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Camille Luscher (Traducteur)
EAN : 9782374912387
120 pages
Quidam (10/11/2021)
3.62/5   17 notes
Résumé :
Une station de ski miniature dans les alpes des Grisons suisses.
Paul et Georg attendent les skieurs en ce début de saison poussive et tuent le temps en jouant aux cartes, pelletant le peu de neige fraîchement tombée. Cette neige qui pourrait être la dernière, car demain est incertain. Les journées s'égrènent, monotones, rythmées par le ronronnement du téléski tandis que sourd, dans les récits et discours de ces «Vladimir et Estragon en bonnet de laine», une ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Sous le coeur fondant de chocolat blanc, une pointe vert d'eau, amère, de liqueur de génépi…

Parée sur mes skis, j'ai suivi avec bonheur et curiosité les traces laissées par Onee (@BibliodOnee) dans la poudreuse des alpes suisses pour filer comme elle tout schuss, recueillant au passage les petits papiers brillants des papillotes de chocolat blanc qu'elle m'avait laissés comme repères, accrochés aux sapins et brillant de mille feux, chemin de Petit Poucet afin que je ne m'égare pas. Il faut dire que le voyage est singulier, le brouillard qui, par moment recouvre tout, donne l'impression d'un voyage immobile. Dans sa grande générosité, Onee m'avait même laissé quelques chocolats que j'ai trouvés certes tout aussi exquis et fondants qu'elle mais avec, en leur coeur, une pointe d'amertume, une petite larme vert d'eau, de la liqueur de génépi très certainement.
Après le fondant et l'onctuosité qui réconfortent immédiatement, le coeur de ce livre est amer, imperceptiblement, et bien plus alcoolisé qu'il n'y parait de prime abord…

Ils m'ont fait sourire Paul et Géorg, voire rire par moment. Et touchée aussi. Il était bon d'être avec eux, dans ce petit village de la haute vallée du Rhin, au coeur du canton suisse des Grisons, entre Autriche et Italie, même si j'ai eu du mal parfois à bien les comprendre (mazette, quel accent !). Mais, une fois habituée à ce (franc) parlé, je me sentais des leurs, dans cette cabane au pied de leur téléski qui dessert plusieurs pistes du domaine skiable local. Ils attendent, les deux collègues, ils attendent…Ils attendent le client, le skieur, en bon gardien du téléski qu'ils sont, alors que la neige se fait désormais plus rare qu'auparavant et que le taux de fréquentation est en berne.

« le rien de neige qu'on veut bien nous accorder, eh bien elle fond comme un coeur de jeune fille devant Elvis, dit Paul, y a plus que sur les affiches qu'on voit vraiment de la neige pour finir, je veux même pas repenser au temps qu'on était gamins et qu'on avait pas école pendant des semaines parce qu'y avait tellement de neige qu'on pouvait plus sortir de la maison, la première elle arrivait en novembre au plus tard, et en avril il neigeait encore ».

L'attente est propice aux discussions, à la dégustation de biscuits faits maison, de petits verres d'alcool local. Certes, ils font de menus réparations, s'assurent que le téléski fonctionne bien, que la file d'attente ne permette pas aux skieurs de doubler. Mais surtout, durant ces longues heures, ils refont le monde, égrènent leurs souvenirs, font émerger le fond de leurs pensées à coups de raccourcis hâtifs, de malice, de piques assassines, de ragots, de vérités toutes faites…Ils refond le monde quitte à gonfler un peu les chiffres de fréquentation de leur téléski afin de mieux justifier leur présence…

« Paul observe à travers ses jumelles le village en contrebas, regarde-moi voir ça, ce qui circule dans ce village, il marmonne, ses jumelles suivent une voiture à travers le village, c'est le fils du curé. Là tu m'en apprends une bonne, le curé qu'aurait un fils, c'est nouveau ça, dit Georg en comparant les montagnes à sa carte géographique. Bien sûr que c'est le fils du curé, il lui ressemble au poil près, dis-moi sinon qui d'autre a les cheveux roux dans le village. Il peut pas avoir un fils, c'est interdit, dit Georg. Y a pas mal d'autres choses qui sont interdites, dit Paul, mais si le curé est le seul à avoir des cheveux roux, et que tout à coup par hasard y a un enfant qui naît avec des cheveux flamboyants comme ceux du curé, alors bon Dieu, c'est bien que c'est le fils du père, non ? On a encore assez de jugeotte à nous deux, pas vrai, tu vas pas me dire qu'ils ressentent rien du sortilège entre les jambes ceux-là, ou bien ? Il tourne la molette des jumelles ».

Au fur et à mesure de ces cent pages, quelque chose émerge paisiblement, à la vitesse de l'accent suisse, ces deux personnages du terroir simples et rustiques prennent peu à peu une grandeur quasi mythologique. C'est l'évolution de l'humanité, la fin du monde d'antan où leur téléski tournait aussi bien que le monde tournait rond, qu'ils mettent en valeur avec tendresse et nostalgie, l'air de rien cachés derrière leurs anecdotes, et qu'ils éclairent d'un regard singulier pour leur donner une portée universelle.

Avant que la profondeur de ce texte n'émerge subtilement, que ces petits riens de la vie ordinaire en ce territoire isolé deviennent des lumières prophétiques sur la marche du monde, c'est bien la plume de Arno Camenisch qui nous happe immédiatement, nous enveloppe et nous ensevelit. C'est une avalanche de tournures populaires rocailleuses et âpres, d'argot, de trouvailles, un mélange étonnant reflet de ce territoire au carrefour entre la Suisse, l'Autriche, l'Italie et la France. J'avais l'impression peu à peu d'entendre ces voix, de sentir leur façon de parler, de capter cette langue, grâce, sans aucun doute, au talent de la traductrice, Camille Luscher, qui a su restituer tout le charme de l'écriture de ce jeune auteur.

Il me tarde de découvrir les autres opus de la saga étonnante et vivifiante qu'a élaborée Arno Camenisch. Quatre petits livres narrant la vie ordinaire dans cette vallée montagnarde du Rhin, en suisse. Raconté par des protagonistes différents, dans leur façon de parler, avec leurs mots. Onee a écrit un récent billet sur un des opus, « Derrière la gare » qui se place à hauteur d'enfant. Mentionnons également Ser Nez qui offre une vision certainement très bucolique et champêtre de ce village en été et Ustrinkata qui parle d'un café dans ce même village, café condamné à la fermeture dont il faut liquider les stocks…

Petit roman crépusculaire et nostalgique sur les premières neiges qui semblent bien être les dernières, ce livre m'a plu dans sa façon de rendre compte de la vie ordinaire et des angoisses de personnes enracinées dans un territoire dont ils perçoivent les évolutions et les failles. de cette prise de conscience, vécue et racontée, souvent drôle, parfois grave, des flocons de poésie locale virevoltent, nous recouvrant de leur fraicheur, des flocons « comme des pétales de fleurs, de vrais sparadraps, ça t'éclaire droit dans le coeur ».


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Exquis, ce roman de saison enfoui sous les dernières neiges suisses, qui se déguste comme un chocolat blanc fondant sur la langue. Aguichée par la belle couverture enneigée et un titre légèrement apocalyptique, j'ai lu tout schuss ces 100 pages de mots fondus dans une avalanche de dialogues et pensées. « Tout est prêt pourtant, y a que l'hiver qui manque à l'appel ».


Paul et Georg ouvrent tous les jours cette cabane qui sert de station dans les Alpes suisses. Tout en accomplissant les gestes routiniers, ils pensent, papotent, mettent en route, servent les skieurs et se rappellent qu'une année, « y en a même un qu'a foncé dans notre belle cabane, plaf, une peur bleue qu'on a eu tous les deux, mêmes qu'on en a renversé la soupe sur nos genoux, on aurait dit qu'il allait passer à travers tellement qu'il est arrivé vite çui-ci, il s'est cassé quelques dents, le poverino, alors que n'importe quel bougre sait qu'il faut se mettre à freiner dès que la cabane elle t'apparaît en ligne de mir, évidemment si tu te jettes contre, la cabane ça te freine aussi, mais c'est pas choli choli ». « La mort nous guérit de la vie, dit Georg ».


Ils réparent le télésiège qui tombe en panne, surveillent que soient respectés les interdits comme gruger la file d'attente - « y a pas mal d'autres choses qui sont interdites, dit Paul, mais si le curé est le seul à avoir les cheveux roux, et que tout à coup par hasard ya un enfant qui naît avec les cheveux flamboyants comme ceux du curé, alors bon Dieu, c'est bien que c'est le fils du père, non ? »


Ils jouent aux cartes en attendant le chaland, observent le ciel en comptant les passants, tentent de deviner s'il neigera demain, remballent leur panneau à la fermeture, et recommencent le lendemain matin, boivent un coup à l'abri du blizzard qui s'installe, à tel point que « la tête lui tournait un peu, c'est que ça se boit pas comme de l'eau, faut y aller piano piano si t'es pas trop habitué, sinon le brevache te monte à la tête et à cette altitude, sûr que ça va plus vite ».


De tout petits riens qui constituent toute une vie dévalent les phrases. Les souvenirs glissent, se recouvrent des flocons gras qui daignent tomber, en silence, pas comme Paul, le plus bavard, qui lui se rend compte, nom di Diu, que tchaque année il neige un peu moins ou bien, « y a plus que sur les affiches qu'on voit vraiment la neige pour finir, je veux même pas repenser au temps qu'on était gamins et qu'on avait pas école pendant des semaines parce qu'y avait tellement de neige qu'on pouvait plus sortir de la maison, la première, elle arrivait en novembre au plus tard, et en avril il neigeait encore ».


Chaque geste répété tous les ans est prétexte à anecdote qui plante le décor et les personnages. Mais derrière l'humour des récits et la beauté du décor, on sent poindre la nostalgie de ces moments qui, tout en semblant immuables, n'en sont pas moins en train de se perdre peut-être à jamais : moins de skieurs, moins de neige, tout se perd, semble être amené à disparaître. Même la mémoire de Georg donne symboliquement le ton.


Vous l'avez compris, vous ne trouverez pas ici de roman d'action. Mais je voulais une lecture qui me mette à l'heure d'hiver, vu que chez moi non-plus, mes braves amis, y a plus de saisons ni de neige en hiver. Et dès les premiers mots j'ai été envoûtée par cette ambiance d'hiver à l'ancienne sur le point de disparaître. Or comme dit la femme de Paul : « la première impression c'est comme un sortilège, tu t'en débarrasses plus ». La petite gourmandise de saison à lire sous le plaid avec un chocolat chaud fumant entre les mains, dans une tasse en forme de bonhomme de neige ;-)
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Et tombe la dernière neige !
Comment résister à cette neige fondant entre nos mains ?
Il est des littératures ainsi, où l'on n'ose bouger sous le tremblant de la beauté.
« La dernière neige » est une apothéose. Un livre à déguster, un thé chaud, une couverture jusqu'au cou, voix haute. Lire « La dernière neige » c'est prendre place dans les hauteurs enneigées. La nature épiphanie qui délivre son dernier jour. L'oraison des rois des cimes.
Comme je l'aime cette écriture humble, réelle, qui donne la parole à Georg et Paul. Veilleurs d'un téléski dont c'est l'heure du glas et de la finitude.
« Ils sont debout à côté du téléski, les mains dans les poches de leurs pantalons, et regardent les arbalètes un choli machin faut dire, dit Paul en regardant Georg de 1971 , elle date, la construction. »
Ils devinent que tout est au ralenti, noir et blanc, chute et arrêt. Résistants, leurs paroles chutes de neige brisent l'incommensurable.
Poétiques, myriades, cartes postales au fronton des rappels, le temps maintient le dernier flocon parabolique.
Ici, vous avez la vertueuse altérité, l'humilité des braves, la force du travail tenace malgré son agonie. L'écologie déployée, les montagnes qui encerclent leurs regards vers la vallée. Les Alpes des Grisons suisses qui composent les dernières gammes pour l'éternité.
« Et ça là derrière, c'est la deuxième montagne, la plus haute, dit Georg, exact, on en, a tout juste mille dans le canton, mille sommets, ça fait un sacré lot. »
On ressent l'instant présent, fusionnel et irréversible. Arno Camenisch est un conteur dont je rêve de suivre le chemin de ses histoires si véritables.
Écoutez : « Des flocons comme des pétales de fleurs, dit Paul, de vrais sparadraps, ça t'éclaire droit dans le coeur. »
« La dernière neige » est le salut. Cette histoire fraternelle, de concorde et d'alliance montagneuse est un hymne au terroir et à l'authenticité. La gravité est une empreinte dans le glacé. On ressent l'effet domino du modernisme, du réchauffement climatique, des habitants qui s'échappent des vallées comme des fourmis égarées et peureuses.
« C'est juste dommache que l'école a brûlé, vraiment dommache, dit Paul, c'était un de ces réservoirs à histoires. »
Ils sont là, collecteurs des souvenirs, vagabonds célestes, les paupières givrées, les dires chapelles et feux de bois.
Ce texte grandiose est beau à pleurer. L'edelweiss , « la marche du monde ». le cycle des Grisons est une farandole vivifiante: Sez Nez, Derrière la gare, et Ustrinkata, La dernière neige.
Traduit avec brio de l'allemand (Suisse) par Camille Luscher, « La dernière neige » est une ode universelle, un récit hivernal majestueux.
Publié par les majeures Éditions Quidam éditeur.
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La saga alpestre de la vallée suisse du Haut-Rhin continue, folle symphonie jazz à l'accent unique dont ce quatrième épisode se passe en hiver, au pied des pistes.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/12/13/note-de-lecture-la-derniere-neige-arno-camenisch/

Habitants d'un petit village de la haute vallée du Rhin, au coeur du canton suisse des Grisons, entre Autriche et Italie, Paul et Georg sont employés, en hiver, au téléski qui dessert plusieurs pistes du domaine skiable local. Alors que la neige se fait désormais souvent plus hésitante que quelques années auparavant, assez peu bousculés par les clients toujours trop rares de leur remontée mécanique, ils refont chaque jour paisiblement le monde, ici et ailleurs, confrontant les us et coutumes de la vallée et de ses natifs au bruit du vaste monde qui leur parvient, comme tout un chacun, par les médias et par les rencontres extérieures. Quotidien à l'horaire toujours incertain, rythmé par la nature, la météorologie et la vie matérielle, le jour s'égrène parmi les souvenirs, les considérations doucement rageuses ou malicieusement tempérées, les coqs-à-l'âne savoureux, les piques discrètement assassines, les postures secrètes et les rêves de sept lieues. Personnages superbement infra-ordinaires mais prenant progressivement sous nos yeux à chacune de ces 100 pages leur stature véritable de géants secrets, presque mythologiques, Paul et Georg attendent le chaland et éclairent le monde, le leur comme le nôtre.

Depuis 2009, Arno Camenisch nous régale régulièrement des épisodes de fantasmagorie ordinaire issus de la vie, racontée et vécue, d'un petit village de la haute vallée du Rhin, dans le canton suisse des Grisons. Après « Sez Ner » (2009), qui mettait en scène l'alpage en été, ses mystères et ses divers animaux et humains dont prendre soin, « Derrière la gare » (2010), qui décryptait savoureusement le village à hauteur d'enfant, et « Ustrinkata » (2012), qui liquidait cul sec les stocks d'un café condamné à la fermeture (dont on apprendra ici, comme incidemment, bien des éléments de contexte jusqu'alors secrets), « La dernière neige » (2018) est la quatrième installation en français de cette saga extraordinaire. Publiée chez Quidam, à nouveau, en octobre 2021, elle brille toujours autant du talent de la traductrice Camille Luscher pour nous rendre la magie de cette langue rocailleuse et fluide, dont le flot suisse allemand intègre si volontiers les trouvailles locales empruntées à l'italien, au français et au romanche lui-même, dans ce canton si paradoxal, bout du monde engoncé dans les montagnes et carrefour authentique de quatre aires linguistiques bien spécifiques. Il faut se plonger encore et encore, avec délices, dans ce tourbillon d'humour malicieux, intellectuel et matériel, qui évoque bien entendu, à l'autre bout des Alpes centrales, celui du F'Murr du « Génie des alpages » (1973-2007), dans ce je-ne-sais-quoi et ce presque-rien qui, pourtant, déplacent en beauté notre rapport au monde, et inscrivent désormais ce minuscule coin de Suisse alpine, multinationale et faussement recroquevillée sur elle-même, cassant les codes des clochers identitaires pour mieux y dérouler un local universel (on se souviendra ainsi des mots cruels et malicieux de Lyonel Trouillot, en Haïti, à propos de sa « Parabole du failli« , à écouter ici), parmi les hauts lieux de la littérature mondiale.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Un petit moment passé au milieu de nulle part avec Paul et Georg responsables du téléskis de leur station de sport d'hiver suisse.
Autour d'eux le paysage change, affecté par le réchauffement climatique : la neige se fait attendre et le glacier fond, faisant remonter les disparus à la surface.
Mais rien ne les affecte encore, ils attendent les premiers skieurs de la saisons, démarrent le téléski le matin, préparent les forfaits de ski puis ferment à 15h45.
Tout cela plusieurs jours de suite, en se remémorant les anecdotes du village.
Une sorte de huis clos bien gentillet qui a le mérite de se lire vite.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Le Kurt, le pauvre bougre, dit Paul en redressant son bonnet de laine, comme un clown il tremblait dans les vestiaires avant le cours de gym, rien que d’enfiler son survêt, ouais ouais, il savait très bien que le prof, ce vieux lascar avec son bas de training bleu remonté jusque sous les aisselles que ça te dessinait exactement le contour de son poireau, il savait très bien que le prof allait encore le fouetter comme une domina parce qu’il arrivait pas en haut de cette foutue perche, le pauvre loustic. Georg épluche sa banane et mord dedans. Ouais, essaie donc de faire grimper un éléphant en haut d’une perche, comment que tu fais, c’est mathéphysique, ça va pas, c’est tout, le bon Dieu dans les cieux a beau dire qu’on est tous égaux, on est égaux qu’à demi, faudrait décerner le titre de chevalier au pédagogusse qui arrivera à faire grimper un Kurt en haut de la perche, un miracle ce serait, mais le Pilatus avec son training sous les aisselles, il obligeait tout ce qui avait au moins un bras et deux jambes à monter à la perche, et il chronométrait par-dessus le marché. Il aurait carrément voulu qu’on grimpe au ciel, aller baiser les pieds du Bonidiu.
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On le voit pas souvent seul pourtant, il a sûrement pas laissé tomber ses potos, et il est souvent avec une cholie madame quand il revient au village d'un coup, dit Georg en repliant sa carte, et toujours elles saluent très poliment, un peu dans toutes les langues. Ca oui, dit Paul avec un soupir, mais sa tête c'est du vif-argent, au point qu'on dirait qu'il veut les avoir rien que pour mieux les quitter, elles ont beau être sensass, il est un peu comme le Houdini. Qui ça ? demande Georg. Le Houdini, le Harry, dit PAul, c'est le magicien, là, de la Merica, le briseur de chaines, il se sentait jamais aussi libre que quand il venait de les briser, d'abord il se faisait enchaîner bien comilfo, comme un veau, et après il se déliait en faisant beaucoup de cirque, et dès qu'il était détaché il avait enfin le sentiment d'être vraiment libre. Il secoue la tête, va comprendre.
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Orapronobis, le vieux là-haut dans le ciel il prend son temps cette année, sacrediu, s’il pouvait tomber un peu de neige ce serait pas fâcheux, dit Paul en regardant le ciel, mais saint Petrus, cet âne, il nous nargue, et son boss l’a autre chose à faire. Il est debout devant la cabane du téléski, la main en visière, un bonnet de laine sur la tête. Le ciel est bleu acier, le soleil se lève.
(Incipit)
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Georg est assis sur le banc devant la cabane et il tripote les boutons de la radio à l’antenne cassée. Paul regarde le thermomètre accroché au mur. Un peu chaud pour dire que c’est l’hiver, tu crois pas ? il demande en retirant son bonnet de laine. Il tapote le verre du doigt. Oh, ça c’est un vieux thermomètre, dit Georg en continuant à tourner le bouton de la radio, une tortue ce truc, qui affiche les températures avec deux jours de retard, il est sûrement déjà kaputt. T’en es bien sûr ? demande Paul, j’en serais pas si sûr qu’il est foutu, d’un autre côté c’est quasi pas possible que ce soit correct ce qu’il m’affiche là, on est quand même en hiver, et en hiver on a quand même pas des montées pareilles, ou alors c’est que le diable a mis un peu trop de charbon. Il se frotte la joue, décroche le thermomètre, le secoue et le tient contre son oreille. Ça nous ferait presque penser que ça se réchauffe comme disent les grenouilles de la météo à la télé, mais l’autre, de la Merica, là, la tête de nœud avec ses cheveux jaunes, il continue à dire dur comme pierre que c’est des foutaises. Comment qu’il fait pour avoir toujours cette même frisure tous les jours, ça c’est étonnant en tout cas. Georg tient la radio contre son oreille, ça grésille. Et le rien de neige qu’on veut bien nous accorder, eh ben elle fond comme un cœur de jeune fille devant Elvis, dit Paul, y a plus que sur les affiches qu’on voit vraiment de la neige pour finir, je veux même pas repenser au temps qu’on était gamins et qu’on avait pas école pendant des semaines parce qu’il y avait tellement de neige qu’on pouvait plus sortir de la maison, la première, elle arrivait en novembre au plus tard, et en avril il neigeait encore. Des murs de neige comme les immeubles de Parigi, comment tu veux dire ça à tes petits-enfants maintenant, ils croiraient direct que tu fabules, quand aujourd’hui faut se mettre à genoux et remercier le ciel et toutes les bonnes sœurs si à Noël il t’est tombé un brin de poudre, ouais, c’est tout de même devenu une curieuse histoire cette neige, ah ça c’est sûr. Georg se gratte l’arrière de la tête. Et puis tu as toujours ces paillasses qui osent encore prétendre que la météo elle serait exactement la même qu’il y a cinquante ans, il secoue la tête, si ça continue comme ça, ce sera bientôt le Maroc ici. Là-bas aussi on peut skier, dit Georg. Paul le regarde d’un air surpris, t’en es bien sûr ? Mais oui, sûr, dit Georg en opinant du chef. Ah foutaises, dit Paul, comment tu veux t’imaginer ça quand tu peux même pas luger là-bas en face, au Schneckenhof dans la Forêt-Noire, ou bien ? S’il veut déjà plus neiger ici, à qui que ça viendrait à l’idée d’aller en vacances de ski au Maroc. Georg pose la radio sur ses genoux et sort une cigarette de son paquet, évidemment qu’on peut faire du ski là-bas, il cherche ses allumettes. Y a quelqu’un qui vient, dit Paul, l’index tendu. Georg lève la tête, la cigarette lui tombe des lèvres. Ils font rapidement le tour du banc et entrent dans la cabane pour se poster derrière la vitre.
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Paul est dans la cabane occupé à faire reluire la coupe de championnat avec un chiffon blanc. Georg ouvre des poires en conserve. Sur le mur, l’horloge indique deux heures dix. Faudrait inventer un ouvre-boîte ou un truc dans le genre, dit Georg en brandissant l’ouvre-boîte, on serait riches. Comme l’autre de Davos, dit Paul en arrêtant de polir, Alfred ou Anton ou Anselm qu’il s’appelait. Il secoue son chiffon, il doit y avoir un sacré bon air là-haut, ils se sont pas contentés de construire le premier téléski du monde, y en a pas mal d’autres à qui la chance a souri, me demande pas pourquoi, quand on pense que Davos veut dire derrière en romontsch, en tout cas l’autre là, l’Alberto, c’est ça que je voulais raconter, il a inventé l’économe Rex, pour éplucher, et il a fait des millions avec ça, mais me demande pas comment prononcer son nom de famille, c’est un truc à se démettre la mâchoire tellement c’est complicau, ça oui, les derniers, on les retrouve souvent tout devant, mhm. Georg redresse le couvercle de la boîte de conserve et pose l’ouvre-boîte. Même sur les billets de cinquante francs y a une femme de Davos, avec sa photo, dit Paul, elle a un choli chapeau, un comme Claire en portait aussi. Mais c’est pas encore aujourd’hui qu’on deviendra millionnaires. Il souffle de la buée sur la coupe et frotte avec son chiffon, par la fenêtre on voit la neige tomber. Tu en veux aussi ? demande Georg en lui tendant les poires en conserve.
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