Citations de Edmond Baudoin (414)
Tout le monde attend un train, dans des millions de gare.
Toujours le soleil se couche sur les mers. Des barques reviennent vers les ports. À leurs poupes, des pêcheurs rangent des objets invisibles, ils préparent le retour aux quais. Ils ignorent l’incendie magnifique sur l’horizon, leurs yeux fixent l’accostage. Ils sont dans le paysage, la carte postale que je regarde. Un jour, je suis allé dans les marges de ma carte postale. J’ai glissé sur l’un des bords, c’était le bord du monde.
Bientôt je vais mourir, insatisfait. Je n’aurai pas écrit tout ce que je veux encore dire, pas peint toutes les œuvres qui sont en moi, pas lu tous les livres, pas traversé tous les cols. C’est le lot de tout le monde, je sais, mais comme pour tout le monde, ça ne me console pas.
Si je me dessinais, je ne ferais aucun poil, aucun bouton. Juste de la peau lisse, du beau. Et un peu de laid pour que l’on puisse m’aimer.
C’était un mime un peu minable. Il était grimé comme Charlot, de la poudre blanche sur le visage, debout sur un tabouret… Peut-être une caisse. Je ne me souviens plus. À ses pieds, un lecteur de cassettes diffusait inlassablement les musiques des films de Chaplin. Je ne sais pas combien d’années je l’ai vu, au coin de la place Saint Germain, en face des Deux Magots, tout près de la station de métro. Il faisait le clown au ralenti. Dans le froid de l’hivers avec sa veste noire, dans le chaud de l’été avec la même veste. Il me gênait un peu, comme tous les saltimbanques, comme tous les clowns. Je crois que je ne lui ai jamais donné d’argent. Pourtant, avec le temps, une espèce d’évidence m’est apparue. À force de persévérance, les années passant, cet homme est devenu indispensable à ce morceau de trottoir. Il avait autant d’importance pour la poésie de Paris, qu’une statue, un monument, un jardin. Il était peut-être autant photographié que le Danton de pierre deux cents mètres plus loin. Et puis je ne l’ai plus vu. Il m’a manqué. J’ai pensé que contrairement aux statues il arrive aux hommes d’être malade… et même de mourir. Et puis en fin d’année 1995 je l’ai rencontré sur le Pont des Arts. Il n’avait pas son maquillage de poudre blanche, sa moustache peinte, il mendiait tout simplement. Nous avons parlé. Je en pouvais plus continuer à faire le mime de Charlot. Les gens ont de moins en moins d’argent. Je ne gagnais plus ma vie. Je lui ai donné une pièce de monnaie.
Des hommes ont habité là .
Quand je frappe avec ma serpe sur les ronces
qui effacent les chemins
je sens ces hommes dans mon bras.
Ce livre n'est pas vraiment un reportage, pas un carnet de voyage, pas une étude sociologique. Est-ce une bande dessinée, une performance ? Nous avons eu la sensation, durant ces cinq semaines, d'être des papillons volant au gré du vent et des rencontres, avec un sentiment d'imposture dans tous les genres, avec pourtant, et c'est un paradoxe, la certitude de faire quelque chose de vrai et d'important.
Mon souvenir le plus fort et le plus dur, c'est le jour où on m'a retiré mon fils. Mon mari travaillait dans un autre collège que mi quand les FARC l'ont obligé à fuir précipitamment. Ils l'accusaient d'avoir volé de l'argent. Il était avec notre fils d'un an. Il a fui avec lui à Bogotá. Il y a dix ans de cela. Les FARC ne m'ont jamais embêtée, mais ils m'ont retiré ce qui m'est le plus cher… Mon fils.
Dans les années 1950, le paysan colombien était martyrisé à cause d'une violence générée par des différences politiques, la pauvreté et l'avidité des grands propriétaires terriens. Les FARC naissent d'un groupe de paysans libéraux et communistes qui luttent pour leurs terres. Le gouvernement les bombarde en un lieu appelé Marquetalia. Les survivants, sous les ordres de l'un des leurs Tirofijo, fuient en divers endroits. C'est dans l'un d'eux, El Pato, dans le Caquetá, que véritablement ils s'organisent et fondent les FARC en 1964. La guérilla la plus vieille d'Amérique latine. Dans la décennie des années 1970, le trafic de marijuana ver les États-Unis devient une réalité, de même pour la cocaïne. Cultiver la coca est alors la seule ressource pour des milliers des paysans. Pour un paysan, c'est plus cher d'aller au marché vendre ses bananes que d'en acheter. Le trajet vers la ville est plus couteux que ce qu'il reçoit de la vente. Grâce à la prohibition, le narcotrafic devient le meilleur négoce de Colombie. Les groupes armés croissent au même rythme que les narcotrafiquants. Les conflits augmentent, et c'est la population qui en souffre. Les grands propriétaires terriens, les narcotrafiquants, la force publique et politique s'unissent pour combattre les FARC. Et c'est ainsi que se créent les groupes paramilitaires. Cette armée illégale va assassiner des milliers de paysans et de leaders politiques. Ils vont commettre des centaines de massacres, voler des terres, et déplacer des milliers de personnes. Aujourd'hui ces terres appartiennent aux grandes multinationales et sont enclavées entre des puits de pétrole.
Je suis né sur un bord de la Méditerranée, Jean-Marc Troubs sur une rive de l'Atlantique. Qu'est ce qui donne le goût à une terre, une herbe, un arbre, un fruit, une eau, un homme, un peuple ? Sur la totalité des côtes méditerranéennes les hommes, pendant des millénaires, se sont penchés sur la même terre. Ils ont bu du lait de chèvre, cultivé des oliviers construit des murs de pierres sèches. Sur toutes les rives de la Méditerranée, on trouve des cactus aussi. Sur la totalité de ses rives, la même biodiversité, sur la totalité de ses rives longtemps les mêmes hommes, longtemps les mêmes cultures. Et en français comme en espagnol, le mot Culture désigne celle de la terre, et celle de la tête des hommes. Tanagras grecs découverts à Alexandrie, en Égypte. J'en ai vu aussi à Marseille en France, à Byblos au Liban. Pendant très longtemps, ce fut ainsi, mais les hommes du nord, dans leurs confrontations incessantes sur des océans dangereux, devinrent de grands marins. Ils parcoururent le monde avec des bateaux et des canons. Ils colonisèrent des pays et des continents. Ils découpèrent l'Afrique avec des guerres et es règles, ils inventèrent des frontières. Le savoir-faire des pêcheurs et des paysans méditerranéens n'eut plus aucune valeur. Il fallait nourrir le Nord (90% des exportations de l'Algérie sont à destination de l'Europe). Un peu plus tard, les colonisateurs découvrirent des trésors sous la terre africaine. La science des arbres, des herbes, des poissons, des animaux, des patois, de la poésie, de l'histoire qu'avaient les hommes vivants dans cette région du monde fut noyée dans la pollution et les dérèglements climatiques et culturels. Le Nord dévorait les richesses du Sud. Il avait besoin des hommes aussi. Par de leur cuture, mais de leurs bras. Ensuite il n'en eut plus besoin. Alors, le Nord construisit un mur de visas au milieu de la méditerranée. Frontières géographiques, frontières entre les hommes et les femmes, frontières économiques. C'est la question de la frontière qui nous a fait partir Troubs et moi, sur les rives du Rio Bravo.
Le jour se lève. Une ombre mécanique glisse sur le désert. L'Amérique des chevaux, l'Amérique des westerns, une nostalgie à laquelle personne l'échappe. Les grosses voitures, les grands paysages, sur la route e Kerouac. Une fuite éperdue dans la liberté inventée du passé pour oublier les véritables prisons d'aujourd'hui. Dans l'habitacle des camionetas, on se sent à l'abri. Dehors la réalité s'estompe. Pourtant ici, c'est presque toujours dans les voitures qu'on tue, qu'on retrouve les morts.
Le nationalisme est comme la culture de l'inculte, la religion de l'esprit de clocher et un rideau de fumée derrière lequel nichent, le préjugé, la violence, le racisme. – Vargas Llosa, prix Nobel de littérature 2010
J'ai été fait par ma mère, mon père, mes frères, ma sœur, mes enfants, Nice, Villars, une rivière, des collines, des pierres, mes amours, mes amis, des secondes d'éternité, des jours de rien, des mots, des sourires, des voyages, des pertes, des retours, des livres, des films, de la musique, des papillons, de la peinture, le dessin des autres, les miens. Ma vérité m'échappe.
J'ai des petites taches brunes sur le dessus de la main, la peau qui vieillit. Jeanne appelait ça "les fleurs de cimetière". Mais comment dire que j'en ai aussi sur la queue?
Première promenade dans la montagne qui est derrière la maison. Désir de voir, d'aller là où tournent les vautours, dans leur paix. Zapata s'est caché ici. De la vallée montent des hurlements qui n'ont pas de pauses, les aboiements des chiens, beaucoup de chiens, errants aussi. Peut-être qu'en bas, les hommes silencieux crient leurs misères à travers les gorges des chiens ?
Le soleil se couche, il faut redescendre.
L'arleri, en provençal, c'est un petit oiseau, comme un moineau. C'est aussi quelqu'un qui a une petite cervelle.
Un nouvel amour n'enlève rien à l'amour précédent, l'amour aime l'amour.
Les martinets, ces oiseaux noirs qui ressemblent aux hirondelles, peuvent faire l'amour en plein ciel. Ils me font rêver.
Les petites filles savent qu'avec leur ventre, elles pourront continuer le monde. Cette certitude les rend sereines.
La première chose que la petite fille allait faire en arrivant de l'autre côté de la mer,
C'était envoyer une carte postale à son amie Samia, sa meilleure amie, sa soeur.