmoins, étant d'un naturel obstiné, j'ai décidé, après plusieurs mois, d'en reprendre la lecture. Est-ce par masochisme ? est-ce par sensation de rater quelque chose ? Je ne saurais le dire.



Je me suis donc fait violence pour retourner m'engluer dans la mélasse de cette lecture. Je ne le regrette pas car j'ai pris un peu plus de plaisir à la lecture (m'attendant à mal) et découvert les véritables intentions de l'auteur. Elles sont exprimées assez clairement, je crois, dans le chapitre 3 de la deuxième partie. En somme, faire un roman sur le processus de gestation d'un roman.



Assez lumineusement, Gide nous dévoile tous les points faibles de son livre, risque d'ennuyer le lecteur, aspect artificiel de l'ouvrage, etc. C'est donc très courageux à lui d'avoir pris le parti de faire ce livre sachant les obstacles auxquels il se heurterait.



C'est un travail très rigoureux qu'a livré l'auteur, une mise en abîme, un procédé stylistique élaboré mais, cela ne veut pas dire pour moi chef d'oeuvre et c'est en cela que je le compare à un tableau de musée d'art moderne : si vous comprenez la démarche mais que vous n'êtes pas enthousiasmé par la réalisation finale, vous passez pour une débile qui n'a rien compris, exactement comme lorsque devant un tableau que vous comprenez mais que vous jugez abject, vous vous entendez répondre que vous êtes ignorante en art.



Pour conclure, il y a une certaine virtuosité dans ce livre, mais cela ne signifie pas pour moi une virtuosité certaine car ce n'est vraiment pas un livre qui me transporte ou qui fasse palpiter quoi que ce soit en moi, or si je lis, ce n'est pas pour voir un exercice formel d'un auteur façon James Joyce, c'est pour ressentir quelque chose résonner en moi. À vous de voir, je vous ai donné mon avis, mon tout petit avis, c'est-à-dire, pas grand chose.
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Paludes

“Bon pour Paludes.” Cette phrase devrait toujours nous faire sourire, et le club des lecteurs de Paludes peut en user à la manière d’un code, pour toute occasion où la vie donne matière à l’écriture.



“Non ! pas cela ! pas cela ! Recommençons. Je déchirai.” La sotie du jeune André, parue en 1895, entraine le lecteur dans les coulisses de la fabrication du roman. Rien d’étonnant à ce que les amoureux de l’artisanat littéraire s’y retrouvent, à l’image de Stéphane Mallarmé, Roland Barthes ou Nathalie Sarraute car Gide s’adresse à son milieu littéraire. Il dépeint avec ironie la société des gens de lettres, le va et vient entre la banalité du réel et l’écriture, dans un rapport d’inspiration réciproque, mais aussi de travestissement de la réalité pour le lucre de l’Art, de la phrase et de l’émotion.



“Il faut porter jusqu'à la fin toutes les idées qu'on soulève ” : un principe, une tyrannie que s’impose le jeune narrateur, mis n’est-ce pas une conduite inatteignable ? 





“Ne pourrons-nous jamais poser rien hors du temps – que nous ne soyons pas obligés de refaire.” Exécrant l’habitude, le jeune narrateur, bourgeois bohème avant le terme, insatisfait chronique, n’y tient plus, il faut voyager, ne vivre rien que d’inédit, il faut risquer quelque chose. En essayant de tourmenter la jeune et tempérée Angèle, le narrateur de Gide annonce la vocation littéraire de l’auteur : inquiéter les consciences.




L’inquiétude est d’abord une angoisse à l’idée de s’extraire d’une confortable coquille d’illusions avec toute l’incertitude quant au succès de cette entreprise morale, on peut aussi se demander à quoi bon et à quel prix inquiéter ? Quoiqu’il en soit, les bouffées aphrodisiaques et jouissives à peine étouffées du narrateur éclateront, que dis-je déborderont deux ans plus tard, dans les Nourritures Terrestres.



Gide qualifiera, dans une série d’entretiens, de “comique” et “saugrenu” cette comédie de jeunesse qui, si elle en partage la finesse n’atteint pas la drôlerie d’un ouvrage comme Les Caves du Vatican, écrit dans la maturité du Prix Nobel de Littérature. Mais déjà le style, la construction, le clin d’oeil au lecteur, sont tout à fait singuliers, l’humour, l’amoralisme embryonnaire, et le charme pastoral en font un objet littéraire aussi rare que divertissant.



Qu’en pensez-vous… et pour paraphraser le narrateur “ne me dites pas que je devrais mettre cela dans Paludes. – D'abord ça y est déjà” !
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Voyage au Congo

D'abord, tous mes remerciements à Babelio pour m'avoir attribué ce livre, dans le cadre de la masse critique, et aux Editions du Détour qui me l'ont envoyé.



C'est une réédition en 2022 du récit publié en 1927 de ce long voyage effectué par André Gide entre juillet 1926 et février 1927. On y retrouve la qualité littéraire de l'auteur des Faux Monnayeurs, et, même s'il a opté de temps à autres pour de courtes phrases sans verbe, le style est là et c'est le premier plaisir de cette lecture. Il l'a rédigé au mode présent ce qui immerge encore davantage le lecteur dans la réalité de son vécu durant ce voyage.



Les descriptions de la forêt, des différents végétaux, des ciels et des nuages baudelairiens où ils évoluent, des nuits silencieuses et bruyantes à la fois, offrent toute une palette de sensations pour ceux qui recherchent ce dépaysement à la fois géographique et temporel puisque les moyens de déplacement en Afrique il y a une centaine d'années étaient bien différents de ceux dont on peut disposer aujourd'hui.



Gide évoque également ses lectures de voyage avec La Fontaine, Baudelaire dont il n'a pas emporté les oeuvres mais qu'il se récite en lui-même, mais aussi Molière avec le personnage d'Alceste et bien d'autres grands classiques.



Et, surtout, le grand intérêt de cet ouvrage est l'approche sociologique et humaine réalisée par Gide qui, tout en relatant ce qu'il a vu, en réalise une analyse sensible, humaine, émouvante de tout ce qui est enduré par les indigènes sous le joug des blancs et de nombreux noirs participant aussi à cette oppression.



Ainsi, on voit tout un peuple qui peine, souffre, qui est massacré par centaines, sans distinction d'âge ou de sexe, tout un peuple qui est mis au labeur, littéralement exploité, avec des femmes et des enfants qui réalisent des travaux de force, y laissant la plupart du temps une santé déjà fragilisée par les conditions sanitaires du continent et de l'époque.



Gide essaie autant que possible d'intervenir pour rétablir un peu de justice en soutenant tous ces opprimés, réussissant quelquefois à empêcher des exactions ou parvenant à en faire arrêter les coupables. Parmi ceux-ci, on trouve les grandes compagnies coloniales, à la recherche d'un profit passant par une forme d'esclavagisme des populations. Les blancs exploitent aussi les indigènes en ne payant jamais au juste prix les produits de leur agriculture ou de leur pêche, ou encore en leur faisant payer à un prix majoré les biens qu'ils doivent acheter. Gide donne des détails financiers très précis sur toutes ces injustices.



Son témoignage donne un livre très riche où la littérature côtoie les beautés et les douleurs d'une Afrique martyrisée par un colonialisme sans scrupules. Il garde toute sa portée de nos jours où de trop nombreux endroits du monde voient s'exercer des persécutions semblables, peut-être encore plus atroces, dans trop d'indifférence de par le monde.
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La symphonie pastorale

La symphonie pastorale, c’est le récit qui mène une jeune aveugle de l’ombre à la lumière. Mais pas seulement. Ce sont aussi les confidences de l’homme qui l’accompagne et la guide sur ce chemin, pour le malheur de tous.

Le récit est allégorique : on ne croit pas un seul instant à cette évolution miraculeuse, qui fait d’une enfant dont le langage se réduit à quelques grognements, plus proche de l’animal que de l’être humain, une jeune demoiselle à la syntaxe parfaite et à l’expression nuancée. Peu importe, Là n’est pas le sujet. Tout est centré autour du ressenti de cet homme, le plus aveugle des deux : longtemps inconscient des sentiments qu’il éprouve pour la jeune fille, autant que du malheur qu’il crée autour de lui :



«  Je me disais : c’est une enfant. Un véritable amour n’irait sans confusion, non rougeurs. Et de mon côté je me persuadais que je l’aimais comme on aime un enfant infirme »



Longtemps convaincu du bien fondé de son entreprise, n’hésitant pas à se justifier au nom des textes saints (l’homme est pasteur), c’est la découverte des sentiments de son fils pour la jeune fille qui lui fait perdre toute raison. La morale, l’éducation, les préceptes religieux viennent justifier l’inacceptable. Le combat n’aura pas lieu, il est perdu d’avance.



Les plus belles pages sont celles consacrés à l'éveil de la jeune fille alors que l’l’homme n’a pas encore conscience des dangers d’une telle démarche. C’est à travers son propre regard qu’il lui propose une vision magnifiée de ce qui les entoure, un monde d’idées pures, mis en mots pour se substituer au sens défaillant. Pour un temps qu’il sait compté :



« Le soleil se couchait dans une splendeur exaltée. L’air était tiède. Nous nous étions levés et tout en parlant nous avions pris le sombre chemin du retour ».



Le dessein est vain et funeste. La crainte de détruire l’illusion se confirme lorsque Gertrude sort de sa cécité : le malheur s’incarne, la mort met au grand jour les racines du mal, et laisse sur son sillage des âmes détruites :



« J’aurais voulu pleurer, mais je sentais mon coeur plus aride que le désert ».



Les souvenirs lointains de cette lecture s’étaient totalement effacés, et c’est donc une re découverte, voire une découverte, pour un grand bonheur : la magie des mots, l’analyse aiguë

et intime des sentiments laissent une impression fortement favorable, incitant à poursuivre une nouvelle exploration de l’oeuvre de l’auteur
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Les nourritures terrestres - Les nouvelles ..

Quelques mots sur Les Nourritures Terrestres ou variations sur le désir.



Si Gide écrira bientôt “La Porte Etroite”, pour l'heure, le lecteur que je suis craignais au début du livre que ce ne soit la porte ouverte, qu'enfonce la plume du jeune André, sur des lieux communs, mais les lieux des Nourritures, publiées en 1897, sont tout sauf communs.

Et si parfois le ton est lyrique, ces exaltations passionnées n'entament pas la fraicheur de l'ouvrage (même d'occasion, avec les pages jaunies par les décades).



Car il y a quelque chose de délibérément neuf. de continuellement inédit.



C'est une ode à la ferveur.



Nous sommes quelque part entre l'essai prophétique, le récit initiatique, le roman d'apprentissage et les aphorismes, c'est une écriture impétueuse et fragmentaire.



L'ouvrage est peu digeste et se lit comme on boit un riche nectar, goutte après goutte. Il nous faut patiemment attendre que la paresseuse sève tombe nonchalamment entre nos lèvres avides.



"Va, crois moi, le plaisir est toujours légitime" écrivait le poète libertin Evariste de Parny. le bouillonnement épicurien et sensuel du jeune Gide est poétique. Il rédige des ellipses, consigne des silences, couche sur le papier la rosée du matin, la rondeur du vin, la caresse des foins, la chaleur du désert et des corps. Il écrit comme nous lisons, avec les yeux.



Ce livre danse sur un fil, d'un côté l'enthousiasme de la ferveur, de l'autre, en sourdine, dans un enchevêtrement aussi nécessaire qu'un yin à son yang, on devine une crainte du désenchantement. Lequel engendre l'autre ?



“Nos actes s'attachent à nous comme sa lueur au phosphore ; ils font notre splendeur, il est vrai, mais ce n'est que notre usure”. le narrateur veut gouter à chaque plaisir, ne s'attarder sur aucun, rester disponible à tout et à tous, “la nécessité de l'option me fut toujours intolérable” campe le narrateur.

Mais cet appétit gargantuesque et cyclique du désir qui renaît sans cesse, qu'il tente de justifier en usant de la philosophie comme « l'abri de sa sensualité », cache une angoisse de la finitude, une course contre la montre, contre la mort. Néanmoins il ne s'agit pas tant d'une consommation effrénée, le narrateur encourage son jeune disciple, Nathanaël (vous, moi, le lecteur) à cultiver l'art de la saveur.



C'est aussi le livre d'une libération, où l'auteur comprend et affirme - contre son éducation - que l'épicurisme n'est pas coupable, après des années difficiles, des moments de doute, de honte, de lutte, ceux où l'on entend vivre “comme il faut”, et où l'on tente d'échapper à soi-même. Ménalque, son narrateur, revient de ses voyages aux confins du monde et de sa sensualité.



Contrairement au « Gitanjali » (« l'offrande lyrique » traduite par Gide lui-même en 1913) du Prix Nobel bengali Rabindranath Tagore, l'offrande de Gide, pour être aussi lyrique, vient d'abord du corps et d'autre part, la libération doit partir de soi et non de la pitié ou de l'adjuvance d'une quelconque divinité.



“Ce qu'un autre aurait aussi bien dit que toi, ne le dis pas – aussi bien écrit que toi, ne l'écris pas. Ne t'attache en toi qu'à ce que tu sens qui n'est nulle part ailleurs qu'en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah ! le plus irremplaçable des êtres.”



S'il lui manque l'humour loufoque des Caves du Vatican, ce « road trip » cathartique, hédoniste et jubilatoire, plein d'acuité dans les sensations, dans les amertumes aussi, plein d'une curiosité infatigable qui tend constamment le personnage entre mouvement et contemplation est décidément communicatif et émancipateur.

“L'immoraliste” dresse plutôt ici une autre éthique, à rebrousse-poil de ses austères contemporains, et pastichant le prix Nobel de littérature français, je veux te dire cher babeliote : « jette [ma critique] et ne t'y satisfais point. Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre, plus que tout, aie honte de cela” !

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La symphonie pastorale

Un pasteur recueille sous son toit une jeune aveugle orpheline , Gertrude .Cette dernière va cohabiter avec la famille du pasteur et ses enfants .

Cette venue de la jeune fille va semer le trouble au sein de

cette famille surtout entre le père et le fils car tous les deux

sont amoureux de la jeune fille .

Un roman qui traite du conflit entre la morale religieuse et les sentiments .
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Si le grain ne meurt

« Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle ».



Le titre de cet ouvrage autobiographique fait référence à l’Evangile selon Saint Jean, et exprime la dualité de l’auteur, qui aurait pu, tel le grain de blé ne pas mourir et poursuivre le destin tracé par son éducation puritaine, alors que renonçant à celle-ci, il révèle sa personnalité enfouie.





Dans une première partie, Gide évoque une enfance de sale gosse, celui qui mord la joue qu’on lui tend, qui écrase les pâtés de sable de ses petits camarades et se cache sous les tables pour des jeux interdits, sévèrement corrigés au nom de la décence instrumentalisée par le médecin de famille.

Derrière les souvenirs incertains, modifiés par la reconstruction de l’imagination qui mêle les époques et les lieux, se dessine le bonheur des premières impressions dans un monde qu’on découvre et interprète à l’aune d’une expérience minimale.



On y découvre aussi une scolarité totalement anarchique, dispensée par des précepteurs éphémères et des cours de piano médiocres qui n’ont pas découragé l’enfant amoureux de la musique.



Inévitablement cette enfance « confinée » ne développe pas la sociabilité et fait le lit du désespoir des années de lycée, qui auront malgré tout permis la rencontre d’ amis fidèles .



C’est dans la deuxième partie, qui relate un voyage en Afrique du Nord avec son ami Paul Albert Laurens qui lui fait tourner la page de son éducation protestante, qu’il prend la parti d’assumer son homosexualité.



Gide ne fait pas le fanfaron, il porte un regard sévère sur ses obsessions, et sur l’enfance à la fois privilégiée, (au moins jusqu’à la mort de son père) et ne s’accorde pas de remises de peines.



Bien entendu, malgré une pudeur relative, les pages qu’il consacre à ses relations charnelles avec de jeunes prostitués algériens ne peuvent que choquer. Elles sont à remettre dans leur contexte mais restent inexcusables et inacceptables, par cette recherche de plaisir sans aucune considération pour l’être humain instrumentalisé et avili. Elles sont le témoin d’une évolution des consciences qui ne peut aller que vers l’amélioration du genre humain.



Autobiographie sans complaisance, rédigée avec sincérité et simplicité, qi permet de comprendre un peu mieux l’œuvre et l’auteur.
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La porte étroite

Je suis entré par la porte étroite de ce récit, guidé par la très belle écriture d'André Gide. Ce texte court, - moins de deux cents pages, dont on devine une dimension autobiographique, nous fait rencontrer quelques jeunes personnages, encore adolescents.

Dans ce texte à la construction insolite, fragile comme un édifice prêt à se rompre, André Gide nous convie dans ce milieu austère d'une famille bourgeoise et protestante de la province du début du vingtième siècle.

Suite au décès de son père, le narrateur Jérôme s'éloigne de Paris avec sa mère pour rejoindre le domaine de Fongueusemare, tout près du Havre le temps des vacances. Là il se lie d'amitié avec son cousin Robert, ainsi que les deux soeurs de ce dernier, Alissa et sa cadette Juliette.

Pourtant c'est le temps d'une jeunesse presque insouciante que nous abordons tout d'abord.

Le bonheur est là comme une joie pure qui vient donner de la lumière aux personnages. Les enfants grandissent et peu à peu, comme on peut le deviner aisément, l'amitié se transforme en amour, emportant Jérôme et Alissa dans un jeu sentimental certes plus platonique que sensuel, mais dont les tours et les détours laissent venir à eux des gestes épris de bonheur et de vertige. La nature est riante autour de ces jeunes amants en devenir et ressemble à ce jardin parsemé d'arbres et de fleurs dans lequel on entre par une petite porte dérobée...

La porte étroite s'ouvre sur cet air bucolique. Alissa et Jérôme ont appris à tout partager, ils ont ce don en eux pour effleurer les mêmes instants, les mêmes paysages, les mêmes objets, ce piano au milieu du salon, une promenade dans le jardin, un coin d'azur, des livres qui parlent eux aussi de bonheur, d'histoires d'amour, de légèreté...

Mais le jardin est un lieu fermé, c'est une histoire qui se tisse peu à peu entre les personnages comme un huis-clos... C'est un amour tendre, sans doute encore fragile, prêt à s'effriter dans l'entrelacement des mots.

La joie d'aimer est vite abîmée par une ombre dont on ne soupçonne pas le dessein qui la porte, dont on ne comprend pas tout de suite le sens qui l'anime.

Un triangle amoureux complexe se déploie comme un chassé-croisé peuplé d'élans et de malentendus. Jérôme et Alissa s'aiment, mais Juliette aime aussi Jérôme, alors Alissa est prête à renoncer à l'amour de Jérôme, à se sacrifier pour faire le bonheur de sa soeur qui est déjà promise à un homme qu'elle ne désire pas, un homme rustre qui possède des terres agricoles dans le sud de la France.

Est-ce alors que les choses ne furent plus pareilles, plus comme avant ?

Une vertu indicible, son exaltation tout aussi sincère que spontanée, viennent effacer cette joie pure qui ne demandait qu'à pousser cette porte étroite, l'ouvrir grande sur un jardin prêt à s'embraser d'odeurs et de couleurs.

Alissa change alors, à moins que ce ne soit le monde autour d'elle qui change à ses yeux, à moins que ce soit son regard sur ce monde... Elle change dans la tranquillité des jours, c'est presque imperceptible. C'est comme un ciel qui bouge dans la couleur pâle des nuages. Jérôme la voit s'éloigner, tant en demeurant dans une sorte d'illusion...

L'écriture d'André Gide dit cela avec délicatesse, justesse, douceur...

Alissa repousse les fiançailles. Elle devient cette Arlésienne drapée d'une foi devenue inébranlable. Jérôme cherche à tendre vers cet idéal de vertu qui porte Alissa, mais ce n'est qu'un chemin pour rejoindre celle qu'il aime et qui l'aime cependant, ce n'est qu'un chemin, tandis qu'Alissa se consume déjà ailleurs, plus loin, plus haut peut-être...

Je me suis tenu dans le retrait de cette porte étroite, qui bat dans le vent, ce vent qui ballote les personnages, les effleure, finit par les tourmenter.

Je n'ai pas vu les choses venir, tout comme Jérôme peut-être. Les hommes sont-ils absents de cet indicible mouvement des femmes en elles ? Je pensais que l'amour d'Alissa cherchait à se nourrir d'un idéal terrestre, le bonheur d'ici-bas, les choses simples et ordinaires de la vie qu'un coeur qui bat pour l'autre peut transcender. Je voyais rire ce jardin en eux, avec ses fleurs, ses abeilles, ses rouges-gorges, ses gorges pleines de rires...

Dans ces pages cruelles où j'étais seul à commencer à voir ce qui se passait, - quand je dis seul je veux dire par là que ma complicité tissée avec le narrateur qu'est Jérôme ne servait plus à grand-chose, je voyais un fossé commencer à se creuser entre les deux amants... Peut-être faisait-il semblant de ne rien voir... ?

J'étais seul à voir ce qui se passait, mais je ne comprenais pas ce qui se passait. Comment tant de tendresse et de complicité pouvaient-elles brusquement être menacées ? Et par quoi d'ailleurs ?

André Gide me laisse pantois avec cette chose inexplicable, incompréhensible aux yeux de l'homme aimant et mécréant que je suis, aimant la vie, les jardins, les fleurs, les gourmandises, les tangages, l'ivresse insoupçonnée qui gît dans l'étonnement de chaque jour, chaque rencontre...

Car c'est pour Alissa peu à peu le renoncement à un bonheur qui lui ferait brusquement peur, ferait pâle figure à côté du rêve qui l'anime, le refus d'un bonheur facile qui viendrait altérer la pureté de l'âme. Elle préfère une vie d'ascétisme religieux aux plaisirs charnels. Pourtant elle n'a jamais cessé d'aimer Jérôme.

J'ai entrevu ici une lutte entre deux forces qui semblent s'opposer : l'amour et la vertu, comme si ces deux versants étaient séparés par un gouffre abyssal et ne devaient jamais se rejoindre...

J'ai vu dans ces pages un récit amer et désabusé.

Le coeur de Jérôme qui bat pour Alissa devient peuplé de chimères.

Elles emplissent le lecteur que je suis d'un sentiment de tristesse et de révolte.

L'abnégation, - l'idéal d'abnégation nourri d'une foi dont on ne sait d'où elle vient, serait-elle donc la seule cause qui rendrait impossible cet amour, du moins dans son expression charnelle ? Quel gâchis ! ai-je alors pensé. Mais qui étais-je pour juger d'un tel amour ? Sauf que je voyais Jérôme souffrir. Sauf qu'Alissa se perdait elle aussi dans cette manière de se consumer tout doucement...

Où poser ma tristesse, mon incompréhension, mon indignation ? À quel endroit ? Ici, peut-être ce soir, dans ces quelques lignes à partager avec vous...

André Gide dit cela avec tant de mots beaux et fragiles, dans une forme narrative mêlant les confidences de Jérôme au journal d'Alissa et aux lettres qu'ils s'écrivent, rendant le texte d'une proximité incroyable. Je laisse entrouverte la porte étroite de ce livre pour que vous puissiez un jour y venir à votre tour.

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La symphonie pastorale

Tout petit roman, que cette Symphonie pastorale. On pourrait le prendre pour une plaquette sans prétention… presque … Et pourtant. Il est tout comme une symphonie, il commence tranquillement puis évolue et se transforme en une explosion… de mots, de descriptions, de sentiments. Les meilleurs romans n'ont pas besoin d'être des pavés, et l'auteur français André Gide l'a bien compris. Mais attention, si vous cherchez l'action et l'aventure, vous feriez mieux de passer votre chemin.



Le narrateur est un pasteur. Sa promenade quotidienne l'amène à un endroit qu'il n'était plus habitué de fréquenter et il aboutit dans une ferme des parages, où une femme se meurt en laissant derrière elle une lointaine parente, une jeune fille pré-pubère et aveugle. Le narrateur prend sur lui de s'en occuper. Sa femme Amélie n'est pas très chaude à l'idée… c'est qu'ils ont déjà cinq enfants. Mais, fidèle à son habitude, Amélie s'emmure dans son silence pendant que son mari n'est fait qu'à sa tête. C'est ce que son âme chrétienne, protestante lui dicte de faire.



En plus de la religion (une certaine austérité protestante) et de l'évocation de la nature, André Gide exploite un nouveau thème, le mythe de l'enfant sauvage ?



La petite, Gertrude, s'épanouit en même temps que le printemps se pointe. le pasteur s'occupe d'elle, peut-être mieux que ses propres enfants. Mais c'est compréhensible, non ? Ses enfants qui ont tout ce qu'il faut alors que la pauvre orpheline… « Les premiers sourires de Gertrude me consolaient de tout et payaient mes soins au centuple. Car ‘'cette brebis, si le pasteur la trouve, je vous le dis en vérité, elle lui cause plus de joie que les quatre-vingt-dix-neuf autres qui ne se sont jamais égarées''. » (p. 41) Ajoute-t-il, paraphrasant la Bible.



Puis, après les sourires, les traits de Gertrude s'animèrent. Une véritable transformation s'opère. le pasteur lui décrit les paysages. Les comparaisons avec la musique lui viennent naturellement. N'est-ce pas la musique de Beethoven qui a amené la phrase : « Chaque paysage est un état d'âme » ? C'est un éveil dans tous les sens du terme ! Parfois, j'avais l'impression de lire du Jean-Jacques Rousseau. Je trouvais à la plume d'André Gide un petit quelque chose des grands romantiques. Avec cet univers bucolique, presque pur, difficile de ne pas faire la comparaison. Et le pasteur y contribut à sa façon, en protégeant la petite et son bonheur, en lui cachant la laideur du monde et le Mal qui se trouve au coeur des hommes. Un brin mouich-mouich. Sortez les mouchoirs ! L'auteur ne pouvait rester dans les descriptions de paysages bucoliques, de sentiments purs, de mièvreries trop longtemps.



En effet, l'ainé du pasteur, Jacques, s'éprend de la jeune fille. le père s'y oppose farouchement. Il envoie son fils étudier à l'extérieur, puis, pour être certain, envoie Gertrude en pension chez une amie. Mais il veut la protéger ou la garder pour lui ? Dans tous les cas, il ne peut rester longtemps loin d'elle. À ce point, je commençais à me douter des sentiments inavoués (enfouis ?) du pauvre pasteur. Évidemment, sa stricte morale protestante l'empêche de jouir du bonheur.



Et c'est là que le style d'André Gide se trouve réaffirmé : au moment où tout semblait aller pour le mieux (Gertrude se fait opérer elle voit à nouveau), un moment d'une grande tristesse, tragique, devait aller de pair. Si tout le livre tourne autour du conflit entre la morale religieuse et les sentiments, le dénouement va encore plus loin et permet une critique de la morale protestantisme, qui voit le Mal partout. Jacques rejette le protestantisme et se tourne vers le catholicisme. Pire, il joint les ordres. C'est admettre la défaite. La symphonie pastorale se termine dans un dernier mouvement saisisant, mémorable. À lire !
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La porte étroite

Alors que L’immoraliste présentait un personnage désoeuvré et égoïste, La porte étroite nous fait voir tout le contraire. Moi, je l’ai trouvé assez joli. Quelque chose d’idylique, de bucolique se dégage dès le début. Cette évocation des années de jeunesse, le domaine de Fongueusemare, aux environs du Havre, la description de la nature (ce jardin, ces arbres, cette allée riante de fleurs, ce mur avec une petite porte à secret, l’horizon…) et ces personnages aux sentiments d’une pureté rare. Le narrateur Jérôme se lie d’amitié avec son cousin Robert, puis avec ses deux sœurs Alissa et Juliette, toujours là à les suivre. Puis ils grandissent… l’amitié se transforme en amour. Malgré ces qualités magnifiques, le cadre tend parfois vers l'opposé, on y retrouve un je-ne-sais-quoi, on y étouffe entre ces trois-quatre personnages. Tout comme eux, on y est confiné. C’est quasiment un huis-clos, malgré les beaux paysages à n’en plus finir et les déplacements vers la capitale. Et c’est bien, ça évite de tomber dans les mièvreries et le sentimentalisme à l’eau de rose. Et c’est sans oublier l’univers protestant dans lequel ils évoluent, cette austérité, cette rigueur, cette ferveur religieuse troublantes pour le lecteur. Pas de doute, c’est bien du André Gide.



La relation entre Jérôme, et Alissa s’épanouit dans une ferveur religieuse partagée. (Un amour spirituel ?) Toutefois, la jeune sœur d’Alissa, Juliette, aime également Jérôme. Ce triangle amoureux trouve plusieurs dénouements qui se déclinent en une multitude de malentendus. D’abord, Alissa reporte à plusieurs reprises son mariage. Moi, à la place de Jérôme, j’aurais eu des doutes et au lieu d’accepter bêtement les reports, j’aurais exigé des explications. Mais bon, parfois, parfois on est mieux avec ses illusions. Puis, Juliette, dans un élan de d’amour ultime, épouse un autre homme qui ne lui plait pas vraiment. En effet, la meilleure preuve d’amour n’est-elle pas le sacrifice ? Et Alissa, se sent-elle coupable de laisser sa sœur se renoncer ainsi, par dévouement ? C’est là que l’histoire de La porte étroite se trouble vraiment, qu’on assiste à des conflits de valeurs mais ils sont rapidement balayés par les personnages. Au lecteur d’essayer de régler tout ça dans sa tête.



Malgré le sacrifice de Juliette, la situation de Jérôme et Alissa s’améliore à peine. Leurs retrouvailles semblent maladroites et les malentendus se multiplient. Plus rien n’est pareil. Puis, dans sa ferveur religieuse, Alissa décide de mettre fin au mariage définitivement. Avec tous les sentiments contradictoires qui l’habitent, elle croit que l’amour pur auquel elle aspire est impossible, que le bonheur terrestre n’est pas pour elle. Cette ferveur religieuse est troublante. Ça devient du mysticisme. À la fin du roman, la dernière partie consiste en le journal intime de la jeune femme. Elle a cherché dans les saintes écritures une justification à sa conduite et se conforme à un idéal difficile à accepter ou comprendre pour un Nord-Américain moderne. Mais, puisqu’il s’agit d’un journal intime, peut-on croire tout ce qu’elle y a écrit ? La même chose peut être dite de la narration de Jérôme. Était-il possible qu’il ne puisse avoir aucun doute quant à l’attitude d’Alissa ? D’être à ce point aveugle ? À moins qu’il ne s’agisse d’aveuglement volontaire ? Quelle est la vérité ? André Gide est manifestement très doué pour susciter la réflexion et la controverse.
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Voyage au Congo (suivi de) Le retour du Tch..



Je suis en colère contre la bêtise. Surtout celle qui se croit maligne, doublée de bons sentiments anachroniques. Je suis en colère contre Wikipédia, qui déplore que Gide au retour de son Voyage au Congo n’ait pas remis en cause le principe colonial.



C’est vrai, il aurait pu défiler Boulevard Raspail avec une affiche « A bas le colonialisme », vêtu d’un gilet jaune ou bien faire une grève de la faim jusqu’à ce que cela s’arrête. Marc Allégret son compagnon aurait fait un film, et l’aurait envoyé aux réseaux sociaux. Ils auraient fait bouger les choses, non ?



Revenons à la réalité de 1926. Gide est un écrivain, pas journaliste comme Albert Londres qui donnera son brûlot 2 ans plus tard. Ce n’est pas non plus un homme politique, il n’a aucune raison de s’engager. Il n’est ni anthropologue, ni explorateur, ni ethnologue, et lui même se caractérise comme « touriste ». Depuis quand les touristes ont ils un devoir moral de dénoncer ce qu’ils ont vu ?





Pourtant il dénonce.



Il dénonce ce qu’il voit: le régime des concessions forestières de caoutchouc, assises au Congo avec la complaisance de certains administrateurs.

Comment le fait il ?

Avec ses moyens, allers monotones de villages en villages, essais de comprendre quelque chose dans le fatras entre les traducteurs, les responsables africains véreux, l’appui de certains administrateurs.

C’est quoi le gain pour ceux là? Il s’agit tout simplement de gruger les indigènes, après les avoir recrutés de force, sur les contrats (pourvu qu’ils ne sachent pas lire, et Gide dit : pourvu qu’ils sachent lire ) et puis de les voler sur le pesage, sur la paye, sur le ravitaillement en manioc, sur les récoltes, que l’administration parfois rend impossible pour des raisons politiques. Le recensement datant de quelques années, les « indigènes » doivent en plus payer l’impôt pour leurs morts et leurs exilés.

Exilés, alors que le mot exact serait parqués de force laissant derrière eux leurs plantations et leurs cases. L’administration y a mis feu, c’est plus simple.

Et puis il y a ceux qui « savent » leur conseillant de ne pas payer les porteurs, ils mangeront bien, n’est ce pas, sans parler bien entendu des médicaments et des soins divers minimaux que Marc-le- jeune dispense, jugé un luxe inutile .



Alors Gide s’insurge, on ne lui fait pas croire qu’un parc d’enfants dénutris …. serait un simple erreur de parcours, d’autant que le traducteur qui aurait pu expliquer le pourquoi de ce camp sauvage… est rapté par des gradés officiels.



Le « Voyage au Congo » n’est pas du tout un livre d’ethnographe, ni même de voyageur comme proclamé sur la 4 · de couverture. Gide a simplement écrit son journal, où il parle plus de la pluie et du beau temps, des touffes d’arbres, des rivières où il se baigne, des papillons qu’il chasse, des antédiluviens crocodiles, que des danses dont il avoue ne rien comprendre, que des coutumes qu’il ne comprend pas plus. Son parcours d’un an à travers le Congo est bien celui d’un touriste, le récit est monotone, parfois lyrique, parsemé de locutions désuètes ( les trafiqueurs, nous faisons comparoir, il s’est fait poivrer, on se blouse), et dans l’ensemble presque sans intérêt, sauf dans les notes en plus petit caractère :



Gide y dénonce entre autres la construction du chemin de fer Brazzaville-Océan « effroyable consommateur de vies humaines » occasionnant le travail forcé, la dénutrition et les maladies. Il veut rétablir une certaine justice, dans un continent où elle ne règne pas, et s’évertue à essayer de se montrer équitable, il s’enthousiasme parfois, et toujours il rétablit la vérité : non, les noirs ne sont pas fourbes, fainéants, voleurs ou menteurs …..



A son retour, il ne se taira pas et mettra en cause les exploitations forestières, et les administrateurs qui couvrent leurs méfaits. Il enverra son livre à Léon Blum, qui le publiera dans « le populaire ». L’Assemblée nationale française en sera ébranlée.

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Les Caves du Vatican

Mais qu'allais-je donc faire dans ces caves ? Je n'y ai même pas trouvé de bonne bouteille à ouvrir, heureusement j'y étais bien accompagnée, et comme souvent cela a fait le sel de cette aventure. Merci à Hélène, Isa, Pat et yellowsub de m'y avoir suivie, parfois précédée, éclairant de leurs lumières la nuit dans laquelle je m'enfonçais, et à Nicola et Doriane d'avoir supporté par leurs commentaires les participants à la LC.



Un ressenti mitigé pour moi, je vous invite à aller lire ceux de mes compagnons de lecture, Ils ont dans l'ensemble plus apprécié, capables d'y discerner des choses qui m'ont échappé.

PS : Ayant lu le retour d'Hélène avant de poster le mien, je confirme que sa lecture a été beaucoup plus fructueuse que la mienne. Son retour est très complet et m'a fait découvrir des aspects que je n'avais même pas entrevus.



J'ai aimé, passé un petit temps pour refaire connaissance, le style de l'auteur. J'ai aimé les noms loufoques des personnages. J'ai aimé la construction qui paraissant un peu anarchique au départ, enchainant des péripéties apparemment sans rapport les unes avec les autres, finit par tout réconcilier à la fin du livre.

Mais je me suis un peu ennuyée, peinant à vraiment m'intéresser aux mésaventures de tout ce monde.

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Les nourritures terrestres - Les nouvelles ..



Encore un livre qui m’est cher et qui reste à portée de ma main, que j’ouvre pour retrouver, relire souvent quelques pages cornées à dessein, quelques lignes soulignées . Aujourd’hui une relecture complète dans le cadre de notre prochaine réunion du club littéraire consacrée « aux écrivains et à la gourmandise », un thème emprunté à une liste Babelio.

Un livre pour étancher notre soif, apaiser notre faim, nos appétits élémentaires, pour satisfaire à l’envi, d’autres besoins tout aussi vitaux , ceux qui nourrissent l’esprit . Une lecture gourmande effectivement qui nous fait goûter avec douceur, avec ferveur, volupté et poésie aux nourritures terrestres généreusement offertes , aux fruits de la terre, métaphores des douceurs de la vie, aux beautés du monde, aux ciels africains sublimés, ceux italiens éblouissants , à la sensualité du sable qui crisse sous le pied nu, à la douceur des rencontres imprévues, à la caresse de l’air, au temps qui passe dans la plénitude du bonheur, le désir d’un peu de pluie au cœur de l’été , l’attente de l’aube quand les étoiles se fanent, … Une quête nourricière toujours renouvelée

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Les faux-monnayeurs

Après Yourcenar, dans la catégorie, "je ne connais que lui mais bon sang pourquoi je ne l'ai pas encore lu ?", voici André Gide. Avec la circonstance aggravante que c'est un Prix Nobel et les meilleurs savent.



Est-ce que je vais vous ressortir la crainte de l'Académisme comme raison d'une lecture si tardive... ? Peut-être... Alors que si j'avais réfléchi un peu à ce que je savais (homosexualité assumée à une époque où le coming out n'était pas trop in), j'aurais pu me douter que le style avait peu de chances d'être totalement rigide.



Bref, les challenges comme souvent (y compris mon Nobel) m'ont poussé à cette lecture et j'en suis fort aise. Après le contexte de ma lecture, retraçons brièvement le contexte du livre. C'est un roman "de la maturité", puisqu'il l'écrit passé 50 ans, au sommet de sa gloire et en déclarant que c'est son premier roman (pas gentil pour les autres, notamment Les Nourritures Terrestres qui lui valut sa renommée dès l'âge de 26 ans).



On sent en tout cas un auteur totalement à l'aise et qui mène une narration à plusieurs points de vue, avec un livre dans le livre, des extraits d'un journal d'un personnage principal, et un narrateur à la première personne qui apparaît subrepticement, le plus souvent comme guide de lecteur, mais parfois comme suiveur impuissant des personnages. J'ai trouvé cette narration particulièrement drôle et réjouissante, elle a allégé toute la lecture.



On peut se dire déçu du sujet et de l'histoire en elle-même, qui ne sont pas ébouriffants. L'auteur semble vouloir s'intéresser à plusieurs problématiques (l'amitié, les premières amours, les vieux couples, le suicide) et semble y jeter successivement certains des personnages, sans forcément chercher une cohésion, et en plus en nous faisant le coup de l'auteur qui se laisse guider par la réalité. On ne se fera pas avoir si facilement... mais on prend plaisir aux débats sur l'écriture du réel ou sur sa réinvention, et on n'oublie pas que Gide a été contemporain dans sa jeunesse d'un certain Zola et on comprend qu'il se plaise à déconstruire le naturalisme.



Je ne passerais pas sous silence un aspect qui ne peut que choquer : un inceste oncle-neveu, tranquillement décrit, sans envisager une seconde le côté délictueux de la chose. Gide évite les détails scabreux mais ne laisse tout de même planer aucun doute sur la réalité de la chose. Il l'aborde tellement naturellement que j'ai mis du temps à m'en "offusquer" (tranquillisez-vous je n'appelle pas au boycott !) et cela m'a fait me demander deux choses: quelles raisons ont amené Gide à évoquer ce genre de relations et pourquoi ai-je mis autant de temps à le relever ? Pour la première, je pense que l'époque des années folles permettait plus de libertés dans l'imagination et Gide cherchait peut-être à tester les limites de son lectorat, lui dont l'homosexualité assumée avait du lui valoir déjà certains jugements de ses contemporains. Quitte à être mal vu, autant aller jusqu'au bout ? Ce n'est qu'une hypothèse que je vous livre là. Pour la deuxième, je pense que le talent de Gide permet d'installer doucement l'histoire et de faire accepter comme naturel ce genre d'amour oncle-neveu. Pour éviter qu'on ne renchérisse sur la pédophilie, précisons tout de même que le neveu est majeur (tout juste bachelier mais on peut le supposer) et consentant voire lui-même en demande (même si l'influence de l'ascendance ne peut qu'interroger sur le consentement). Tout cela n'a pas gâché mon plaisir de lecteur, mais m'a quand même poussé dans mes retranchements.



Vous vous en doutez après cette critique, originalité de la narration oblige, cela me donne bien envie de remettre le Gide et le couvert pour une prochaine lecture... histoire de déguster certaines nourritures terrestres ?







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La porte étroite

Jérôme vient de perdre son père. Avec sa mère et une amie de celle-ci, Miss Flora Ashburton, ils partent tous les trois passer des vacances en Normandie chez les Bucolin, des parents. Il y fait la connaissance de sa cousine, Alissa, dont il tombe amoureux et lui soumet son projet de l’épouser…

Si l’on connaît un tant soit peu la biographie de Gide, on s’apercevra vite qu’il reprend beaucoup d’éléments de celle-ci dans « La porte étroite ». Ainsi à sa sortie, il ne souhaite pas que l’on qualifie son ouvrage de roman mais plutôt de récit, sans doute afin de lui donner toute la véracité qu’il souhaite et, de facto, satisfaire son égo en embellissant une réalité moins gratifiante. Car l’auteur a bien épousé sa cousine, mais on peut douter de l’aspect passionnel de leur relation qu’il développe amplement au cours de cet ouvrage lorsque l’on sait la vraie nature de Gide. Mais qui sommes-nous pour juger ?

Alissa surprend dans son attitude à refuser l’amour qui lui est offert, et même agace. On pourrait penser que l’ennui, tout comme pour la Bovary, est l’élément déclencheur de cette recherche des situations dramatiques. Mais là où le personnage de Flaubert concrétisera ce goût pour la tragédie dans l’adultère, le personnage de Gide l’argumentera dans une foi vertueuse.

On ne peut lire « La porte étroite » sans penser à Marcel Proust et « à la recherche du temps perdu ». On y trouve les mêmes ambiances, la Normandie et sa campagne, la mer et ses odeurs iodées que l’on devine... Il y a aussi, bien sûr, cette langue française parfaitement maniée et la poésie qu’il émane de chaque phrase. C’est comme une mélodie suave qui ne peut que flatter nos oreilles, exacerber nos sens.

On pourrait penser que Gide s’est inspiré de Proust, il n’en est rien. Gide écrit « La porte étroite » en 1909 et ce n’est qu’en 1913 que Proust présente son manuscrit aux maisons d’édition. Lorsqu’il le propose aux éditions Gallimard, son ami Gaston Gallimard est enthousiasmé, mais n’étant qu’administrateur c’est au comité éditorial que revient la décision. C’est là où Gide intervient en y opposant un veto. Par-là, il entend asseoir son autorité au sein de la prestigieuse maison et peut-être écarter un rival talentueux. Plus tard il le regrettera.

« La porte étroite » est un grand moment de la littérature française, et l’objet du premier succès de Gide auprès des lecteurs. Aussi étroite soit-elle, c’est une remarquable ouverture sur l’œuvre de Gide, facile d’accès et que l’on devrait conseiller de lire en premier, pour qui n’a jamais rien lu de cet auteur.

Editions Mercure de France, Folio, 186 pages.

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Si le grain ne meurt

Autobiographie ou confessions ? André Gide se raconte sans pudeur depuis son enfance à la scolarité capricieuse, l’amour qu’il voue à sa cousine Emmanuèle, ses rencontres jusqu’à son émancipation en Afrique du Nord où il recroisera la route d’un certain Oscar Wilde.

Il dresse une frontière infranchissable entre les aspirations de sa chair et les élans sentimentaux de son esprit. Il écrit d’alors qu’il se trouvait au chevet de sa mère : « Une fatalité me menait ; peut-être aussi le besoin de mettre au défi ma nature ; car, en Emmanuèle, n’était-ce pas la vertu que j’aimais ? C’était le ciel, que mon instable enfer épousait ; mais cet enfer je l’omettais à l’instant même : les larmes de mon deuil en avait éteint tous les feux ; j’étais ébloui d’azur, et ce que je ne consentais plus à voir avait cessé pour moi d’exister. »

Lire un ouvrage de Gide est comme écouter du Bach, chaque mot choisi est à sa place et il y a une place choisie pour chaque mot, le Verbe est porté haut, il brille au pinacle des plus belles lettres de la littérature française.

Editions Gallimard, Folio, 372 pages.

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La porte étroite

L'amour est-il trop léger à porter pour Jérôme et Alissia?

Jérôme craint de perdre Alissia et se paralyse. Alissia veut remettre son amour à Dieu, dans une vertu qui s' exacerbe.

Où y a t il de l'amour, dans ces lettres, ces fuites, ces pas manqués?

Gide dissèque cet amour dénaturé (mais est-ce encore un amour) par la peur, le rigorisme et l'incompréhension, dans un récit empreint de mélancolie.

Cette Porte étroite a quelque chose du Grand Meaulnes et ses fragrances de bonheur mais avec cette aridité d'une foi qui dessèche.

Cette Porte étroite que l'on ne peut franchir à deux de front.



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Les faux-monnayeurs

J'ai attaqué ce roman sans à priori aucun, sans connaissance particulière sur l'auteur, avec simplement dans l'idée de découvrir Gide. Or il est rare que je lâche un livre en cours de route, mais dans le cas présent je n'ai pas dépassé le quart. Je n'ai pas vu l'intérêt de m'en infliger plus... Les choses ne commençaient pas mal pourtant. le jeune homme décidant de quitter sa famille, partir brutalement en abandonnant tout et sans un sous en poche. le courage de se tenir debout face au monde sans toit, sans argent, sans rien, et de faire un pas en avant...



Malheureusement, l'histoire continue d'avancer. S'allongeant. S'encombrant de fioritures. Digressant. Et peu à peu, m'a envahi l'impression... D'entendre Gide s'écouter écrire. Nous connaissons tous une personne qui aime plus que tout le son de sa voix, et pourrait discourir des heures pour ne rien dire. Ah, mais qu'est-ce que j'écris bien ! Je suis en train d'inventer une nouvelle forme de roman, c'est incontestable. Et que dire de cette mise en abîme de ma vie. Allez, encore une petite scène. Allez, on déconstruit, on délaye ! C'est cela, la forme de la nouveauté ! Et la valise, tient, insistons sur sa description, ça ne sers à rien mais c'est cela qui est beau.



Certes. Mais là c'est un peu gros.



Par ailleurs, l'histoire m'a paru moins homosexuelle que pédérastique... Voir pédophilique par moment. Un vieux beaux ou deux tournant autours des jeunes éphèbes, et passant aux suivants une fois la date de péremption de tous ces Ganymède passée. Quand ils ne vont pas directement reluquer les gamins dans les librairies. A peu près aussi romantique et émouvant qu'une intrigue entre Juliette et le père de Roméo ; aussi sympathique que le beau-père de Lolita...



L'agacement me gagnait. Ce qui n'est jamais bon dans le métro parisien. A Dieu va monsieur Gide, je n'ai pas pris la bonne porte pour vous rencontrer. Heureusement, il y en a beaucoup d'autres.
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