Citations de Camille Laurens (792)
Ce n'est pas le tout d'être heureux, encore faut - il que les autres ne le soient pas: la devise est connue.
Les hommes mûrissent les femmes vieillissent
A présent, c’était l’inverse : j’étais devenue indésirable et l’homme ne pouvait pas le supporter, c’est ce qui le rendait violent, d’avoir désiré l’indésirable, il se sentait indigne. Ce n’était pas naturel, c’était social - juste une image de lui-même dans le monde : un brahmane chez les intouchables, ai-je pensé. Intouchable, ai-je pensé. Plus de cinquante ans ! Même si nous étions seuls, sa honte le dévorait et lui pinçait la bouche, on l’avait trahi, on l’avait humilié, j’étais devant lui comme devant un miroir où s’étalait sa déchéance. LE rideau blanc du berceau brillait dans l’ombre, et j’essayais de comprendre : est-ce que c’était d’être avec une femme qui ne pouvait plus avoir d’enfant qui lui faisait horreur, soudain ? Une espèce de confusion que feraient les hommes entre l’infertilité et l’impuissance ? La haine de la stérilité ? La peur inconsciente de coucher avec leur mère ? Une peur que les femmes jeunes, elles, n’auraient pas de coucher avec leur père ? Elles le rechercheraient, même ? Et eux aussi ? Pas peur de coucher avec leur fille ? Mais pourquoi ? Pourquoi cette dissymétrie tellement acceptée et validée partout ? Pourquoi cette caste supérieure des hommes ? Bref, j’essayais de me conduire comme d’habitude quand le ravage menace, Louis : je puisais des forces dans la raison, je colmatais l’angoisse par l’idée, je pensais pour moins souffrir, l’intelligence faisait pansement. Mais cette fois-ci le système de secours avait des ratés, je le sentais. L’intelligence n’assurait plus ma sécurité, elle me faisait voir trop crûment la vérité. Etre détrompé est pire qu’être trompé, on n’est pas plus protégé par l’illusion, on n’a plus rien devant les yeux pour nous masquer le réel - plus de voile sur son éblouissante nudité. Le réel est ce qui ne change jamais, ce sur quoi on n’a pas prise. S’en rendre compte est terrifiant. Alors il faut chasser la pensée et rassembler son corps dans sa peau, retrouver la sensation du plaisir, essayer de rattraper la malheur avec la vie.
Qui est lésé ? Pas d’adultère, pas d’escroquerie. Je n’ai usurpé l’identité de personne, comme tu le verras, j’en ai juste inventé une. Ma duperie n’enlève rien à quiconque, sinon à moi-même. Du reste, Chris a tellement menti dans cette histoire, lui aussi, que je le vois mal aller crier à l’imposture. Nous sommes tous, dans les fictions continues de nos vies, dans nos mensonges, dans nos accommodements avec la réalité, dans notre désir de possession, de domination, de maîtrise de l’autre, nous sommes tous des romanciers en puissance. Nous inventons tous notre vie. La différence, c’est que moi, cette vie que j’invente, je la vis. Et que, comme toute créature, elle échappe à son créateur. Tu vas dire, si tu es mal luné que je ne la vis que pour pouvoir l’écrire, que la vie n’est qu’un prétexte à l’écriture. Mais c’est tout le contraire. La vie m’échappe, elle me détruit, écrire n’est qu’une manière d’y survivre- la seule manière. Je ne vis pas pour écrire, j’écris pour survivre à la vie. Je me sauve. Se faire un roman, c’est se bâtir un asile.
Enfin bref, c’est devenu intenable, je me débattais dans la fiction, je souffrais dans la réalité. Il me pressait, je n’avais plus aucune raison de refuser de la voir, de prendre un café. Il fallait trancher, il n’y avait pas d’issue. Ça m’arrachait le cœur, mais un jour où je me sentais forte, je lui ai écrit un message d’adieu auquel il n’a pas répondu. […] Je ne sais pas ce qui me dévastait le plus, de l’avoir perdu ou de l’avoir trahi. Ma culpabilité est double, vous comprenez, elle est écrasante. Je l’ai leurré avec un fake, je l’ai laissé sombrer dans mes mensonges.
Va mourir.
La phrase qui tue.
Il y a des gens qui se défenestrent pour moins que ça, non ? Il y en a plein ici. A force d’être cognés à coups de mots, ils chancellent.
Va mourir. Va MOURIR. Les paroles des autres les poursuivent comme des fantômes hostiles. Leurs voix profèrent des injonctions impossibles à fuir. Du harcèlement textuel, en quelque sorte, ah, ah ! Moi aussi j’aime les jeux de mots, vous voyez. On devrait s’entendre.
Bref, cela pour dire que je ne pouvais absolument pas prévoir ce qui s’est passé ensuite. Quand j’ai créé ma fausse page Facebook, Chris n’était pour moi qu’un parasite, un profiteur misogyne et grossier, un ennemi dans mon rapport vacillant à Jo. Je ne pensais même pas à communiquer avec lui, je voulais juste avoir accès aux actualités de Jo, par ricochet.
Va mourir.
C’est ce que j’ai fini par faire, au bout du compte, non ?
Finalement, j’ai obtempéré. Ici, je ne vis pas. C’est ce que vous vous dites ?
Puis je suis tombée dans le panneau. Pour les gens comme moi, qui ne tolèrent pas l’absence - c’est ce qui est écrit là, non : intolérance à l’absence ? Un peu comme une allergie alimentaire, en somme : trop d’absence et je fais un œdème de Quincke, j’étouffe, je crève - pour les gens comme moi, Internet est à la fois le naufrage et le radeau : on se noie dans la traque, dans l’attente, on ne peut pas faire son deuil d’une histoire pourtant morte, et en même temps on surnage da ns le virtuel, on s’accroche aux présences factices qui hantent la Toile, au lieu de se déliter on se relie.
Pénélope sans prétendants , Pénélope sans retour d'Ulysse , mais qui s'obstine à défaire la vie qu'elle pourrait vivre .
La jalousie c'est l'amour à trois non ?
Dès que je faisais un pas vers la rupture , j'en faisais un en arrière pour le rattraper.
Je ris parce que je vous récite du Marivaux et que vous n'y voyez que du feu. On n'a toujours pas mis la littérature au programme, chez vous.
Vous pourriez le sentir, je ne sais pas, au rythme, à l'intonation. C'est votre métier d'entendre comment ça sonne. De repérer ce qui cloche. Ding dong. Dingue donc.
Ce qui est écrit témoigne. On écrit pour garder la preuve, c'est tout. Les livres sont faits de ces souvenirs qui s'entassent comme les feuilles d'arbre deviennent la terre. Des pages d'humus.
Je ne vis pas pour écrire, j'écris pour survivre à la vie.
L'amour c'est rester alors qu'on pourrait s'en aller.
Pour un homme, il y a toujours une autre femme possible. Toujours une de retrouvée, au moins une. Cette certitude est gravée dans leur structure, que la femme aimée n'est pas la seule femme.
Pour vous autres, hommes, les défaites ne sont que des succès en moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner.
J'avais l'habitude de relations plus intellectuelles avec les hommes, j'étais un peu ce genre de personnes qui se demandent comment on peut vivre sans avoir lu Proust.
Vous connaissez Antonio Lobo Antunes ? Un grand romancier portugais. Vous devriez. Il est psychiatre de formation. Mais maintenant il ne fait plus qu’écrire, je crois. D’ailleurs, que faire d’autre ?
Pour les gens comme moi, qui ne tolèrent pas l’absence […], Internet est à la fois le naufrage et le radeau : on se noie dans la traque, dans l’attente, on ne peut pas faire son deuil d’une histoire pourtant morte, et en même temps on surnage dans le virtuel, on s’accroche aux présences factices qui hantent la Toile, au lieu de se déliter on se relie.
Les hommes meurent plus jeunes. Peut-être. Mais ils vivent plus longtemps.