AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Charif Majdalani (163)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Dernière oasis

Rafael est un archéologue libanais considéré comme une sorte d’Arséne Lupin un peu snob de la vente d’antiquités. Il est sollicité par Gadbahn, un militaire irakien de haut grade pour faire une expertise de pièces antiques trouvés au Nord de l’Irak. Même si cette sollicitation lui semble louche , son amour et sa curiosité pour tout ce qui est beau et antique vont le pousser à se rendre début été 2014, en Irak du Nord dans un oasis dans le désert où stationne l'unité du dit Gadbhan. L'endroit semble un trou perdu d'un calme et d'une sérénité époustouflante, alors qu'il se trouve dans une zone extrêmement dangereuse.....les milices djihadistes ne sont pas loin, ni les forces kurdes, la région est un brasier.

A travers le personnage de Rafael c’est Majdalani qui s’exprime sur la situation au Moyen Orient et en Irak y donnant sa propre vision de l’Histoire géopolitique du monde, où, selon lui le hasard et l’imprévu jouent un rôle important et ont des impacts cruciaux en majorité destructeurs sur la suite des événements et de leurs fins, si fin existe puisque rien ne s’arrête. J’ai presque envie d’y croire , quand je pense comment s’est déclenché l’invasion de l’Irak par les Américains et la mise à mort de Saddam , une marionnette de la CIA qui a finit par se prendre au jeu du pouvoir qui lui a été octroyé par ces derniers, qui une fois sa mission terminée ont décidé de l’éliminer au prix de l’annihilation du pays.

A travers ce trafic d’antiquités dans cette région, grande source de revenus pour toutes ces organisations de lutte armée, l’auteur dénonce aussi les alliances qui changent au gré des intérêts immédiats . Quand il s’agit d’argent personne n’a de scrupules pour coopérer avec l’ennemi. En l’occurrence ici une organisation de l’Etat islamique peut clandestinement négocier sans problème avec l’armée officielle iraquienne. Quand aux acheteurs......Des relations intrinsèques compliquées , où éthique, foi, moral, logique n’ont aucune place, alors qu’en occident on développe des théories pour comprendre des situations sans queue ni tête, la plupart du temps improvisées au gré du cours des événements . Et justement dans notre histoire surgit aussi l’imprévu alors que Rafael s’aperçoit qu’il va être utilisé comme un simple pion.....



Un roman époustouflant aux multiples facettes, sur fond d’une nature grandiose aux portes du désert, qui nécessite pour sa pleine appréciation un minimum de connaissances sur les événements qui suivirent la chute de Saddam en Irak. Outre, l’auteur nous restitue parfaitement l’état d’un pays aux vies précaires sans maître et sans lendemain , qui avance vers le précipice comme une voiture sans pilote, « .....L’avenir, même immédiat, restait suspendu, et toute activité semblait artificielle, comme s’il fallait continuer à aller et venir, mais sans conviction, et juste pour faire passer l’instant jusqu’au suivant puis au suivant encore, et ainsi de suite jusqu’à ce que la catastrophe arrive... ».



Je suis une inconditionnelle de Majdalani, dont tous les livres sont à mon avis à lire.

Ce dernier à la photo de couverture grandiose, qui se lit comme un thriller ne manque pas à la règle.



« Incapables d’admettre que l’Histoire n’avance qu’à tâtons, que ses acteurs jouent à colin-maillard avec les événements alors que nous les croyons toujours dans une brillante partie d’échecs, nous essayons de donner cohérence aux faits en reproduisant les affabulations télévisées ou cinématographiques qui nous inondent et qui finissent par transformer notre manière de voir la réalité, à l’instar de ce qui se produisait au moment du déclenchement de l’épidémie de Covid qui me tint cloîtré chez moi durant des mois, et que les esprits retors mettaient sur le compte d’invraisemblables complots et de sournois conflits économiques. »
Commenter  J’apprécie          11820
Beyrouth 2020 : Journal d'un effondrement

Beyrouth, 15 juillet 2020

"Ce matin, en sortant des bureaux d’une amie qui a proposé de mettre son coursier à notre service pour des formalités administratives liées à l’achat du terrain à la montagne, j’ai vu une femme assise dans un grand canapé complètement usé, à l’ombre d’une benne à ordures, en train d’effeuiller du persil ; persil qui, contrairement au canapé défraîchi et à la benne à ordures souillée, paraissait frais et d’un vert presque émouvant." Tableau surréaliste, un parmi tant d'autres, dans un Beyrouth dévasté par les guerres, les conflits politiques et trente ans de corruption indescriptible, que le Covid-19 et l'explosion du 4 août 2020, une mise à mort en cinq secondes, finiront par achever.

De ce pays qu'on comparait à la Suisse au temps du romantisme, et qui fit encore rêver pendant une grande partie du xxe siècle les touristes du monde entier, suscita la nostalgie des libanais exilés et où l'eau était une précieuse fortune inépuisable, aujourd'hui il n'en reste plus rien. Il n'y a plus d'eau, ni d'électricité , ni autre chose.

Un pays érodé par une corruption à son paroxysme où même avec le ramassage d'ordures on devient facilement milliardaire, ("Un monde d’affairisme glauque, environné de dorures et les pieds dans les ordures"), et dont les responsables, les oligarques au pouvoir déjà d'une malhonnêteté extrême, en outre se permettent de s'octroyer une désinvolture et une arrogance qui laissent pantois, "L’arrogance a culminé le 22 janvier 2019, durant le forum de Davos, quand ce ministre libanais, gendre du président Aoun de surcroît, a déclaré fièrement que le Liban pourrait donner des leçons de gestion au monde entier et apprendre aux grandes nations, telles par exemple la Grande-Bretagne et les États-Unis, à se gouverner sans budget."



Charif Majdalani, grand écrivain libanais dont je suis une inconditionnelle, dans son dernier livre-essaie, nous autopsie son pays gravement malade au seuil de la mort.

Bien que l'autopsie soit extrêmement complexe, même sans rien savoir de l'histoire du pays on ne peut pas s'y perdre tellement c'est bien construit, et les détails qu'il fournit suffisants pour suivre le désastre en directe. Dans ce champs de ruines, son ultime acte de résistance contre l'idée même de l'effondrement sera de s'échiner à s'acheter une terre dans la montagne avec les derniers sous qui lui restent, rêvant de construire dessus quelque chose.



Un témoignage poignant de la plume d'un grand écrivain que je recommande absolument, vu que c'est un témoignage qui concerne toute l'humanité, ce mot "humanité" qu'on prononce à tout bout de champs mais que finalement on en a qu'un vague aperçu superficiel à travers les réseaux sociaux et les médias.



"....ce silence, cette paix immense des montagnes, comme ultimes témoins de ce que dut être le statisme éternel de la planète avant l’irruption du temps et de l’Histoire, et avant le désordre, la ruine et l’entropie que les hommes ne cessent de produire depuis qu’ils ont commencé à s’agiter sur la Terre."

"Nos destins comme cette canette et ce cigare, jetés aux vents."

Commenter  J’apprécie          912
Des vies possibles

Raphaël (ou Raffaello) Arbensis, envoyé à Rome au XVIIe siècle par l'Église maronite pour s'éduquer, est choisi par le pape pour créer une institution d'enseignement dans le Mont-Liban. Mais il échoue dans sa mission. Échec dont le pape, qui a lâché Galilée et laissé triompher la pensée réactionnaire des jésuites et des dominicains, ne lui tient pas rigueur. Il compte sur lui pour qu'il participe à l'effort des catholiques contre les réformés. Mais Raphaël Arbensis, traducteur et exégète, est un aventurier libre penseur qui n'est jamais là où on l'attend.



L'homme brouille les pistes presque involontairement, au point qu'il ne sait parfois plus lui-même où il se situe. Lors de ses nombreux voyages, en Europe et en Orient, il est un chrétien maronite qui passe pour un musulman. Un diplomate qui échoue à remplir toutes les missions, mais conserve la confiance de ses donneurs d'ordre, et s'enrichit. Un homme qui prend des chemins imprévus quelquefois semés d'embûches, qui ne refuse pas les plaisirs, ne tranche pas, mais réfléchit sur le monde, s'interroge sur les enchaînements de l'existence, sur ce qu'être heureux. Finalement un homme qui est au monde sans préjugés et trouvera l'épanouissement grâce à cette ouverture.



Entre conte philosophique et biographie romancée, le portrait plein de poésie et d'humour d'un oriental tenté par l'Occident, où, enchaînant les chapitres courts, Charif Majdalani joue avec le vrai et le faux pour notre plus grand plaisir.
Commenter  J’apprécie          873
Mille origines

Le Liban un pays aux multiples groupes ethniques et religieux, dévasté par une longue guerre civile,l’occupation israélienne , les camps de réfugiés palestiniens, les divers milices arabes qui l’ont choisi comme leur quartier généraux, qu’une crise économique extrêmement grave et une explosion sans précédent à Beyrouth en 2020 finiront par achever. Pourtant qui le quitte, n’a qu’une idée en tête , y revenir. Majdalani lui-même en est un des leurs, et y témoigne ici en s’appuyant sur d’autres témoignages qu’il a recueilli de personnes très divers d’origine et de classe social .

De Rawwad né à Achrafieh, grandi en pleine guerre civile, en plein quartier chrétien et n’ai connu que les milices chrétiennes durant son enfance qui apprendra qu’il est en faites d’origine musulmane et juive, à Abou-Said palestinien fils d’une famille de réfugiés pour qui né au Liban comme troisième génération se sent désormais chez lui, ou Jenny la manucure philippine qui y trouvera travaille, argent, amour, y défilent des personnages colorés de mille origines . Ces témoignages donnent l’ampleur de la crise économique, des réfugiés ou immigrés pour divers raisons politiques ou économiques, et des disparités et fractures entres les divers groupes ethniques et religieux, même au sein d’un même groupe, « J’ai très vite compris que le problème venait du fait que j’étais originaire de Baalbek. Eux étaient du sud. Or les gens du sud se voient comme des agriculteurs austères et pieux, qui émigrent pour travailler dur et revenir riches quand ils peuvent. À leurs yeux, les chiites de Baalbek sont tous des fils de tribus incontrôlables, trafiquants de drogue et voyous. »

En pensant à une de mes dernières lectures , « Comment conduire un pays à sa perte » d’Ece Temelkuran, ici encore on retrouve que tout ce qui paraît insensé, une honte pour nous , devenant très vite la norme, crée un désespoir existentiel infini, pourtant il faut vivre avec et on vit.

C’est un recueil de témoignages poignant, des bourbiers identitaires qui m’ont fait mal au cœur, auxquels s’y ajoutent les séismes politiques , sociales et économiques violents en continue dans le pays et chez les voisins rendant stabilité et paix des rêves lointains , si elles ont jamais existé. C’est aussi la tragique conclusion du témoignage de Karl auteur d’un de ces témoignages intéressants que je vous laisse découvrir , vous conseillant fortement ce dernier livre de Charif Majdalani.
Commenter  J’apprécie          8311
L'empereur à pied

Majdalani, dans son dernier livre, présente son protagoniste comme dans un film, à travers l'objectif d'une caméra qui le suivrait et dont le caméraman et le réalisateur ne seraient autre que son alter-ego. Un homme qui surgit de nul part entre dans le champ de vision, c'est magique,

"....cet homme qui apparaît dans le paysage, je ne sais pas quand au juste (d'après les recoupements, c'est au coeur du XIXe siècle), ni pourquoi (c'est sujet à controverse), un homme qui descend un sentier parmi des genêts en fleur (c'est donc le printemps) et des chênes verts, dans la lumière fastueuse et riche, avec la neige qui demeure sur les sommets alors que tout autour les platanes sont en feuilles."

Nous sommes au Liban, la patrie de l'auteur, ce beau pays qui a des siècles d'histoire, terre de religions et d'ethnies divers ( 18 communautés,12 de confession chrétienne et 6 de musulmane), victime de la convoitise des pays du coin de ce globe. L'homme, " l'étranger aux manières impériales" arrive avec ses trois fils à Massiaf et demande à voire le curé, "Que peut bien vouloir cet homme au curé de Massiaf ?".....il est à la recherche de terres à cultiver. Il s'appelle Khanjar Jbeili, de Chabtine. Un cheikh lui donnera des terres par mougharassa ( en métayage ), celles de Jabal Safié, en hauteur, et qui n'ont jamais été cultivées.....ainsi débute l'irrésistible ascension de Kanjhar Jbeili, dit "l'Empereur".

Ce chrétien imposant et discret va être avec ses fils la source de tous les commérages, convoitises et soupçons et entrer dans la légende, "On redoutait jusqu'à son nom, sa silhouette passant sur les chemins, le pas de son cheval et de ceux de ses fils." Je m'arrête là, car c'est une histoire passionnante à travers le Liban , mais aussi l'Italie, le Mexique, l'Iran, la Russie, la Chine, La Grèce, parcourant deux siècles, que je vous invite à découvrir. La prose s'y prêtant aussi merveilleusement bien à travers un long récit oral relayé par divers narrateurs à travers plusieurs générations, avec derrière la caméra, toujours l'alter-ego de Majdalani.

Vous découvrirez le serment de "l'Arbre Sec" qui devint une malediction et ses conséquences dont les formidables aventures d' "El Turco", Chehab, Naufal , Raëd Jbeili, les quatre cadets descendants de l'Empereur et le Liban de l'époque encore intacte d'avant et celle d'après la guerre israélo-arabe de 1967 qui débouchera sur 140000 réfugiés palestiniens basculant le fragile équilibre démographique entre chrétiens et musulmans, qui fondait la séparation des pouvoirs, et la guerre civile de 15 ans (1975-1990), qui donnera le dernier coup de massue. Aussi beaucoup de détails intéressants sur les coutumes propre à cette partie du monde, le Moyen Orient ( "une coutume qui consistait à se lancer des zajals à la gloire l'un de l'autre dès qu'ils se retrouvaient "- deux personnes accompagnés du saz -luth turc-, que joue l'un d'eux ou les deux, s'interpellant à tour de rôle en chantant, toujours pour louer l'autre).

Tous les livres de Majdalani sont de passionnants voyages au Moyen Orient, dans le temps et dans L Histoire, servis d'une trés belle prose; je n'ai jamais été déçue, et ce dernier ne déroge pas à la règle.





"Il n'y a rien de sûr dans aucune de ces histoires, ni dans aucune histoire. On bâtit nos vies et nos destins sur des socles fragiles, faits de blocs de réel maçonnés avec l'argile des légendes, retravaillés à partir d'arrangements avec la réalité."
Commenter  J’apprécie          821
Dernière oasis

« Lorsque j’ouvrais la porte-fenêtre, le rideau soudain prenait le large et me précédait à l’extérieur avec une lenteur cérémonieuse, porté par l’air chaud du matin, gonflé d’une joie silencieuse. Pour sortir au grand jour, il fallait alors m’en dépêtrer, comme de la toile d’entrée d’une tente. Je faisais ensuite mes premiers pas de la journée sur la terrasse. J’avançais jusqu’à la rambarde rouillée contre laquelle je me tenais, devant les vergers fatigués, en face des montagnes diaphanes, encore noyées dans la lumière du soleil qu’elles cachaient et qui allait se lever derrière elles. Il faisait déjà très chaud et bientôt j’entendais, en bas, les pas du directeur de la coopérative, l’homme à la garde de qui étaient ces plantations avant que ne s’y installent les militaires et qui continuait malgré leur présence à agir comme il l’avait toujours fait, à courir ses maigres vergers, à parcourir les terres difficilement préservées contre la progression du désert, à sillonner les canaux d’irrigation envasés, bouchés, inutilisables, à moins qu’il n’exagérât son zèle pour rappeler qu’il était le maître ici, avant l’arrivée de la troupe ».



Avril 2014, en voiture dans les embouteillages de Beyrouth, Rafael reçoit un singulier appel d’un interlocuteur à l’accent des Emirats ou d’Irak. Brillant archéologue reconnu comme l’un des plus éminents spécialistes de l’objet antique, habitué à être sollicité par des particuliers plutôt louches, Rafael avait appris, poussé par l’aventure, la curiosité artistique et archéologique, à répondre positivement à des invitations de contrebandiers, voire de mafieux de tous ordres. Pléthore d’objets anciens magnifiques circulaient frauduleusement et Rafael n’hésitait pas à transgresser sa conscience lorsqu’il avait le sentiment de servir une cause juste. Sa réputation le précédait mais aussi les potins. Qu’à cela ne tienne, Rafael après s’être renseigné sur la personnalité de son solliciteur, acceptât de se rendre en Irak, et plus précisément dans le Nord, près du village de Cherfanieh, afin d’expertiser une frise assyrienne de belle taille et d’énigmatiques têtes sculptées qui soit disant, appartenait par tradition à la famille et à la tribu du Général Gadban.



Quel homme hors du commun que ce Général Gadban, singulier et impénétrable avec une stature de chef, à la tête d’une armée d’hommes qui lui sont totalement dévoués, bivouaquant dans cette immensité où vergers et plantations cohabitent non loin d’une rivière qui se jette dans le Tigre. Il rêve de faire revivre cette oasis au milieu du désert et de pouvoir ainsi redonner toute leur splendeur passée aux tribus Chammar dont lui-même est issu.



Fasciné par l’art assyrien et en quête de sensations esthétiques, l’archéologue accepte l’invitation et se rend en Irak. Pris en charge par Salem à son arrivée à l’aéroport de Bagdad, Rafael parvient en auto à l’Oasis où il est logé dans la grande maison. De la terrasse, il peut admirer ce paysage édénique. Il se laisse aller à ses méditations. Fort bien accueilli par les officiers, il savoure ses vacances en attendant l’arrivée du Général Gadban. Difficile d’imaginer qu’au-delà des montagnes du Kurdistan qui entourent au loin cette oasis, les milices djihadistes mènent des raids meurtriers là-bas, bien loin au-delà !!!!



La narration dès le début, se veut insouciante, alanguie sous la chaleur. Promenades à cheval, découverte d’un site antique, rencontre avec Shirin, la fille du Général, discussion avec le supérieur d’un couvent syriaque, tout se prête à la rêverie dans cette atmosphère suspendue. Pourtant, malgré ces instants délicieux, petit à petit, Rafael se pose des questions sur les intentions non avouées du Général Gadban. Cet homme habitué aux manipulations politiques et militaires ne se verrait il pas à la tête du pays ? Que veut-il entreprendre avec la somme de la vente de ces antiquités ? Qui serait le commanditaire ? D’un récit tout en passivité, l’histoire se fait plus inquiétante jusqu’au moment où tout bascule.



Dépaysement garanti mais aussi abondance de réflexions à la lecture de ce récit dans cet Irak dévasté ! La mémoire projette dans nos têtes, les évènements tragiques qui étaient diffusés sur nos postes de télévision, de ces souvenirs affleurent des émotions intenses.



Dans ce roman, nous retrouvons les éléments chers à Charif Majdalani : la Maison, les plantations, le Liban.



Il change, néanmoins, de registre. L’auteur élabore un récit où s’entremêlent enquête, aventure, thriller géopolitique, réflexions sur le sens de l’Histoire au travers des échanges entre Rafael et le supérieur du couvent. Les interrogations et les débats évoqués tournent autour de l’instabilité de l’Histoire. Est-elle faite de hasards ou existe-t-il un plan ? Avec des « si », que serait-il advenu ? Comment expliquer que les hommes qui gouvernent les choses fassent preuve d’une telle incompétence, qu’ils ne se soucient nullement des conséquences de l’incohérence de leur choix sans parler du jeu malsain des services secrets dont ces pays sont leur terrain de jeu. L’Histoire se répète mais nul ne tient compte des leçons des épreuves passées. Majdalani s’interroge : « à savoir que tout n’est que chaos sans signification, sans logique et sans but ».





« Il en va en tout cas ainsi de chacun de nos gestes dont l’impact, en des cercles concentriques qui vont s’élargissant, peut retentir bien plus loin et plus gravement que là où il s’est produit ».



Commenter  J’apprécie          804
Villa des Femmes

Chez les Hayek, à côté des hommes dominants, les femmes restent le coeur battant de la famille, sa cheville ouvrière, le garant de sa tradition, le passeur de témoin d'une génération à une autre. Des femmes influentes qui souvent ont dû consentir à des mariages arrangés, renoncer à un grand amour, à un jeune homme trop pauvre aux yeux du père, pour épouser un homme qu'elles n'aimaient pas - ainsi Marie Hayek a accepté, sans broncher, son rôle de riche épouse installée avec une belle-sœur hostile dans une vaste villa entretenue par une nombreuse domesticité.



Mais là c'est encore le milieu des années cinquante, celui d'un monde, qui tourne encore assez bien, dominé par quelques familles chrétiennes. Comme les Hayek, fortunés, influents et paternalistes, qui ont su s'imposer dans la politique par des moyens pas toujours légaux. Quinze ans plus tard, les choses se gâtent quand Shankar Hayek et ses amis perdent les élections municipales, et que le soulèvement des camps palestiniens contribue à l'anarchie dans la région comme dans tout le pays. À la mort du patriarche, alors que les Hayek sombrent dans des querelles intestines, et que le pays s'enfonce dans la guerre civile, la famille continuera d'exister grâce à la résistance et au courage des femmes de la villa.



L'auteur nous invite avec Villa des femmes à un voyage dans le temps dans un Liban en perpétuel conflit. le récit est fluide, vivant et riche, foisonnant de beaux personnages, féminins surtout. Leurs destins emblématiques, contés par le talentueux Charif Majdalani, portent en eux l'histoire mouvementée de son pays, et c'est passionnant.
Commenter  J’apprécie          755
Beyrouth 2020 : Journal d'un effondrement

Le constat est amer, le Liban d'aujourd'hui a perdu tout ce qui faisait sa brillance dans le passé. Les hommes politiques véreux, les hommes d'affaires et entrepreneurs malhonnêtes ont eu raison de ce pays magnifique. La ruine et la faillite sont désormais le quotidien des Libanais victimes de ceux qui pratiquent des détournements de fonds publics à grande échelle, et autres malversations destinées à leur l'enrichissement au détriment du pays tout entier.



Un phénomène qui n'est hélas pas récent, Charif Majdalani écrit que durant la guerre civile : « la dérégulation totale, l'anarchie et l'absence d'autorité pour faire appliquer les lois entraînèrent une urbanisation sauvage encouragée par les déplacements de populations, par la spéculation et par une évidente opulence, elle-même due à l'afflux de l'argent des ventes d'armes et des drogues régentées par les milices et au développement d'une activité commerciale intense et totalement libre d'entraves. »



A l'origine de dégâts écologiques irrémédiables, cette urbanisation effrénée s'est poursuivie sous la IIe République, où « tous les excès furent légalisés, tant qu'ils pouvaient rapporter de l'argent. » Une logique mortifère, qui a conduit à l'explosion catastrophique sur le port de Beyrouth du 4 août 2020, qui laisse Charif-Majdalani profondément triste et désabusé. Et s'il envisage d'acheter un terrain dans la montagne c'est peut-être une façon de mettre à distance ce Liban qu'il dénonce pour retrouver celui qu'il a toujours chéri au plus profond de lui-même.



Une lecture que je conseille vivement pour découvrir l'histoire calamiteuse du Liban contée par un témoin exceptionnel, Charif Majdalani.

Commenter  J’apprécie          673
Histoire de la grande maison

« A nouveau, il se taisait, protestait et s’adossait au fauteuil, l’air vague et lointain, marmonnant qu’il n’en parlerait jamais, jamais, que c’était une histoire d’un autre âge, que rien ne valait que l’on réveillât les morts. Il reprenait ensuite le paquet de cartes qu’il se remettait à battre sans fin, pour occuper ses mains, un paquet qui lui avait servi initialement à faire des patiences avant qu’il renonce même à cette activité inutile, se contenant de battre les cartes à longueur de journée, puis de les reposer sur la tablette près de lui, à côté du répertoire téléphonique dans lequel presque tous les numéros étaient ceux de morts, dont chaque nom rappelait un pan de vie, une histoire effondrée, partie, disparue, emportée comme tout autour de lui, lui qui restait là, solide comme un roc, survivant d’époques presque héroïques, dernier rejeton d’une immense phratrie dont tous les membres étaient morts, l’un après l’autre et dans l’ordre, le laissant seul au milieu d’un champ de ruines, celui des souvenirs, de cette mer d’histoires dont il parvenait maintenant de moins en moins à démêler l’inextricable écheveau, reprenant alors le paquet de cartes, les battant une fois, deux fois puis les reposant et se taisant toujours jusqu’à ce que je lui repose une autre question sur quelqu’un d’autre, sur une autre histoire saugrenue, ou lointaine, ou invraisemblable ».



Le narrateur, c’est le petit-fils de Wakim Nassar, fondateur de la lignée du même nom. Il tente de reconstituer l’histoire du clan Nassar et par voie de conséquence, celle de la Grande Maison. Héritier du patrimoine mémoriel de la famille qui s’apparente à un tissu dont la trame est endommagée, voire usée, à bien des endroits, il projette d’écrire sur la grandeur et la décadence d’un destin libanais hors du commun, celui de ses ascendants. Il essaie de rétablir depuis l’origine, les parts manquantes de cette famille ballotée comme un fétu de paille par les remous de l’Histoire. Dans cette quête, il prend le lecteur pour confident et l’entraîne dans ses digressions, comblant les blancs, reconstituant et imaginant des bribes d’histoire à partir de lettres retrouvées, de confessions parfois arrachées à des membres de sa famille, notamment à son père, de photographies, de morceaux de souvenirs restitués par des révélations glanées, ici ou là, auprès de personnes âgées. Il n’hésite pas à confier au lecteur ses hésitations lorsqu’il envisage le déroulement d’une anecdote, d’une scène, l’interprétation d’un comportement d’autant que le mythe familial prend naissance dans le Liban de la fin de XIXème siècle.



Wakim Nassar est « simsar » (intermédiaire). Ce jeune homme qui s’habille à l’européenne, chrétien-orthodoxe, se trouve, un beau matin, dans l’obligation de quitter momentanément, enfin le croit-il, son quartier de Marsad en compagnie de son jeune frère, Sélim. Est-ce un conflit avec les musulmans, est-ce un conflit avec un associé, une histoire d’escroquerie, le motif de cette fuite reste perdu dans les limbes de la légende familiale. Les deux cavaliers pénètrent ainsi dans la juridiction autonome du Mont-Liban, à Ayn Chir, terre de grandes plantations de mureraies et d’oliveraies, terre maronite où ils trouveront refuge.



Par quel mystère, Wakim va-t-il décider de planter des orangers et, plus tardivement, des clémentiniers sur cette terre dédiée aux muriers et aux oliviers. De cette résolution jaillira le début de la légende du clan des Nassar et de la Grande Maison, construite au pied du Mont-Liban, imposante montagne qui symbolise et traverse ce pays.



Magnifique fresque que nous offre Charif Majdalani, romanesque à souhait, d’une vitalité et d’un souffle que je qualifierais d’homérique. Son récit nous emporte dans le Liban sous domination ottomane à la fin du XIXème siècle pour se terminer dans les années 30, sous protectorat français. L’histoire du Liban se conjugue avec celle de la Grande Maison et c’est ce qui rend cette fresque passionnante et enrichissante.



La beauté des paysages époustouflants prend vie sous les yeux du lecteur, grandes chevauchées épiques, ode au pays tant aimé où affleurent imperceptiblement, les fractures entre communautés, longues phrases hypnotiques qui n’en finissent plus, qui coulent comme un ruisseau et qui charrient sous nos yeux des images d’orangers en fleurs, des senteurs de jasmin et de gardénia, le potager de l’ami Gérios, la beauté d’Hélène, la fermeté de Wakim, la vaisselle de la table que l’on dresse dans le grand silence du midi, l’odeur de savon blanc du linge et des serviettes, les courants d’air qui circulent dans la maison, les rideaux immenses qui gonflent, le bruit des pas sur le sol de marbre.



Il y a des passages qui pourraient inspirer un réalisateur d’aujourd’hui, un jumeau de Cecil B. DeMille. Impressionnante attaque de bédouins, enlèvement d’Hélène, la grand-mère du narrateur, construction épique de cette somptueuse Grande Maison, effrayante invasion de sauterelles, et tant d’autres évènements dignes d’un grand film d’aventures.



Charif Majdalani dirige le département des lettres françaises à l’université Saint-Joseph de Beyrouth. C’est le troisième roman de cet auteur que je lis et à chaque fois, je suis happée par la fiction qui me téléporte en terre libanaise, enchantée par la tonalité dépaysante de ses fictions, par ce virtuose de l’écriture, merveilleux conteur de fables grandioses, je ne m’en lasse pas. Mon prochain sera « Le dernier Seigneur de Marsad ».



NDL : Patricia ou Patrijob, si tu me lis, je crois me souvenir que le Liban est cher à ton cœur, ce livre est pour toi!





Commenter  J’apprécie          6632
Villa des Femmes

Nous sommes au Liban dans les années 60. Imaginez une belle demeure entourée d’eucalyptus, d’orangers, de citronniers, de rosiers et assis sur le perron ensoleillé, Noula, qui veille sur le portail ouvert de cette maison et les allers et venus de tout un monde de colporteurs.



Noula, notre narrateur, est le chauffeur et l’homme de confiance du maître de céans, Skandar Hayek. Cette majestueuse villa se situe à Ayn Chir, banlieue de Beyrouth. Elle est le symbole de la réussite du clan Hayek, tisserands depuis trois générations.



« Nous aussi nous vivions comme si tout allait perdurer, comme si le tissus des jours ne pouvait jamais se déchirer et moi, j’aimais sentir se nouer et se dénouer autour de moi les gestes quotidiens parce qu’ils étaient comme la preuve de l’éternité du monde et des choses ».



C’est ainsi que s’exprime Noula. Avec sagesse et attachement à ce clan, il nous raconte comme il fait bon vivre, à cette époque, dans un Liban apaisé entouré de Skandar Hayek, son patron et homme de caractère, l’acariâtre Mado, sœur de ce dernier en conflit fermé avec Marie, la belle mais froide épouse de Skandar, et leurs trois enfants, Karine, ravissante et libre, Noula, suffisant et incompétent, Hareth, rêveur, épris d’aventures. Tout ce petit monde ne peut vivre sans être entouré de son personnel : Jamilé, la gouvernante, les bonnes et le jardinier. C’est un clan, une famille, même si chacun sait rester à sa place.



Les Hayek sont investis dans la politique. Chrétiens, ils s’entendent très bien avec leurs voisins chiites. Ils ont en commun le même respect quant à leurs engagements.



Malheureusement, ce que l’on aimerait inscrit pour l’éternité, peut un jour basculer « sans crier gare ». La mort subite de Skandar va précipiter cette famille vers un abîme sans fond. Noula nous raconte le déclin inexorable de cette famille. Et pour précipiter un peu plus vite cette famille dans le malheur, son déclin va venir faire écho à celui de ce magnifique pays qu’est le Liban. La guerre civile s’invite jusque dans la propriété des Hayek avec toutes ses conséquences.



A ce moment du récit, les femmes sont seules dans cette grande maison avec comme gardien, notre narrateur Noula. La cohabitation est houleuse entre Mado et Marie, les rancœurs, les jalousies se libèrent pour faire place ensuite, devant l’adversité, à une grande solidarité, une belle dignité face aux milices, à tous les dangers qui guettent les femmes seules dans ce genre de situation. Cette villa est le dernier symbole de la grandeur des Hayek, elles feront tout pour la protéger et la maintenir.



J’ai refermé ce livre toujours sous l’emprise de l’émotion. Je suis tombée sous le charme de l’écriture addictive de Charif Majdalani, une écriture comme je les aime, fluide, douce, raffinée. Une écriture qui prend le temps de nous conter, de nous décrire, des paysages, des scènes qui prennent vie sous nos yeux.



Charif Majdalani est née en 1960, il décrit avec réalisme la façon dont la guerre impacte le quotidien des personnes : cela sent le vécu.



J’éprouve une certaine fascination pour ce pays, née certainement de tous les récits que j’ai entendus que ce soit de voyage ou d’amis libanais. Je me souviens de toutes les discussions, de toutes les désespérances, qu’à susciter la guerre civile de ce si beau pays que l’on appelait « la suisse du Moyen-Orient ». Ce fut pour mon entourage une grande tristesse, un véritable tsunami.



Alors sous la plume de ce génial conteur qu’est Charif Majdalani, le Liban a pris vie sous mes yeux ainsi que la demeure majestueuse des Hayek et le quotidien de tous ses habitants le temps de la lecture d’un livre.







Commenter  J’apprécie          6415
Histoire de la grande maison

Avec l'Histoire de la Grande Maison, Charif Majdalani nous invite à découvrir un tableau qu'il peint sous nos yeux, le tableau ressuscité d'un Liban foisonnant et multi confessionnel de 1870 à 1930, sous administration ottomane jusqu'au mandat français, à travers le portrait de son grand-père paternel, Wakim Nassar et l'histoire de la Grande Maison, symbole de sa réussite, de son acharnement contre le destin : orphelin de père très tôt, spolié par un oncle de son clan, Wakim n'a qu'une idée en tête, se surpasser, aller de l'avant pour y faire sa place et réparer l'injustice.



Innovateur, issu d'une famille grecque orthodoxe, il prend en main très tôt sa vie pour en contrarier le destin : grâce à sa patience, fermeté et détermination il construit son avenir, s'exile du quartier Marsad du vilayet de Beyrouth pour Ayn Chir, sur les terres autonomes du Mont Liban, au milieu des maronites et des bédouins, pour prendre sa revanche.

C'est là que commencera la grande aventure de la culture de l'orange au milieu des mûreraies, de la Petite Maison à la Grande Maison...



Entre les informations que glanent Charif Majdalani au près de son père, les témoignages familiaux recueillis au près de ses oncles et tantes, bribes par bribes, imaginant les parts manquantes, les non-dits qui alimentent l'aura de Wakim, consultant les archives, Charif Majdalani reconstitue le long chemin de son aîeul et le magnifie.



Le lecteur participe à la réflexion de l'auteur pour noircir la page blanche ou plus tôt pour colorer les espaces inconnus.



Un régal , un récit servi par une plume magnifique.

Les bouillonnements des narguilés, la mélodie scandée des zajals, les étoffes précieuses restituent l'univers des salons orientaux où l'air s'imprègne, par les fenêtres ouvertes, du parfum des orangers...



Je vais laisser la Grande maison, la maison des orangers à regrets et j'en retiendrai un auteur qui déclare l'amour à la langue française, langue de sa grand-mère maternelle, Hélène, maronite, épouse de Wakim le simsar (intermédiaire, courtier) devenu grand propriétaire terrien et zaîm (notable et chef de clan) qu'elle accompagnera dans sa déportation en Anatolie et jusqu'au bout de sa vie.

A lors que l'aube d'un temps nouveau se dessine pour le Liban, Wakim qui en a pressenti les couleurs ne pourra le colorier, sa descendance en aura-t-elle les facultés ?



Merci Monsieur Charif Majdalani pour cette magnifique invitation au voyage.



« L'aube a la couleur des pommes et dans l'air circule un parfum de jasmin. »





Commenter  J’apprécie          639
Villa des Femmes

Majdalani, c'est son cinquième et dernier roman que je viens de lire, toujours aussi passionnant.

Une fois de plus , partant d'une histoire de famille, l'auteur nous raconte la grande histoire, celle du Liban, fin des années 50, jusqu'au début de la guerre civile en 1975.

Le narrateur, gardien - chauffeur des Hayeks, Noula alias Requin-à -l'arak ,sera le témoin de la grandeur et de la décadence de cette ancienne famille patriarcale. Skandar Hayek,négociant de tissus, Mado,sa sœur ( la méchante), Marie,sa femme (la diplomate,intelligente,qui gère mari et belle-sœur ), Noula ,le fils aîné ( noceur égoïste et écervelé ), Hareth ,le cadet ( jeune homme épris de liberté et d'aventure) et Karine, la fille ( fière et belle), un défilé de personnages hauts en couleurs.Un monde où se côtoient notables chrétiens, chiites, palestiniens, combattants de l'OLP, divisés aussi, entre eux- mêmes ,en clans, avec des alliances précaires.

A la mort de Skandar en 1969, l'histoire de la famille va basculer peu à peu et se confondre avec celui du pays qui s'enfonce lentement dans la guerre civile.....

Un récit foisonnant, dont le cœur est quand même les femmes, ces femmes qui livrées à leurs sorts, dans une villa coincée au milieu des combats, vont revendiquer leurs droits avec force, intelligence et courage.

Une prose sublime, un talent de conteur hors pair,je décrirais ce livre avec les mots de l'auteur lui-même " un roman ,c'est pour y vivre...bien dedans".

Commenter  J’apprécie          602
Dernière oasis



Une aquarelle pastel des montagnes kurdes, rappelant le Paradis dont le sentiment est né en ces contrées paisibles de l’ancienne Mésopotamie, entourant une oasis rose silencieuse et déserte. Aquarelle qui ponctue le livre, par ses descriptions de la nature, l’évocation de ce jardin millénaire puisque paradis signifie jardin , art né , avec l’écriture, l’astronomie, les chiffres, dans cette région du monde.



Habitué des tractations tordues en tant qu’intermédiaire dans la vente d’objets d’art, Raphael le Libanais est contacté pour une future vente d’antiquités mésopotamiennes. Il se méfie, bien sûr, sachant que Daesh vend ces trésors de l’humanité pour financer son avancée en Irak, puis se méfie des personnes qui le contactent, puis se méfie de lui même, trop naïf. Entre les forces Kurdes, l’Etat islamique de 2014, l’armée régulière irakienne, les puissances mondiales (Américains, Turcs, Iraniens, Européens) tous les jeux sont permis.

La curiosité et le désir de beauté l’emportent pourtant sur ses scrupules, lorsqu’ on lui propose de venir expertiser ce trésor des Chammars, bédouins du Nord de l’Irak. Ces immenses effigies, statues gigantesques de lions ailés et ces grandes frises ont-elles été transportées jusqu’à Mossoul depuis le palais assyrien de Khorsabad, embarquées sur le Tigre, jusqu’à Bassora où elles furent emportées vers la France tout en distribuant en cours de route un nombre important de colis , dont beaucoup noyés au fond du Tigre? Ou bien proviennent-elles de Ninive, donc postérieures ?



En plus d’être une sorte de roman d’espionnage international concernant l’expertise et la vente des anciennes statues et bas reliefs assyriens, Dernière oasis est aussi une poésie sur la nature, une réflexion sur ce qu’est l’histoire, et sur le déroulement des évènements .



Charif Madjalani pose la question : la nécessité de trouver un sens à l’histoire et à la volonté de trouver une sorte de justification à ces assassinats à répétition, à cette violence qui pousse des villages entiers, femmes, enfants et vieillards sur les routes ne peut nous faire oublier le hasard, les croisements fortuits et choix imprévus. L’incompréhensible optimisme de ses compagnons irakiens, devant l’ « absurde force montante de l’obscurantisme et de la barbarie »trouve son explication dans une certaine théorie du complot, agissant pour le compte de puissances occultes, dans l’auréole en tous cas donnée aux agents secrets. Ces agents manipulent en sous main, et finalement Raphael, essayant de trouver un sens au chaos, trouve son compte dans cette explication de ce qui advient autour de Mossoul et de Tibrik. Les plans des différentes puissances, une fois en route, les manipulations en sous-main, les trahisons, les mensonges concernant qui est qui et qui fait quoi, doivent cependant se plier à l’incertitude des hasards. C’est ça l’entropie, l’aléatoire. Un peu comme la liberté de l’homme devant les desseins de Dieu.

Considérations géopolitiques et historiques : les civilisations naissent et meurent, nous dit l’auteur, confronté au désert d’une plaine jadis fertile, mesurant la paix qui a dû régner dans ces contrées avec les massacres et la destruction, l’avancée de l’EI, qui doit l’obliger à fuir l’Irak. Sauf que cette explication ne lui plait pas complètement, car c’est souvent un fait fortuit qui entraine des conséquences en chaine (par exemple, la mort accidentelle d’Alexandre le Grand ayant mangé un fromage avarié entraine la domination de Rome sur toute la Méditerranée, et les religions monothéistes comme le christianisme et l’islam naissent sur ce monde déjà unifié.)

Livre complet et complexe, (que j’ai découvert grâce à bookycooky , qu’elle en soit remerciée) qui se lit pourtant très facilement grâce à l’écriture qui coule comme le Tigre, érudit, fabuleusement intéressant et instructif, et de plus méditant dans cet oasis où rien ne se passe, on « on est livré à la pure contemplation du mystère de l’existence du monde ».

Le paradis primitif, l’aurore du monde, l’aube de la création.

Commenter  J’apprécie          499
Des vies possibles

Je ne connaissais pas du tout Charif Majadalani, écrivain libanais francophone. Je me suis laissée tenter par son dernier ouvrage, dont la couverture m'a attirée depuis le présentoir des nouveautés de la bibliothèque.



Des vies possibles se lit très vite. Peu de pages, de très courts chapitres et une typographie très confortable. Pourtant, il s'en passe des choses dans la vie de Raphaël Arbensis, de son vrai nom Roufeyil Harbini. Enfant né dans les montagnes du Liban au début du XVIIème siècle, son intelligence précoce fit qu'il fut envoyé à Rome dans un collège pour apprendre le grec et le latin afin d'aider à comparer et à revenir aux textes premiers de la bible en araméen, syriaque et copte. Premier d'une multitude de voyages qui conduiront le Libanais empreint d'humanisme et féru d'astronomie (et de jolies femmes) de l'Italie jusqu'en Perse, de Tunisie jusqu'à Amsterdam en passant par la France.



Il y aurait eu de quoi établir une biographie romanesque et épique de plusieurs centaines de pages; Charif Majdalani a opté pour la concision et un ton neutre, comme s'il relatait les points forts de la vie de Raphaël à partir d'éléments archivistiques.

Par-delà les aventures et périples extraordinaires de Raphaël, l'intérêt du roman tient également dans ses réflexions sur ce que représente l'existence et, pour reprendre le titre, les vies possibles s'il avait pris d'autres décisions à certains moments ou si des événements s'étaient déroulés différemment, à son époque comme dans un passé plus ou moins lointain. Contingences, hasard, destin, quid de la liberté de chaque individu? Et de Dieu?



Charif Majdalani réussit à raconter son héros et sa quête philosophique, les grands débats de ce XVIIème siècle foisonnant et la possibilité d'une symbiose réussie entre cultures orientale et occidentale, en moins de 200 pages, tout en amenant le lecteur à s'interroger à son tour sur ces questions. Chapeau bas!
Commenter  J’apprécie          460
Histoire de la grande maison

Jeune chrétien libanais, Wakim Nassar est obligé de fuir le centre de Beyrouth pour avoir, vu de cette communauté, manqué de respect à une jeune arabe. Il est recueilli par une branche de la famille installée à Ayn Chir, à la périphérie de la ville. Dans cette région, la principale source de revenue est la culture des mûriers et l'élevage des vers à soie. Mais Wakim à une intuition : sur cette terre on pourrait cultiver des orangers. Il décide d'investir dans cette voie, créant même une variété de clémentine fort appréciée. Il fait construire la Grande Maison au milieu de ses vergers, y installe Hélène qu'il arrache presque de force à sa famille, et y voit naître ses nombreux enfants. Avec beaucoup de finesse, il devient progressivement le référent de la famille, toutes branches confondues, au détriment de son rival Gebran Nassar.

Mais survient la guerre de 1914-1918, le Liban est annexé par l'Empire ottoman. Des nuées de criquets détruisent toutes les cultures, provoquant la famine. Wakim Nassar et sa famille, jugés trop francophiles sont déportés en Anatolie turque. C'est le début de la déchéance, qui donnera à Gebran l'occasion de se venger et d'accélérer la chute de cette branche des Nassar.



L'histoire de Wakim Nassar et de sa famille, symbolisée par le destin de la Grande Maison, est contée par un de ses petits-fils, enfant du plus jeune des fils de Wakim et Hélène. Le récit est construit autour de bribes de souvenirs de discussions entendues dans l'enfance du narrateur, de confessions plus ou moins arrachées au père et d'enquêtes auprès des membres survivants de la famille. Le récit chronologique est entrecoupé de nombreux passages où le conteur explique comment l'information qu'il va délivrer a été obtenue. Il intègre également beaucoup de digressions sur le contexte sociologique, culturel, géographique et historique dans lequel évolue la famille.

Au final, cette histoire de la Grande Maison peint donc, au delà du cas particulier d'une famille et sous cet angle de vue, le portrait d'un pays, le Liban, à la fin du dix-neuvième siècle et dans les premières décennies du vingtième.

L'écriture de l'auteur n'est pas simple : en caricaturant à peine, je dirais que les phrases sont souvent plus longues que des paragraphes, et les paragraphes parfois aussi longs que des chapitres... Ajoutée aux nombreuses digressions du récit, cette forme d'écriture donne un sentiment de grande lenteur, alors que les personnages ont vécu une vie plutôt dynamique, riche en événements.

Un roman historique à lire lentement...
Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
Commenter  J’apprécie          451
Villa des Femmes

Grandeur et décadence d'une grande famille libanaise.



Je demeure fidèle lectrice de Charif Majdalani, et continue à ne pas le regretter. A chaque roman, c'est le dépaysement assuré, dans l'intimité d'une société libanaise disparue, sur fond de tensions de territoires, de politique, de religion et d'alliances de gouvernance.



Milieu des années 60. Le chauffeur du clan Hayek raconte...

Observateur privilégié et loyal de cette famille de notables, il raconte les us et coutumes d'un Liban en passe de disparaître. il connaît intimement les maîtres et les serviteurs, les ragots de mariage imposé, d'amoureux envolé. Il est le discret conteur au courant de toutes les affaires du domaine, double d'un patron paternaliste, maître incontesté en son royaume, de son usine, de sa famille et de ses domestiques.

Mais, la mort du chef de famille entame le déclin de l'opulence, laissant une maisonnée de femmes dépendantes d'un héritier peu scrupuleux et inconséquent. La ruine annoncée va faire exploser un volcan de rancœurs et haines familiales, symbole d'un pays qui s'éclate en guerres intestines.



L'écriture est enveloppante, les phrases ondulent, longues et sinueuses. Une vraie langueur orientale. Cette écriture est aussi très littéraire (le subjonctif plus-que-parfait est un plaisir !). L'auteur nous immerge dans la nostalgie d'un pays de cocagne, dans le temps qui passe, les êtres qui disparaissent et la cruelle réalité de la guerre urbaine.



Émouvant, palpitant. Un souffle historique pour une chronique familiale intime.
Commenter  J’apprécie          414
Beyrouth 2020 : Journal d'un effondrement

Charif Majdalani a commencé ce journal après le 1er confinement. Il y constate les dommages consécutifs à cet enfermement que les 30 ans de corruption de la IIème république libanaise n’avaient réussi à abattre ! L’inflation et la dévaluation ont plongé la plupart de la population dans la misère. A fin mars 2023 il fallait 100.000 livres libanaise pour 1 dollar !



Il n’y a plus d’électricité, plus d’eau, plus vraiment de rien du tout, le pays étant gouverné par des oligarques qui se remplissent les poches, tout comme leurs prédécesseurs. Il a été physiquement ravagé par une urbanisation galopante, catastrophique et anarchique sans que ça ne soit jamais réparable.



Il raconte sans acrimonie, mais avec une constatation glaciale, tout ce que son pays a subi depuis sa fondation de république, convoité de l’extérieur et de l’intérieur par des plus forts et plus riches !



Pour parfaire l’oeuvre de destruction il y a eu la double explosion du 4 août sur le port ! Elle a apporté la mort instantanée pour des centaines de personnes, en a blessé des milliers et détruit une bonne partie du cœur de la ville, posant une chape de béton sur l’espoir des libanais !



Ce journal est un témoignage, éclairé, du mois qui a précédé la catastrophe mais aussi un rappel de l’Histoire du pays qui a mené à cette situation.



A lire, c’est court et bien écrit, percutant, même si jamais nous ne pourrons approcher ne serait-ce que l’idée de ce qui est la réalité pour les habitants !



Challenge Riquiqui 2023
Commenter  J’apprécie          350
Le dernier seigneur de Marsad

Beyrouth, mai 1964. Simone, la fille cadette de Chakib Khattar, notable chrétien du quartier Marsad, fuit la demeure familiale avec Hamid Chahine, bras droit de son pére....les jeunes gens se connaissent depuis l'enfance et malgré l'estime que Chakib Khattar porte à Hamid, il lui a refusé la main de sa fille. Pourquoi ce refus? ...Cet enlèvement ravive d'anciens conflits et de vieilles rancœurs .Le chef de famille retrouve sa fille, empêche le mariage et renvoie Hamid.. Simone s'éloigne des relations familiales, part avec un diplomate anglais qu'elle épouse sans en informer sa famille, au cours d'un voyage en Iran....de son côté, Hamid part travailler en Arabie oú il développe un commerce prospère d'eau de lavande...Viennent les années soixante - dix et les troubles qui déstabilisent le Liban. La demeure de Chakib Khattar, située dans la partie ouest de Beyrouth à majorité musulmane se retrouve en premiére ligne..En réalité " Le dernier seigneur de Marsad" est une grand saga familiale au souffle puissant, sans temps mort : un pére autoritaire à la tête d'une florissante usine, implacable, hautain et craint, un homme de clan, désireux de transmettre son pouvoir et qu'aucun de ses cinq enfants ne se montrera digne ou capable d'exercer....qui occupe une position dominante, aussi bien politique, économique que sociale, un amour impossible et un secret de famille qui provoque l'implosion de la cellule familiale.... C'est surtout un document puissant, passionnant , foisonnant sur la société Libanaise de la seconde moitié du XX° siécle. Le lecteur découvre , à travers l'histoire de la famille Khattar et du quartier Marsad, les relations entre les membres de la communauté chrétienne, à l'origine majoritaire dans cette partie ouest de Beyrouth, le jeu des alliances entre les différents clans et les compromis avec la communauté musulmane...

Le puissant Chahib Khattar s'emploie à maintenir, le plus longtemps possible, l'équilibre fragile,ô combien, sur lequel repose son univers, mais les grandes familles chrétiennes partent progressivement vers les quartiers est.... Il se heurte alors à des éléments exterieurs, ignorants de l'histoire de Marsad et engagés jusqu'au bout dans une logique de violences, perquisitions , menaces , enlèvements, manifestations, combines,.radicalisation....

L'écriture de Charif Majdalani est imagée, à la fois simple et prenante , limpide...ce récit captivant nous transporte des grandes demeures de Marsad aux villages écrasés de chaleur de la plaine de la Bekaa.

L'histoire de la famille Khattar se lit intensément, comme un conte oriental sur la vanité du pouvoir, de la richesse et ses illusions semblables..... à la fin d'un certain monde, met une lumiére crue sur le Liban des années 60 et 80! Une tragédie sur fond politique et religieux.....
Commenter  J’apprécie          344
Histoire de la grande maison

"Si le Liban n'était pas mon pays, je l'aurais choisi comme pays".

Khalil Gibran.



Quel bonheur d'avoir sur Babelio des amis qui sont attentifs à vos goûts en matière de lecture, vous conseillent intelligemment et qui, en plus, ont la gentillesse de vous envoyer leur coup de coeur !

Histoire de la Grande Maison a débarqué un matin dans ma boite aux lettres hutoise en provenance du sud de la France, accompagné d'une superbe carte postale qui donne envie de vacances.



C'est bien plus loin que m'a fait voyager Charif Majdalani, puisqu'il m'a emmenée en terre libanaise, magnifique pays pourtant si malmené.

À partir de bouts de confidences difficilement arrachées aux membres de sa famille et de quelques rares documents, le narrateur (l'auteur lui-même ?) essaye de reconstituer l'histoire de sa famille.

Pour ce faire, il recourt à son imagination afin de combler les zones d'ombre et relater une histoire qui soit la plus proche possible de la réalité.

Nous parcourons donc le Liban de la moitié du XIXème siècle à l'aube de la seconde guerre mondiale.

Un pays pluriel, riche de peuples différents avec lesquels il faut composer et qui, malgré de sensibles débuts de fractures, a pu prospérer.

Une société faite de clans aussi, au sein desquels l'ambition est génératrice de conflits latents transmis, bien souvent, de génération en géneration.



Tel est le cas du clan Nassar, dont le narrateur est le descendant, et qui a bâti sa fortune principalement sur la culture, ô combien parfumée, de l'oranger.

De Wakim, obligé de fuir son village natal suite à une vague altercation et qui construit sa "grande maison" sur une terre mouchaa, l'auteur nous conte une vie tumultueuse "encombrée d'histoires et d'anecdotes qui ne sont que des faits secondaires auxquels pourtant on attribue la cause d'évènements graves.."



Une plume riche en couleurs et en parfums, de longues phrases qui forment un texte compact et pourtant sans lourdeur tant le propos est rythmé, tels sont les atouts de Charif Majdalani pour nous offrir un roman captivant et dépaysant à souhait.

Un livre qui est aussi une belle approche de l'histoire mouvementée de ce si beau pays.

Merci Martine pour ce beau moment de lecture que tu m'as offert !
Commenter  J’apprécie          332
Des vies possibles

Ce livre est une sorte de biographie de Raphaël Arbensis, jeune libanais amené à quitter dès son adolescence ses montagnes pour Rome. Son départ prématuré est le début d'une vie trépidante qui le fera rencontrer des stars de son époque, du pape Urbain VIII, à Rembrandt en passant par Corneille.



Court roman , pas désagréable et plutôt plaisant à lire qui nous narre l'existence d'un inconnu, en tous les cas pas d'une sommité, et dont le nom aura du mal finalement à susciter quelque chose de concret pour moi, même après la lecture . On lit mais on ne s'attache pas, en gros , il peut se faire trucider le Raphaël , cela ne va pas susciter la moindre compassion.



Il y a cependant quelque chose de puissant dans ce livre , que l'auteur évoque vers la fin de l'ouvrage (je ne dévoile rien) et qui reprend en fait le titre : Des vies possibles , cette glorieuse part d'incertitude et de hasard qui façonne notre existence, qu'est ce qui fait que l'on se retrouve où l'on est , et avec qui, si ce n'est une multitude de conjonctions et de faits qui aurait pu nous amener ailleurs.

Cette idée n'est pas une trouvaille de l'auteur mais elle est bien mise en valeur ici.

Pour le reste, c'est sympathique, cela se lit vite , on plonge dans le pour ou contre Galilée, mais on ne décolle pas vraiment. En tous les cas moi.
Commenter  J’apprécie          324




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Charif Majdalani (702)Voir plus

Quiz Voir plus

Énigme [43]

Dans son émission "Bouillon de culture", Bernard Pivot posait à ses invités cette question : "Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous qu'il vous dise après votre mort ?". Qui lui donna cette réponse :"Réveille-toi, c'était pour rire !" 🤔 ? ?

Françoise Sagan
Woody Allen
Robert Badinter
Guy Bedos
Marguerite Duras
François Cavanna
Jean d' Ormesson
Fabrice Luchini

1 questions
12 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , émissions de télévision , Devinettes et énigmes , écrivain , humourCréer un quiz sur cet auteur

{* *}