Assia Djebar a vingt-cinq ans lorsqu'elle écrit, avant l'indépendance, Les enfants du nouveau monde. Le roman parait en 1962 et se situe dans une ville anonyme algérienne, en 1956, soit deux ans après les débuts de l'insurrection. Roman choral où une vingtaine de personnages se côtoient, il aborde les espoirs et les luttes des algériens, en particulier du point de vue des femmes, que la guerre n'épargne pas -bien au contraire.
Que font-elles de leurs journées, ces femmes ? Elles attendent. Inquiètes, résignées ou rêveuses, elles attendent l'époux ou le frère qui est partit au maquis, dans la montagne. Elles attendent les ennuis ; elles savent qu'il faut s'y attendre en tout cas, car la police française rôde et le terrible commissaire adjoint Martinez, chantre de la torture, n'est jamais très loin des familles "suspectes". Elles attendent l'amour aussi ; qu'elles soient mal mariées, ou mères par fatalité et non par désir, ou de celles qui sont prêtes à tout, comme Touma la "traîtresse", pour s'enivrer, se sentir libre, vibrer. Elles sont souvent vieilles avant d'avoir été jeunes -mères trop tôt, ou épuisées par les difficultés. Et quand elles sont particulièrement jeunes, seize ans à peine pour certaines, la guerre se charge de les rendre bien vite matures en les emportant dans son sillage. Elles sont souvent belles, ces femmes... et seules. Seules dans l'adversité, seules dans leurs maisons qu'elles ne quittent presque jamais, la rue leur étant presque interdite. En revanche, elles ont compris la sororité dont parle si bien Benoîte Groult ; elles ont compris qu'entre femmes, elles devaient s'entraider pour s'en sortir. Alors elles sont amies et se consolent entre elles, mentent à leur mari pour protéger le mari de l'autre, comme Lila et Suzanne ou Chérifa et Amna. Quant aux hommes, ils paraissent bien seuls eux aussi, dans leurs luttes et leurs peurs, dans la clandestinité que leur impose leur combat. Par honneur, orgueil ou défi, ils veulent souvent se battre ; la guerre est en arrière-plan du récit et eux aussi, finalement...
J'ai acheté ce roman il y a déjà quelques années, bien avant d'apprendre l'importance d'Assia Djebar dans la littérature maghrébine. Puis, en février 2015, à l'annonce de son décès, je me suis dit qu'il était grand temps de la lire. Les enfants du nouveau monde est un classique de sa bibliographie, un témoignage précieux sur l'Algérie coloniale. Il donne à penser sur les conditions dans lesquels les gens vivaient, l'état d'esprit dans lequel ils étaient. J'ai particulièrement aimé son point de vue féministe, la manière subtile d'aborder la présence des femmes dans cette guerre. Le roman fait la part belle aux algériens -seuls trois personnages français apparaissent (les deux commissaires et Suzanne) ; ce qui n'est pas toujours le cas dans les livres écrits par des pieds-noirs, par exemple. En revanche, j'ai parfois trouvé l'écriture un peu trop froide et distanciée, les émotions retenues, ce qui n'aide pas à s'attacher aux personnages. Leur nombre non plus : ils sont vingt, dont on suit à chaque fois une petite tranche de vie. Et il n'est pas toujours aisé, pour le lecteur, de suivre leur chassé-croisé permanent...
Si j'ai eu le sentiment de lire ce roman d'une manière un peu scolaire, comme on lit des écrivains d'un siècle passé, avec beaucoup de sérieux et de concentration, je ne regrette pas pour autant de m'être initiée à ce classique de la littérature algérienne !
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