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Critiques de Arno Camenisch (30)
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Ustrinkata

Une lecture cul sec qui m'a fait l'effet d'un bon remontant !

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Rhaaa les amis, comme tous les ans, je me suis fait un Arno Camenish : ma petite douceur de l'hiver. Figurez-vous que cette fois, dans ce petit canton suisse, l'Helvezia va fermer ! Alors les habitués y passent leur dernier soir en causant de tout et de rien, nous offrant des conversations de bistrot mêlées comme d'habitude de patois local qui accentue le charme de l'exercice.

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Si vous cherchez un livre d'action avec un vrai scénario, orientez-vous vers autre chose. Mais si vous avez envie de vous glisser dans le ronronnement et l'ambiance d'un bar de village, dans des conversations improbables sans queue ni tête, dans les commérages de quartier, dans des portraits au vitriol et dans le récit de petits moments simples de la vie, les joies comme les deuils, alors vous êtes au bon endroit chez la Tante, future ex-tenancière de l'Helvezia depuis soixante ans.

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Soixante ans d'amitié, de guéguerres, de confidences et petits malheurs… Mais surtout, soixante ans de picole à fumer comme des pompiers, à répéter les petits gestes routiniers et rassurants du quotidien qui font une vie, des vies, mille vies. Ici, exit la loi Evain et le Dry January, on s'enfile des cafés goutte, des pintes et des schnaps, le tout avec le cigare, la pipe ou la cigarette aux lèves, on commente la pluie, les crues, et cette satané neige qui ne vient toujours pas, le soleil qui sans doute ne reviendra jamais non-plus, on tousse et on s'étouffe dans la fumée des autres, on vide les cendriers, on ressert les clients, on alpague le voisin de table et on ressasse les faits divers en se chicorant sur l'année exacte. On engueule Gion Baretta qui ne met son cornet de sourd que lorsqu'il parle, l'andouille, et se moque de l'Otto qui revient des toilettes par la porte d'entrée après être passé par la fenêtre car la poignée intérieure lui est restée dans les mains.

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On ramène la Grand-Mère somnambule dans son lit si elle débarque dans la grande salle - surtout ne dit pas son nom ça va la réveiller ! - on rembarre le Friseur qui, ce soir, refuse de boire et demande de l'eau - de l'eau ! pis quoi encore, ça rend malade c'est bien connu dit la Tante, qui par cette réplique me rappelle ma Grand-Mère à moi quand elle tenait son propre bistrot où j'ai passé une partie de mon enfance !

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« Qu'est-ce que tu crois si la vieille buvait de l'eau bénite, dit l'Otto, je te le dis, transparente comme le verre qu'elle serait. »

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Bref, un livre à ne pas lire vite pour connaître la fin de l'histoire - on la connaît et il n'y en a pas trop, d'histoire - mais un livre pour savourer des conversations entre amis, découvrir les anecdotes de chacun, bercés par cette langue si particulière que nous rendent l'auteur et le traducteur, qui ne rend certes pas la lecture facile, mais nous oblige à ralentir nous aussi, à prendre le rythme des vieux du village qui n'ont que ça à faire ou presque de se retrouver discuter ensemble… Avec cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, accompagné d'un foutu déluge pour nous faire comprendre que c'est la fin du monde : qu'est-ce qu'on fera demain et les jours suivants, quand l'Helvezia sera fermé ?

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C'est sûr, plus qu'une chose à faire : noyer son chagrin dans l'alcool de poire de la Tante, en attendant que le Rhin déborde comme en 1985 - 1987 te dis-je !! -, lorsqu'il avait inondé ce bar et qu'on picolait assis à ces mêmes tables avec de l'eau jusqu'au genou !

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« On aurait pu chercher de l'or sous cette table, dit l'Otto, y serait sûrement resté quelques mâchoires avec des dents en or coincées dans la passoire, après que Dieu il avait lavé pareil les pentes et que l'eau avait déferlé sur le cimetière, quand le mur a fichu le camp, ça t'a droit soulevé la moitié des tombes, elles ont été emportées dans le bas du village. Ca la fortune que la Filomena avait dans la bouche, dit le Luis, j'en aurais bien eu besoin à l'époque, la moitié de mes veaux noyés dans la crue, que j'ai presque dû arrêter de faire paysan après. »

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Voilà, les 100 pages sont comme ça donc si vous aimez, lisez au coin du feu et vous m'en direz des nouvelles ! Un très bon moment en ce qui me concerne, un peu meilleur qu'avec « derrière la gare » puisqu'on retrouve ici l'ambiance et les anecdotes d'adultes, presque aussi bien qu'avec « la dernière neige ». Mon seul regret : il ne m'en reste plus qu'un à lire pour finir la série. Dites, Monsieur Camenisch, un autre d'ici l'année prochaine ?! Siouplaiiiiiiiit !!!

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Hors du temps ; Truculent.
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La dernière neige

Sous le coeur fondant de chocolat blanc, une pointe vert d'eau, amère, de liqueur de génépi…



Parée sur mes skis, j'ai suivi avec bonheur et curiosité les traces laissées par Onee (@BibliodOnee) dans la poudreuse des alpes suisses pour filer comme elle tout schuss, recueillant au passage les petits papiers brillants des papillotes de chocolat blanc qu'elle m'avait laissés comme repères, accrochés aux sapins et brillant de mille feux, chemin de Petit Poucet afin que je ne m'égare pas. Il faut dire que le voyage est singulier, le brouillard qui, par moment recouvre tout, donne l'impression d'un voyage immobile. Dans sa grande générosité, Onee m'avait même laissé quelques chocolats que j'ai trouvés certes tout aussi exquis et fondants qu'elle mais avec, en leur coeur, une pointe d'amertume, une petite larme vert d'eau, de la liqueur de génépi très certainement.

Après le fondant et l'onctuosité qui réconfortent immédiatement, le coeur de ce livre est amer, imperceptiblement, et bien plus alcoolisé qu'il n'y parait de prime abord…



Ils m'ont fait sourire Paul et Géorg, voire rire par moment. Et touchée aussi. Il était bon d'être avec eux, dans ce petit village de la haute vallée du Rhin, au coeur du canton suisse des Grisons, entre Autriche et Italie, même si j'ai eu du mal parfois à bien les comprendre (mazette, quel accent !). Mais, une fois habituée à ce (franc) parlé, je me sentais des leurs, dans cette cabane au pied de leur téléski qui dessert plusieurs pistes du domaine skiable local. Ils attendent, les deux collègues, ils attendent…Ils attendent le client, le skieur, en bon gardien du téléski qu'ils sont, alors que la neige se fait désormais plus rare qu'auparavant et que le taux de fréquentation est en berne.



« le rien de neige qu'on veut bien nous accorder, eh bien elle fond comme un coeur de jeune fille devant Elvis, dit Paul, y a plus que sur les affiches qu'on voit vraiment de la neige pour finir, je veux même pas repenser au temps qu'on était gamins et qu'on avait pas école pendant des semaines parce qu'y avait tellement de neige qu'on pouvait plus sortir de la maison, la première elle arrivait en novembre au plus tard, et en avril il neigeait encore ».



L'attente est propice aux discussions, à la dégustation de biscuits faits maison, de petits verres d'alcool local. Certes, ils font de menus réparations, s'assurent que le téléski fonctionne bien, que la file d'attente ne permette pas aux skieurs de doubler. Mais surtout, durant ces longues heures, ils refont le monde, égrènent leurs souvenirs, font émerger le fond de leurs pensées à coups de raccourcis hâtifs, de malice, de piques assassines, de ragots, de vérités toutes faites…Ils refond le monde quitte à gonfler un peu les chiffres de fréquentation de leur téléski afin de mieux justifier leur présence…



« Paul observe à travers ses jumelles le village en contrebas, regarde-moi voir ça, ce qui circule dans ce village, il marmonne, ses jumelles suivent une voiture à travers le village, c'est le fils du curé. Là tu m'en apprends une bonne, le curé qu'aurait un fils, c'est nouveau ça, dit Georg en comparant les montagnes à sa carte géographique. Bien sûr que c'est le fils du curé, il lui ressemble au poil près, dis-moi sinon qui d'autre a les cheveux roux dans le village. Il peut pas avoir un fils, c'est interdit, dit Georg. Y a pas mal d'autres choses qui sont interdites, dit Paul, mais si le curé est le seul à avoir des cheveux roux, et que tout à coup par hasard y a un enfant qui naît avec des cheveux flamboyants comme ceux du curé, alors bon Dieu, c'est bien que c'est le fils du père, non ? On a encore assez de jugeotte à nous deux, pas vrai, tu vas pas me dire qu'ils ressentent rien du sortilège entre les jambes ceux-là, ou bien ? Il tourne la molette des jumelles ».



Au fur et à mesure de ces cent pages, quelque chose émerge paisiblement, à la vitesse de l'accent suisse, ces deux personnages du terroir simples et rustiques prennent peu à peu une grandeur quasi mythologique. C'est l'évolution de l'humanité, la fin du monde d'antan où leur téléski tournait aussi bien que le monde tournait rond, qu'ils mettent en valeur avec tendresse et nostalgie, l'air de rien cachés derrière leurs anecdotes, et qu'ils éclairent d'un regard singulier pour leur donner une portée universelle.



Avant que la profondeur de ce texte n'émerge subtilement, que ces petits riens de la vie ordinaire en ce territoire isolé deviennent des lumières prophétiques sur la marche du monde, c'est bien la plume de Arno Camenisch qui nous happe immédiatement, nous enveloppe et nous ensevelit. C'est une avalanche de tournures populaires rocailleuses et âpres, d'argot, de trouvailles, un mélange étonnant reflet de ce territoire au carrefour entre la Suisse, l'Autriche, l'Italie et la France. J'avais l'impression peu à peu d'entendre ces voix, de sentir leur façon de parler, de capter cette langue, grâce, sans aucun doute, au talent de la traductrice, Camille Luscher, qui a su restituer tout le charme de l'écriture de ce jeune auteur.



Il me tarde de découvrir les autres opus de la saga étonnante et vivifiante qu'a élaborée Arno Camenisch. Quatre petits livres narrant la vie ordinaire dans cette vallée montagnarde du Rhin, en suisse. Raconté par des protagonistes différents, dans leur façon de parler, avec leurs mots. Onee a écrit un récent billet sur un des opus, « Derrière la gare » qui se place à hauteur d'enfant. Mentionnons également Ser Nez qui offre une vision certainement très bucolique et champêtre de ce village en été et Ustrinkata qui parle d'un café dans ce même village, café condamné à la fermeture dont il faut liquider les stocks…



Petit roman crépusculaire et nostalgique sur les premières neiges qui semblent bien être les dernières, ce livre m'a plu dans sa façon de rendre compte de la vie ordinaire et des angoisses de personnes enracinées dans un territoire dont ils perçoivent les évolutions et les failles. de cette prise de conscience, vécue et racontée, souvent drôle, parfois grave, des flocons de poésie locale virevoltent, nous recouvrant de leur fraicheur, des flocons « comme des pétales de fleurs, de vrais sparadraps, ça t'éclaire droit dans le coeur ».





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La dernière neige

Exquis, ce roman de saison enfoui sous les dernières neiges suisses, qui se déguste comme un chocolat blanc fondant sur la langue. Aguichée par la belle couverture enneigée et un titre légèrement apocalyptique, j'ai lu tout schuss ces 100 pages de mots fondus dans une avalanche de dialogues et pensées. « Tout est prêt pourtant, y a que l'hiver qui manque à l'appel ».





Paul et Georg ouvrent tous les jours cette cabane qui sert de station dans les Alpes suisses. Tout en accomplissant les gestes routiniers, ils pensent, papotent, mettent en route, servent les skieurs et se rappellent qu'une année, « y en a même un qu'a foncé dans notre belle cabane, plaf, une peur bleue qu'on a eu tous les deux, mêmes qu'on en a renversé la soupe sur nos genoux, on aurait dit qu'il allait passer à travers tellement qu'il est arrivé vite çui-ci, il s'est cassé quelques dents, le poverino, alors que n'importe quel bougre sait qu'il faut se mettre à freiner dès que la cabane elle t'apparaît en ligne de mir, évidemment si tu te jettes contre, la cabane ça te freine aussi, mais c'est pas choli choli ». « La mort nous guérit de la vie, dit Georg ».





Ils réparent le télésiège qui tombe en panne, surveillent que soient respectés les interdits comme gruger la file d'attente - « y a pas mal d'autres choses qui sont interdites, dit Paul, mais si le curé est le seul à avoir les cheveux roux, et que tout à coup par hasard ya un enfant qui naît avec les cheveux flamboyants comme ceux du curé, alors bon Dieu, c'est bien que c'est le fils du père, non ? »





Ils jouent aux cartes en attendant le chaland, observent le ciel en comptant les passants, tentent de deviner s'il neigera demain, remballent leur panneau à la fermeture, et recommencent le lendemain matin, boivent un coup à l'abri du blizzard qui s'installe, à tel point que « la tête lui tournait un peu, c'est que ça se boit pas comme de l'eau, faut y aller piano piano si t'es pas trop habitué, sinon le brevache te monte à la tête et à cette altitude, sûr que ça va plus vite ».





De tout petits riens qui constituent toute une vie dévalent les phrases. Les souvenirs glissent, se recouvrent des flocons gras qui daignent tomber, en silence, pas comme Paul, le plus bavard, qui lui se rend compte, nom di Diu, que tchaque année il neige un peu moins ou bien, « y a plus que sur les affiches qu'on voit vraiment la neige pour finir, je veux même pas repenser au temps qu'on était gamins et qu'on avait pas école pendant des semaines parce qu'y avait tellement de neige qu'on pouvait plus sortir de la maison, la première, elle arrivait en novembre au plus tard, et en avril il neigeait encore ».





Chaque geste répété tous les ans est prétexte à anecdote qui plante le décor et les personnages. Mais derrière l'humour des récits et la beauté du décor, on sent poindre la nostalgie de ces moments qui, tout en semblant immuables, n'en sont pas moins en train de se perdre peut-être à jamais : moins de skieurs, moins de neige, tout se perd, semble être amené à disparaître. Même la mémoire de Georg donne symboliquement le ton.





Vous l'avez compris, vous ne trouverez pas ici de roman d'action. Mais je voulais une lecture qui me mette à l'heure d'hiver, vu que chez moi non-plus, mes braves amis, y a plus de saisons ni de neige en hiver. Et dès les premiers mots j'ai été envoûtée par cette ambiance d'hiver à l'ancienne sur le point de disparaître. Or comme dit la femme de Paul : « la première impression c'est comme un sortilège, tu t'en débarrasses plus ». La petite gourmandise de saison à lire sous le plaid avec un chocolat chaud fumant entre les mains, dans une tasse en forme de bonhomme de neige ;-)
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Derrière la gare

Malgré le titre je ne vous emmène pas en train, mais nous partons quand même en voyage : En Suisse, dans le canton des grisons proche des montagnes frontalières où l'on babille un doux mélanche d'allemand, d'italien et de romanche. J'avais déjà eu un presque coup de coeur pour « La Dernière neige », du même auteur qui m'a donné envie de lire les précédents : Avec Ustrinkata, ils forment une sorte de trilogie mais peuvent être lus dans n'importe quel ordre. Dans chacun de ces opus, la vie du canton est racontée par une personne différente, dans la langue du cru et avec la syntaxe qui correspond au narrateur. Une vie à l'ancienne, typique, charmante.

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« La Dernière neige » donnait la parole à un ancien, dont les pensées déroulaient de loooooongues phrases que les mots dévalaient tout schuss jusqu'à épuisement d'une idée. Un délice, comme un chocolat pyrénéen qui fond lentement sur la langue… « Derrière la gare » est le récit d'un enfant qui fait les 400 coups avec son frère entre deux courses pour les parents ou voisins, prend quelques torgnioles au passage, découvre la nudité de sa grand-mère, l'accouplement des lapins, la mort mais plus encore la vie, le travail d'usine lorsqu'ils aident les adultes à l'artisanat local, nous rapporte des bribes de conversations adultes, bref la vie à la montagne. Aussi les phrases se font plus brèves, plus enfantines. Mais elles recèlent toujours leur lots de surprises et de douceurs linguistiques. Par exemple, les mots composés et répétitif sont écrits phonétiquement en un seul, comme pourrait les comprendre un enfant ou comme, même en tant qu'adultes, nous manquons de les articuler : des mots témoins de nos petites routines verbales quotidiennes comme le sacenplastic. Et puis le mélange des trois langues nous offre un voyage exotique où le charme du parler local nous immerge, nous fait sourire et nous attendrit.

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« On aide la Tata à faire le service. Nous devons demander aux gens, caisse vouvoulé, et le dire à la Tata. Quand quelqu'un demande des pomchips, des cigarettas ou des kägifrets, on a le droit de le lui apporter nous-même. Il y a du boucan dans l'Helvezia. Les gens se crient dessus parce qu'ils veulent gagner et quand quelqu'un tire la mauvaise carta, ils rouspètent avec des têtes de tomatas, et se fâche que la salive vole par-dessus les tables et que les lunettes tombent des nez, et la Tata commence à avoir peur que les gens se cassent les chopes de bière sur les têtes. Seule la Nona reste tranquille à sa place et fait bouger ses dents comme un réveil dans sa bouche. Elle a éteint son sonotone, dit la Tata en souriant. Quand vient le soir et la nuit dehors, on a entendu plein de mots que la Maman nous a interdit de dire. »

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Chaque paragraphe est une anecdote. Mises bout à bout, c'est juste la vie qui s'anime. Je garde une préférence pour mon souvenir de l'ambiance ouatée de la Dernière neige, skiant silencieusement sur les longues phrases de ce patois entêtant, qui n'a cessé de me hanter. Mais, en refermant ce (petit) volume (toujours une centaine de pages seulement), j'ai quand même une furieuse envie de lire Ustrinkata. Il abordera cette fois le bistrot du village. Un thème qui, ceux qui me connaissent le savent, ne pourra manquer de me toucher.
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Sez Ner

Pourquoi idéalisons-nous autant ? Un lieu, un ami, un travail, un livre. On en chante monts et merveilles. De ceux qu'on convainc de s'y plonger, certains y trouvent la même magie, d'autres se demandent pourquoi on leur a fait perdre leur temps. Voir expriment leur déception en termes si crus qu'on les trouve franchement blessants. A tous cela nous est arrivé.



Il y a une quantité invraisemblable de choses que je sais que j'idéalise. Un bon paquet d'opéras, tout Tolkien, mon boulot précédent et un tas d'autres trucs. Mais il n'y a sans doute rien où cela va aussi loin que mon petit village d'été en Haute-Savoie, que ses montagnes, et plus que tout le reste que ses alpages.



Rien de tel pour me le rappeler que ce petit livre à l'écriture à l'écriture linéaire et totalement déstructuré, sorte de collection d'anecdotes racontant un été, de l’emménagement, dans l'alpage suisse près du pic Sezner, en Suisse grisonne. Oui, je sais ! En vrai, un alpage c'est bien quand on y reste une nuit ou deux ; quand la pluie ne confine pas tout le monde dans dix mètres carrés, quand le soleil brille, quand les bêtes ne sont pas malades ou blessés ! Oui je sais, dans un alpage il n'y a pas de douche, et des WC de campagnes !



Merci de me le rappeler, petit livre. Je sais tout cela. Et je les aime quand même.
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Ustrinkata

Cet hiver-là, le temps est vraiment bizarre, pas de neige, trop de pluie, il n’y a plus de saison. Tour à tour les villageois entrent à L’Helvezia trempés et bien décidés à se réchauffer. Ça tombe bien, elle n’attend que ça la Tante, avec ses Mary Long qu’elle allume l’une après l’autre. Et ce soir, personne ne boira d’eau, c’est dit.



Alors ça parle, ça raconte, ça fume, beaucoup, et ça boit plus encore pendant toute la soirée ; les gens rentrent et ressortent, s’invectivent, se remémorent les souvenirs anciens, les anecdotes de leur jeunesse commune, mais aussi les disparus, les mariages. Chaque foyer a une histoire et tous semblent la connaitre, comme on connait bien les voisins avec qui on a passé tant d’années dans ce petit village perdu dans ce creux de montagne.



Lire ma chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2020/04/10/derriere-la-gare-ustrinkata-arno-camenisch/
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Ustrinkata

Au bistro des ombres on boit de l'or. Dernier soir avant fermeture : les présents s'inondent d'alcool ou du pressentiment d'un effondrement - liquide -, se soûlent de souvenirs et de morts. Avec sa verve habituelle, sa science de l'ellipse, son perpétuel décalage sémantique, Arno Camenish  restitue l'angoisse d'un monde qui s'achève où la sauvegarde de son pittoresque (la vie refermée sur elle-même, les conflits entre soi réglés) sert de tension vers d'universelles appréhensions. Ustrinkata ou la catastrophe du quotidien.
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Derrière la gare

Vie d'un village à hauteur d'enfant où les visions et les mots se confondent en autant de saynètes où Arno Camenish saisit l'essentiel : l'inexorable disparition de cet ordinaire si ironiquement restitué dans Derrière la gare. Un roman à la drôlerie incisive qui jamais ne commente cette sortie de l'illusion, du confort d'un monde clos dont l'auteur laisse entendre toute la brutalité, : la fin d'un monde, celle de l'enfance.
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Derrière la gare

Arno Camenisch nous transporte des dizaines d’années en arrière dans le canton des grisons en Suisse. Ne cherchez pas, vous êtes immédiatement, tout comme je l’ai été, projeté dans un univers parallèle, plongé dans un de ces grands films classiques en noir et blanc où les jeunes héros découvrent la vie autour d’eux et la racontent avec autant de sincérité que de malice.

Le langage est celui d’un jeune garçon d’une dizaine d’années qui observe et raconte son village. Il mêle dans son récit le patois des langues romanches parlées dans le canton. Les maisons à la suite l’une de l’autre, dont on connait le moindre habitant, les habitues, les famille, le café L’Helvezia où tous se retrouvent pour un schnaps, les lappis qui font des petits et que l’on prend dans ses mains car ils sont si doux, mais qui en meurent, les saisons difficiles, surtout quand le soleil disparait pour plusieurs mois, la vie et la mort, l’enterrement ou la naissance, il n’y a rien d’étonnant à participer à tout cela puisque c’est la vie. Une succession de scènes aussi drôles qu’émouvantes. Un éveil au monde empli de débrouillardise, de naïveté et de sentiments.



L’écriture est vraiment étonnante. Si la lecture est un peu ardue au départ, j’ai été rapidement séduite.



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Ustrinkata

Ce court roman dépeint une scène de bistrot dans un petit village suisse, la nuit juste avant que celui-ci, l'Helvezia, ferme ses portes pour de bon, après de nombreuses décennies d'activité. On y retrouve les habitué•e•s, et leurs voix se mélangent en une cacophonie singulière. On y boit, énormément, bière, piccolo ou café-goutte. On se remémore les anciens, les catastrophes, les vivants et les morts, les présents et les absents, on parle religion, école, élevage, terroir, mais aussi amour, violences, et maladies, et bien sûr : météo.



Arno Camenisch retranscrit de façon formidable l'ambiance des conversations de comptoir : tout se mélange, tout le monde parle en même temps, et puis on boit, et puis on fume, et puis on va aux toilettes, parfois on s'endort, on repart et on revient, on cancane, on silence, on pense au bon vieux temps et aussi aux temps qu'on aurait voulu oublier, et puis on se contredit, on vrille un peu avec l'ivresse.



Ce qui ressort, surtout, dans cette grande chronologie qui court sur une centaine d'années, c'est un village qui a l'air figé dans le temps - le roman pourrait avoir lieu autant dans les années 20 (celles d'avant) que tout juste maintenant. Le temps passe sans trop rien changer, en tout cas le temps des heures. Parce que le temps, l'autre, celui qui fait le froid et le chaud, lui détruit un peu tout sur le passage. Tout se détraque, le village est plusieurs fois détruit, enfoui, brûlé, avalanché, mais toujours debout encore. Pour combien de temps ? Il n'y a plus rien qui pousse et il ne neige même plus.



Ustrinkata, dont le nom vient de "austrinken" (boire cul sec) se vide d'une traite, comme son titre l'indique. Bien que ce ne soit pas le genre d'ambiance qui m'accroche, je reconnais fort volontiers le talent de l'auteur pour construire un livre dans un langage oral très bien retranscrit, d'un seul souffle comme si la communauté formait une entité unique, dans un mélange des différents patois. Il nous téléporte directement en plein cœur de son décor, et c'est limite si on ne s'attend pas à retrouver posé devant nous : une bouteille de bière, un cendrier, une poignée de porte des toilettes. Nostalgique, bourru, voire un peu rustre, simple, à la fois grave et drôle, ce très court récit sent la pierre, la terre et la pluie. Plus que ça, d'ailleurs, ce roman nous semble si familier puisqu'il est basé sur la propre expérience de l'auteur : c'est sa tante, dont il est question dans le livre, qui tenait le bar, où lui-même allait se poser régulièrement. Je rajoute une mention très honorable à la traductrice pour avoir pu retranscrire ce langage si singulier.
Lien : https://lecombatoculaire.blo..
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La dernière neige

La saga alpestre de la vallée suisse du Haut-Rhin continue, folle symphonie jazz à l’accent unique dont ce quatrième épisode se passe en hiver, au pied des pistes.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/12/13/note-de-lecture-la-derniere-neige-arno-camenisch/



Habitants d’un petit village de la haute vallée du Rhin, au cœur du canton suisse des Grisons, entre Autriche et Italie, Paul et Georg sont employés, en hiver, au téléski qui dessert plusieurs pistes du domaine skiable local. Alors que la neige se fait désormais souvent plus hésitante que quelques années auparavant, assez peu bousculés par les clients toujours trop rares de leur remontée mécanique, ils refont chaque jour paisiblement le monde, ici et ailleurs, confrontant les us et coutumes de la vallée et de ses natifs au bruit du vaste monde qui leur parvient, comme tout un chacun, par les médias et par les rencontres extérieures. Quotidien à l’horaire toujours incertain, rythmé par la nature, la météorologie et la vie matérielle, le jour s’égrène parmi les souvenirs, les considérations doucement rageuses ou malicieusement tempérées, les coqs-à-l’âne savoureux, les piques discrètement assassines, les postures secrètes et les rêves de sept lieues. Personnages superbement infra-ordinaires mais prenant progressivement sous nos yeux à chacune de ces 100 pages leur stature véritable de géants secrets, presque mythologiques, Paul et Georg attendent le chaland et éclairent le monde, le leur comme le nôtre.



Depuis 2009, Arno Camenisch nous régale régulièrement des épisodes de fantasmagorie ordinaire issus de la vie, racontée et vécue, d’un petit village de la haute vallée du Rhin, dans le canton suisse des Grisons. Après « Sez Ner » (2009), qui mettait en scène l’alpage en été, ses mystères et ses divers animaux et humains dont prendre soin, « Derrière la gare » (2010), qui décryptait savoureusement le village à hauteur d’enfant, et « Ustrinkata » (2012), qui liquidait cul sec les stocks d’un café condamné à la fermeture (dont on apprendra ici, comme incidemment, bien des éléments de contexte jusqu’alors secrets), « La dernière neige » (2018) est la quatrième installation en français de cette saga extraordinaire. Publiée chez Quidam, à nouveau, en octobre 2021, elle brille toujours autant du talent de la traductrice Camille Luscher pour nous rendre la magie de cette langue rocailleuse et fluide, dont le flot suisse allemand intègre si volontiers les trouvailles locales empruntées à l’italien, au français et au romanche lui-même, dans ce canton si paradoxal, bout du monde engoncé dans les montagnes et carrefour authentique de quatre aires linguistiques bien spécifiques. Il faut se plonger encore et encore, avec délices, dans ce tourbillon d’humour malicieux, intellectuel et matériel, qui évoque bien entendu, à l’autre bout des Alpes centrales, celui du F’Murr du « Génie des alpages » (1973-2007), dans ce je-ne-sais-quoi et ce presque-rien qui, pourtant, déplacent en beauté notre rapport au monde, et inscrivent désormais ce minuscule coin de Suisse alpine, multinationale et faussement recroquevillée sur elle-même, cassant les codes des clochers identitaires pour mieux y dérouler un local universel (on se souviendra ainsi des mots cruels et malicieux de Lyonel Trouillot, en Haïti, à propos de sa « Parabole du failli« , à écouter ici), parmi les hauts lieux de la littérature mondiale.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Sez Ner

L’alpage des Grisons transformé le temps d’un été en savoureux et puissant miroir de toute une humanité taiseuse et débridée. Du grand art inclassable.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/01/21/note-de-lecture-sez-ner-arno-camenisch/



En trois centaines de petites proses sèches et néanmoins d’une richesse et d’une faconde incomparables, Arno Camenisch, avec ce « Sez Ner » publié en 2009 et traduit (depuis le suisse allemand bien particulier, entrelardé de romanche ou de suisse italien, qui caractérise l’auteur) par Camille Luscher, aux éditions d’En Bas en 2014, et désormais chez Quidam éditeur, en 2020, pose les formidables fondations d’une vallée qui est aussi un pays à part entière, pays qu’il explorera à hauteur d’enfant dans « Derrière la gare » et dont il zoomera sur un crépuscule transitoire dans « Ustrinkata », pour réaliser une véritable trilogie des Grisons, savoureuse et emblématique.



Sans aucun commentaire superflu de ce qui se noue et se dénoue à chaque instant dans la simplicité apparente des gestes centenaires, revus et corrigés par une forme insidieuse d’air du temps, par de menues idiosyncrasies développées par chacun des protagonistes infra-ordinaires, par beaucoup de non-dits et d’ironies hautement rentrées, une énorme tendresse est à l’œuvre. Une nature omniprésente, minérale, végétale et plus encore animale (vaches, cochons, poules, chiens), s’efface à chaque instant pour laisser toute sa place à l’humain qui vit en osmose inconfortable avec elle, même si cet humain est tour à tour futile ou grandiose, savourant en toute sagesse instinctive le plaisir du bon mot et de la parole, même rare, même discrète. Un grand art du langage transformant un terrain hautement improbable en un étonnant miroir d’une humanité entière.
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Derrière la gare

Réjouissant, habile, « Derrière la gare » est un récit bienfaisant, lumineux. D’emblée, on est bien dans cette contrée bordée d’air frais de l’Helvétie. A hauteur d’enfant, l’histoire est un baume au cœur. Une couverture que l’on remonte d’aise jusqu’au cou. Ne pas perdre des yeux, un seul espace, une virgule ou un point. Chaque phrase est un sourire, une attention, un détail ou une coutume écartelée par un enfant (qu’on adore) écouter. « Derrière la gare » est le papier calque d’un village où chacun des protagonistes connaît l’autre à merveille. L’idiosyncrasie dévoilée par l’auteur Arno Camenisch digne d’un génie évident est époustouflante de réalisme. L’Helvétie est apprivoisée. Le lecteur reste dans cet antre et se prend à aimer les mouvements de ce village où le traditionnel à valeur d’or. On aime les passages glorieux, amusants. Les rituels qui résistent aux rides et aux sourires d’une enfance qui connaît le respir de la nature et qui ignore ce qu’un XXIème siècle reprendra sans compromission. C’est ici qu’il fait bon vivre. Dans ce quotidien où « Dans le village personne n’a fermé sa porte à clé…… Dans le village il y a 16 frigos. » La nostalgie saisit le lecteur. Il voudrait ce village intemporel. Carte postale ne jaunissant pas sur les murailles des siècles à venir. L’écriture est un tapis rouge. « Attenzium, dit l’Otto, le devoir que demain à midi ici même, vous me dîtes le nom de chacune de nos muntagnas. » On reste dans cette farandole de paroles, bien au chaud, dans cette épiphanie grammaticale. Les mots écorchés, détournés, savoureux encensent un régionalisme d’ébène. On éclate de rire, on apprend à vivre. A changer notre regard sur le monde et sur nous-même. Ce petit galopin qui rayonne dans « Derrière la gare » ressemble à Toto dans « Cinéma Paradiso ». C’est dire la portée nourricière de ce récit vivifiant. « Dans l’Helvezia non plus la lumière éternelle doit jamais s’éteindre. En hiver, il y a encore plus de lumières éternelles qui sont allumées que d’habitude, et presque tous les gens du village participent, allument des cigarettas et les fument jusqu’au bout. Ils allument des petites lumières pour les âmes en peine, pour qu’on aille bien et que le soleil revienne et que personne ne finisse plemplem. » « Derrière la gare » est une ode à la vie, à l’authenticité, à la simplicité. Dans une Helvétie dont on ressent jusqu’à l’extrême la sincérité et cette joie de vivre. Un roman à lire en noir et blanc mais dont l’image ne se fige pas. La clarté est dans chaque heure et que ça fait du bien de lire ce roman qui est tendre comme du bon pain. C’est un récit porte-voix , un film à ciel ouvert, des brassées d’images salvatrices qui illuminent l’Helvétie pour toujours. Publié par Quidam éditeur qui prouve une nouvelle fois une haute qualité éditoriale.
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Ustrinkata

Puissant, émouvant, « Ustrinkata » de Arno Camenisch est un grand livre. Les dés sont lancés. Annonciateurs d'une finitude. Grave, intense, le temps passé dans l'Helvezia est un feu de cheminée. Néanmoins, les cendres encore chaudes résistent à ce qui fût. Il faut lire cette sombre et sublime histoire doucement en invité des grandes heures dans ce café mythique « l'Helvezia ». Ecouter, puis s'imprégner des paroles de chacun. Garder pour soi ces leçons de vie et de courage, de loyauté pour en faire son propre levier. Ce récit est donc une double chance. « Ustrinka » se déguste doucement avec respect. La nuit est tombée en Helvezie. C'est la dernière heure du jour. Dans cet entre monde où les habitants sont des résistants qui veulent défier les aléas de cette contemporanéité qui joue des coudes et qui se fraie un passage dans leur vie et bouscule tout frénétiquement. L'incipit ouvre ses bras en grandeur. « Comment ça de l'eau, dit la tante à la grande table des habitués dans l'Helvezia, elle fixe l'Alexi, mais t'es marteau. » le ton est donné. Il ne faut pas que le geste s'apaise. Les lèvres doivent rester messagères d'une parole régénérante. Chacun des verres proposés est la somme de guerre. Dans cet espace où les habitués de ce lieu apportent la pierre du dire en oraison. L'écriture est si noble qu'on a la gorge nouée. Chacun conte. Les anecdotes, les coups bas, les souvenirs, les habitants qui ont marqué de leur sceau la citadelle de l'Helvezia. Les portraits des uns et des autres encensent le filigrane. On pressent l'urgence du dire. Les confidences sont des échappées, saveurs salvatrices et consolantes. La gravité est une fleur qui perce sur le goudron de l'inaltérable. Il pleut, il fait sombre. La lumière dans l'Helvezia est un antidote. Une bataille entre l'adversité et la fraternité dans cet antre emblématique. Avant que les volets ne se referment à jamais. Boire à n'en plus finir. Affronter les démons d'un climat qui signe son heure de fin. Parler, graver les sons et les alphabets d'honneur dans chaque verre. La tendresse est un garde à vous. L'exutoire d'un langage qui résiste aux tempêtes intérieures. Tout est beau ici, intègre et authentique. La sincérité est un breuvage et bien plus qu'un récit « Ustrinkata » est un cri d'alarme. Que va-t-il se passer ? Ne rien dire de ce bateau de Géricault. Rester dans cette matrice de l'Helvezia battue par le froid. S'imprégner de ces délivrances verbales. La teneur est vive. Les minutes urgentes. L'hédonisme grandiose car il ne se sait pas. « Ouais de temps en temps tu rapportes un cerf à la maison et tu le déposes sur la table de la cuisine, y a pas besoin de mots, dit le Luis, c'est bien assez d'amour. » L'ampleur de « Ustrinkata » est dans la simplicité et dans le juste. Dans cette nuit qui emporte avec elle toutes ces vies qui se noient, gorgées après gorgées. Métaphores fabuleuses d'un refus de fermeture de ce lieu vivifiant et qui ne sera plus. Et d'une littérature de renom qui a tout compris. Beau à pleurer. Traduit de l'allemand (Suisse) par Camille Luscher. Publié par les majeures éditions Quidam éditeur.
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La dernière neige

Et tombe la dernière neige !

Comment résister à cette neige fondant entre nos mains ?

Il est des littératures ainsi, où l'on n'ose bouger sous le tremblant de la beauté.

« La dernière neige » est une apothéose. Un livre à déguster, un thé chaud, une couverture jusqu'au cou, voix haute. Lire « La dernière neige » c'est prendre place dans les hauteurs enneigées. La nature épiphanie qui délivre son dernier jour. L'oraison des rois des cimes.

Comme je l'aime cette écriture humble, réelle, qui donne la parole à Georg et Paul. Veilleurs d'un téléski dont c'est l'heure du glas et De La finitude.

« Ils sont debout à côté du téléski, les mains dans les poches de leurs pantalons, et regardent les arbalètes un choli machin faut dire, dit Paul en regardant Georg de 1971 , elle date, la construction. »

Ils devinent que tout est au ralenti, noir et blanc, chute et arrêt. Résistants, leurs paroles chutes de neige brisent l'incommensurable.

Poétiques, myriades, cartes postales au fronton des rappels, le temps maintient le dernier flocon parabolique.

Ici, vous avez la vertueuse altérité, l'humilité des braves, la force du travail tenace malgré son agonie. L'écologie déployée, les montagnes qui encerclent leurs regards vers la vallée. Les Alpes des Grisons suisses qui composent les dernières gammes pour l'éternité.

« Et ça là derrière, c'est la deuxième montagne, la plus haute, dit Georg, exact, on en, a tout juste mille dans le canton, mille sommets, ça fait un sacré lot. »

On ressent l'instant présent, fusionnel et irréversible. Arno Camenisch est un conteur dont je rêve de suivre le chemin de ses histoires si véritables.

Écoutez : « Des flocons comme des pétales de fleurs, dit Paul, de vrais sparadraps, ça t'éclaire droit dans le coeur. »

« La dernière neige » est le salut. Cette histoire fraternelle, de concorde et d'alliance montagneuse est un hymne au terroir et à l'authenticité. La gravité est une empreinte dans le glacé. On ressent l'effet domino du modernisme, du réchauffement climatique, des habitants qui s'échappent des vallées comme des fourmis égarées et peureuses.

« C'est juste dommache que l'école a brûlé, vraiment dommache, dit Paul, c'était un de ces réservoirs à histoires. »

Ils sont là, collecteurs des souvenirs, vagabonds célestes, les paupières givrées, les dires chapelles et feux de bois.

Ce texte grandiose est beau à pleurer. L'edelweiss , « la marche du monde ». le cycle des Grisons est une farandole vivifiante: Sez Nez, Derrière la gare, et Ustrinkata, La dernière neige.

Traduit avec brio de l'allemand (Suisse) par Camille Luscher, « La dernière neige » est une ode universelle, un récit hivernal majestueux.

Publié par les majeures Éditions Quidam éditeur.

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Sez Ner

Lire Arno Camenisch c’est étreindre la vie même. Un bel escompte hyperbolique du futur pour les jours sans, un remède anti confinement. Sur le piédestal d’une littérature hors norme, un diapason naturaliste s’élève. Cet écrin est une échappée toute en pudeur et en majesté. Haut les cœurs ! Ecoutez le rythme comme une farandole en haute montagne. Cette simplicité verbale qui délivre le summum de l’authenticité. Douce, allouée aux gestes humbles. L’écriture, telle une dictée d’antan que l’on apprenait par cœur pour l’après. Ce livre est le pain pour la faim, l’eau pour la soif. Quatre hommes, en plein été, dans les alpages sur la surselva des Grisons. Labeur et certitude, volonté et endurance, le travail est puissance. Il arrime ces hommes, ces simples à l’épiphanie des cimes salvatrices. Dans ce temps entre monde, empreint de rectitude, à mille mille du modernisme. Ils sont là, altiers et ténébreux, taiseux et persévérants. L’été des amplitudes dans cet essentiel de trois cents proses où l’herbe est regain, le lait source, la sueur, une vertu. Ecoutez Arno Camenisch le sachant d’un terroir dans sa plus juste exactitude. « Les paysans viennent le dimanche, quand ils viennent. Alors ils restent plantés entre le chalet et l’enclos des cochons, mains dans les poches, et brissagos coincés dans la barbe, et regardent le troupeau. » L’armailli, l’aide-armailli, le vacher, le porcher, cordée aux heures amplitudes, chaque regard étonne ou dérange, apaise ou somme l’autre. « Le soir, le porcher est assis dans la brouette derrière l’étable. La brouette a un brancard cassé. Le porcher a un Rössli dans la bouche. Il regarde le Trunpiv en face, et lance des ronds de fumée dans la paix du soir de l’Alpe. » Ce récit régionaliste, pictural est un hymne au terroir. On est en transmutation dans le Sez Ner, sur les cimes, happé par ce récit fondamental qui forge les sens et approuve le microcosme. « Sur la pointe du Sez Ner se dresse le Cairn, l’homme de pierre. Dans le ventre du cairn, il y a le livre. » « Sez Ner » est magistral, culte. Lisez cet écrin des alpages, le temps d’un été qui est multitude, ce futur classique de la littérature à l’instar de Giono, Bosco, en puissance mille. Traduction (revue) de l’allemand (Suisse) par Camille Luscher. Publié par les majeures Editions Quidam éditeur.
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Derrière la gare

Nous revoici dans le décor d'Ustrinkata, un mini village suisse dans les montagnes, raconté par un jeune narrateur qui fait le portrait de chacun, décrit chaque habitation, chaque détour. Ça sent le bon vieux temps, l'insouciance, les genoux écorchés, les piccolos, la neige et les lappis. Le récit prend l'allure d'un petit théâtre, découpé en scène très courtes, où l'on apprend à vivre ensemble, comme si tout le monde faisait partie de la même famille.



Il y a un air de nostalgie, on ne sait pas trop où se situe la frontière entre autobiographie, souvenirs romancés ou fiction. « C’est mon enfance, mes racines, mes origines. » dit l'auteur dans cet article sur Le Temps « Mes livres parlent de choses simples, de la vie, de la mort, de l’amour, du changement. A Salerne, une vieille dame est venue me dire que le village de Derrière la gare parlait de chez elle, et c’est comme ça partout: les gens s’y reconnaissent. » Pour les gens comme moi, qui ont grandi dans une grande ville, ça a l'air complètement hors-champs, hors-temps, une sorte de bulle hors du monde, et pourtant, oui, quand même familière.



Parce qu'on vit l'histoire à travers les yeux d'un enfant, les choses qui y sont abordées semblent un peu irréelles, pas si graves même quand quelqu'un finit à l'ospital ou que des familles partent, il y a les affaires des grands et celles des petits. Il y a les lappis dans le jardin et quand ils disparaissent on s'étonnerait pas que ce soient les grands qui les aient volés pour les manger. Il y a les accidents de route, les accidents de ski, les soldats derrière la gare. Tout semble quand même immuable, indéfectible. Comme figé dans la roche, dans les montagnes.



Le ton est très différent de celui d'Ustrinkata, bien qu'on retrouve une certaine familiarité dans l'écriture, son débit est maintenant haché, à une seule voix. La cacophonie se calme pour devenir petites photographies Polaroïd. Bon, il est fort probable qu'il aurait fallu lire Derrière la gare en premier, puisqu'on y parle d'un temps où l'Helvezia n'est pas encore menacé de fermeture, d'un temps où il neige encore quand il faut qu'il neige, mais l'un et l'autre se nourrissent bien dans un sens comme dans l'autre. Les deux se lisent vite, un peu plus ou un peu moins de cent pages chacun, mais ils font partie des histoires qui marquent par la singularité de leur langage, leur approche du monde, leur simplicité efficace. Encore une fois, le travail de traduction de Camille Luscher est excellent : on lit comme entend, les langues se mélangent, avec un accent fort prononcé.
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Sez Ner

Belle découverte que cet auteur des Grisons, Arno Camenisch, qui écrit dans une langue de la famille du romanche (le sursilvan, quelques 15 000 locuteurs dans ces montagnes suisses qui oscille en Italie et Autriche) ou en allemand.



Sez Ner, c'est une montagne et un alpage. Un alpage où passe quelque touristes mais surtout où vivent, le temps d'une saison de production, les bêtes et les hommes qui en ont la garde. Le plus important, c'est l’armailli, celui qui fait les fromage, secondé par son aide. Après, car il y a une vraie hiérarchie entre ces montagnards, il y a les vachers, avec leurs chiens, et puis les porchers qui ne s'occupent que des cochons, les bouèbes. Un monde rude où l'on parle peu, où l'on est pas tendre envers les autres. Un monde où il faut être de ces touristes armés d'appareil photo et de tenues de randonneur pour y trouver le charme poétique et bucolique. L'office du tourisme fait d'ailleurs le nécessaire pour que les image de cartes postales puissent être faites, en fournissant les tenues traditionnelles ad hoc.



Sur l'alpage de Sez Ner, on peut aussi croiser des soldats qui s'entraînent très sérieusement à la guerre. Une tradition aussi solidement ancrée dans le quotidien des montagnes helvétiques.



Tout cela prend des couleurs à la fois rudes et absurdes, avec parfois des échos de haikus presque involontaires (ou de presque haikus volontaires). Une écriture où résonne le rythme d'une parole rare, qui ne se gaspille pas en parlotes ou figures de style inutiles. Ça râpe, ça sent fort, ça résonne de silences, de gestes et de regards. Admirable travail de la traductrice qui nous donne à entendre la langue de ces hommes là, une langue qui semble accrochée à la montagne et aux bêtes autant qu'aux hommes.



Arno Camenisch est allé voir et entendre ce que les touristes ne voient n'y n'entendent car ils ne regardent pas de ces côtés, n'écoutent pas les silences autour des mots. Il nous livre des tranches de vie, des images où la vraie beauté n'est pas toujours bien belle, pas bien propre et certainement pas aseptisée. Des mots nous échappe quand on n'est pas du cru où que l'on est jamais passé par là-bas, des mots que vous ne trouverez pas dans un dictionnaire standard (qui se réfèrent parfois à des marques de cigare ou de voiture... parfois au parler local).



Sans doute ne faut-il pas prendre ces fragments de récits en leur attribuant une trop grande valeur documentaire, voire ethnographique. Il y a plutôt quelque chose des personnages de Beckett chez tous ces personnage qui défilent sous la plume d'Arno Camenisch. Sez Ner a d'ailleurs fait l'objet d'une adaptation au théâtre par le Bergtheater en 2013.



Une littérature que l'on peut éventuellement qualifié de montagnarde, mais qui est assez éloignée des œuvres d'un Giono ou d'un Ramuz, même si les liens de parenté peuvent exister dans l'importance du travail de la langue, de la phrase et de son rythme. Chez Camenisch aussi y a bien plus que du pittoresque: de l'humain avec sa dureté, ses violences, ses absurdités, son ironie, ses lumières et ses ombres.



Une réelle découverte à faire.
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La dernière neige

Deux hommes et un téléski, l'imminence de la catastrophe, les histoires et soupçons partagés pour la repousser. Dans la précision de sa langue, par sa capacité à restituer intonations et accents, oralité et silence, une fois de plus Arno Camenisch subjugue par la simplicité panique avec laquelle passent les jours. La dernière neige où la brume métaphysique qui nimbe notre quotidien, ordinaire, exemplaire.
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Ustrinkata

Un chef-d’oeuvre de poésie du quotidien et de la mémoire s’étendant loin au-delà du bistrot, au fond du canton des Grisons, à boire naturellement d’un cul sec.



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