Figure devenue incontournable de la scène médiatique et littéraire, Christine Angot raconte dans Le voyage dans l’Est le point de vue de la victime d’un inceste et l’impossibilité de sortir de l’emprise, de parler, de dire, de révéler, d’alerter, en bref, de faire cesser lorsqu’une enfant, une adulte sont victimes d’un inceste.
Il y a vingt-deux ans, en 1999, Christine Angot publiait son premier roman L’inceste. Depuis, régulièrement, Christine Angot reprend sa quête pour trouver la précision des mots écrit, afin de rendre compte de cette infraction dans l’intime et plus encore dans le psychisme.
Du mouvement #MeToo aux livres Le consentement de Vanessa Springora et La familia Grande de Camille Krouchner, la parole des victimes est prise en compte de plus en plus au niveau social et politique. Alors pourquoi un ènième roman sur ce point ?
Christine Angot réussit dans Le voyage dans l’Est a décortiqué la place de la victime et son impossibilité ainsi que son entourage de révéler l’interdit pour le faire cesser, tant le système est pris dans les mailles du filet de l’emprise malsaine de la personne ayant autorité et qui devrait assurer la protection.
La perversion de l’agresseur est particulièrement bien rendue qui trouve toujours justifications à ses comportements interdits et utilise le besoin de reconnaissance de sa victime. Son combat se poursuit en insistant aussi sur le fait qu’il n’y a pas d’inceste consenti comme l’idée semble s’insinuer dans la société lorsque adulte, la relation toxique se poursuit.
Elle a treize ans. Elle n’a jamais connu son père. Sa mère le lui présente. Il est beau, à une allure élégante, une position sociale très en vue, intelligent et très cultivé. Enfin, son rêve le plus cher se réalise ! Maintenant elle pourra en parler à ses copines, être fière de cette filiation. Elle est enfin reconnue !
Mais, la jeune fille constate au fil des rencontres des abus de pouvoir. Un baiser, une main sur le genou qui commence à remonter le long de sa jambe, puis vient les crimes d’infractions abjects. Mais, il est intelligent. Il devrait s’arrêter ! Il va comprendre ! La protection que ce père, personne ayant autorité, doit à son enfant est pulvérisée, anéantie à tel point que la victime se trouve encore plus démunie, esseulée, et dans l’incapacité d’en parler.
Christine Angot raconte la conscience que sa jeune narratrice a de l’interdit qui transparait dans tout son corps et ses pensées empêchant même de manifester autre chose tant, tout son être est monopolisé dans l’horreur de la minute à venir. Les tentatives sont nombreuses pour faire cesser. Par tous les moyens, la narratrice cherche à parler mais ne peut y arriver. De l’autre à ce moment, un souffle, une expression peuvent renvoyer la révélation dans le néant tellement la personne doute d’elle-même.
Christine Angot raconte les efforts de sa narratrice pour se sortir de cette relation toxique qui la détruit et la consume. Mais, le chantage s’opère, on le sait, à partir de la soif de tendresse et de reconnaissance de la victime. La narratrice rêve d’une relation qui redeviendrait normale entre elle et son père, prête même à tout oublier ! Sauf que le prédateur utilise tout au long de son emprise ce désir jamais assouvi. Des gages sont donnés pour le combler mais ils passent toujours par le chantage à la déviance. Tout au long du roman, la narratrice lutte pour reprendre sa liberté mais se heurte à des murs invisibles où l’emprise redevient opérante.
Autour d’elle, personne ne se rend compte. Même adulte, lorsque la narratrice cherche à s’affranchir de cette relation d’emprise, les personnes qui l’aiment et la soutiennent ne trouvent les mots et la liberté pour révéler le crime.
Le style de Christine Angot est le même, toujours aiguisé au scalpel. Ce roman dévoile l’effondrement psychique mais aussi physique, social et bien sûr sentimental de la victime depuis son adolescence jusqu’à l’âge adulte. On ne peut guérir de l’inceste, par contre, les mots qu’il faut trouver, précis, argumentés restent la solution pour faire comprendre, toujours et encore, le traumatisme ressenti par les victimes.
Le voyage dans l’Est fut pour moi un moment de lecture éprouvant tant le malaise de la narratrice est narré avec réalité et précisions. Mais, cette lecture est indispensable. Avec son talent, Christine Angot réussit avec courage, encore, à nous faire appréhender l’horreur du vécu des victimes qui essayent de retrouver un équilibre qu’on sait précaire et instable. Vraiment un récit courageux !
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