Citations de Anne Hébert (265)
TROP À L'ÉTROIT
Trop à l'étroit dans le malheur, l'ayant crevé comme une vieille peau
Vieille tunique craque aux coutures, se déchire et se fend de bas en haut
L'ayant habité à sueur et à sang, vétuste caverne où s'ébrèche l'ombre du soleil
Ayant épuisé de tristes amours, la vie en rond, le cœur sans levain
Nous sommes réveillés un matin, nus et seuls sur la pierre de feu
Et la beauté du jour nous trouva sans défense, si vulnérables et doux de larmes
Qu'aussitôt elle nous coucha en joue comme des fusillés tranquilles.
En dehors des leçons qu'elle me donna jusqu'à mon entrée au collège, ma mère ne parlait pas. La parole n'entrait pas dans son ordre. Pour qu'elle dérogeât à cet ordre, il fallait que le premier j'eusse commis une transgression quelconque. C'est-à-dire que ma mère ne m'adressait la parole que pour me réprimander, avant de me punir.
Sur la rivière, les champs et les bois règnent la naissance et la mort, à part égale, sans commencement ni fin, depuis les minuscules éphémères qui patinent sur l'eau avec de longues pattes fines aussitôt résorbés dans l'air bleu, jusqu'aux enfants des hommes qui s'étonnent de la vitesse de la lumière en marche vers les ténèbres.
Chats ( extrait)
Leurs yeux
Ont les profondeurs glauques
Où l'or se mêle au vert
Des étangs les plus secrets.
Leurs yeux
Sont des rets mouvants,
Fascinants
Comme la flamme.
La nuit
Le silence de la nuit
M'entoure comme de grands courants sous-marins.
Je repose au fond de l'eau muette et glauque.
J'entends mon coeur
Qui s'illumine et s'éteint
Comme un phare.
Rythme sourd
Code secret
Je ne déchiffre aucun mystère.
A chaque éclat de lumière
Je ferme les yeux
Pour la continuité de la nuit
La perpétuité du silence
Où je sombre.
("Poèmes")
On était aux premiers jours de septembre. La pensée de Delphine me suivait pas à pas comme un chat perdu qui se colle à vos jambes et qu'on se refuse à regarder de crainte d'avoir à l'adopter.
Tu lis trop , mon petit Julien. Tu écris trop aussi . de trop longues lettres romantiques. J'aime les poètes dans les livres , pas dans la vie.
Au fond de ces yeux-là, la rivière est profonde et tous les cheveaux du roi pourraient y boire ensemble.
Je l'ai suivi, de gare en gare, de train en train, de ville en ville, d'hôtel en hôtel. Toujours j'étais là qui l'attendais et il a cru devenir fou. Et j'ai cru devenir folle. Toujours il y avait des gens qu'il connaissait aux alentours. Il ne fallait pas qu'on nous voie ensemble. Faire semblant de ne pas se connaître dans les gares et les hôtels. Moi avec mon manteau ample jusqu'aux talons. Lui avec ses valises et ses yeux de biche qui guettaient partout si on le voyait avec moi. Vers trois heures du matin, quand il n'y avait plus personne pour le prendre en flagrant délit d'adultère dans les corridors, il venait vers moi, tout ému et en chaussettes sur les tapis des corridors.
UN BRUIT DE SOIE
Un bruit de soie plus lisse que le vent
Passage de la lumière sur un paysage d'eau.
L'éclat de midi efface ta forme devant moi
Tu trembles et luis comme un miroir
Tu m'offres le soleil à boire
À même ton visage absent.
Trop de lumière empêche de voir ;
l'un et l'autre torche blanche,
grand vide de midi
Se chercher à travers le feu et l'eau
fumée.
Les espèces du monde sont réduites à deux
Ni bêtes ni fleurs ni nuages.
Sous les cils une lueur de braise chante à tue-tête.
Nos bras étendus nous précèdent de deux pas
Serviteurs avides et étonnés
En cette dense forêt de la chaleur déployée.
Lente traversée.
Aveugle je reconnais sous mon ongle
la pure colonne de ton cœur dressé
Sa douceur que j'invente pour dormir
Je l'imagine si juste que je défaille.
Mes mains écartent le jour comme un rideau
L'ombre d'un seul arbre étale la nuit à nos pieds
Et découvre cette calme immobile distance
Entre tes doigts de sable et mes paumes toutes fleuries.
Le Tombeau des rois – 1953
p. 57-8
Soleil à tue-tête
Sur la mer à midi
Flèches d'or
Ardente déraison
Je file sous l'eau verte
A la recherche de l'âme du feu
Qui brille parmi les algues
Au moment de réciter un poème en classe ou d'expliquer un texte, elle se prenait à aimer follement les sons et les paroles qui se formaient dans sa bouche, sur sa langue et sur ses dents. Il lui arrivait de croire que c'était sa vocation de parler et de chanter, et que rien au monde n'était plus beau que sa parole ronde et sonore. Elle chantait des cantiques ou des chansons, tour à tour comme une sainte du ciel ou comme une amoureuse romantique. Elle fermait les yeux, et son visage resplendissait. L'espace de quelques instants, elle possédait la terre.
LA SAGESSE M'A ROMPU LES BRAS
La sagesse m'a rompu les bras, brisé les os
C'était une très vieille femme envieuse
Pleine d'onction, de fiel et d'eau verte
Elle m'a jeté ses douceurs à la face
Désirant effacer mes traits comme une image mouillée
Lissant ma colère comme une chevelure noyée
Et moi j'ai crié sous l'insulte fade
Et j'ai réclamé le fer et le feu de mon héritage.
« Les liens du mariage, c'est ça. Une grosse corde bien attachée pour s'étouffer ensemble. »
LA SAGESSE M’A ROMPU LES BRAS
La sagesse m’a rompu les bras, brisé les os
C’était une très vieille femme envieuse
Pleine d’onction, de fiel et d’eau verte
Elle m’a jeté ses douceurs à la face
Désirant effacer mes traits comme une image mouillée
Lissant ma colère comme une chevelure noyée
Et moi j’ai crié sous l’insulte fade
Et j’ai réclamé le fer et le feu de mon héritage.
Voulant y laisser pousser son âme bénie comme une vigne
Elle avait taillé sa place entre mes côtes.
Longtemps son parfum m’empoisonna des pieds à la tête
Mais l’orage mûrissait sous mes aisselles,
Musc et feuilles brûlées,
J’ai arraché la sagesse de ma poitrine,
Je l’ai mangée par les racines,
Trouvée amère et crachée comme un noyau pourri
J’ai rappelé l’ami le plus cruel,
la ville l’ayant chassé, les mains pleines de pierres.
Je me suis mise avec lui pour mourir sur des grèves mûres
Ô mon amour, fourbis l’éclair de ton cœur, nous nous battrons
jusqu’à l’aube
La violence nous dresse en de très hautes futaies
Nos richesses sont profondes et noires pareilles au contenu des
mines que l’éclair foudroie.
En route, voici le jour, fièvre en plein cœur scellée
Des chants de coq trouent la nuit comme des lueurs
Le soleil appareille à peine, déjà sûr de son plein midi,
Tout feu, toutes flèches, tout désir au plus vif de la lumière,
Envers, endroit, amour et haine, toute la vie en un seul honneur.
Des chemins durs s’ouvrent à perte de vue sans ombrage
Et la ville blanche derrière nous lave son seuil où coucha la nuit.
On a besoin de ses mains pour dire les choses que la parole ne traduit pas.
Neige
La neige nous met en rêve
Sur de vastes plaines,
Sans traces ni couleur.
Veille mon cœur,
La neige nous met en selle
Sur des coursiers d’écume.
Sonne l’enfance couronnée,
La neige nous sacre en haute-mer,
Plein songe,
Toute voile dehors.
La neige nous met en magie.
Blancheur étale.
Plumes gonflées
Où perce l’œil de cet oiseau.
Mon cœur ;
Trait de feu sous des palmes de gel
Fille de sang qui m’émerveille.
Anne Hébert, Mystère de la parole, 1960
Il s'agit de conserver ses distances avec tout ce qui est choquant et grossier. Ignorer tout simplement. Ceux qui vous disent que la vie est belle ne font pas autrement; Mettez-vous cela bien dans la tête et vous serez heureuse.
Je me penche tant que je peux. Je veux voir le gouffre, le plus prés possible. Je veux me perdre en mon aventure, ma seule et épouvantable richesse.
The Queen ! Toujours the Queen ! C'est à mourir de rire. Qu'est-ce que cela peut bien lui faire à Victoria-au-delà-des-mers qu'on commettre l'adultère et le meurtre sur les quelques arpents de neige cédés à l'Angleterre par la France ?