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Critiques de Anna Seghers (59)
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Jans va mourir

Jans va mourir de Anna Seghers - lu en mars 2019.

Traduit de l'allemand dont le titre est Jans muss sterben.

C'est Kielosa qui m'a donné l'envie de lire ce livre.

Le titre en français est Jans va mourir, en allemand, Jans muss sterben, qui veut dire en français Jans doit mourir, ce qui est bien différent (vu sur Google traduction) je ne parle pas l'allemand. Je vous dirai pourquoi je préfère le titre en allemand.

Jans est un petit garçon de 7 ans, fils de Martin et Marie Jansen, un gamin comme beaucoup, riant, espiègle, écolier normal. Ils vivent dans une unique pièce. Marie et Martin sont un couple à la dérive, , ils se supportent tout au plus. C'est Marie surtout qui ne supporte plus son mari. Quand Jans est né, Marie s'est consacrée totalement à son fils - "Jansen fut tout décontenancé par cette Marie étrangère, à la voix changée et dont les traits se perdaient dans le vague. Et Marie fut presque soulagée lorsque enfin il se mit vraiment à aller son chemin et à boire et qu'elle eut une raison palpable au mépris qu'elle éprouvait" (page 13) - Marie tient son mari à l'écart de Jans. Depuis, Martin s'éloigne de son fils, non qu'il ne l'aime pas, mais il est gêné et n'ose pas s'en occuper, Marie étant une mère exclusive. Un jour comme un autre, Jans tombe, tout tourne autour de lui, il n'a plus d'appétit, le médecin vient mais ne décèle rien de grave. Cet à partir de ce moment que le père de Jans sait, il sait qu'il va mourir, il le sent au fond de lui, et quand Jans doit garder le lit, furtivement, en cachette de sa femme, il se permet des gestes et des regards de tendresse envers Jans. le petit garçon décline de jour en jour, il crache du sang, cela met du temps, avec une période de rémission où Jans retourne dehors, reprend l'école mais où il ne fait plus rien, il est trop faible.

Les parents se rapprochent lors de cette maladie de Jans, ils se remettent en question, et Marie attend un autre enfant. Jans passe alors au second plan, lui qui n'avait eu que quelques gestes de tendresse de son père, le voit câliner la petite Anna, s'en occuper, jouer avec elle, sa mère aussi le délaisse "Non, Jans ne cherchait plus à saisir au vol le regard de son père. Au contraire, il faisait tout pour l'esquiver" page 43) , il n'y en a plus que pour la petite.

Jans finit par mourir.

Le titre "Jans doit mourir" en allemand prend tout son sens. Dans l'esprit du père dont il est question durant tout le livre, Jans était mort

depuis le début de sa maladie, il devait mourir, dans sa tête, c'était inéluctable "Parfois un voisin demandait dans le couloir, ou bien un collègue au travail : Eh bien, il est malade ton Jans ? - Oui, il est malade, répondait Jansen. - Il s'en tirera, disait l'autre. - Non, rétorquait Jansen, je ne crois pas qu'il s'en sortira." (page 31). Pourtant ce père aimait son fils, sa mort lui a causé un immense chagrin, mais il y avait la petite Anna. Au début, Marie et Martin allaient au cimetière tous les dimanche, puis seulement les jours fériés.

Une histoire triste, mais aussi avec des descriptions poétiques, une écriture sensible, l'histoire d'un simple ouvrier, se tenant en retrait, incapable de faire face à sa femme et d'être un vrai père pour son fils. Il ne découvrira la vraie paternité qu'à la naissance de sa fille où là, Marie L encourage à s'occuper de la petite. Finalement, c'est un drame pour cet homme pas méchant mais

englué dans sa faiblesse.

Encore merci Kielosa pour cette découverte.







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Transit

Transit, un purgatoire entre le passé anéanti et l'avenir incertain.



Un enfer, plutôt.



Enfer des pas perdus en répétitives errances, en démarches  kafkaïennes, d'une administration à l'autre, d'abord  pour un visa, ( si on est attendu, si on est solvable, si on peut faire la preuve d'avoir un travail là-bas..),  puis pour un transit qui prouve que vous avez bien l'intention de quitter ce lieu provisoire où vous avez échoué.   Et enfin pour un visa de sortie du pays de transit au cas où vous resteriez dans cet endroit qui a pourtant si peu envie de vous garder ...



Mais à ce moment- là,  votre visa d'immigration a déjà perdu sa validité  et sans ce viatique, adieu veau, vache, cochons, couvées...



Retour à la case départ : refaites le siège des consulats pas trop frileux face au vainqueur nazi!



 Vous avez par miracle réuni les trois documents dans les temps? C'est la course à l'embarquement qui commence sur des  bateaux, pas nombreux-nombreux, pas directs-directs, pas nickel-nickel, et qui ont une fâcheuse tendance à couler par le fond ou à faire des périples à rallonges... quand ils ne reviennent pas, sans crier gare,  à leur port d'attache..



À Marseille.



C'est dans la cité phocéenne qu'après un séjour  dans un Paris occupé, sombre et plein de menaces, échoue le narrateur, un opposant allemand au nazisme,  évadé d'un camp de réfugiés. Il s'est sauvé en zone (encore) "libre", avec les affaires et les papiers d'un compatriote, un écrivain connu, que le désespoir a poussé au suicide.



Il a vaguement l'intention de remettre ce colis à la femme de cet écrivain, déjà réfugiée à Marseille,  et qu'il ne connaît pas.  Mais la tentation est grande pour lui d'emprunter l'identité de ce mort qui semble avoir tout ce qu'il n'a pas: de l'argent au Portugal, des amis influents dans les ambassades étrangères.. 



Va pour Marseille, donc...



Marseille a été, quelque temps, la ville de la zone "libre" d'où pouvaient encore partir  (avant que la nasse de la zone libre ne devienne un piège infernal où ils seraient tous pris)   des bateaux pour tous les réfugiés qui s'y pressaient en quête d'un billet pour l'Algérie, le Portugal, l'Espagne et surtout pour  le Nouveau Monde, les USA, bien sûr, ou , plus accessibles, le Mexique ou les pays d'Amérique du Sud. 



Pas un Marseille bleu et or, lumineux et chaleureux, un Marseille hivernal, battu par les vents mauvais du mistral, de la panique et de la déroute,  un Marseille microcosmique, réduit à ses quais avec ses bateaux en partance, à ses bistrots où se croisent et se recroisent les mêmes silhouettes pathétiques d'émigrants juifs, communistes, opposants politiques qui finissent par tous se connaître et se fuient avec horreur tant chacun renvoie à l'autre l'image de son propre désespoir, de sa propre inefficacité,  - et réduit à ses ambassades avec leurs consuls véreux, leurs sempiternelles files d'attente, leurs cachets et leurs tampons si ardemment convoités.



Un Marseille confiné, contraint, étouffant.. .



Très lentement, de façon oppressante,  de plus en plus détachée du réel ,  à mesure que les tâches se répètent, que les silhouettes se perdent, s'effacent, broyées par l'attente et les espoirs déçus, le récit INSTALLE...une situation qui est , paradoxalement, celle d'une vertigineuse précarité. 



C'est alors que survient la rencontre du narrateur avec Marie , une rencontre elle  aussi répétitive, lancinante, tournoyante .



Marie est si jolie qu'il la remarque, si perdue qu'il a envie de la sauver, si éperdue qu'il ne peut l'atteindre ni lui dire ce qu'il a à  lui dire, ce qu'il a découvert sur elle et sur lui-même.



Marie a quitté son mari pour un autre homme, un médecin que fréquente le narrateur, mais on lui a dit que son mari est à  Marseille, qu'il a demandé un visa d'immigration, qu'on l'a vu dans plusieurs lieux. Elle le cherche donc, pleine d'angoisse, de remords et , peut-être encore, d'amour...



À Marseille...



Un destin, ironique et cruel, a fait de cette jeune femme en fuite perpétuelle une pièce maîtresse dans la propre fuite du narrateur, à laquelle soudain elle redonne sens, espoir et énergie..



S'il fuyait avec elle? Et pourtant il est le dernier avec qui elle devrait fuir...



De Marseille..



TRANSIT est un roman magnifique, supérieurement bien écrit et bien traduit, empreint du même désespoir que celui de Erich Maria Remarque dans Cette terre promise, de la même ironie désabusée que celle de Lion Feuchtwanger dans le Diable en France...



 Il a été inspiré à Anna Seghers par sa propre situation d'opposante au nazisme.  Juive et communiste,  elle avait toutes les raisons de quitter cette zone libre qui n'allait pas le rester longtemps. Elle a vu ses amis écrivains céder au désespoir, au suicide : Walter Hasenclever, Carl Einstein, Walter Benjamin..



Christian Petzold a fait, paraît-il, une adaptation cinématographique de qualité de ce grand livre, en défrayant pourtant  la chronique : il a eu l'audace, tout en maintenant le contexte historique de l'occupation et de la collaboration,  d'en actualiser l'apparence. Il a filmé un Marseille contemporain, des immigrés avec vêtements  et accessoires d'aujourd'hui, des forces de l'ordre portant l' uniforme actuel...



Je n'ai pas vu son film, mais en lisant Transit j'ai eu l'impression de toucher à l'essence même de toute immigration-  quand elle est commandée par une nécessité absolue, vitale- , et je comprends ce parti pris d'anachronisme  politique  volontaire du cinéaste...



Si Transit,  le livre, m'a bouleversée c'est qu'il est intemporel,  bien au-delà du témoignage plus ou moins autobiographique.



Anne Seghers n'a pas campé une héroïne ayant mari et enfant, comme c'était son cas:  son narrateur est un inconnu, un être revenu de tout, un "homme sans qualité " qui hérite bien malgré lui de l'encombrant bagage d'un écrivain, et qui le devient par la force des choses et celle des événements.

 

L'exil le sacre écrivain.



Et le livre qu'il nous laisse est la bouteille à la mer de tous les exilés que la guerre ( ou la misère, ou la faim,  rayez la mention inutile ) jette dans les ports, sur les côtes ou sur les routes du monde sauvage qui est le nôtre. 





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La septième croix

Depuis Transit je voulais lire d'autres livres d'Anna Seghers. Cette écrivaine allemande, communiste et d'origine juive, fuyant l'Allemagne nazie, puis la France vichyste pour se réfugier au Mexique avant de revenir en RDA, en pleine guerre froide, a énormément écrit avant, pendant et après son exil. Un petit nombre de ses nombreux livres ont été traduits en français, dans des éditions parfois difficiles à trouver.



J'ai déjà dit tout le bien que je pensais de Transit qui évoque de façon romancée le parcours du combattant des réfugiés politiques étrangers regroupés à Marseille dans l'attente d'un visa de sortie pour quitter la France, tandis que la zone libre mérite de moins en moins son nom...



La septième croix non plus ne m'a pas déçue. C'est de l'opposition intérieure au nazisme et du sort qui lui est réservé qu'il est question cette fois.



Sept prisonniers politiques ont réussi à s'évader du camp de concentration de Westhofen. Le pouvoir nazi est sur les dents et met aussitôt tout en œuvre pour les rattraper. Un à un, les évadés sont repris ou abattus. Sauf un: Georg, blessé gravement à la main et repéré un peu partout où il passe. Son arrestation ne semble être qu'une question d'heures. Les chefs du camp ont déjà dressé dans la cour les sept poteaux de torture en forme de croix où les sept évadés recevront leur châtiment ultime.



Pourtant Georg tient bon. Tandis qu'autour de lui l'étau se resserre, se tisse aussi le réseau fin et solide d'un maillage amical, d'un héroïsme du quotidien, fait de petits pas, de petits gestes, de petites initiatives à hauteur d'homme ou de femme qui fait pièce à la chasse à l'homme organisée par les nazis..



Une multitude de personnages gravitent autour de Georg sans le connaître ni le croiser parfois, donnant à son échappée belle une profondeur et une résonance exemplaire.



Ainsi se révèlent aussi bien des lâchetés inattendues chez tel qu'on croyait un opposant militant et résolu-ou des prises de risque généreuses et tenaces chez un vieux copain qu'on aurait pensé pusillanime et replié sur son bonheur égoïste.



Tous ces parcours dessinent une Allemagne en proie à la fanatisation de masse, surveillée et épiée dans ses moindres faits et gestes par les chefs d'immeubles, les hommes en uniforme, SA ou SS, les enfants enrôlés dans les mouvements de jeunesse hitlérienne, les concierges aux aguets, les délateurs d'occasion... Bref une Allemagne où il est devenu héroïque et dangereux de tendre la main, de donner à manger, d'héberger un homme aux abois.



Le récit est nerveux, détaillé, haletant, la restitution historique pointue et convaincante, les personnages attachants.



Et comme Anna Seghers est aussi un grand écrivain, elle donne à ce suspense historico-policier une ampleur quasi mythique par la force de quelques scènes-la mort en liberté du plus vieux des évadés revenu mourir près de sa ferme. ou la petite fille en bonnet blanc et aux yeux noirs qui vient soudain agripper la nappe de la table où dîne le fugitif tandis que des SA entrent dans la salle pour danser la valse...



Seghers sait aussi transfigurer un récit hyper réaliste par des détails incongrus qui lui donnent des allures de conte- le fugitif réfugié dans une cabane où sont dressées sept petites assiettes, sept petites coupes...



Un récit palpitant, instructif, plein d'humanité et de poésie, postfacé par la grande Christa Wolff.. je recommande chaudement!
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La septième croix

A la fin des années 30, dans la région de Mayence, sept prisonniers (des opposants allemands au régime nazi) s'évadent du camp de Westhofen. Aussitôt l'alerte est donnée, la chasse à l'homme lancée, et le commandant du camp fait ériger sept croix comme autant de futurs poteaux de torture, où les évadés rendront leur dernier soupir dès qu'ils auront été repris. Parce qu'il n'est absolument pas envisageable qu'ils disparaissent dans la nature; un pouvoir totalitaire ne saurait tolérer pareil affront. Et la traque est intense, les mailles du filet très serrées, l'information diffusée dans les journaux et sur les ondes, les réseaux de mouchards sont activés, on ne donne pas cher de la liberté des fugitifs. Et de fait, ils sont repris assez rapidement, sauf un : Georg Heisler. Pourtant repéré à de nombreuses reprises, il reste insaisissable, échappant chaque fois d'un cheveu à ses poursuivants, de plus en plus énervés et furieux. le hasard, la chance, une complicité inattendue ou une aide inespérée le maintiennent vivant et libre pendant une semaine. Après... à vous d'aller au bout du roman pour connaître son sort.



Bien plus qu'un suspense policier ou le récit d'une cavale improbable, "La septième croix" est le portrait d'une Allemagne qui, après la défaite de la Première Guerre et la débâcle économique qui a suivi, s'est engagée dans la voie du totalitarisme national-socialiste. La société est devenue hyper-contrôlée et hyper-contrôlante, les faits et gestes sont espionnés, les délations vont bon train, les chefs d'immeubles et de quartiers sont aux aguets pour démasquer les traîtres à l'ordre nouveau. La résistance interne n'a pas été totalement anéantie, mais sa marge de manoeuvre pour éventuellement venir en aide à Georg est infime, et le moindre mot ou acte peut devenir héroïque à force d'être périlleux. "Était-il permis de mettre un homme en danger pour en sauver un autre ? Hermann pesa et soupesa tout encore une fois : oui, c'était permis. Pas seulement permis, mais nécessaire".



Ecrit en 1939, lors de l'exil de l'auteure en France et publié pour la première fois aux USA en 1942, ce roman polyphonique met en scène une foule de personnages autour de Georg, qui l'ont connu ou pas, qui vont le croiser ou pas, qui partagent ses convictions ou ne pensent qu'à le livrer à la Gestapo. de lâchetés mesquines en gestes anodins salvateurs donc suicidaires, de la résistance au fanatisme des SS en passant par la masse de ceux qui ont adhéré au parti pour avoir à manger et éviter les problèmes, la nature humaine se révèle dans l'adversité, et pas toujours comme on aurait pu s'y attendre.



La narration est très réaliste et détaillée, passant d'un point de vue à l'autre avec une fluidité étonnante. L'auteure joue aussi avec les focales, passant des détails de la vie quotidienne à des plans panoramiques sur les paysages environnants, ou à une dimension quasi-mythique quand elle insère des éléments de l'univers du conte ou quand elle remonte aux conquêtes de l'époque romaine.



Le récit est tendu, haletant, la psychologie des comportements, rendue infiniment complexe par le contexte de dictature, est analysée très finement. Je ne suis pas totalement emballée ni convaincue par ce style (et/ou la traduction?), mais ce roman est un texte profond et puissant, qui montre qu'en dépit des circonstances les plus terribles, "au plus profond de nous il y avait aussi quelque chose d'insaisissable et d'inviolable".



En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Jans va mourir



Ceci est ma troisième critique d'un ouvrage d'Anna Seghers (1900-1983). Après "La Capitation" (28-01-2018) et "L'Excursion des jeunes filles qui ne sont plus" (10-11-2018), aujourd'hui je vous présente un billet d'une autre histoire relativement brève de cette grande écrivaine allemande : "Jans va mourir" d'à peine 61 pages, qui a été son tout premier ouvrage, écrit lorsqu'elle avait tout juste 25 ans et qu'elle venait de terminer ses études à Heidelberg.

La photo de couverture de l'édition de Biblio/Livre de Poche est celle de l'auteure l'année même de ce récit , en 1925.



C'est un peu dommage que j'ai lu ses chefs-d'oeuvres "La septième croix" (1942) et "Transit" (1944) il y a vraiment trop longtemps pour en faire une critique de mémoire, mais je promets d'en faire une relecture dans un avenir pas trop éloigné.



C'est le fils même d'Anna Seghers, Pierre Radványi, qui dans une préface nous dévoile l'histoire de cette histoire. L'arrivée au pouvoir d'Hitler avait forcé Anna et son mari, le sociologue hongrois László Radványi, qu'elle avait épousé en 1925, en juin 1933 à la fuite. Jusqu'à l'occupation de Paris par la peste brune en 1940, la famille avait habité à Bellevue-Meudon - comme la célèbre danseuse américaine Isadora Duncan (1877-1927), qui y ouvrit lors de la Première Guerre mondiale une école de danse - mais se voyait contrainte à une nouvelle fuite : de Marseille, en passant par la Martinique, au Mexique, où elle débarqua en mars 1941.



Son fils Pierre fut, en octobre 1945, le premier de la famille à retourner en Europe. Il avait 19 ans et avait gagné une bourse pour étudier à Paris. Plus tard, sa mère installée à Berlin-Est, lui demanda d'aller récupérer leurs biens restés à Bellevue-Meudon, essentiellement des livres, documents et papiers divers. Lors d'une visite à son fils, l'écrivaine avait décidé que cela resterait à Paris. Parmi les paperasses de sa mère bien-aimée, il y avait ses écrits de jeunesse, qu'il n'avait, par délicatesse envers sa mère, jamais dépouillés. À l'approche du centenaire de sa naissance, Pierre se décida et découvrit "Jans va mourir", écrit un an avant sa propre naissance. Par acquit de conscience il prit contact avec la grande biographe et spécialiste de l'oeuvre de sa mère, Christiane Zehl Romero (née à Vienne en 1937 et professeur de littérature comparée à l'université de Tübingen), et "Jans muß sterben" fut publié en Allemagne en 2000 et superbement traduit par Hélène Roussel en Français, l'an suivant.



Il aura donc fallu trois quarts de siècle avant que le manuscrit soit chez un éditeur et que nous pouvons faire (enfin) la connaissance du petit Jans Jansen, 7 à 8 ans, et l'enfant gravement malade de Marie et Martin Jansen.



Ma toute première impression : il s'agit d'un court opus, triste évidemment, mais d'une beauté littéraire absolument exceptionnelle. Il y a d'abord la personnalité remarquable de son auteure pour concevoir, à son jeune âge, une telle oeuvre délicate et ensuite la qualité non moins remarquable de la traduction d'Hélène Roussel. Lorsque je tiens compte de ce que Mme Roussel qualifie, dans sa postface intitulée "Jans n'est pas mort", à la page 90, comme un "texte (qui) renferme une telle intensité d'émotion", je ne peux que constater que mon jugement final confirme largement ma première impression.



Cette postface par l'ex-professeur de littérature à l'université de Paris 8 (Vincennes - Saint-Denis), née à Albi en 1945 et docteur en germanistique avec comme expertise l'exil allemand en France 1933-1945, est particulièrement enrichissante. Je n'ai pas honte d'avouer qu'Hélène Roussel y mentionne des aspects et qualités qui m'avaient échappé, bien que je sois un grand admirateur de l'oeuvre d'Anna Seghers.



Chères amies et chers amis sur Babelio, je vous recommande vivement ce petit livre. Ne vous laissez pas vous décourager par le mot "mourir" dans le titre, ni par cette maladie inconnue et fatale à notre petit héros, qui par un effort de courage monumental réussit en fin de compte, néanmoins, à choisir librement sa mort.



L'ancienne étudiante de Karl Jaspers - tout comme son mari d'ailleurs - montre dans cette nouvelle fabuleuse qu'elle n'a pas perdu son temps sur les bancs de l'université d'Heidelberg et qu'à part la philosophie, elle avait également maîtrisé la psychologie, tout en disposant de talents littéraires rares.



Bref, 5 étoiles : le max !

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Transit

Marseille 1940 – 1941, le Vieux Port, le Cours Belsunce, tous ces lieux fourmillent de réfugiés en transit, ils courent d'un consul à un autre, de la préfecture à la compagnie maritime, d'espoir en désespoir, dans un univers administratif absurde, « à devenir fou », errant dans la ville, désoeuvrés. Ils attendent le « Sésame » qui leur permettra de partir, d'embarquer sur un bateau qui les emmènera vers une nouvelle vie si le bateau arrive à bon port.

Mais voilà, vu les multiples démarches, les nombreuses garanties à donner émanant de services totalement indépendants les uns des autres voire du pays de destination, il arrive qu'une autorisation survienne alors qu'une autre, accordée précédemment, soit parvenue à échéance et il faut tout recommencer !

Tout cela avec la peur au ventre, la hantise de voir apparaître une croix gammée, d'être raflé, envoyé aux travaux forcés ou déporté. Effrayant de s'installer dans un café en fixant la porte, toujours aux aguets où à la recherche d'un regard connu.

Dès les premières lignes du récit, j'ai ressenti le ton désabusé du narrateur anonyme qui, assis dans un café, invite le lecteur à s'assoir près de lui afin de pouvoir lui raconter son histoire.

« Il fut un temps où je m'embarquais facilement dans des histoires dont j'ai honte aujourd'hui. Un tout petit peu honte puisqu'elles sont passées. Mais j'aurais terriblement honte si j'embêtais les gens. Pourtant, je voudrais pour une fois tout raconter depuis le début » (page 13).

Dans cette histoire, il sera aussi question du manuscrit d'un écrivain autrichien Weidel qui se suicidera au moment de l'invasion allemande dans sa chambre d'hôtel à Paris. Cet évènement ne sera pas sans rappeler le suicide d'Ernst Weiss, ami d'Anna Seghers, comme celui de ces trois écrivains allemands qui dans les années 1939 -1941 se suicideront pour les même raisons : Walter Hasenclever, Carl Einstein et Walter Benjamin qui devant la collaboration du gouvernement français, ont eu le sentiment de ne jamais pouvoir échapper à leurs bourreaux nazis.

Anna Seghers, pseudonyme de Netty Reiling, romancière juive allemande, communiste, écrira ce roman en 1941 sur le bateau le « Capitaine Paul Lemerle » qui l'emmène, elle et sa famille, en exil loin de l'Europe, à Mexico grâce à l'intervention de la « League of American Writers » et je comprends mieux ce « ton désabusé », elle qui croyait dans les valeurs de la France, sa narration suinte la désillusion, l'amertume.

Anna Seghers a connu ces journées d'angoisse, seule attablée au Vieux Port à regarder la porte et à trembler. Son mari a été enfermé au camp du Vernet puis au camp des Milles avant leur départ pour Mexico.

L'écriture m'a propulsée à Marseille avec les fugitifs. Je me suis sentie prise au piège, enfermée à Marseille. Une sensation de claustrophobie m'a étreinte, j'avais hâte de terminer ce livre.







J'ai oublié de noter le livre : 5/5
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Transit

En 1940, la horde des gens qui avaient fui le régime nazi en France est à nouveau en panique lors de l’invasion allemande, elle se masse dans les ports en attendant visas ou n’importe quel moyen pour s’embarquer vers un ailleurs. Ces gens fuient parce qu’ils sont Juifs, parce qu’ils ont publiquement manifesté leurs idées ou leur désaccord avec un régime oppressif. C’est le cas du narrateur, un homme échappé d’un camp de concentration trois ans plus tôt et réfugié à Paris depuis. Grâce à un concours de circonstance, il se retrouve en possession des effets personnels d’un certain M. Weindel, un poète qui s’est suicidé dans sa chambre d’hôtel. C’est une identité comme une autre, autant en profiter… Puis, comem ses semblables, il prend la direction de Marseille dans l’attente d’un visa ou d’un transit, espérant s’embarquer sur un paquebot à destination des Amériques.



Ainsi, Transit est l’histoire d’une longue attente, d’une attente qui ne sera peut-être jamais comblée. Toutefois, cette histoire est moins poignante qu’elle n’aurait pu l’être : le sort de Weindel est certes déplorable mais ma compassion pour lui n’était pas particulièrement marquée. Peut-être parce que je connaissais peu son histoire, son passé, sa véritable identité ! Le mystère n’est pas le problème. À s’approprier celle du poète suicidé, il me donnait l’impression d’un voleur. Aussi, une épouse éplorée ou un enfant malade – le sien, pas celui d’un ami – aurait attisé davantage ma sympathie mais je suppose que la majorité des fugitifs n’étaient pas des pères de famille mais des hommes enhardis, des intellectuels ou opposants politiques sans attaches.



Donc, Weindel patiente comme beaucoup d’autres. Par moment, cette attente devenait aussi lourde pour moi. Non pas parce que l’écriture d’Anna Seghers était ennuyeuse mais parce que le quotidien de ces gens en attente d’un statut quelconque l’était. Faire le tour des consulats, retourner régiulièrement à certains d’entre eux, de rencontres prometteuses à rendez-vous inutiles. Mais il est impossible de faire autrement. Pendant les heures creuses, cette bande de fugitifs se retrouve dans les cafés et vit de faux espoirs et de lendemains toujours plus sombres. Ils sont embourbés dans des tracasseries administratives, certaines imposée par un système qui dépassait tout le monde, à commencer par des employés compatissants. D’autres par des gens sans scrupules ou contaminés par un soudain pouvoir dont ils se mettent à abuser. Sans oublier certains, corrompus, qui profitent de la situation pour gagner un peu d’argent… C’est presque de la torture psychologique. Dans tous les cas, ils en souffrent. À tout moment, je m’attendais à ce que la Gestapo arrive et ne viennent arrêter le héros et ses amis. Aussi, l’arrivée inattendue de la veuve du vrai Weindel a apporté une touche de tendresse, de vague sentiment d’attachement – je n’ose parler d’amour ni de romance – qui ajoutait à l’intrigue. Allait-elle le démasquer ? Ces moments étaient angoissants.



Transit occupe une place particulière pour l’autrice Seghers parce qu’elle a vécu cette situation. Elle a attendu son transit à Marseille pendant que son mari était interné dans un camp tout près. Et c’est sur le bateau qui l’amenait vers la liberté qu’elle a écrit ce roman Cette histoire, c’est la sienne et celle de nombreux autres, comme son ami l’auteur Ernst Weiss qui lui a inspiré le personnage de Weidel, le vrai, celui qui s’est suicidé dans sa chambre d’hôtel.



Aussi, Transit devrait occuper une place particulière pour tout le monde parce que cette situation continue d’être vécue. En Afrique du Nord et au Proche-Orient, des gens désespérés se massent dans les ports dans l’espoir non pas d’un visa ou d’un transit – qui ose encore y croire ? – mais d’une place sur un bateau clandestin à destination de l’Europe. La situation s’est inversée mais la détresse humaine est la même. À suivre.
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L'Excursion des jeunes filles qui ne sont p..

Short is beautifull.



Après des pavés plus ou moins mémorables, j'ai pris quelque vacance. Et goûté une vraie surprise.



Anna Seghers est, d'ordinaire, maîtresse des rythmes et sait tendre les ressorts d'une intrigue jusqu'à l'insupportable.



Transit ou La Septième croix sont des récits d'un réalisme puissant, d'un suspense effrayant, où comme une mouche, le personnage principal se débat dans la trame de l'Histoire , comme en un espace clos, dans une tentative de fuite frénétique, vaine et menacée.



Rien de tel ici.



Ce court récit n'a rien de réaliste ni de tendu. C'est une nouvelle solaire et poétique, la vision, au soleil couchant, d'une classe de jeunes filles en excursion sur le fleuve, par une radieuse après midi d'été. Ces jeunes filles " en barque sur le Rhin" à la façon d'Apollinaire sont chacune l'incarnation fugace d'un destin que la narratrice regarde avec le recul du rêve ou celui d'une vision douloureuse mais détachée. .



Autant de jeunes filles, autant de destins emportés par la déferlante du nazisme.



Comme une incantation, une prière mélancolique, Anna Seghers égrène, du fond de son exil mexicain, la litanie du souvenir.



Toutes ces jeunes mortes défilent au cours lent et majestueux d'une prose fluviale, liquide, qui s'écoule doucement comme le Rhin, comme le temps.



Tristesse de l'exil, chagrin de la perte, pardon des erreurs et des mauvais choix.



Ce sont ami(e)s que vent emporte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta... aurait chanté Rutebeuf.

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L'Excursion des jeunes filles qui ne sont p..



Ce petit livre d'Anna Seghers de 1948 compte autant de pages que les années de sa vie : 83. Il s'agit, en fait, d'une nouvelle car "L' Excursion des jeunes filles qui ne sont plus" ne fait que 51 pages en tout. L'histoire de l'auteure étant suivie d'une fort intéressante postface de Jean Tailleur et d'une bibliographie exhaustive de l'oeuvre d'Anna Seghers.



Le récit de l'auteure, bien qu'un épisode "d'une vie irrémédiablement perdue" , commence par une pointe d'humour. La toute première phrase : "Non, de beaucoup plus loin. D'Europe" en réponse à une question du patron de la "pulqueria", débit de boissons, qui lui avait sûrement demandé d'où venait au juste cette "gringa" (étrangère) dans son patelin mexicain. Une variété moderne de "Comment peut-on être Persan ?" de Montesquieu.



L'aubergiste ignorait bien entendu que l'écrivaine de 43 ans se trouvait là-bas à cause d'un certain Adolf Hitler. En 1933, Anna Seghers est arrêtée par la Gestapo et dès son relâchement elle fuit l'Allemagne, où ses livres sont brûlés et où elle "bénéficie" d'une interdiction de publication. De la Suisse, son odyssée l'amène à Paris, puis en passant par la Martinique et Vera Cruz au Mexique, en 1941. Six ans plus tard, elle est de retour en Allemagne et s'installe d'abord à Berlin-Ouest, et, comme communiste, en 1950 à Berlin-Est, où elle est nommée présidente de l'union des écrivains.

Deux ans avant sa mort, en 1981, elle est faite citoyenne d'honneur de la ville de Mayence, où elle était née comme Netty Reiling, l'unique fille d'un marchand d'art juif orthodoxe, en 1900. Avec le sociologue hongrois, László Radványi, qu'elle épousa en 1925, elle a eu 2 enfants : Peter, né en 1926 et Ruth en 1928.



C'est dommage qu'Anna Seghers n'ait pas obtenu, comme candidate allemande, le Prix Nobel Littérature en 1967 - qui est allé à Miguel Angel Asturias du Guatemala - car ses oeuvres "La septième croix" et "Transit", écrits entre 1938 et 1943, sont de véritables chefs-d'oeuvre dignes d'une Nobel. Si vous n'avez jamais rien lu d'elle, ce sont les ouvrages que je recommanderais pour commencer. En janvier dernier, j'ai publié un billet de son roman "La Capitation" qui n'est pas mal, mais qui n'arrive pas au même niveau.



En juin 1943, l'auteure est renversée par une voiture à Mexico City et resta, à la suite d'un grave traumatisme crânien, un mois dans le coma. C'est pendant sa longue convalescence, fin 1943-début 1944, qu'elle a écrit la présente nouvelle, qui selon Jean Tailleur, "n'est rien de moins qu'un requiem". Le psychologue et auteur Claude Prévost, emploie la formule de "réalisme halluciné" pour caractériser cette oeuvre.



En proie à de sérieux maux de tête, Anna Seghers revit en mémoire une excursion avec sa classe le long du Rhin, près de sa ville natale de Mayence, lorsqu'elle était gamine. Aucune des 12 participantes, ni Lise Möbius qui était cloîtrée sur son lit avec une pneumonie, n'a survécu au régime nazi et la 2ème Guerre mondiale ! Avec de brefs traits elle nous offre le portrait et le sort de Leni, Marianne, Nora, Lore, Ida, Gerda, Else, Elli, Sophie, Lotte, Maria et Katharina... qui toutes "ne sont plus".



Au bout de cette excursion, l'institutrice chargea la petite Anna de rédiger un compte-rendu de leur randonnée, et c'est ce devoir qu'Anna Seghers accomplit, bien des années plus tard et bien loin du Rhin.



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Ce bleu, exactement

Ce bleu, exactement, c’est un court roman, presque un conte. On y découvre Benito, un potier mexicain, qui vend habituellement au marché sa vaisselle d’un bleu spécial. Tous ses clients en rafolent. Mais voilà que son bleu n’est plus disponible et, conséquemment, sa marchandise prisée. Quand il va voir son fournisseur Fernandez, ce dernier lui dit qu’il n’en a plus, à cause de la guerre, là-bas, en Europe. Quel est le rapport ? Eh bien, ce Fernandez faisait affaires avec un certain Müller, lequel traitait avec une firme allemande. Seulement, voilà, la puissance de l’Axe est maintenant l’ennemie… Commence alors une quête, celle de Benito, pour trouver son bleu ailleurs. Quête, le mot est un peu fort. En s’activant les méninges, on peut trouver un message pour l’indépendance, l’autodétermination, l’ingéniosité, par rapport à la dépendance face à un marché cruel. Benoto, pauvre artisan, face au capitalisme, un monstre géant et indomptable… C’est sympa à lire. Je m’attendais à plus de profondeur mais c’est parfois agréable de se laisser aller dans une jolie histoire sans complications. Ce n’est pas du tout dans le style d’Anna Seghers et ses habituels thèmes sérieux mais aucun auteur n’est tenu de se cantonner à un genre en particulier.
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Ce bleu, exactement

Je suis un peu déçue à la lecture de ce livre. La critique de Visages m avait mis l eau à la bouche mais je n'ai pas trouvé ce récit passionnant. La traduction ne facilite sans doute pas l imprégnation de l atmosphère qui règne dans le voyage fait par Benito, potier qui part de Mexico pour retrouver la couleur bleue tant appréciée par ses clients. Quelques mots en espagnol par ci, par là mais je ne comprends pas ce qu ils font là. Pourquoi ne sont ils pas traduits, qu est ce que cela apporte ?

Je ne regrette toutefois pas de m être plongée dans "ce bleu exactement" car j ai fais, grâce à la postface très intéressante, la connaissance de l auteur Anna Seghers.
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Traversée : Une histoire d'amour

J’aime beaucoup ces romans qui commencent sur un bateau. On y retrouve toujours de ces gens, quelque peu oisifs, captifs de leurs compagnons de voyages trop bavards. Ceux-là sont habituellement insupportables avec leur radotage incessant mais, parfois, un ou deux a une histoire vraiment intéressante à raconter. Alors, quelle chance inouïe ! C’est le cas de Franz Hammer. Pendant la longue traversée qui le ramnène du Brésil vers l’Allemagne, il devient le confident d’Ernst Triebel qui raconte son histoire d’amour avec Maria Luisa Wiegand. On se doute bien que, s’il se lance dans cette narration, c’est que leur aventure passionnelle a connu une fin.



Traversée, une histoire d’amour. Un titre pareil, simple mais efficace, ça dit tout. J’ai failli ne pas le lire. Quelle erreur c’eût été ! C’est que l’histoire qui y est racontée est tout sauf ordinaire. Au-delà de l’intrigue amoureuse, qui est bien développée, l’autrice Anna Seghers y est allée des thèmes qui lui sont chers : amours impossibles, destins tragiques, entremêlements avec l’histoire avec un grand H – le récit se situe quelques années après la Seconde guerre mondiale – l’exil, etc. Tant Triebel que Hammer ont passé un certain temps à l’étranger mais leurs conceptions de la vie sont différentes. Il en était de même pour Maria Luisa. Après tant d’années loin de l’Allemagne, dans un pays d’adoption, de quelle nationalité se réclamer ? Tout dépend de la réussite de l’intégration, du sentiment d’appartenance. Après combien d’années un retour au bercail, aux sources est-il encore possible. Envisageable ? Souhaité ? La construction identitaire est un processus dont la durée varie selon l’individu.



Dans tous les cas, les souvenirs (les confessions ?) de Triebel prêtent à la réflexion introspective mais Hammer n’est pas en reste car le récit de l’un est entrecoupé des péripéties sur le bateau. Deux Allemands qui cheminent sur un navire polonais, c’est assez audacieux et propice aux conflits. Même si aucun des deux hommes vivaient au Brésil pendant la guerre, ils portent la responsabilité de leur peuple. Ainsi, leurs échanges avec le technicien Sadowski et d’autres passagers permettent d’aborder également le thème de la rédemption. Ceci dit, Traversée, une histoire d’amour n’est pas un roman philosophique long ni ennuyant. Au contraire, il se lit rapidement et avec facilité, je l’ai dévoré en quelques heures. Bref, une belle petite découverte que je recommande vivement.
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La Capitation

N'ayez pas peur de ce titre un peu barbare de "Capitation" , en version originale "Kopflohn" ne sonne pas mieux et en Néerlandais "Judasloon" , ou le salaire de judas, est même pire. En Anglais, le titre se rapproche peut-être le plus de l'histoire : "A Price on His Head". Écrit l'année où Adolf devenait chancelier, en 1933, Anna Seghers (1900-1983), avec son sang juif, mariée à un Juif (László Radványi) et jeune mère d'un fils (Peter en 1926) et d'une fille (Ruth en 1928), avait sûrement d'autres problèmes que de nous trouver un titre plus attrayant, fuir ce paradis aryen par exemple. En plus, elle avait rejoint, en 1928, le parti communiste allemand (KPD), une autre raison pour prendre vite la poudre d'escampette. De Paris, elle passa par Marseille et Vera Cruz, pour s'installer finalement dans la capitale mexicaine.

L'histoire est en tout cas mieux que le titre laisse supposer.



Un beau jour de 1932, le jeune Johann Schulz, se pointe, affamé et épuisé, à la porte d'Andreas et Margarete Altmeier et leurs 5 enfants, prétendant qu'il est de la famille. Après une nuit de repos, il aide Andreas dans ses travaux à la ferme, ce qui arrange ce dernier qui s'est lourdement endetté dans ces années de vaches (très) maigres et ne peut donc se permettre un ouvrier agricole. Le jeune est fort et efficace, mais sur sa vie d'avant pourtant il reste muet comme une mule.

À travers Andreas et Johann, nous faisons la connaissance d'une multitude d'habitants du village un peu à l'écart de Botzenbach. Un village fictif, mais qui sert de modèle à cette région primitive et pauvre de l'Allemagne de l'est, pas trop éloignée de Leipzig.



Anna Seghers nous dépeint comment les temps sont durs pour ces villageois, dont la plupart vive dans la misère et la crasse. Dans cette atmosphère de peur du lendemain, nous voyons la montée du nazisme surtout parmi les jeunes qui y voient une alternative à leur existence peu enviable, ce qui est habilement exploité par la propagande. Les fermiers sont par exemple impressionnés par la qualité des chemises brunes et bottes des SA ("SturmAbteilung" ou section d'assaut d'Hitler). La violence est encore limitée, mais la menace monte. Les jeunes nazis en sont encore au stade de réunions politiques, de distribution de pamphlets, de collage d'affiches et de discours enflammés contre les Juifs usuriers et communistes voleurs.



Il m'est impossible d'en dire davantage sur l'évolution de la situation dans cet endroit isolé et ce qui arrivera au protagoniste principal, le fuyard Johann Schulz, que vous allez découvrir dans ce roman relativement court de moins de 200 pages.



L'auteure elle-même rentre en 1947 en Allemagne et s'installe jusqu'à sa mort à Berlin-Est, où elle bénéficie des faveurs du régime communiste de la RDA (République démocratique allemande) : nominations politiques et prix littéraires, qui en font une célébrité.

C'est cependant au Mexique qu' Anna Seghers a écrit ses 2 chefs-d'oeuvres : "La septième croix" et "Transit", respectivement en 1942 et 1944. Parmi sa longue liste d'oeuvres, il convient également de signaler : "Les morts restent jeunes" de 1949 et "Jans va mourir" , l'ouvrage poétique de ses débuts (1925). D'un tout autre genre sont ses : "Histoires des Caraïbes" et "Drei Frauen aus Haiti" ou 3 femmes de Haïti, publié 3 ans avant sa mort, en 1980.



Personnellement, j'estime que "La Capitation" n'atteint pas le niveau de "La septième croix" et surtout pas de "Transit", mais vaut assurément la peine d'être lue comme élément de réponse à la question : comment un régime aussi diabolique que le IIIe Reich ait jamais pu voir le jour.

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Transit

Opposants politiques, Juifs, citoyens en quête d’un nouveau monde fugitifs : tous se retrouvent à Marseille en 1940 dans le prolongement de la grande débâcle et là, ils attendent. Trainant de café en café, de consulats en ambassades, englués dans un présent vide et angoissant, ils se perdent dans le parcours labyrinthique pour obtenir visa, billet pour d’hypothétiques bateaux, certificat de transit, visa de sortie, parcours sans cesse recommencé quand l’expiration du premier document annule l’effort accompli pour obtenir tous les autres.

Dans ce temps arrêté entre un passé qui n’existe plus et un avenir incertain, un homme lutte pour ne pas sombrer dans ce néant, rester maître de son présent et à travers lui, de son identité profonde, quitte à en usurper une autre et lâcher la main du destin quand celui-ci s’incarne dans les yeux fuyants d’une femme.

Un livre sur le déracinement qui vient faire vibrer des fibres très profondes chez le lecteur en lui faisant vivre jusqu’au malaise la réalité de ce qu’est le transit, réalité d’autant plus palpable qu’elle fut retranscrite sur le vif par l’auteur, communiste, juive, allemande, qui nourrit cette fiction de ses propres errements dans la ville, ses heures d’attente et d’espoir ténu avant de parvenir à prendre un bateau pour le Mexique.

Ce livre m’a salement dérangée mais je suis contente d’avoir à travers lui perçue une réalité qui m’était mal connue.

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L'Excursion des jeunes filles qui ne sont p..

C’est à Mexico, pendant son exil (1941-1947), qu’Anna Seghers écrit ce court récit mélancolique, un des plus beaux de la littérature allemande du XXème siècle.

Sur le mode élégiaque et dans une narration somptueuse, Anna se souvient de cette journée radieuse d’excursion sur le Rhin avec ses camarades, avant que chacune d’elles, dans un camp ou dans l’autre, ne succombe tour à tour dans la tragédie allemande.

Faisant comme si l’Histoire en cette journée splendide était déjà écrite, le souvenir d’Anna glisse imperceptiblement de sa propre jeunesse vers le destin tragique qui attend ces jeunes filles.

Marianne, Lotte ou Leni... Gerda, Nora, Sophie... avec leurs jolies robes et leurs cheveux nattés, ignoraient ce jour-là, en voguant sur le fleuve, qu'elles seraient emportées dans la folie nazie.

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La septième croix

Automne 1936. L'Allemagne d'Hitler. En ces temps obscurs où le poids d'une vie n'est rien et que se construit peu à peu le pire, l'hiver d'un monde, les millions de morts d'une guerre que l'on aurait pu éviter ...



Au coeur du nazisme bientôt triomphant, quand le pouvoir en place nasse peu à peu l'opposition politique, quand incarcérer et exécuter deviennent maitres mots de la mainmise d'hommes sur d'autres ; quand la seule alternative vers la survie est la clandestinité ou l'exil ; quand certaines minorités se taisent, se cachent, commencent à subir dans leurs chairs ; quand les majorités revanchardes se font opportunistes, inhumaines et intraitables … quand les places bonnes à prendre le sont au prix du sang des autres.



Région de Francfort. La petite ville de Westhofen … son camp de rééducation, déjà d'extermination ... mais chut !



Les opposants régionaux devenus proies, gibier et bêtes traquées y sont enfermés, sont promis à la torture, à la mort et à la dissolution dans l'inexistant.



Sept détenus du camp s'évadent et s'éparpillent dans la nature.

Qui en réchappera ?



L'Ordre Nouveau n'admet pas l'erreur : le directeur du camp est désormais sur un siège éjectable, il cherche à se racheter, piste les fuyards. Une machinerie policière bien huilée se met en marche, en retrouve quelques-uns. Une torture particulière les attend … à titre d'exemple. le Reich doit se montrer sans failles et sans pitié.



Sept platanes dans la cour du camp. Les arbres sont décapités à l'amorce des premières branches. Sur chacun une planche est clouée à hauteur d'épaules. Sept croix en attente de sept corps suppliciés sous les yeux des autres détenus.



Sept bêtes traquées au milieu des hommes leurs frères ; Sept errances tissées de peurs, de matins gelés, de nuits glacées à la belle étoile, de corps fiévreux et faibles, d'une faim de chaque instant qui taraude et ronge, de lendemains incertains et fragiles : de la manière dont est traversée chaque seconde dépend l'issue de la suivante.

Sept hommes parmi les fauves : les jeunesses hitlériennes, jeunes loups à qui on a appris le goût du sang ; les chefs de quartiers et d'immeubles aux oreilles affûtées et collées contre les murs ; les chemises brunes bientôt noires à la main leste armée de matraque plombée ; certains entrepreneurs à l'affût de la course à l'armement …

Sept hommes parmi les faibles, les traitres et les lâches : ceux pour qui vendre autrui devient un art de vivre, certains maires dans la crainte de n'en faire pas assez, de déplaire ; ceux pour qui se taire est la seule solution. La mort suspendue au moindre mot, la délation si facile, c'est l'autre que l'on torture, c'est à la porte du voisin que la Gestapo frappe.



Une traque, presque une chasse à courre, en automne, dans la campagne, les villes et villages du pays rhénan



Ceux rattrapés et crucifiés : corps décharnés que seules les âmes désormais tiennent debout sous le poids de souffrance de leur propre corps.



Seghers nous montre l'automne d'une nature en attente d'hiver, les feuilles mortes tombées des arbres, le froid que l'on pressent déjà à quelques semaines de là à peine, l'humidité en attente de règne sans partage, le brouillard en lentes écharpes entre les croix des suppliciés, au fond des ravines et effaçant les rues étroites des villes et des villages.



En parallèle, presque en copie conforme, Seghers nous montre l'automne d'une nation, encore peu consciente du déclin des petits jours qui s'annoncent, du grand hiver guerrier en approche rapide, de l'obscurité qui gagne la lumière. Une nation que certains croient voir encore dans la splendeur de l'été. Chroniques d'une mort annoncée



L'auteur nous montre le quotidien des hommes sous l'emprise d'un règne de brutes, les mécanismes de survie mis en place par les opprimés ne serait-ce que pour voir le lendemain. Elle nous décrit l'étau d'état qui broie tout ce qui ne le sert pas. Seghers nous montre l'hibernation, le repli sur le silence de certaines convictions politiques et religieuses, la nécessité vitale de se taire, de montrer un visage impénétrable. le règne des bouches cousues s'impose en règle de simple survie, sur ce que fait et dit l'autre, sur ce que l'on fait et dit soi-même, le voisin l'amant le conjoint l'ami de toujours comme ennemis mortels potentiels.



Seghers emmène son lecteur et ses évadés au contact de toutes les couches de la population, au contact de tous les âges, elle observe leurs réactions au regard de leurs faiblesses et forces respectives. La septuple évasion réactive les réseaux de résistance endormis quand sauver le maximum de fuyards devient symbole : sept grains de sable enrayant une machine bien huilée comme promesses de petites lumières vacillantes au bout d'un long tunnel traversé de vents coulis.



Anna Seghers : écrivaine aux oeuvres littéraires victimes d'autodafés, intellectuelle, communiste, arrêtée puis relâchée par la Gestapo, contrainte à l'exil vers la France puis le Mexique où « La septième croix » parut en 1942.



« La septième croix » rappellera à certains « Seul dans Berlin » de Hans Fallada. Mais là où le dernier resserre son drame dans l'intimité d'un couple acharné à la vengeance et à la dénonciation, la première taille dans une fresque où de nombreux personnages s'interrogent, se posent des questions, agissent ou se résignent . Elle construit son récit comme l'est un roman policier, un thriller.



En 1944, Hollywood tire du roman une adaptation cinématographique avec Spencer Tracy dans le rôle principal.



Merci à Babelio, Masse Critique et Metailié Ed.
Lien : https://laconvergenceparalle..
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Transit

Il y a une vingtaine d’année (comme le temps passe ...) Baboucar, un jeune étudiant sénégalais préparait sa maîtrise d’allemand à Dakar . Il devait analyser Transit d’Anna Seghers, mais avait quelques difficultés. J’avais lu, alors, rapidement le livre pour tenter de l’aider.

J’ai repris, plus posément, cette lecture en connaissant maintenant, beaucoup mieux les lieux où se déroule cette sombre histoire, notamment le camp d’internement et de déportation des Milles qui se visite depuis peu.

Le narrateur rencontre à Paris Paul, dit Popol, tous deux allemands. Quelque temps auparavant, ils s’étaient enfuis, à l’approche de l’armée allemande, d’un camp de travail où ils étaient retenus.

Paul demande à son copain de remettre un courrier émanant de son épouse à Weidel, un poète résidant dans un hôtel. Mais Weidel s’est suicidé pour échapper à la Gestapo (Weidel est un peu le frère jumeau de Ernst Weiss, cet écrivain autrichien d’origine juive qui se suicida à Paris suite à l'invasion de Paris par les troupes allemandes). le narrateur récupère auprès de la tenancière de l’hôtel une valise lui ayant appartenu . Parmi les objets contenus dans la mallette, figure un courrier précisant qu’un visa et une somme d’argent seraient disponibles auprès du consulat du Mexique à Marseille.

Il y a aussi une lettre de rupture de l’épouse.

Après avoir envisagé de remettre la valise au consulat du Mexique à Paris et devant cette impossibilité il va se rendre à Marseille …

Je retrouve la même atmosphère pesante, interlope, empreinte de cette peur glaçante , cette solitude poignante qui gagne le lecteur qui se retrouve, lui aussi, désespéré au cœur de Marseille où se déroule la majeure partie de l’action , cherchant lui aussi à se fondre dans le lacis des rues pour échapper au pire.

Comme les nombreux fugitifs, antifascistes, persécutés du régime nazi qui affluent à Marseille dans l’espoir de pouvoir partir vers de nouveaux horizons plus sereins j’ai ressenti l’angoisse , les pressions psychologiques, les souffrances psychiques des personnages, celles qu’éprouva d’Anna Seghers tachant de se fondre dans l’anonymat de la cité portuaire, cherchant à quitter la France pour échapper à la Gestapo .



Un thriller historique prenant et éprouvant parce qu’on sait que cette histoire repose sur des faits qui se sont effectivement déroulées…

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La septième croix

Anna Seghers a quitté l’Allemagne nazie où ses livres sont brulés, elle termine « La septième croix » en 1939, entre Paris et Marseille avant de rejoindre Mexico où le roman est publié en 1942. Dans la tension de l’exil, les lignes qu’elle écrit portent un universalisme vibrant, prophétique, en forme d’adresse à tous les vivants, ceux du temps d’alors et tous ceux qui viendront, en Allemagne et ailleurs :

« Maintenant, c’est nous qui sommes ici, ce qui survient nous concerne »

Elle campe le décor de son récit en 1934, dans ces terres fertiles de confluence où elle a grandi, entre Mayence et Frankfort, sur les rives du Rhin et du Main, noyées dans le brouillard et les couleurs de l’automne. Toute une humanité y prend forme au fil des pages, dans un quotidien rythmé par des saluts d’un nouveau type, scandés de « Heil Hitler ». Les quartiers de Frankfort, ses rues, ses usines, ses tramways, semblent aussi tranquilles que les paysages vallonnés du Taunus, tout proches, ponctués de champs et de fermes, lourds d’histoire et pourtant si légers, sous les pas de ceux qui y vivent. Derrière cette simplicité pourtant, le danger est partout. La force du livre est de le mettre en scène, aussi bien dans la violence réelle que par son total contraire.

Georg Heisler s’est échappé avec six autres détenus du camp de Westhofen. Commence alors une chasse à l’homme qui viendra s’immiscer dans la simplicité des jours à travers la fuite de Georg, qui défie SS, SA, gestapo en passant à travers les mailles de leur traque. Le roman raconte ce que cachent les apparences lorsque l’oppression et la terreur ont force de loi. Il raconte les peurs, les haines, le courage malgré tout, pour ces amis de Georg qui réussissent contre toute attente à faire naître une chaîne de solidarité pour le sauver. Anna Seghers ne met pas en scène un héroïsme grandiloquent, ses héros ont la dignité des choses simples et le quotidien est résistance, comme l’est la vie elle-même en opposition à la tyrannie. Cette vie se fait flamboyante dans ses petits détails au jour le jour : les brioches à la vapeur de Liesel Röder, la tarte aux pommes sur la table des Marnet, les streuselküchen à la pâte sablée, loin de la torture des camps et de la faim, comme une évidence d’humanité.

La croix de Georg restera vide. Sa fuite est ainsi la rédemption de tous les autres, ceux qui ont été rattrapés, ceux qui sont restés au camp et bien au-delà, de tous ceux qui tomberont.

Anna Seghers écrit là un chef d’œuvre en faisant de la vie elle-même, le principe fondateur de la résistance.

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Traversée : Une histoire d'amour

Quoi de plus idéal qu'une traversée en bateau entre le Brésil et l'Europe pour faire des confidences. Il faut dire qu'en 1950 le voyage durait trois semaines.

Anna Seghers a beaucoup voyagé, souvent contrainte à l'exil mais pas seulement. Dans "Traversée" sous-titré "Une histoire d'amour" elle s'est inspirée de ses voyages au Brésil pour écrire ce roman maritime.

Franz Hammeur est un ingénieur allemand que son entreprise à envoyer au Brésil pour réparer une machine. Durant son retour, il rencontre Ernst Triebel un médecin compatriote de RDA qui va lui raconter sa vie et ce qui l'attache au Brésil, son amour pour Maria Luísa. Il tient à raconter jusqu'à la fin son histoire d'amour malheureuse dans l'espoir d'apaiser ses tourments. On assiste donc à une mise en abyme avec un changement de narrateur qui est, tour à tour, celui qui écoute Franz Hammeur et celui qui raconte Ernst Triebel.

Ce qui est intéressant dans cette histoire d'amour c'est sa dimension politique et social.

Celui qui deviendra médecin a connu l'exil tout petit pour échapper au nazisme et c'est Maria Luísa qui lui permet de s'intégrer en l'aidant à apprendre le portugais et a aimer ce pays. Elle est aussi allemande et ils vont grandir ensemble. Pourtant, un jour Ernst retourne en RDA en espérant que la jeune fille le rejoigne un jour. Obsédé par elle il restera dans l'incertitude sur son devenir. Mais ce qui est certain, c'est qu'ils se distinguent dans leur construction identitaire et le choix de leur patrie : pour Maria Luísa c'est le Brésil, pour Ernst c'est la RDA.

On retrouve l'idée chère à Anna Seghers qu'une patrie n'est pas une chose donnée par essence mais qu'elle se forge dans un combat individuel et collectif.

Et puis, j'ai aimé sa façon d'utiliser comme moteur de l'action le temps passé sur le cargo entre le Brésil et l'Europe.





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La septième croix

Un livre fort qui reste vivant une fois refermé... un vrai témoignage de l'Allemagne des années 30 écrit en 1942 par un auteur allemand ayant du fuir le pays. Il y a une incontestable authenticité, une lucidité et une grande humanité dans ce récit.



Dans les années 30, l'Allemagne nazie a commencé à purger ses citoyens des adversaires du régime en place. Des camps sont mis en place, prémices des camps de concentration, tortures, morts y sont légions. Sept prisonniers du camp de Westhofen parviennent à s'échapper et une véritable chasse à l'homme commence. Sept croix sont élevées en attente dans le camp, terribles promesses pour chacun d'eux qui sera repris...



Ce sont des hommes aux abois que l'on suit, des hommes qui n'ont plus rien à perdre et qui s'accrochent à chaque moment pour survivre dans un monde hostile où ils ne peuvent pas savoir sur qui compter. Et s'il est bien question de chacun de ces évadés, c'est Georg que l'on accompagne plus particulièrement et Anna Seghers nous raconte sa fuite éperdue dans une solitude abyssale, en proie à la fatigue, la faim, la peur au milieu d'une population qui continue à vivre tranquillement son quotidien, population dont peu à peu se détachent des individualités. C'est avec beaucoup de finesse que l'auteur dessine ces différents personnages dont les actes auront des répercussions sur les fugitifs. Dans un pays où les libertés sont bafouées et où la dictature règne, les hommes et les femmes rencontrés réagissent de diverses façons entre peur, instinct de survie, lâcheté, traîtrise, courage, prise de conscience, résistance...

La mort est omniprésente et le récit s'étire dans un suspense croissant au fur et à mesure de la reprise des évadés. Un véritable thriller poignant oscillant entre espoir et désespoir.



L'écriture de ce roman est dense avec très peu de dialogues directs, avec de nombreuses introspections, des descriptions, des souvenirs. C'est une plume sensible et pleine de finesse qui donne à ressentir et qui crée des atmosphères. Il y a la menace de la mort qui plane et il y a les petits riens quotidiens comme le souffle du vent, le son d'une cloche, la vue d'un ciel que les fugitifs perçoivent avec une perception accrue Quelques moments sont particulièrement marquants comme l'interrogatoire de Wallau ( quel passage incroyable !.... inoubliable ! ) ou encore le jeune homme ayant perdu sa veste qui prend peu à peu conscience de ce qu'implique son témoignage et qui prend des décisions sans jamais se l'avouer directement ... il y a une vraie puissance d'évocation de l'âme humaine.



Je remercie Babelio et les éditions Métailié pour cette belle lecture !
Lien : https://chezbookinette.blogs..
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