Citations de Arthur Schnitzler (316)
Il est tellement facile d’écrire ses souvenirs quand on a une mauvaise mémoire.
(p. 160)
Pourtant, comme la plupart du temps, la blessure aiguë de la douleur guérira plus vite que celle torturante et lancinante de la désillusion.
L’AUTEUR. Dis-moi, mon petit, es-tu heureuse ?
LA GRISETTE. Comment cela ?
L’AUTEUR. De manière générale. Es-tu heureuse ?
LA GRISETTE. Ça pourrait aller mieux.
L’AUTEUR. Tu comprends mal. Tu m’en as dit assez de la situation chez toi. Je sais bien que tu n’as pas une vie de château. Je voulais dire, en faisant abstraction de tout cela, quand tu te sens vivre, tout simplement. Est-ce que tu te sens vivre ?
P58
Qui pleurera quand je serai morte ? Que ce serait beau d'être morte. Mon cercueil dans le salon, avec les cierges allumés. De grands cierges. Douze grands cierges. Le corbillard attend en bas. Des gens devant le portail. Quel âge avait-elle ? Seulement dix-neuf ans. Dix neuf ans seulement, c'est vrai? ... Et pensez donc, son père est en prison. Pourquoi s'est-elle suicidée ? Chagrin d'amour, pour un filou. Où allez-vous chercher tout cela !? Elle attendait un enfant. Non, elle a fait une chute du haut du Cimone. Un accident. Bonjour, monsieur Dorsday, vous venez aussi rendre un dernier hommage à la petite Else ? La petite Else, dit cette vieille carne... Pourquoi pas ? Évidemment que je lui rends un dernier hommage, puisque je lui ai aussi rendu le premier outrage. Oh, cela en valait la peine, madame Winawer, jamais je n'ai vu un corps aussi beau. Cela ne m'a coûté que trente millions. Un Ruben coûte le triple. Elle s'est empoisonnée au haschisch. Elle avait envie de quelques belles visions, mais elle en a pris trop, et elle ne s'est pas réveillée.
- Vous me regardez, Else, comme si j'étais devenu subitement fou. Je le suis un peu, car il émane de vous un charme dont vous semblez inconsciente. Ne sentez-vous pas que ma prière n'a rien d'offensant pour vous ? Oui, c'est une prière même si elle ressemble à s'y méprendre à un chantage. Je ne suis pas un maître chanteur, un homme seulement, un être humain, qui connaît la vie, et qui sait par expérience que tout en ce monde a son prix et que celui qui donne son argent, quand il pourrait le troquer, n'est qu'un pauvre fou. Et ce que je veux acheter, cette fois, Else, quel qu'en soit le prix, vous ne serez pas appauvrie pour me l'avoir vendu. Et cela restera un secret entre vous et moi, je vous le jure, Else, de par tous les charmes que vous dévoilerez devant moi, pour me combler.
Aussi absurde que puisse t’apparaître le monde, n’oublie jamais que, par ta façon d’agir ou de te dispenser d’agir, tu apportes ta quote-part à cette absurdité.
(p. 17)
POÈTE. - Tu permets, je vais éclairer. Je ne t’ai pas encore vue, depuis que tu es ma maîtresse. Un ange. (Il allume une bougie)
GRISETTE. - Laisse, je suis pudique. Donne-moi au moins une couverture.
POÈTE. - Plus tard ! (Il vient avec la lumière vers elle, la contemple longuement)
GRISETTE (Cache son visage avec les mains). - Va-t-en, Victor !
POÈTE. - Tu es belle, tu es la beauté, tu es peut-être même la nature, tu es la sainte simplicité.
GRISETTE. - Ouille, tu me gouttes dessus ! Regarde, fais attention !
Nurnberger sourit de cette conception d'Henri selon laquelle les politiciens représenteraient une race d'hommes particulière, alors que cela faisait partie des obligations extérieures, même pas indispensables, de cette profession de s'afficher pompeusement comme une espèce singulière, et de cacher sa grandeur ou son insignifiance, son énergie ou sa paresse derrière des titres, des abstractions, des symboles. Ce que représentaient parmi eux les gens insignifiants ou les illusionnistes était évident, c'étaient tout simplement des hommes d'affaires, des escrocs ou de beaux parleurs. Mais ceux qui comptaient, les hommes d'action, les personnalités géniales, n'étaient au fond d'eux-mêmes que des artistes. Eux aussi essayaient de créer une oeuvre, une oeuvre qui prétendait à la même immortalité, à la même finalité que n'importe quelle oeuvre d'art. A la différence que la matière qu'ils formaient n'était pas chose figée, ambigüe comme les sons et les mots, mais une matière vivante perpétuellement en mouvement.
WEIRING : Mais dites-moi, madame Binder, croyez-vous vraiment qu’une créature aussi jeune et fraîche ne peut rien attendre d’autre dans la vie qu’un garçon convenable qui a, par hasard, décroché une situation ?
KATHARINA : Elle ne trouvera pas mieux ! Elle ne va quand même pas attendre le Prince Charmant. On les connaît les princes charmants (…).
Dépassement de soi, désir de connaissance et abnégation sont les seules véritables vertus parmi toutes celles qui sont ainsi nommées. Car c’est uniquement dans celles-là que la volonté est active.
(p. 88)
MIZI :
Il parle sans notes et il fait des vers, tu verrais ça, Christine, il est formidable. Il faut dire que c'est un monsieur d'un certain âge.
THÉODORE :
Les vieux messieurs font des vers, c'est bien connu.
(N. B. : J'adore la délicieuse ambigüité de cette réplique, du grand art, M. Schnitzler.)
J'ai commis une maladresse. Il a l'air ahuri. Vas-y, vas-y, ne ravale pas ta phrase, Else. Tu parles à un ami de ton père. Saute le pas. C'est le moment ou jamais.
- Monsieur von Dorsay, vous venez de parler si gentiment de mon père ; je me sentirais coupable si je n'étais pas tout à fait franche vis-à-vis de vous...
Il fait ses yeux de veau mourant. Il se doute de quelque chose.
Ni la réalité d’une nuit, ni même celle de toute une vie humaine ne peut signifier notre vérité intime. Et il n’y a pas de rêve qui soit totalement un rêve.
Certains événements psychiques se passent presque entièrement dans l’inconscient ; de temps à autre seulement, pareils à des plongeurs évoluant sous l’eau, ils montent à la surface, jettent un regard étonné autour d’eux à la lumière de la conscience, puis plongent à nouveau et disparaissent pour toujours.
(p. 116)
LE SOLDAT : Si on se disait " tu " ?
LA FEMME DE CHAMBRE : Nous ne nous connaissons pas encore assez pour ça...
LE SOLDAT : Il y a des tas de gens qui ne peuvent pas se sentir et qui se disent " tu " tout de même.
Où sont-ils tous ? Qui épouserai-je ? Mais qui demandera la main de la fille d'un escroc ?
Créer de toutes pièces un personnage tel que celui de Jésus était une performance bien plus formidable que tous les miracles faits par Jésus, à supposer qu’ils aient existé.
Pourquoi alors, vous les croyants, êtes-vous si offusqués par ceux qui sont plus enclins à croire au poète qui a créé le personnage de Jésus, qu’au personnage de Jésus lui-même ? Tout ce qu’il y a de terrestre dans ce personnage, que ce soit le fait d’un poète ou d’un Jésus, est depuis longtemps dépassé. Ce qu’il y a d’impérissable dans ce personnage, quel qu’en soit l’auteur, traverse les siècles de sa lumière.
(p. 80-81)
Il faut déjà être un individu d’une certaine qualité pour ne pas confondre désir de liberté et envie de se décharger de toute responsabilité.
(p. 57)
Si tu t’avances jusqu’à l’autel de la vérité, tu trouveras beaucoup de monde agenouillé devant. Mais sur le chemin qui y mène tu auras toujours été seul.
(p. 87)
Si tu protèges avec trop de dévotion le jardin secret de ton âme, il peut facilement se mettre à fleurir de façon trop luxuriante, à déborder au-delà de l’espace qui lui était imparti et même prendre peu à peu possession dans ton âme de domaines qui n’étaient pas destinés à rester secrets. Et il est possible que toute ton âme finisse par devenir un jardin bien clos, et qu’au milieu de toutes ses fleurs et ses parfums elle succombe à sa solitude.
(p. 20-21)