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Citations de Antonio Muñoz Molina (509)


Alors sa mère, qui était à côté de lui, très raide, s'était couvert la figure des mains, et Minaya avait mis un peu de temps à comprendre que le bruit étrange et sec qu'elle faisait était celui de quelqu'un qui pleure, car jamais jusqu'à ce jour elle ne l'avait fait devant lui. C'était, pour la première fois, ces pleurs sans larmes qu'il devait apprendre à reconnaître et à épier durant de longues années et qui, comme il le sut quand ses parents furent morts et à l'abri du malheur et de la ruine, révélaient chez sa mère une rancoeur obstinée et inutile contre la vie et contre un homme qui était toujours sur le point de devenir riche, de trouver l'associé ou l'occasion qu'il méritait lui aussi, de briser le cercle de la malchance, ou d'aller un jour en prison pour une escroquerie sans envergure.
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Ce qui l'étonnait le plus était de s'être tellement trompé, sur tout, en particulier sur ce dont il était le plus sûr; d'avoir eu confiance dans la solidité de tout ce qui s'était effondré d'un jour à l'autre, sans drame, presque sans effort; de s'être tant trompé sur lui-même, se croyant un rationaliste, un pragmatique, assistant avec ironie aux délires idéologiques de ceux qui prédisaient avec le plus grand sérieux l'imminence de la dictature du prolétariat ou du communisme libertaire, de ceux qui étaient convaincus qu'en abolissant l'argent et en pratiquant le nudisme ou l'espéranto ou l'amour libre on instaurerait le paradis sur terre, des idolâtres de Staline ou de Mussolini, de ceux qui criaient le poing serré ou la main ouverte; en se croyant lui-même sceptique il avait été plus rêveur que n'importe lequel d'entre eux; en s'imaginant qu'il ne s'occupait que de ce qui pouvait être calculé et mesuré, de ce qui produisait un bienfait modeste mais indiscutable, un progrès. Mais le progrès était justement ce qui était dénié en Espagne...le progrès tangible, le développement méthodique et progressif des inventions techniques, tout ce qui lui avait semblé terre à terre et indiscutable, étranger au délire verbeux des illuminés, une bonne alimentation, du lait quotidien dans les écoles pour fortifier les os des enfants des pauvres, des logements spacieux et aérés, l'éducation par l'hygiène pour éviter aux femmes d'être surchargées d'enfants. Aucun autre rêve ne s'était révélé plus insensé; le sens commun était la plus discréditée des utopies.
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Il avait préféré croire que son impunité serait illimitée et qu'entre le monde où il se trouvait avec Adela et ses enfants et celui qu'il partageait avec Judith il y aurait toujours une séparation aussi radicale que celle qui sépare ces univers parallèles et simultanés sur lesquels spéculent les scientifiques. Et voilà qu'il assistait, atterré, à l'immensité du désastre sans accepter tout à fait qu'il soit survenu, comme une inondation ou un effondrement causé par un tremblement de terre, une calamité que personne ne peut ni prévoir ni inclure ensuite dans l'ordre des événements.
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Elle écrivait une chronique, lui avait-elle dit dans un élan nourri par l'euphorie sexuelle : la chronique de ce qu'ils avaient vu pendant leur voyage depuis Madrid, la beauté qui lui coupait le souffle et lui faisait ressentir qu'elle vivait véritablement dans les paysages fantastiques de Washington Irving, de John Dos Passos, des lithographies romantiques, et la misère subite dont il était impossible de ne pas détourner les yeux, les villages où des hommes vivaient comme des bêtes sauvages dans leur tanière, des cabanes au milieu d'étendues stériles sans eau ni arbres, des grottes où se montraient des êtres sans âge au teint sombre et à l'aspect menaçant, bouches pendantes, cous gonflés par le goitre, strabisme. Sortir de Madrid vers le sud dans la première clarté du jour, c'était s'égarer dans un autre monde auquel rien ne l'avait préparée, même si elle y reconnaissait ses origines littéraires. L'immensité sèche et déserte de la Manche dans le matin de juin, frais d'abord puis brûlant, était identique aux descriptions d'Azorin et d'Unanumo...
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La nuit, la victime désignée offre encore moins de résistance. Elle attend immobile, apathique, comme un animal fasciné par les phares de l'automobile qui va le renverser. La dernière chose que voient ceux qui vont être exécutés, ce sont les phares d'une voiture. Les pauvres yeux incolores du professeur Rossman, dont on avait piétiné les lunettes, avaient dû être blessés par cette lumière.
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Il les voyait se lever pour chanter à la fin des banquets libertaires et ce qu'il ressentait n'était pas un divorce idéologique mais de la honte pour eux. Jamais il n'avait su participer à l'enthousiasme public sans s'observer de l'extérieur. Il était un bourgeois, bien sûr, et même pas cela, un rentier et un fonctionnaire : mais certains de ses vieux amis étaient encore plus bourgeois que lui, fils de famille qui n'avaient jamais vraiment travaillé mais qui parlaient avec un sérieux extraordinaire de la dictature du prolétariat tout en croisant les jambes, un whisky à la main, à la terrasse du Palace après s'être fait couper les cheveux chez le coiffeur de l'hôtel. Ils prédisaient la chute prochaine de la République, bousculée par l'élan victorieux de la révolution sociale : dans le même temps ils intriguaient pour décrocher des tournées officielles de conférences à l'étranger ou des salaires justifiés par de vagues tâches culturelles.
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Lucrecia a avancé ses mains sur la table jusqu'à ce qu'elles rencontrent celles de Biralbo qui sont restées immobiles. Elle lui a touché le visage et les cheveux comme pour le reconnaître avec une certitude que son regard ne lui procurait pas. Peut-être n'était-ce pas la tendresse qui l'émouvait mais la sensation qu'ils étaient réciproquement orphelins l'un de l'autre. Deux ans plus tard, à Lisbonne, pendant une nuit et une aube d'hiver, Biralbo apprendrait que c'était la seule chose qui les lierait jamais, non pas le désir, ni la mémoire, mais l'abandon, la sécurité de se trouver seuls sans même avoir l'excuse de l'échec amoureux.
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Je ne veux pas oublier qu'être en vie est un cadeau exceptionnel.
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Ecrire, c'était enrober les lieux et les personnes d'une enveloppe de beauté illusoire, les exalter en les situant dans une géographie fantasmatique.
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« Entre le sommeil et la conscience les images se dissolvent sans arriver à prendre complètement forme, et la frontière entre le souvenir et l’imagination est aussi fluide que celle qui unit et sépare les corps abrités dans une étreinte faite autant de fatigue que de désir. La voix de Judith qui lui a dit si clairement son prénom à l’oreille pourrait aussi bien avoir résonné dans un demi-sommeil que dans un rêve, au moment précis où Ignacio Abel s’est endormi, comme flottant dans l’immobilité placide du temps. C’est Judith qui reste éveillée, veillant sur lui qui est devenu plus attentif et plus fragile, qui a été sur le point de mourir assassiné sans qu’elle l’ait su ; je la vois de profil, plus nette à mesure que l’aube arrive, adossée contre la tête du lit, inquiète à présent, terrorisée, anxieuse, impatiente, résolue, aussi éveillée que si elle ne devait plus jamais avoir besoin de dormir, écoutant les trains de marchandises, la respiration masculine à côté d’elle, le vent dans les arbres, l’appel d’un oiseau, découvrant de son attention insomniaque les premiers signes encore incertains de l’aube, la première lumière grise du premier jour de son voyage, d’un demain proche qu’elle n’entrevoit pas et que je suis incapable moi aussi d’imaginer, son avenir ignoré et perdu dans la grande nuit des temps. »
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Je me penchais au balcon et mon désir de partir était si intense que je m'y voyais déjà comme un souvenir.
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Tu vas devenir aveugle à force de lire, tu finiras par chasser les mouches avec ta casquette, comment tous ces mots peuvent tenir dans ta cervelle, tu vas devenir sourd avec la musique à fond, où as-tu la tête, tu ne fais attention à rien, tu as l'air d'un ahuri, on voit que tu as moins de mal à écrire à la machine qu'à récolter l'olive.
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Ils avaient tous les deux fait silence. En face d'eux, au-delà de la vallée moutonnante d'oliviers et des la silhouette de la montagne, la demi-lune blanche demeurait inclinée et immobile comme un ballon, entourée d'une incandescence froide qui éteignait les constellations autour d'elle.

Étonnement de Socrate devant la profusion du marché d'Athènes: " TANT DE CHOSES EXISTENT DONT JE N'AI PAS BESOIN".
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Un livre est une tanière où se dissimuler, une île déserte où se retrouver à l'abri, et aussi un véhicule pour s'enfuir.
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Sans réfléchir, Blanca, dans la chaleur d'une dispute qu'il avait lui aussi alimentée et dont il avait passé des semaines à se repentir avec une amertume opiniâtre, l'avait accusé de se contenter de trop peu, de n'avoir pas, lui avait-elle dit, "la moindre ambition". Mario, soudain calmé, lui avait répondu qu'elle, Blanca, était son ambition la plus grande et que lorsqu'elle était avec lui il ne savait ni ne voulait ambitionner rien de plus.
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L'ennui avec l'avenir, quand il n'est pas encore devenu passé, c'est qu'il est impossible de soupçonner ce qu'il réserve: les seules prédictions justes sont les prédictions rétrospectives (p.33-34)

Il y a des gens qui naissent pour contester comme d'autres naissent pour approuver...(p.133).

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C’est toujours ça de pris, un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
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Quand on invente, on a la vaine assurance de prendre possession des lieux et des choses, des gens à propos desquels on écrit : dans mon bureau, sous la lumière de la lampe qui éclaire mes mains et le clavier, la souris et le coquillage dont j’aime caresser distraitement les cannelures du bout de mes doigts, la carte postale de la fillette de Velázquez, je peux avoir la sensation que rien de ce que j’invente ou dont je me souviens ne se trouve en dehors de moi, de cet espace fermé.
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On veut toujours que les histoires se terminent, bien ou mal, qu’elles aient une fin aussi claire que leur début, une apparence de sens et de symétrie. Mais dans la réalité il y a très peu de choses qui se bouclent complètement, si ce n’est de par le hasard ou par la mort, et il y en a d’autres qui n’adviennent pas ou qui s’interrompent à leur commencement, et il n’en reste rien, pas même dans la mémoire distraite et infidèle de ceux qui les ont vécues.
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L’attente d’un désastre inévitable est pire que le désastre lui-même.
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