Angot Christine le voyage dans l’est
Flammarion 1921, 215 pages
Ce livre pourrait s’appeler aussi autopsie de l’inceste tant l’auteur y démonte dans un style neutre, chirurgical les rouages de cette bouleversante et ô combien taboue réalité qu’est l’inceste.
On y rencontre Christine, jeune adolescente de 13 ans qui prend contact avec un père dont elle n’a aucun souvenir. Celui-ci a rejeté sa mère alors qu’elle était enceinte après avoir voulu un enfant d’elle.
La jeune adolescente est d’emblée subjuguée par la prestance, la culture, la position sociale de ce haut fonctionnaire européen. Elle se sent envahie de fierté et de légèreté. « Je n’avais vu ce genre d’hommes qu’à la télévision ou au cinéma »
Toutefois, le ver est déjà dans la pomme. L’auteur met en évidence la progression sournoise et ambiguë de l’abus. Le père embrasse sa fille sur la bouche à la fin de cette première rencontre mais c’est peut-être un accident; il lui confie au téléphone « quand j’entends ta voix, mon sexe devient dur. » mais « ça veut dire que je t’aime….que je ne peux rien faire contre ça. » Il lui vante aussi sa chance d’acquérir de l’expérience sexuelle; que les pratiques qu’il lui propose permettent de préserver sa virginité et de ne pas compromettre son avenir, qu’il n’y a pas lieu d’avoir honte de cette relation incestueuse car lui-même en parle à des personnes qui banalisent la situation.
Nous voyons donc d’un côté une jeune fille qui, comme toute jeune adolescente a besoin pour se construire en tant femme dans le regard et l’amour paternel et de l’autre côté un père manipulateur qui profite de la vulnérabilité de sa fille pour satisfaire ses besoins. « Vous ne vous rendez pas compte de ce que ça fait d’avoir un père qui refuse que vous soyez sa fille.»
Le livre met aussi en évidence les ravages de l’inceste sur l’estime de soi de Christine, sur ses études, sa carrière, sur ses relations amoureuses et même sur sa maternité.
Mais ce que ce livre met surtout en évidence, c’est l’incroyable solitude des personnes victimes , prises au piège de l’inceste. Adolescente, Christine est incapable de se défendre, incapable de demander de l’aide. Jeune adulte, elle parvient à en parler à sa mère et à son conjoint, Claude mais l’une comme l’autre sont incapables d’intervenir et de lui porter secours. Le conjoint révèle : « je pensais que mon rôle à moi n’était pas de dénoncer mais plutôt de t’accompagner dans ce que tu voulais faire. »
Christine Angot nous interpelle sur notre façon de percevoir l’inceste, d’intervenir auprès des victimes. L’attitude des journalistes posant des questions sur le plaisir sexuel éprouvé ou pas par les victimes constituent le summum de l’odieux et de la goujaterie. De plus, parler d’inceste consenti et d’un âge de consentement à l’inceste constitue un aveuglement aberrant des enjeux fondamentaux de l’inceste.
Bravo et merci pour ce livre courageux. C’est la première fois que je lis un des romans de Christine Angot et je lui souhaite vraiment de gagner le prix Goncourt.
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