« Comment peut on être nigériane ? » voilà ce que se disent les Américains lorsque Ifemelu arrive chez eux ou plutôt ce qu’elle même ressent de ce que les Américains, Blancs ou Noirs, pensent d’elle, elle, issue de la jeunesse bourgeoise de Lagos- donc de la partie sud Est du Nigeria, donc igbo, donc chrétienne-.
Dans leur regard, elle découvre non seulement qu’elle est noire (oui, dans leur regard c’est une découverte) mais qu’elle est différente des Américains qu’ils soient Blancs ou Noirs.
Refusant la pensée unique et les stéréotypes, (non pas qu’ils soient faux, mais ils sont incomplets) Chimananda Nozie Adichie , en copiant et féminisant Montesquieu, nous raconte avec intelligence sa vie d’étudiante à Nsukka, les premières amours, les balbutiements, l’intégration aux USA, le choc des cultures, le maniement de nouvelles idées, le choc de ces idées dans un milieu lui aussi intellectuel et bourgeois, enfin la difficulté de comprendre , ou de se faire comprendre, d’abord d’un Blanc malgré l’amour inconditionnel qu’il lui porte, puis d’un Noir Américain, complètement américain, mangeant bio, pensant de même, et qui lui , sans le vouloir, montre sa différence avec elle.
Chimananda présente un pays d’Afrique jeune, moderne, avec son cinéma Nollywood, deuxième puissance après le Bollywood indien, les voitures, les téléphones, et aussi la corruption autour du pétrole récemment découvert. Enfin, elle nous présente la musique nigériane – le Yory Yori de Bracket, Obi Mu O d’Obiwon - que j’écoutais avec délices en lisant Americanah (en langue igbo, l’américanisée).
Son héroïne dans son blog grâce auquel elle vit en Amérique parle de la race, des fréquentes manières dans un pays de blancs de se voir niée, ou simplement pas vue ainsi que de la volonté affirmée de ne pas vouloir la choquer. Et cela la choque, ces principes et ces précautions, la bannière affirmée genre j’adore Harry Belafonte, mon héros est Mandela, mon dernier voyage au Kenya fut une merveille.
Mais il y a pire, celle de l’aventure de son amour d’enfance, Obinze, immigré en Angleterre, réduit à laver les chiottes, devant utiliser de faux papiers, ne pouvant avoir de domicile fixe, essayant de faire un mariage blanc, mis en prison et expulsé manu militari .
C’est donc un double constat, s’intégrer est faisable mais pas facile, immigrer est un acte illégal donc jugé comme tel. Immigrer est admis par les bobos anglais comme étant la fuite d’un pays en guerre, de la famine, de catastrophes, mais pas d’un besoin de chercher un ailleurs dont on a pourtant rabattu les oreilles des jeunes africains.
Ce que je viens d’écrire ne peut rendre compte du ton, intelligent, extrêmement intelligent, certes, et surtout tellement proche de moi, comme une magie dans l’écriture, je suis elle, je partage ses pensées, ce d’autant plus fort que je ne suis pas toujours d’accord avec les audaces de son blog sur la race, et que j’y ai vu un peu d’injustice.et d’outrance.
Chimananda de toute façon n’aimerait sans doute pas que nous soyons d’accord avec elle sur tout, ce qu’elle veut c’est éveiller la conscience, provoquer avec douceur, et aussi parler de ses cheveux ( je sais, c’est un gros poste comme disait en riant une amie gabonaise : les lisser avec des produits corrosifs, les natter, les tresser près du crâne, les laisser naturels, autant d’alternatives), de la nourriture différente et des préjugés, la fausse considération qui choque par sa fausseté aussi bien Ifemelu aux USA, que Obinze, qui, en Angleterre dit que « c’est l’excès de gratitude qui accompagne l’insécurité de l’immigrant », et que, à son retour au Nigéria, lorsqu’il est devenu riche, il est en butte au « respect exagéré qui ne t’est pas dû, tellement factice et outrancier ».
En parlant de la race, Chimananda fait le contraire d’un réquisitoire donnant raison aux uns pour condamner les autres. C’est exactement le contraire, elle analyse, y compris elle même. Car les récits sur soi aussi sont parfois faux, par exemple celui de certains Nigérians pauvres en Amérique, rentrant une semaine au pays avec des montres et des chaussures bon marché, pour « voir, dans le regard de leurs familles, une image exaltée d’eux mêmes. Ensuite, ils retournaient en Amérique pour défendre sur Internet les mythologies de leur pays, car leur pays était maintenant un endroit indistinct entre ici et là bas, et, sur le Net au moins, ils pouvaient ignorer à quel point ils étaient devenus insignifiants. ».
Oui, sortons avec cette écrivain exceptionnel de la pensée bien pensante, de la volonté de paraître non raciste, alors qu’à de petits faits elle nous indique qu’on l’est, un peu, ou beaucoup, mais un peu suffit pour rendre les tirades politiquement correctes des essais infantiles de se montrer quelqu’un de bien, à bon compte vraiment, puisqu’il suffit de déclamer qui on croit être.
Ecrivain exceptionnel, livre exceptionnel, et aussi, présentation du Nigéria moderne dont Chimananda n’évoque ni la guerre du Biafra ni les horreurs perpétrées par Boko Haram.
Son propos est autre, et définitivement : présenter une partie chrétienne ( ce qui veut dire souvent évangélique, dont sa mère naviguant entre leurs différentes obédiences ) étudiante, lettrée- qui, à cause des grèves à l’Université, cherche un autre pays anglophone, un ailleurs meilleur- s’approcher le plus près possible, après les analyses de son blog sur la race, sur ce qu’est être Noir non américain aux USA, rechercher la vérité et éviter les grands mots, ou plutôt chercher à analyser la situation réelle qui se cache derrière ces mots, refuser les histoires négatives ( prétendre que mon enfance a été malheureuse), c’est vendeur dit l’auteur dans une video, mais cela ne fait qu’aplanir mon expérience,. L’expérience que Chimanda / Ifemelu nous propose, est loin, bien loin d’être aplanie, elle vole et nous fait voler avec elle, avec l’acuité d’un aigle iconoclaste et brillant.
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