AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Edmond Baudoin (311)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Quelques pas hors des cases

PETITE RANDO SYMPA!

Tout d'abord merci aux éditions La salamandre et à Babelio de m'avoir fait découvrir ce bouquin.

Edmond Baudoin est avant tout auteur de roman graphique, et est donc plus à l'aise pour nous raconter au moyen de l'image.

Il sort ici hors de ses cases pour se raconter en une mini biographie (115 pages) très sympa.

On pourrait s'attendre à ce qu'il nous raconte sa vie d'auteur ou la création d'un de ses livres, mais non. Il nous raconte son amour pour la marche et pour la randonnée !!!

Quand on fait un peu de rando, on comprend tout de suite son sujet. Marcher permet de réfléchir, de se vider la tête, de faire des rencontres, de se reconnecter à la nature. Marcher c'est vivre, c'est s'inspirer.

Il nous emmène donc avec lui au fil de ses pensées de randonneur, de ses voyages sac au dos.

C'est joli et poétique. C'est court, et sans être addictif, ce n'est pas ennuyant. Je dirais que c'est une petite parenthèse, une bulle d'air qui donne envie de chausser ses godasses et d'aller faire un tour dans les alpes en été.

Commenter  J’apprécie          290
Les fleurs de cimetière

Edmond Baudouin se dévoile dans cette œuvre un peu marginale, comme lui. C’est fait de brics et de brocs, on a l’impression de naviguer dans ses carnets de notes, des bribes de discussions, de réflexions, d’esquisses préparatoires, de bout d’essais. On retrouve sa technique à l’encre de chine, mais aussi des peintures en couleur, des montages photos, des illustrations d’amis, et même des articles de journaux photocopiés, des longs textes écrits au pinceau, parfois cru, et de beau moments de poésie.

On découvre alors son cheminement créatif, son évolution personnelle, il se met à nu, au propre comme au figuré, il dévoile toute sa vie, son œuvre, comme une ultime création, un testament graphique. Il nous parle aussi bien de ses conquêtes féminines, de ses enfants que de ses rencontres d’artistes, ses voyages, ses questionnements graphiques, le sens qu’il cherche à travers sa création.

C’est le genre d'œuvre qui donne les clefs pour comprendre le principe du processus créatif de tout artiste. Évidemment, il vaut mieux avoir déjà ouvert une de ses bandes dessinées pour pouvoir entrer dans ce gros pavé, avoir déjà une idée de ce que son coup de pinceau cherche à raconter. Alors, devant nos yeux se dévoile un personnage intègre et cru. C’est un patchwork, fait de petits morceaux de carnets collés ensemble, pas forcément par ordre chronologique, il vient rajouter un truc ancien dans une réflexion récente, le triture, il laisse parfois le passé s’ingérer dans le présent, tout semble mélanger et il en ressort un totem, un monolithe noir, un récit de genèse, une victoire de la liberté et tant de choses encore.

Quand on le referme, on peut alors le recommencer éternellement, relancer la création depuis le début. Une œuvre somme qui aura toujours quelque chose de nouveau à nous raconter.
Commenter  J’apprécie          291
Le marchand d'éponges

L’homme vend des éponges. Non ! Pas dans un commerce à proprement parler. Il les vend dans la rue. Marchand ambulant ? Si on veut. Il est SDF et a mis la main sur un stock de 9732 éponges végétales qu’il vend 1 euro pièce ! Un vrai pactole !

Il sait qu’il peut compter sur son âne, Martin ! Enfin, son arrière-grand-père avait un âne qui s’appelait Martin… Heu… Il n’a pas d’arrière-grand-père… Et son âne à lui, c’est un caddie de supermarché ! Bon, arrêtez vos commentaires, vous allez finir par l’embrouiller !



Comme tous les soirs, il attache avec une grosse chaîne son « âne » pour qu’on ne vienne pas le lui piquer et s’allonge à ses côtés sur une bouche d’aération du métro. Les bêtes ça a besoin qu’on s’en occupe, non ? Consciencieux, il se couche toujours aux côtés de son « âne ».



L’homme est là, couché à même le sol, à estimer dans combien de temps il aura écoulé son stock d’éponges. Calculer, c’est son truc à lui, ça ! Il aime les chiffres. Il s’appelle Pi ! Pi c’est un nombre inventé par un Grec il y a bien longtemps ! Et quel nombre ! Un taxi s’arrête à sa hauteur et une dame en manteau blanc en descend. Pas le genre à lui acheter une éponge ! Soudain, une voiture surgit. Un mec sort un flingue et dézingue la nana. Sûr qu’il n’a même pas vu le SDF qui ne devait être pour lui qu’un tas de vieilles loques traînant sur le trottoir…



Critique :



Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Edmond Baudoin a un style graphique particulier. Inconvénient : le trait n’est pas très net ! Avantage : ce trait noir et épais confère au roman graphique une force brute qui correspond bien à l’ambiance du récit. Voilà le genre de livre qu’il ne me serait pas venu à l’idée d’acheter si un ange n’était passé pour me le souffler à l’oreille.



Sur un minuscule scénario de Fred Vargas qu’on pourrait qualifier de « nouvelle » bien plus que de roman, Edmond Baudoin a su exploiter et garder toute la force de la générosité de deux personnages qui, a priori, n’auraient pas de raison de se fréquenter dans un monde bien sombre, tant pour celui qui n’a pas d’autre choix que de vivre dans la rue que pour celui qui se confronte aux crimes crapuleux au jour le jour.

Commenter  J’apprécie          290
Amatlán

Rien ne finit, ça devient autre chose.

-

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, le récit d’un voyage de l’auteur au Mexique. Sa première publication date de 2009. Cette bande dessinée est l’œuvre d’Edmond Baudoin, pour le scénario et les dessins. Elle est en noir & blanc et compte quatre-vingt-quatre pages.



À Paris, le 30/10/2007, un dessin en pleine page : un homme debout nu contemple une femme allongée, nue également. Le cinq décembre 2007, au Mexique, à Amatlán, le jardin, vu de l’intérieur de la maison, les feuilles de lierre sont en fer forgé, derrière se trouvent une cour et un arbre. Le même jour, dans cette cour, deux chiens, un jaune et un noir, dorment au soleil. Le chien jaune a les yeux très bleus, avec une pupille noire au milieu, le souvenir d’un ancêtre du Grand Nord. Le même jour, la vue depuis la terrasse de la maison, deux vautours tournent là-haut, au-dessus des montagnes. Suit une représentation réalisée le lendemain, de la maison vue de la route pavée : elle se trouve à l’extrémité d’une allée, au milieu de la végétation. Toujours un dessin en pleine page : l’intérieur de la maison, il ne faut pas marcher pieds nus, il y a des scorpions. Un dessin d’église : Edmond indique qu’il est au Mexique puisqu’il dessine une église mexicaine, l’église Santa Maria à Tepoztlan, le six décembre 2007. Dans cette ville, il rencontre un Italien dans un café : il s’appelle Andrés, il vit ici. Ils se parlent, Edmond lui dit qu’il fait de la bande dessinée. Son interlocuteur lui répond qu’il y en a un qui vient ici tous les étés, un auteur comme lui. Qui ? Golo. Qui ? Golo ?... Edmond n’en revient pas : son ami Golo, parisien et égyptien, bientôt mexicain, ici !



Première promenade dans la montagne qui est derrière la maison le sept décembre 2007. Désir de voir, d’aller là où tournent les vautours, dans leur paix. Zapata s’est caché ici. De la vallée montent des hurlements qui n’ont pas de pauses, les aboiements des chiens, beaucoup de chiens, errants aussi. Peut-être qu’en bas, les hommes silencieux crient leurs misères à travers les gorges des chiens ? Le soleil se couche, il faut redescendre. Le lendemain, Edmond fait la connaissance de Manuel, Anne, Juan Pablo. En son for intérieur, il s’interroge. Encore une fois un livre. Encore ?... Un carnet de voyage ? Il est assis dans un jardin, quelque chose comme un jardin. La couleur dominante est celle de la brique, du beige aussi avec des taches vertes. On est environ à 1.700 mètres d’altitude, début décembre, il fait doux. Il y a des arbres dans ce jardin, des ciruelos, une espèce de prunier dont les fruits ont le goût des oranges, un peu, avec un gros noyau. Deux maisons se font face, dans celle qui est dans son dos il y a Anne, Anne écrit pour plusieurs journaux français. Devant, il y a celle où il loge avec elle, elle c’est Neige. Il l’entend rire avec Magali dans la cuisine. Magali donne des cours de philosophie dans une université à Cuernavaca.



Qu’il soit familier de l’écriture d’Edmond Baudoin, ou qu’il le découvre avec cet ouvrage, le lecteur éprouve vite une forme d’accoutumance à la forme très libre de sa narration. Le récit commence sous la forme de dix illustrations pleine page, avec une date (celle à laquelle elle a été réalisée), un court texte explicitant ce qui est représenté. Le lecteur comprend que l’auteur a réalisé ces dessins sur le vif, parfois au pinceau, parfois à la plume. Il s’agit d’images descriptives où le lecteur peut reconnaître ce qui est représenté, avec un degré de précision variable, jamais avec un aspect photographique, que ce soit dans la précision ou dans le détail. En planche six, l’artiste s’attache à détourer chaque élément présent dans la grande pièce de la maison, mais avec des traits irréguliers, sans texture, et presqu’aucune ombre portée. En planche quatre, il reproduit l’impression que donnent les arbres devant la montagne, avec des traits de pinceau appuyés pour reproduire l’effet de silhouette de ces éléments, sans aucun détail sur l’intérieur des surfaces qu’il s’agisse des feuilles ou des troncs. Dans les pages suivantes, à une ou deux reprises, les images s’avèrent être composites associant deux ou trois éléments issus de prises différentes, encore accompagnées d’un texte soit laconique soit composé de plusieurs paragraphes. Ce n’est qu’à partir de la planche vingt-six que le lecteur découvre des compositions plus classiques de cases alignées en bande, la plupart avec une bordure de case, le temps de six pages. Puis revient le mode en illustration accompagnée d’un texte.



Edmond Baudoin choisit la forme et la composition de chaque page comme bon lui semble, au gré de sa fantaisie. En tout cas, dans un premier temps, le lecteur se dit se dit que l’auteur suit l’inspiration du moment. Mais s’il a lu d’autres ouvrages, il sait qu’en fait Baudoin compose bel et bien chaque ouvrage, peut réaliser plusieurs brouillons d’une page, tout en s’accordant une liberté totale, sans se sentir contraint de respecter une attente implicite du lecteur sur un format de cases disposées en bande. L’effet ne s’apparente pas à celui d’une bande dessinée et déstabilise dans un premier temps car le lecteur ne retrouve pas l’effet de la régularité de disposition des cases, ou l’interaction attendue entre phylactères et images, et dans le même temps ce n’est pas un texte illustré, ou des images commentées. C’est une sensation de liberté peu commune en bande dessinée, à la fois des images et des mots sur des pages rectangulaires, à la fois quelque chose d’inattendu, d’impossible à anticiper à chaque découverte d’une nouvelle page. Même un lecteur familier de l’artiste se retrouve surpris. Tout d’abord en planche 18 quand il comprend qu’il lit les mots de Neige, Edmond ayant fait participer sa compagne : elle raconte son état d’esprit quand Edmond souhaite qu’elle vienne danser avec lui sous les yeux des villageois à une fête, et qu’elle ne se laisse pas convaincre. De la planche trente-six à la planche quarante-trois, le texte n’est plus manuscrit, mais en caractères d’imprimerie, Neige évoquant en prose le viol dont elle a été la victime et son incidence sur sa relation avec Edmond, les images devenant effectivement une illustration sur le bord, les planches quarante et quarante-et-un en étant même dépourvues. Pour autant, l’esprit du lecteur a eu le loisir de s’habituer à la malléabilité de la narration et il se lance dans ces pages de texte avec plaisir, sans même songer un instant à renâcler parce que ce n’est pas de la BD.



En planches onze et treize, l’auteur développe un texte de plusieurs paragraphes dans lequel il s’interroge sur ce qu’il est en train de faire, sur la nature de son récit, de son ouvrage. Un carnet de voyage ? Encore une fois un livre… Pour dire quoi ? Le chemin ? Son chemin ? Le lecteur ressent au fil des pages que l’auteur n’agit pas par automatisme, qu’il ne se contente pas de raconter ce qu’il voit, ce qu’il ressent, sa façon de vivre sa relation avec sa compagne Neige. Il s’interroge sur la première planche avec l’homme et la femme nus, puis découvre ces images qui montrent les lieux qui entourent Edmond Baudoin, comme croqués sur le vif, mais en fait montrant ces endroits avec sa sensibilité, sa subjectivité. Il se dit d’ailleurs que le narrateur a opéré un choix dans ce qu’il montre, dans ce qu’il représente, que sa subjectivité s’exprime également dans ce qu’il a retenu pour être montré, qu’un autre auteur aurait fait d’autres choix, aurait montré d’autres lieux, ou les aurait montrés d’une autre manière. De ce point de vue, le récit s’apparente bien à un carnet de voyage, avec les lieux du quotidien, avec un peu de marches, de voyages qui s’apparente à du tourisme, mais à l’opposé de celui de masse. Le lecteur voit ces paysages par les yeux de l’artiste, et il perçoit que celui-ci est attaché à rendre compte de ce qu’il voit, pas à plaquer une conception préalable sur ce qu’il découvre. Cela donne un carnet de voyage très personnel.



Toutefois, ces pages ne peuvent pas être réduite à un carnet de voyage à Amatlán et dans ses environs, parce qu’Edmond Baudoin raconte également sa relation avec Neige. Il le fait en assumant sa subjectivité personnelle, en la faisant ressortir. Il ne présente jamais ses pensées comme une vérité, mais bien comme sa perception des choses, de cet être humain qui n’est pas lui, de ses projections. Dès la planche treize, il indique explicitement qu’il a soixante-cinq ans lors de ce voyage, et que Neige en a trente. Il a une conscience aigüe à la fois de la transgression que cela constitue vis-à-vis des conventions sociales, sans développer le pourquoi desdites conventions, et de son désir pour elle. Il n’insiste pas particulièrement pour son respect pour elle, mais le lecteur qui déjà lu d’autres bandes dessinées abordant le sujet de ses relations avec la gent féminine, connaît à la fois son pouvoir de séduction, à la fois son respect absolu du consentement. Il ressent qu’Edmond ne veut en aucun cas mettre en œuvre une quelque forme d’ascendant que lui donnerait son âge sur elle. Le lecteur comprend que dans ces conditions l’auteur ait souhaité donner la parole à Neige, qu’elle ait pu exprimer son point de vue, ses ressentis, qu’ils figurent dans l’ouvrage. Cet aspect-là de la bande dessinée est traité avec une rare sensibilité : l’auteur se met à nu avec une honnêteté totale, tout en préservant une pudeur qui évite au lecteur de se sentir de trop, ou de devenir un voyeur. Cet album est également un carnet de voyage vers l’autre dans une relation amoureuse, dans toute sa singularité, et dans le même temps dans tout ce qu’elle peut avoir d’universelle, avec exécution d’une rare beauté.



Une bande dessinée d’Edmond Baudoin de plus… Et c’est déjà beaucoup. Un carnet de voyage à nul autre pareil, dans lequel la sensibilité de l’auteur s’exprime dans chaque dessin, chaque phrase, chaque construction de page. Un voyage géographique en dehors des sentiers battus, avec une perception du quotidien et des paysages qui n’appartient qu’à cet auteur. Également un voyage amoureux, une relation fragile, délicate, difficile à faire accepter aux yeux des autres, et même aux yeux de l’auteur, avec une exigence de soi pour ne pas profiter de son charme et de son âge, ne pas abuser d’une forme d’ascendant, construire un consentement réciproque entre deux êtres uniques.
Commenter  J’apprécie          280
Rachid, l'enfant de la télé

Cet album de Tahar Ben Jelloun nous raconte la vie monotone d'un enfant de huit ans scotché devant la télévision du matin au soir. Seule sa maitresse arrive à le persuader de partir chez son grand-père au Maroc pour découvrir un monde nouveau.

Sur cette terre africaine et près d'un ancêtre affectueux Rachid va s'ouvrir à l'imaginaire en écoutant les leçons d'astronomie de Jeddi.



L'auteur nous entraine vers son pays d'origine le Maroc et vante sa culture loin du bruit parisien et des écrans néfastes

Avec une certaine lenteur et poésie Rachid s'interroge et donc fait travailler son intelligence afin de trouver des réponses. Le parallèle entre deux conditions de vie différentes ne peut être qu'un enrichissement humain.

Désormais des questions existentielles vont germer dans la tête de Rachid sans gober toutes les images de la télé.



Si le texte est un peu long il a le mérite de poser le problème des écrans ennemis numéro un des parents et sources de conflits redoutables avec les ados.

Quand aux illustrations de Baudoin elles apportent à merveille cette atmosphère du Maroc entre poussière et ciel immensément bleu, entre village presque désertique et Marrakech grouillant de monde. Des images tout à la fois raffinées sur des toiles rustiques. Le contraste est un bonheur pour mes yeux.

A lire à partir de huit ans.
Commenter  J’apprécie          280
Les fleurs de cimetière

Nous sommes le résultat non fini d'un processus venu du chaos.

-

Ce tome contient une histoire autobiographique, indépendante de tout autre, une connaissance très superficielle de l'auteur suffit pour l'apprécier. La première édition date de 2021. Il s'agit d'une bande dessinée de 280 pages en noir & blanc, avec quelques pages en couleurs, entièrement réalisées par Edmond Baudoin, auteur d'environ soixante-dix bandes dessinées. Il commence avec une copieuse introduction de deux pages en petits caractères, écrite par Nadia Vadori-Gauthier (Une minute de danse par jour) en novembre 2020. Elle commence par poser des questions. Quelle est la mesure de la durée d'une vie ? Celle d'un homme ? Celle d'un arbre ? Elle évoque la façon dont les vies qui ont façonné celle de l'auteur se superposent, comment les dessins sont composés de sensations, des voyages, des arbres, des corps. Le lecteur se laisse porter par les sujets évoqués et les questionnements, tout en se demandant à quoi peut bien ressembler la bande dessinée dont elle parle.



Quatre dessins représentant Edmond Baudoin sur la première page, quatre autres sur la seconde et encore deux sur la troisième, chacune le montrant à un âge différent : naissance en 1942, en 1950, en 1954, en 1958, en 1963, en 1972, en 1980, en 1998, en 2009 et en 2015. Sous les deux dernières, l'auteur indique que : Les mamans n'ont pas dans leur organisme toutes les calories nécessaires, les richesses essentielles pour parachever le cerveau de leur bébé. Pour cette raison, à l'instant de l'accouchement, nous ne sommes pas finis. C'est quand, la vraie naissance ? Puis il évoque une de ses premières bandes dessinées, parue en 1982, alors qu'il avait quarante ans. Il s'y représente enfant, adolescent, adulte et vieux. Enfant et adolescent, il l'avait été. Adulte, il l'était. Et il se projetait en vieillard. Ces personnages se côtoient sur la place d'un village, Villars-sur-Var. Nice est à cinquante kilomètres au sud.



Ce livre forme une photographie d'époque, et il a aujourd'hui une couleur sépia. Le temps est passé. Faire des photos, du cinéma, écrire, c'est enregistrer la mort à l'œuvre pour la regarder en face, lui opposer la vie. Au début de L'Œuvre, Émile Zola raconte la vie d'un jeune peintre arrivant de la province à Paris. Il va en haut de Montmartre, et se promet qu'un jour cette ville lui appartiendra, quelque chose comme ça. Zola s'était inspiré de Cézanne pour le jeune peintre. Quand comme lui, l'auteur est venu pour la première fois dans la capitale, il a fait le pèlerinage. En haut des marches, il a crié : tu sauras qui je suis. Mais Paris n'en avait cure. Les éditeurs aussi, ils lui répétaient de revenir plus tard. En 1978, au retour d'un de ses voyages infructueux, la honte de retrouver son amie avec un panier vide, le fit errer sur le port de Nice jusqu'à la nuit. Il y avait du vent, les filins métalliques fouettaient les mats, ses dents crissaient. Le froid l'a décidé à affronter Béatrice. Dans les escaliers, à chaque marche, il a donné un coup de poing dans le mur, en répétant qu'il défoncerait tout le monde. Il habitait au troisième.



En 2021, Edmond Baudoin est âgé de soixante-dix-neuf ans, sa carrière de bédéaste est longue d'une quarantaine d'années et riche de plus de soixante-dix albums. D'une certaine manière, cette bande dessinée constitue une autobiographie savamment recomposée. L'auteur évoque sa mère, son père, son frère avec qui il entretenait une amitié fusionnelle, plusieurs de ses relations amoureuses, ses enfants, et plus rapidement ses petits-enfants. L'artistes les représente avec un noir & blanc un sec, parfois un peu griffé, parfois avec des traits charbonneux. Il intègre également des photographies sur quelques pages, par exemple page 148. Il évoque ses cinq enfants, certains plus en détail que d'autres, ses neuf petits-enfants, et même ses deux arrière-petits-enfants, ainsi que les différentes mères, le temps qu'il a consacré à sa progéniture, parfois plusieurs années, plus souvent quelques moments épars. Il parle de son mode de vie, de ses voyages qui n'étaient pas très compatibles avec une présence durable auprès d'eux. Il parle du cancer de l'un d'eux, des études de marionnettiste d'un autre, confié, encore adolescent, à un homme de l'art. Il parle de ce qu'il leur a transmis de l'exemple qu'il leur a donné, mais aussi de tout ce que eux lui ont donné et apporté, comment l'individu qu'il est a été construit par eux.



L'auteur évoque également son rapport avec les femmes, les nombreuses femmes avec qui il a eu des relations, quelques fois des enfants. Il les dessine sous forme de portrait, ou en train de lui parler, ou même comme une allégorie du mystère de la femme qu'il a surnommée Aile (pour Elle) et qui lui parle, l'interroge, commente son travail. Il les a dessinées, régulièrement nues, essayant de rendre compte de la vie qui anime les corps, mais aussi du mystère insaisissable qui demeure. Quelques-unes de ces peintures sont incluses dans l'ouvrage. Il parle également de ce qu'elles lui ont apporté, du fait qu'elles aussi ont contribué à son développement, à sa construction, à sa personnalité. Il évoque la découverte de la danse contemporaine avec Béatrice, ce qui donnera lieu à une bande dessinée : Le corps collectif Danser l'invisible, en 2019. Le lecteur éprouve la sensation de suivre le vagabondage de l'esprit de l'auteur, au fil de ses remémorations, une idée ou une formulation ou un dessin le faisant partir dans une direction différente. Puis il expose une autre séquence de sa vie quand le lecteur tourne la page, sans lien logique explicite. Il assume le fait de faire œuvre de reconstruction de ses souvenirs, leur partialité. Son flux de pensée s'avère protéiforme et sa matérialisation est très visuelle. La graphie de l'écriture change régulièrement : manuscrite, de type machine à écrire, pattes de mouche, et parfois article de journal. De la même manière, le registre des dessins passe d'esquisse, à des peintures monochromes, jusqu'à des photographies, ou de véritables tableaux naïfs ou expressionnistes, et même des portraits de lui réalisé par des collègues ou des étudiants.



Le lecteur se retrouve embarqué dans les pensées de l'auteur, entre état de fugue et associations libres d'idées et d'émotions, et remarques ou réflexions bénéficiant d'une prise de recul. Baudoin se laisse aussi bien guider par le texte que par les images. Le lecteur peut parfois éprouver l'impression que le scénariste s'est demandé comment caser certains éléments de sa vie lui tenant à cœur, mais pas assez conséquents ou substantiels pour donner lieu à un ouvrage à part entière. C'est ainsi que de la page 34 à la page 117 (avec une ou deux interruptions), chaque page de droite (impaire) est constitué du dessin d'un arbre, différent à chaque fois, représenté en pleine page, dessiné quand l'auteur était professeur de dessin à l'université du Québec de 1999 à 2003. Ces natures mortes ont été réalisées à l'hiver, des dessins allant du descriptif précis à l'impressionnisme, visiblement un exercice de style de l'artiste, mais aussi une occupation dans laquelle il s'est beaucoup investi, qui a compté pour lui. Ces pages ont tout à fait leur place dans un ouvrage autobiographique, leur positionnement dans la narration induit que ces études font partie intégrante de l'individu au même titre que tout le reste. Cela participe donc à cette immersion non linéaire, à la forme si particulière, dans l'esprit de l'artiste.



La narration n'est pas présentée explicitement comme une autobiographie, et d'ailleurs elle est lacunaire et elle n'aborde pas toutes les dimensions de cette vie. L'auteur ne donne pas d'éléments sur des éléments matériels comme ses revenus, sa santé, ou son hygiène alimentaire. Il évoque partiellement son œuvre, citant plusieurs de ses ouvrages comme Passe le temps (1982), Couma acò (1991), Piero (1998), Le corps collectif (2019), sa participation au magazine Le canard sauvage dans les années 1970, Le goût de la terre (2013) avec Troubs, Viva la vida (2011) également avec Troubs, J'ai été sniper (2013), ou encore Le chemin de Saint Jean (2002) dont le présent ouvrage pourrait être la suite. Pour autant, il ne s'agit pas d'un ouvrage narcissique car il cite également de nombreux auteurs qui ont laissé une empreinte durable dans sa vie, qui l'ont construit comme Christian Boltanski, Leonard Cohen, Maria Rilke, Francisco Coloane, Aude Mermilliod (et sa BD Il fallait que je vous le dise, 2019), Nelson Mandela (1918-2013) amoureux, Craig Thompson (et sa BD Blankets, 2003), Pier Pasolini, Gilles Deleuze, Fernand Bouisset (1859-1925, auteur de l'affiche pour le chocolat Menier), ou encore Jean-Marc Troubs avec qui il a réalisé plusieurs albums, et tant d'autres.



Comme l'annonce Nadia Vadori-Gauthier dans la préface de l'ouvrage certaines thématiques courent tout le long de ce livre : les personnes qui ont nourri son être, ses relations avec les femmes, son besoin de dessiner, sa soif inextinguible de liberté, les morts de migrants chaque année, les violences faites aux enfants et aux femmes, le temps qui passe et les façons de rester en vie pour résister à la mort, les souvenirs, la danse, les voyages, etc. Alors qu'il pourrait craindre une série d'anecdotes plus ou moins originales, plus ou moins parlantes, le lecteur découvre une vie sortant de l'ordinaire, une forme de liberté à la fois égoïste et très généreuse pour les autres, ainsi qu'une sensibilité poétique unique donnant à comprendre une vision du monde solidaire. Enfin, la forme choisie et construite par l'auteur donne la sensation au lecteur de s'introduire dans son esprit, de partager la richesse de sa vie, de penser à sa manière : ce qui aurait pu s'apparenter à un assemblage hétéroclite de dessins épars et sans rapport forme la tapisserie de sa psyché.



En feuilletant l'ouvrage, le lecteur se demande s'il s'agit bien d'une bande dessinée, ou d'un livre illustré. À la lecture, il s'avère qu'il s'agit un peu des deux, une forme hybride et libre découlant directement du mode de penser de l'auteur, affranchi de tout dogmatisme académique sur son moyen d'expression. Le lecteur s'immerge dans sa vie, non pas par un récit chronologique et factuel, ni par une rêverie décousue, mais dans un riche flux de pensées, un partage d'une rare prodigalité, une expérience quasi fusionnelle avec l'auteur. Le lecteur ressent qu'Edmond Baudoin participe à sa construction, qu'il le nourrit en lui offrant sans compter les expériences uniques de toute une vie. Chef d'œuvre.
Commenter  J’apprécie          282
Le marchand d'éponges

Voici un très joli roman graphique naît de la collaboration entre la célèbre auteure de littérature policière Fred Vargas et l’un des pionniers de la bande dessinée alternative, le dessinateur Edmond Baudoin.

Tous deux avaient déjà brillamment travaillé ensemble une première fois sur l’album « Les quatre fleuves ». Ils réitèrent de nouveau l’expérience avec « Le marchand d’éponges », une adaptation de la nouvelle « Cinq francs pièce » tirée du recueil « Coule la Seine » de Fred Vargas.



Couché sur une bouche de métro, bien enroulé dans son duvet, Pi, un SDF, s’apprête à passer la nuit dehors auprès de son unique compagnon de route, un caddie rempli d’éponges trouvées dans un hangar désaffecté, que le vieux clochard tente tant bien que mal de vendre pour subsister.

Mais voilà qu’il assiste au meurtre d’une femme en manteau de fourrure blanc, croisée quelques instants plus tôt sur le trottoir ! L’assassin n’a pas soupçonné sa présence, « pour une fois, cette atroce transparence qui échoit aux sans-grades lui avait sauvé la peau ». Il n’empêche que Pi devient le seul témoin d’un crime « important » intéressant grandement les hautes sphères.

« Il y a un homme dans la merde qui sait des tas de choses et une femme dans le brouillard avec trois balles dans le corps. »…

Lorsqu’il interroge le vieux clochard, le commissaire Adamsberg, chargé de l’enquête, se rend vite compte que derrière le bonhomme difficile à faire collaborer, buté et renfrogné, se cache un type seul que la vie n’a pas épargné, un homme en mal d’écoute qui survit dans la rue depuis dix ans déjà.

« Il ne s’occupera de nous que lorsqu’on s’occupera de lui »… Parce qu’il croit sincèrement que « toute vie vaut toute vie », le flic aux méthodes originales noue alors avec le vieil SDF une relation de confiance, d’échange et d’écoute, qui l’amènera à résoudre l’affaire mais surtout à faire naître un peu d’espoir au fond du cœur de Pi.



Contrairement aux autres œuvres de Fred Vargas (« Pars vite et reviens tard », « L’armée furieuse »…) mettant en scène le commissaire Adamsberg, l’intrigue policière n’est ici pas des plus importantes. Elle sert uniquement de support à la rencontre entre le vieux sans-abri taciturne et le héros récurrent de l’auteur, Adamsberg le flic désinvolte, sympathique et compréhensif.

Dans ce vaste paysage de solitude urbaine qu’est la ville de Paris, le face-à-face entre les deux hommes devient une parenthèse atemporelle et réconfortante qui se façonne sous le trait épais et charbonneux du dessinateur Edmond Baudouin.



Si au départ l’on a une impression d’un crayonné compact, dru et touffu devant les dessins tout en noir et blanc de Baudoin, très vite cette impression cède la place au sentiment que l’on a affaire à un artiste d’exception, capable en quelques traits de faire vivre, respirer, vrombir la capitale en en restituant admirablement bien l’ambiance belle et sombre. A ce sujet, la suite d’interrogations de l’artiste qui compose la deuxième partie de l’ouvrage, offre un éclairage très intéressant sur le regard du dessinateur, son questionnement personnel, son cheminement pour faire naître les émotions.

Les personnages, quant à eux, interpellent par le réalisme de leur expression ; le faciès largement marqué de Pi le clochard et la bienveillance du regard d’Adamsberg sont saisissants de réalité et d’une présence physique qui captive aisément le lecteur.

Référence en matière de bandes dessinées alternatives, Baudoin a fait du travail en noir et blanc son credo artistique, une magie sans cesse renouvelée. « Le blanc renvoie toutes les couleurs. Le pinceau fait une tâche, c'est le début du trait. Le noir aspire toutes les couleurs, c'est un trou noir. Mais ce qui est magique, c'est le trait blanc qui apparaît entre les deux traits noirs. Je n’ai pas de maîtrise du trait blanc. C'est l'espèce de bonheur que donne le dessin. A chaque fois, c'est comme une promenade dont je ne connais pas la suite."



L’émotion et la poésie émanent de chaque planche regardée et particulièrement des paysages urbains qui, parmi tout ce blanc et ce noir, sont de façon étonnante empreints de lumière. Une luminosité douce qui se diffuse au cœur de notre œil pour mieux nous capturer.

Car Baudoin ne se contente pas de dessiner. Avec son pinceau, il essaye avant tout « de dire »….dire la ville, les toits, les banlieues, les rues…dire l’ennui, la solitude, les gens…

Délié, dépouillé, japonisant, ou à l’inverse, frénétique, hachuré, vibratoire, le trait du dessinateur Edmond Baudoin sert remarquablement cette histoire de solitude urbaine de la romancière Fred Vargas.

Commenter  J’apprécie          280
Le chemin aux oiseaux

Le dessin est au pinceau, brut, pas affiné, mais d’une précision qui favorise l’émotion de l’instant. Un simple trait raconte beaucoup, le mouvement, le silence, le vol des oiseau, un arbre isolé… Cette petite fille se promène tous les jours sur le chemin aux oiseaux, avec son père, avec sa mère, son amie… Un mystère tourne autour de sa vie, un mystère qu’il n’est besoin d’aller chercher très loin, la peur de l’absence, du père ou de la mère, on ne sait pas vraiment ce que vivent ses parents, un éloignement provisoire, une séparation, un drame, peu importe, c’est la petite fille qui est au centre de l’attention, ce qu’elle ressent et la vie qu’elle découvre, où il faut faire son propre chemin. Le texte est beau, sobre et poétique, une lecture sensible, un peu vaporeuse, qui nous raconte juste que dans la vie, il faut être “prête à voler, pas à tomber”.
Commenter  J’apprécie          270
Le Corps collectif: Danser l'invisible

Ils font de l’air, de l’eau, du feu, de l’éphémère.

-

Ce tome contient un récit complet, indépendant de toute autre. Sa première publication date de 2019. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins, sans oublier l’expérience de vie. Il comprend soixante-six pages de bandes dessinées en noir & blanc. Il s’achève avec une postface de deux pages, écrite en novembre 2018, par Nadia Vadori-Gauthier chorégraphe du groupe de danse appelé Corps Collectif. Elle explicite la démarche du bédéiste et ce que ses dessins ont apportés aux danseurs : Edmond dessine, il danse avec des parts de chaos et embrasse une énergie vivante. Il ouvre des brèches sur des mondes parfois oubliés de nos systèmes de pensée. Le dessin surgit d’un dehors qu’il semble possible d’expérimenter par l’expérience partagée. Il s’agit de liberté, mais aussi sans doute, de sororité, de fraternité. Edmond capte des forces, sa plume trace ce dont il n’a pas idée, mais qu’il ressent et qui vibre. Il dessine un monde qui disparaît en apparaissant. Il dessine contre la bêtise et la mort. Ses dessins dansent lorsqu’on les regarde. Ils dansent davantage encore quand nos yeux se ferment.



Il semble à Edmond Baudoin que les artistes qui ont fait des dessins dans la grotte Chauvet étaient dans une grande liberté de création, même si leurs travaux devaient, déjà, être soumis à certaines contraintes. Contraintes techniques évidemment, comme pour tous. Il n’y a pas de moments artistiques dans l’histoire de l’humanité qui n’aient pas été au service du mysticisme ou des communautés. Celui-là a, c’est vrai, longtemps été nécessaire aux sociétés primitives et a donné de grandes et belles œuvres. Se libérer des dogmes, des modes, des règles, sortir des chemins balisés, du vouloir-plaire n’est pas facile. Il faut des capacités exceptionnelles, un engagement total qui suscite de l’incompréhension. Certains artistes en sont morts. Aujourd’hui, le pouvoir de l’argent secondé par les médias décide quels sont les artistes que l’on doit suivre. La mode est omniprésente et l’art officiel moderne s’est mondialisé : Marcel Duchamp a fini par donner Jeff Koons.



Shitao (le moine Citrouille-Amère) disait que la règle principale est de sortir de toutes les règles. Mais les individus baignent depuis des millénaires dans des mots, des phrases, mis en place par des mâles qui voulaient et veulent toujours maîtriser le monde, la vie. Ils sont formatés par cette volonté de maîtrise. Et, au moment même où ils estiment s’exprimer librement, l’expression de cette liberté est entravée par une infinité de scories polluant cette expression. Les traits gras imprécis sur le mur de la grotte se transforment en corps en train de danser, il s’agit de la composition Visible-Invisible, représentée le trois mars 2014. En mars 2012, voulant se confronter à la difficulté de dessiner le corps en mouvement, Baudoin a cherché une compagnie de danse qui accepterait qu’il se mette dans un coin de leur atelier. À cette époque, il travaillait sur sa BD Dali (2012) au centre Pompidou où travaillait également Jeanne Alechinsky, chorégraphe et danseuse.



Des images avec des mots à côté, dessus, dessous, en fonction des pages. Une lecture très facile : regarder les images en lien direct avec le texte ou non, lire les phrases qui sont écrites dans un français simple et accessible. Le principe : pendant sept ans, le bédéiste a assisté à des répétitions de danse de l’association appelé le Corps Collectif. Ces dessins exécutés en direct occupent environ quarante-six pages. Ils sont réalisés au pinceau et à la plume, les outils habituels de l’artiste. Ils rendent compte de sa perception du mouvement des corps, des figures créées, une gageure en soit que de retranscrire ces déplacements par une image figée par nature. De fait ces dessins occupent une place entre le figuratif et l’impressionnisme, avec parfois des touches expressionnistes. Certains détails peuvent être d’une grande précision. D’autres endroits peuvent sembler comme un amas de taches noires, nécessitant une attention plus longue de la part du lecteur pour distinguer parfois une surimpression de corps, ou de postions d’un même corps en un unique endroit, des lignes qui évoquent plus le mouvement que le pourtour d’une silhouette, d’un visage, d’un bras ou d’une jambe. Quelques fois encore, un unique danseur figé dans une position, seul dans la case délimitée par des bordures. Edmond Baudoin se livre à un exercice délicat : témoigner d’une danse perçue au travers de sa propre sensibilité, donc interprétée. En outre, il s’agit souvent d’une danse réalisée par plusieurs danseuses et danseurs, c’est-à-dire une expression collective qui ne peut pas se réduire à l’addition des mouvements de chacun, qui résulte également des interactions entre artistes.



Cette bande dessinée à la forme très libre aborde donc également d’autres thèmes. Le lecteur commence par découvrir un facsimilé de peintures rupestres, puis une sculpture d’une silhouette humaine datant de la préhistoire, puis le porte-bouteille (1914) de Marcel Duchamp (1887-1955) à côté du Balloon-Dog (1994-2000) de Jeff Koons (1955-), un vol en cercle de martinets, une image extraite du film La sortie des ouvriers (1895) de Louis Lumière (1864-1948), une évocation de Loïe Fuller (1862-1928) et d’Isadora Duncan (1877-1927), des dessins d’arbre, l’artiste à sa table à dessin, un portrait de chacun des treize membres du Corps Collectif, une séquence dans le jardin d’Honorine une très vieille femme. En effet cet ouvrage évoque les représentations du Corps Collectif, mais également leur démarche artistique. Dès le départ, Edmond Baudoin explique qu’en tant qu’artiste il souhaite se libérer des principes inconscients qui sous-tendent sa pratique. Pour illustrer son propos, il évoque et il représente des exemples d’art primitif venant de l’aube de l’humanité. Vers la fin de l’ouvrage, alors qu’il se représente à sa table de dessin, il raconte qu’il a découvert la danse contemporaine avant de faire de la bande dessinée. Il continue : enfant, il ne lisait pas beaucoup, et il suppose que cette méconnaissance a été cruciale pour la suite de son travail. Il développe son propos : sur une scène, on peut, en même temps, faire entendre ou voir plusieurs arts : la danse, la musique, un texte dit, une vidéo projetée en fond de scène… Pareillement en bande dessinée. Les images et les mots peuvent se contredire, faire des oppositions. C’est du bonheur de jouer sur ces différentes couleurs.



Cet ouvrage s’inscrit dans le registre de la bande dessinée, avec des dessins, du texte, un fil directeur, des interactions entre les deux. Comme pour les autres ouvrages de cet auteur, le résultat met à profit une liberté formelle de l’expression avec parfois des cases en bande, le tout allant du texte illustré à l’illustration pleine page sans texte, le tout dans une cohérence d’expression sans solution de continuité. Le bédéiste dit toute son admiration pour les réalisations du Corps Collectif, pour sa capacité à s’émanciper des conventions pour créer en toute liberté. Il se livre également à des analyses partielles sur leur façon de faire, par comparaison avec sa propre démarche de créateur. Le lecteur fidèle à cet auteur retrouve là plusieurs de ses thèmes récurrents : celui d’exprimer ce qui se trouve au cœur de l’être humain, de l’autre, celui de progresser dans ses capacités à l’exprimer, les défis qui se posent à l’artiste (Comment dessiner l’eau qui court entre les rochers ?). Il revient sur sa fascination pour les arbres : les arbres, les danseurs, la même énergie, c’est un rapport au temps qui les sépare. Il cite Antonin Artaud (1896-1948) : Or, on peut dire qu’il suffit d’un simple regard pour que se décompose le monde des apparences mortes. Il s’interroge : comment faire passer la vie des arbres et des corps dans son pinceau ?



Le lecteur ressort de cette lecture totalement sous le charme. Il a bénéficié d’une présentation guidée d’une forme de la danse contemporaine, par un amateur enthousiaste et empathique. Il a côtoyé des individus prenant du recul sur le monde, sur leur art, capables de l’exprimer par la danse, et aussi par la bande dessinée. Il se plonge dans la postface de Nadia Vadori-Gauthier et découvre qu’elle exprime aisément tout ce qu’Edmond Baudoin a apporté à sa troupe, ainsi qu’au lecteur : Les dessins d’Edmond ne cessent de nous éblouir. Pourquoi ? Qu’est-ce qui nous cueille si entièrement et continue d’agir alors même qu’on ne les regarde plus ? Ces dessins nous éblouissent d’ombre. Ils rendent visible ce qui ne peut se dire et qui sera toujours irréductible à un mot. Edmond dessine l’invisible, l’indéfinissable, la vie qui palpite aux lisières de l’optique. Il dessine la magie de nos parts de rêve entrelacée aux choses, les béances, les trous noirs, les chevaux d’inconscient qui nous traversent. Son trait, comme un souffle, trace ce qui s’efface. Les corps sont aussi éphémères qu’une vague ou le vent dans les branches. Le bédéiste sait faire preuve d’humilité en citant Katsushika Hokusai (1770-1849) qui a déclaré sur son lit de mort que si le ciel lui avait accordé dix ans de vie de plus, ou même cinq, il aurait pu devenir un véritable peintre. Le lecteur espère de tout cœur que le ciel accordera bien plus d’années de vie encore, à Edmond Baudoin.
Commenter  J’apprécie          260
La traverse

S’étonner de tout le chemin parcouru à pied et s’étonner de celui qui reste à faire.

-

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication initiale date de 2019. Elle a été réalisée par Edmond Baudoin & Mariette Nodet pour l’histoire, et par le premier pour les dessins. Ce récit est en noir & blanc et compte environ cent-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte introductif d’une page qui n’est pas signé (mais vraisemblablement de la main de l’autrice), évoquant les rails, les lignes de nos vies, et ces traverses qui relient les vies entre elles, comme ce livre.



En première page, Edmond est assis à même le sol et indique en guise de présentation, qu’il ne sait plus combien il a fait de livres et qu’il n’a pas envie de compter, mais toujours celui qu’il fait est le premier. C’est au tour de Mariette de se présenter, elle aussi assise à même le sol : elle est ici dans sa montagne immuable, il est là-bas au milieu de tellement de gens, pourtant elle ressent, pour eux deux, une même énergie, une action constante. Ce qui les différencie vraiment, c’est le silence. Les crêtes d’une chaine de montagnes en Himalaya. Le silence est dans sa vie comme un ami. Elle le regarde comme empreint de liberté et de joie. Plus elle avance dans sa vie, plus elle marche dans les hauteurs, plus elle est certaine de cela : le silence est une présence joyeuse aux choses, il la façonne comme un artiste amoureux. Le silence, l’horizon qui en cache un autre, et la solitude. Elle aime ressentir l’existence du tout qui n’a aucune intention, et elle partie du tout. Pouvoir porter le regard au loin est une manière sans réfléchir de comprendre sa place dans ce monde. Être là, rechercher cet état l’aspire et l’éloigne du précipice dans lequel elle est tombée un jour. Elle se tient assise sur le bord d’une falaise à pic, son esprit s’envolant comme une forme d’aile issue de la transformation de sa tête.



Toujours le regard porté vers l’horizon, avec des crêtes à perte de vue et dans le lointain sur sa droite, un rapace en plein ciel, elle continue de laisser les pensées venir à elle. Depuis ce jour, elle fait toujours le même cauchemar, celui de son enfant qui tombe de la falaise. C’est peut-être la peur de la perte du dernier être important pour elle. Mais elle est bien ancrée, et c’est plutôt elle qui tombe sans fin. En baissant un peu le regard, les pentes des montagnes s’imposent à elle. Est-ce pour sortir de cette chute dans le précipice qu’elle retourne sans cesse sur son bord ? Elle avance, elle ne peut que ça, et c’est ça qui la sauve. Rester immobile, être au fond de la vallée, c’est avoir froid, c’est avoir l’horizon bouché. Il y a toujours un col à atteindre pour aller plus loin. Mariette a repris sa marche dans cette zone de haute montagne, sur les crêtes. Elle éprouve la sensation que des rochers la survolent. Être là en montagne comme en soi-même, mettre un pied devant l’autre, jouer avec le relief, toujours dans le déséquilibre de la marche, transpirer, parfois grimper ou désescalader, chercher l’itinéraire.



Pas de présentation en quatrième de couverture, une couverture énigmatique avec cette personne sur une hauteur rocheuse contemplant la montagne devant elle, avec sa tête mangée se confondant avec l’ombre d’une pente, ou semblant partir en fumée. Le lecteur peut y voir comme un écho visuel de la couverture de Le chemin de Saint-Jean (2002) de Baudoin, où l’auteur se représente assis sur des pierres, avec un rocher flottant là où devrait se trouver sa tête. En fonction de ses affinités électives, le lecteur peut être venu à cet ouvrage en amateur transi des œuvres du bédéiste et se demander avec qui il s’est acoquiné, ou avoir été attiré par le nom de cette grande randonneuse en montagne, ancienne championne de ski télémark et pigiste pour des revues de montagne. Dans les deux cas, il ne dispose pas de moyens de savoir qui a apporté quoi à l’ouvrage et dans quelle proportion. Il découvre ce texte sur la métaphore des traverses, la page de présentation de Baudoin, puis celle de Nodet, très succincte l’une comme l’autre. Vient un dessin de flanc de montagne en illustration pleine page, sans texte, avec des coups de pinceau à la fois spontanés, à la fois capturant avec une précision surnaturelle l’impression que produit la montagne. Le lecteur découvre ensuite une succession de sept illustrations en double page, toutes consacrées à la montagne de haute altitude, avec les pensées de Mariette, entre réflexions organisées et flux libre. Page d’après, trois personnages assis sur une grande banquette semi-circulaire en train de consulter des cartes à même le sol, et, pour la première fois, des phylactères. Puis une illustration pleine page sans un mot.



C’est reparti pour le voyage en montagne, cette fois-ci dans un lieu identifié, à partir de Ladakh, une région du Tibet qui forme un territoire de l’Union indienne. À l’évidence, Mariette Nodet évoque le drame qui frappé sa vie, et un voyage en particulier, accompagnée de sa fille, émaillé de réflexions sur ce que lui apportent la montagne et le silence, sur sa soif de sortir de sa zone de confort pour rencontrer des étrangers au mode de vie radicalement différent du sien. À chaque page tournée, le lecteur découvre une autre vision à couper le souffle de la montagne, avec ou sans êtres humains, comme si l’artiste dessinait le paysage pris sur le vif. Baudoin lui-même n’apparaît que peu : en première page pour se présenter en deux phrases lapidaires, page vingt en train de regarder des cartes avec Mariette et Lou, puis de manière un peu plus régulière à partir de la page trente-cinq, toujours dans de brèves séquences d’une ou deux pages, et en nombre beaucoup plus petit que celles consacrées aux deux femmes. Le lecteur relève plusieurs thèmes évoqués au fil des pages : le silence, l’attrait du vide, le plaisir de se projeter dans un voyage en consultant des cartes, le dépouillement du mode de vie dans le Ladakh, l’étrange communion qui s’installe avec les guides lors de la randonnée et même temps que la distance infranchissable qui sépare européens et tibétains, l’artificialité d’une frontière par rapport à la réalité géographique, l’écart entre carte et territoire, l’effort physique de la marche en montagne en même temps que son rythme hypnotique, l’altérité de tout autre être humain, la disparition définitive de tout individu décédé.



Le lecteur peut s’en tenir là : une randonnée en haute montagne un peu exotique, avec des illustrations rudes et évocatrices, et de temps à autres les souvenirs du bédéiste resté dans le Var vaguement rattachés au fil principal par le thème de l’étranger, de l’altérité et de la mortalité… En fonction de son histoire personnelle, le lecteur prend conscience qu’un élément ou un autre de cette œuvre lui parle avec acuité : une remarque en passant sur le rapport au silence, à la solitude, sur l’envie de découvrir l’altérité de l’autre pour se décentrer de sa vie et de son enfermement mental, sur le plaisir de lire une carte, de découvrir la réalité du territoire (remarque qui renvoie à l’aphorisme d’Alfred Korzybski : une carte n'est pas le territoire qu'elle représente), etc. Ces réflexions lui parlent alors, révélant la richesse d’une expérience de vie, pas juste une collection de remarques superficielles prêtes à penser : elles sont l’expression des acquis de l’expérience de l’autrice, de son cheminement personnel, pas des recettes artificielles prêtes à l’emploi de développement personnel. Comme elle l’écrit, Mariette Nodet a éprouvé ces sensations, ces découvertes : Sortir de la carte, ne plus avoir la sécurité des courbes et des noms, franchir une frontière. Quitter le trop plein de ce côté-ci et aller vers le néant de ce côté-là. Un pied dans le jour et un pied dans la nuit. Accepter le risque de l’inconnu, du hors-soi. Et, jour après jour, se rendre compte que c’est là, dans ce hors-soi, que l’on vit pleinement !



Le lecteur peut également éprouver la sensation de cheminer en montagne aux côtés de la mère et de la fille : il voit des paysages de montagnes à la fois concrets et uniques, par les yeux de la personne qui s’y trouve, avec sa perception. C’est un tour de force impressionnant que réalise Edmond Baudoin car il n’a pas fait ce chemin, il n’a pas accompagné les deux femmes, et pour autant chaque représentation apparaît authentique, avec la même âpreté que les représentations de Jean-Marc Rochette dans ‎Ailefroide : Altitude 3 954 (2018). Peut-être a-t-il travaillé d’après photographies, certainement en étroite collaboration avec l’autrice, totalement à son service. Il partage avec elle l’appétence pour l’énergie, la volonté passée à vouloir exister, un regard sur la vie, sans aucune animosité, aucune critique, une espèce d’attention intérieure. Cette communauté d’esprit aboutit à un ouvrage qui semble avoir été réalisé par une seule et même personne, avec la narration visuelle si personnelle et si particulière de Baudoin, avec l’expérience de la montagne de Nodet, une création fusionnelle, une façon d’habiter le monde très similaire.



Une collaboration entre Edmond Baudoin et une ex-championne de ski amoureuse de la montagne : une narration qui semble totalement issue du premier et réalisée par lui dans cette bande dessinée au format libre. En même temps, la transmission de l’expérience personnelle de la seconde d’une randonnée au Ladakh et d’un deuil. Une communion d’esprit organique pour une façon peu commune d’habiter le monde, de repousser symboliquement les frontières, de faire l’expérience que l’imagination ne pourra jamais embrasser la beauté et la complexité de la réalité, d’emprunter les chemins que l’on connaît, ceux qui relient les hommes aux hommes, de la manière la plus évidente. Des instants magiques.
Commenter  J’apprécie          262
Les enfants de Sitting Bull

Mais désigner une victime, n’est-ce pas aussi grave que de la tuer ?

-

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, une biographie parcellaire du grand-père paternel de l’auteur. Sa première publication date de 2013. Cette bande dessinée est l’œuvre d’Edmond Baudoin, pour le scénario et les dessins, les couleurs. Elle est en noir & blanc et compte quatre-vingt-sept pages.



Sur la photo : l’arrière-grand-père d’Edmond Baudoin. Il ne sait pas qui est la femme, pas la sienne. Son arrière-grand-père est morte jeune. C’est peut-être Son arrière-arrière-grand-mère ? Son grand-père Félix est né sous le règne de Napoléon III, en 1863. À la Trinité-Victor, près de Nice. Félix se souvenait d’avoir assisté à un passage de prisonniers de guerre allemands. La guerre de 1870. Il est mort à 96 ans, il avait 17 ans. Son père, veuf très tôt, avec une fille et deux garçons, savait bien mieux distribuer les coups que les caresses. Félix est allé à l’école, celle du curé, c’était la seule. Il a appris un peu de latin et la certitude que Dieu n’existe pas. Le reste du temps, il courait dans les collines avec des collets pour piéger les lapins. Et, pressé de quitter la maison familiale, il s’est engagé à Nice comme mitron chez un boulanger de la rue Pairolière. De temps en temps, tout en livrant, il faisait un détour par le port et ne se lassait pas de regarder les bateaux partir. Il avait 12 ans. À force de regarder les bateaux, il a fini par embarquer sur un voilier en qualité de mousse.



Le père Jean Baudoin raconte la suite à ses deux enfants Piero et Edmond qui dorment dans le même lit : les mers, les océans, c’est immense. Les bateaux ont emmené leur grand-père sur la mer de Chine, la mer Rouge. Il a fait deux fois naufrage sur les côtes d’Amérique. Il sait qu’une fois c’était à Valparaiso, une ville du Chili. Ils ont peut-être remarqué la peau du visage de pépé, toute martelée de petits trous. C’est à cause de la variole. Félix l’avait attrapé à la Havane, à Cuba. Il a été attaché à un mât du navire pour qu’il ne se gratte pas. On lui donnait la soupe au bout d’un bâton pour ne pas être contaminé. Il a guéri tout seul. Avec son frère, Edmond écoutait Jean, leur papa qui leur racontait la vie de son papa Félix. Ils ne savaient pas si tout était vrai, ils n’osaient pas demander au grand-père, sa barbe blanche et ses yeux transparents les impressionnaient beaucoup trop. Mais, bien plus tard, ils ont fait des recherches, ils ont questionné des oncles et des tantes. Et la saga de Félix s’est confirmée, avec des compléments d’aventures encore plus extraordinaires. Leur grand-père s’est alors engagé sur un baleinier. Félix était jeune, léger et fort, il travailla donc dans les voiles. Et sur le baleinier on lui donna le poste de vigie. Il ne tua donc pas de baleines avec ses mains. Mais désigner une victime, n’est-ce pas aussi grave que de la tuer ? Les conditions de vie étaient infernales à bord et pour éviter les désertions, le baleinier n’accostait que dans les îles. Heureusement une grave avarie contraignit le navire à entrer dans un vrai port. Et presque tout l’équipage, dont Félix, se libéra.



Pour ceux qui en ont déjà lu, ouvrir une bande dessinée de cet auteur contient toujours l’assurance de retrouver ses idiosyncrasies narratives, et de découvrir un récit totalement original et différent de toutes ses autres œuvres. Dès la première page (numérotée trois), il constate que ce bédéiste impose son approche de la narration mêlant texte et image, sans contrainte de devoir s’astreindre aux usages ou aux habitudes d’une bande dessinée. Cette page comporte une seule case de la taille de la planche, composée d’une photographie retouchée, celle de l’arrière-grand-père avec peut-être l’arrière-arrière-grand-mère, un pavé de texte en haut à gauche, six mots au milieu à droite pour situer la ville, et un dessin en bas à droite de La Trinité-Victor, apparaissant comme si cette partie se trouvait en-dessous de la photographie dont le coin aurait été déchiré. Chacune des deux pages suivantes se compose uniquement de deux cases de la largeur de la page avec du texte apposé en-dessous. Puis vient une peinture en pleine page, suivie par deux cases en noir & blanc réalisée à l’encre.



Tout du long du récit, le lecteur découvre des mises en forme attestant de la liberté de narration de l’auteur. D’autres photographies : une prise devant la maison de Nice avec le grand-père Félix, le père Jean et les frères Piero et Edmond, une de Félix en tenue militaire de la marine des États-Unis en 1887, le bâtiment le Lancaster de la marine militaire, les documents américains du service de Félix dans la marine, une photographie de famille avec quinze membres de la famille Baudoin. De très belles peintures, en particulier des marines avec le navire sur lequel se trouve le grand-père à ce moment-là de sa vie et de très belles représentations vivantes de l’océan, une magnifique plage non loin de San Francisco lors du deuxième naufrage, un portrait de plein pied avec Sitting Bull et Buffalo Bill côte à côte, une vue à couper le souffle de Félix sur un hauban du pont de Brooklyn en cours de construction, une cérémonie indienne animée par Sitting Bull, etc. Régulièrement le lecteur éprouve le plaisir de découvrir une autre mise en forme pour mettre en valeur le moment correspondant : les dessins en noir & blanc à l’encre pour rendre compte de la représentation un peu vague du moment dans l’esprit des enfants, des représentations de type rupestre de bisons pourchassés par un cow-boy sur une grande plaine verte, un indien sur son cheval avec une parure représenté dans une veine expressionniste pour faire ressortir sa dimension sacrificielle, un fac-similé d’affiche pour annoncer l’arrivée du cirque de Buffalo Bill (Wild West and Congress of rough riders of the World), une case reprise d’une autre bande dessinée de l’auteur (Couma acò, 1991), des interprétations d’art des Premières Nations (La mue du hibou de Pitaloosie Saita, Ève et le serpent de Pitseolak Ashoona, À portée d’arc-en-ciel de Napachie Pootoogook, Oiseau aux ailes déployées de Lucy Qinnuayuak), une aventure de sept page de l’Inuit Rouge Gorge dessinée comme des pages franco-belge traditionnel. Avec le recul, le lecteur se rend compte l’artiste évoque ainsi comment l’art des Inuits a nourri ses propres représentations. Il a également utilisé une page de texte sans aucun dessin.



Sous réserve qu’il accepte de tenter l’aventure de lire une telle bande dessinée oscillant entre texte illustré et narration d’une action en plusieurs cases, le lecteur découvre donc la biographie de Félix Baudoin, factuelle chaque fois que l’auteur a pu en vérifier la réalité historique, teintée de ses souvenirs de temps à autre. La vie de cet homme l’a amené à bourlinguer à partir de douze ans, à rencontrer Sitting Bull (1831-1890, Taureau assis ou Bison qui s’assoit), William Frederick Cody (1846- 1917, Buffalo Bill), et même à fonder une famille. Baudoin évoque rapidement sa vieillesse, la rencontre entre ce grand-père et John Carney (dont il a évoqué la vie dans Couma acò, 1991). Puis la bande dessinée continue sous la forme d’une page de texte dans laquelle l’auteur fait le constat que cette collection de faits ne peut pas rendre compte de l’expérience de la vie de Félix Baudoin : la réalité de son quotidien (par exemple les douleurs corporelles accompagnant de longues chevauchées, ou le froid et la solitude de nuits à la belle étoile), ni de ses actes. Cette histoire est trop didactique à ses yeux. Son grand-père n’a pas tué de baleines, mais il remplissait le rôle de vigie : désigner une victime, n’est-ce pas aussi grave que de la tuer ? Il a peut-être participé à des atrocités, contre les Indiens, violé des Indiennes ? Suit alors une deuxième partie de seize pages dans laquelle Edmond évoque une facette de son séjour au Canada : la découverte des arts des Premières Nations, sa rencontre avec Doreen Stevens, artiste algonquine de Kitiganzibi, la découverte de la région de l’Outaouais au Canada, du canton de La Vérendrye, d’une longue marche dans une zone naturelle, également évoquée dans Les essuie-glaces (2006). Puis il parle des pensionnats pour autochtones et des décisions de Duncan Campbell Scott, surintendant général des affaires indiennes du gouvernement, pour se débarrasser du problème indien. Enfin le lecteur découvre une aventure de Rouge Gorge, Inuit, défendant sa tribu contre les colonisateurs, à la manière d’une aventure de Jerry Spring, une forme de juste retour des choses, mais aussi une aventure en miroir pour montrer comment les vainqueurs accaparent le récit culturel.



Comme à son habitude, Edmond Baudoin se lance dans une aventure narrative : cette fois-ci une biographie d’un membre de sa famille. Il fait preuve de rigueur en précisant ce qui relève des faits vérifiables, ce qui relève de la tradition orale de sa famille, ce qui relève de son ressenti. Il raconte visuellement cette histoire avec sa personnalité entière, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une bande dessinée traditionnelle, que parfois le lecteur pense plus à un texte illustré, mais la narration visuelle ne peut pas non plus être réduite à ça. Qu’il s’agisse de tableaux en peinture directe ou de cases qui semblent avoir été griffonnées à l’encre, les images disent beaucoup de chose, toujours porteuses du point de vue de l’auteur. Après s’être contraint à rester dans le domaine de la biographie pure, Edmond Baudoin fait le constat que le récit qui en découle est trompeur par omission, ou plutôt s’avère frustrant par ce qu’il ne dit pas. Il relate alors sa propre découverte du Canada et de l’histoire des Premières Nations dans laquelle son grand-père a joué un petit rôle, celui d’un aventurier comme tant d’autres. Le tome se clôt avec une bande dessinée d’aventure de sept pages, très premier degré, une inversion des rôles entre cow-boys et Indiens qui ne fait pas office de revanche basique, car il s’agit d’une inversion culturelle plus que de domination conquérante.
Commenter  J’apprécie          260
Derrière les fagots

Derrière les fagots est un petit répit autobiographique où Edmond Baudoin revient sur ses publications, les années précédentes chez Futuropolis. Quelques récits écrits en prose, quelques esquisses et quelques extraits, il dévoile sa façon de faire, graphisme, inspiration, on découvre son aspect brut et libre, sa presque improvisation.

Quatre petites planches inédites en introduction en disent tellement sur lui, l’air de rien, il se représente dessinant et se retrouve le pinceau à sec, sa tête sert d’encrier à un autre lui-même : “il n’y a plus d’encre”. Je l’ai rencontré lors d’une séance de dédicaces où j’ai pu découvrir sa technique : Il n’a comme outil qu’un petit pinceau à moitié déplumé, et il l’encre à l’aide d’un morceau de coton imprégné d’encre de chine, enserré dans une petite boite. Le pinceau glissait sur la feuille avec une gestuelle chorégraphique, une transe chamanique, il dansait et l’image apparaissait comme au révélateur photo, et l’encre tarissait, le geste continue malgré le pinceau à sec, n’imprégnant plus rien sur le papier, pourtant l’image semble continuer à se dévoiler. C’est un peu ça, Edmond Baudoin, l’encre est dans sa tête, le geste de la main prolonge son esprit schizophrène, c’est un petit bonhomme au physique tout sec, qui semble avoir laissé couler toute sa substance sur des feuilles de papier pour qu’on le découvre enfin libéré dans les pages de ses bandes dessinées. L’instant où il dessine est une chorégraphie, le résultat nous apprend à la lire, à l’imaginer car cela fait aussi partie de l'œuvre.
Commenter  J’apprécie          260
Humains, la Roya est un fleuve

Baudoin & Troub's, comme ils se présentent en couverture de cette BD hors du commun, reconnaissent qu'ils sont invités partout dans le monde mais que se déplacer comme ils le font est impossible pour un Afghan, un Soudanais ou un Érythréen.



Partant de ce constat, ils sont allés voir sur place, début juillet 2017, près de Nice, dans cette vallée de la Roya, fleuve côtier qui prend sa source en France, passe la frontière et finit son cours en Italie pour se jeter dans la Méditerranée.

Ils rencontrent, se déplacent, découvrent le Pas de la mort grâce à Enzo Barnaba, écrivain et historien qui aide les migrants : « Parce que ça m'énerve qu'on ne puisse rien faire. » Entre Vintimille et Menton, la frontière est là avec son grillage, un trou et la falaise…

À Vintimille, devant la petite gare, la tension est au maximum. Sous la 4 voies, c'est la zone et la Roya est là… Les voilà un peu plus tard avec René Dahon, un des responsables de « Roya citoyenne » qui constate : 180 militaires et gendarmes coûtent 60 000 € par jour et un drône surveille la propriété de Cédric Herrou.

De jeunes Allemands, Hollandais, Suédois, Italiens et Français assurent la cuisine, venant compléter l'action des bénévoles de la vallée : « Ils donnent et n'attendent rien en retour. Cela réconcilie avec l'humanité. » Pour Humains, la Roya est un fleuve, les auteurs rencontrent Claudine dans son gîte, à 1000 m plus Enzo, Andrée et d'autres. Ce sont des Justes.

Les témoignages s'accumulent, ils racontent la Lybie, l'horreur au quotidien. Chamberlain vient du Cameroun où on viole, torture, pratique l'esclavage. Ils font des portraits en échange de réponses : Adam, Abdoul, Manson, Khalil, Abdoul, Albert (Sierra Leone), Adam, Kedir, Sherif Alan, Abdala, Yah Ya (Soudan) et bien d'autres venant aussi du Tchad. Leurs yeux sont émouvants. Il faut les regarder et le dessin leur redonne vie et espoir…

Cédric Herrou explique à tous les démarches à faire et recommande de ne pas mentir à la PADA (Plate-forme d'accueil des demandeurs d'asile). Au col de Fenestre, un panneau rappelle « La memoria delle Alpi », en mémoire de centaines de Juifs qui fuyaient la France, en septembre 1943…

Le 15 août 2017, des demandeurs d'asile ont été ramenés en Italie. Sur ordre de qui ? Gedo Abdalha, poursuivi dans la montagne par la police, a fait une chute et se retrouve à l'hôpital. Malgré toutes ces épreuves, ils disent tous : « Si c'était à refaire, je le referais. »

Jeudi 31 août, le Tribunal Administratif de Nice juge que : « L'administration porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile. »

Hélas, quelques mois plus tard, d'autres drames se produisent au col de l'Échelle et c'est un poème de Lou Nodet (12 ans) qui conclut ce livre aux dessins précis, vagues parfois, évocateurs surtout, des portraits émouvants, des vies saisies au hasard d'une rencontre, des humains qui ne demandaient qu'une chose : qu'on les traite comme des êtres humains !

Heureusement, ces Justes du XXIe siècle sont là, magnifiques de désintéressement. Ils sauvent, aident, secourent, nourrissent et rassurent d'autres Humains.



Un Grand Merci à Simon pour m'avoir fait découvrir cette BD si importante.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
Commenter  J’apprécie          262
La peau du lézard

Dans La peau du lézard, Edmond Baudoin nous raconte une histoire d’amour, mais c’est son côté anticonformiste qu’il met en avant, en proposant une romance entre personnes de plus de 60 ans dans un village rural de la fin des années 60. Le récit n’est ni frondeur ni subversif, au contraire, il est centré sur les sentiments, la sensualité, c’est à fleur de peau. Pour faire ressortir la sensibilité, il utilise un coup de pinceau vif, brusque, gestuel, furtif et léger comme un secret qu’on se dit à l’oreille, une manière de montrer que ce qui est mal vu par les conventions est juste effleuré, suggéré, mais qu’il reste beau et sensuel. Ce n’est ni sirupeux ni tapageur, pourtant il ne nous épargne ni la tendresse et la sensualité d’un côté, ni la violence et les bassesses de l’autre. J’ai été touché, ému, mais, c’est là toute la force de l'œuvre d’Edmond Baudoin, tout se tient grâce à la puissance et l’énergie toujours sous tension du coup de pinceau qui raconte déjà tellement à lui seul.
Commenter  J’apprécie          251
Les essuie-glaces

Des gares et des trains pour aller dans des pays et des histoires qui n’existent plus.

-

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, avec une référence en passant à Le chant des baleines (2005). Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2006. Cette bande dessinée a été réalisée par Edmond Baudoin pour le scénario, les dessins, et les couleurs et elle compte cinquante pages. Elle a été rééditée dans Trois pas vers la couleur avec Les yeux dans le mur (2003), et Le chant des baleines (2005).



Edmond sort de son appartement et marche dans le couloir. Il ouvre la porte des escaliers et commence à descendre, les marches étant comme suspendues dans le vide. Bientôt, il n’y a plus de rampe ni d’un côté, ni de l’autre, et les marches flottent dans l’air, disposées de manière irrégulière. Un peu plus bas, elles se transforment en traverses et soutiennent deux rails débutant dans le vide. Il se retrouve à proximité d’une gare et finit de marcher à côté des rails jusqu’à rejoindre le quai. Affalée sur un wagon plat, se trouve une jeune femme blonde, en jean, avec une chemise bleue et une doudoune rouge. Edmond la salue, elle lui retourne son bonjour amicalement. Il lui demande si elle attend un train, pour aller à son mariage. Elle répond : oui pour le train, non pour le mariage, juste pour aller n’importe où, loin d’ici. Lui ne sait pas trop ce qu’il fait là, comment il est arrivé là, et il lui semble qu’il a déjà vécu cette scène, avec elle, dans cette gare. Elle répond : tout le monde attend un train dans des millions de gare.



Les pensées d’Edmond vagabondent : Il y a des êtres avec qui on est bien tout de suite, c’est inexplicable. Dès qu’on les voit, on sait qu’on va être bien avec eux. Cette évidence n’est pas vraie qu’avec les humains, elle est vraie avec les chiens, les chats, les ânes, les chèvres… Avec les oiseaux, c’est plus difficile, mais avec les plantes ça marche. Il y a des arbres qu’on aime au premier degré. Est-ce cela qu’on appelle coup de foudre ? Découvrir quelqu’un avec qui on est bien dans l’instant du premier regard, avec qui on se sent bien tout de suite, avec qui on a envie de rester ? Mais cette expression, le coup de foudre, ne lui convient pas. S’il reçoit la foudre, il meurt, alors que dans cette belle rencontre, au contraire, il a un désir de plus de vie. La conversation continue entre Edmond et la jeune femme. Il a une sensation d’irréalité, comme quand on sort ou qu’on entre dans un rêve. Et puis quand il l’a rencontrée, il était sur le point de se réveiller. Elle continue : il ne peut pas se réveiller, parce qu’il est trop léger. Il ne reste que sur la surface de la vraie vie. Elle l’a vu arriver : il marchait sur les rails, comme un équilibriste sur un fil. Il est un rêveur. Elle lui demande de lui raconter une histoire. Il essaye. Il lui semble qu’il a eu plusieurs vies. L’une d’entre elles, il l’a vécue au Québec. L’hiver est là-bas comme une longue paix… ou une longue guerre. Le printemps venait. Celui-ci voulait dire la fin de son séjour dans ce pays du nord de l’Amérique.



En route pour un nouveau voyage avec ce créateur à la personnalité unique : Edmond Baudoin. La structure des souvenirs s’avère singulière : un rêve (ces marches qui flottent dans le ciel entre le haut étage d’un immeuble et des rails de voie ferrée, une discussion avec une inconnue croisée dans Le chant des baleines, la fin d’un séjour de trois ans au Québec en tant que professeur, un amour à Ann Arbor dans le Michigan, et l’histoire familiale de Jocelyne qui habite à Shippagan, avant de terminer avec une marche dans un grand espace naturel canadien. La composition d’une bande dessinée de Baudoin tient toujours du numéro d’équilibriste, entre un fil directeur solide et une sorte de transe ou de fugue mentale venant accrocher ses souvenirs sur le fil directeur, pas forcément dans un ordre chronologique, parfois plutôt de façon thématique. Or, ici, passée la séquence d’introduction l’ordre suit la chronologie du voyage d’Edmond et de ses amis, avec de temps à autre un échange entre la jeune femme blonde et Edmond sur le quai, jusqu’à la bifurcation sur Neige à Ann Arbor, à quelques pages de la fin. D’un autre côté, l’auteur reprend le principe de son ouvrage précédent Le chant des baleines : Edmond voyage, parcourt des kilomètres, et il déroule en parallèle son flux de pensées. Dans le présent ouvrage, ce dispositif est encore plus appuyé : en bas de trente-deux pages sur cinquante, se trouve un petit bandeau indépendant des bandes de cases, avec un texte se suivant d’une page sur l’autre exprimant les réflexions de l’auteur sur la notion de coup de foudre, de continuité dans une vie, débouchant sur une autocritique de ses propres réflexions.



Dès la première scène l’auteur joue avec le lecteur : Edmond rencontre cette jeune femme blonde sur le quai d’une gare déserte, à l’abandon et il l’avait déjà croisée dans Le chant des baleines en planche 15. Elle lui avait répondu qu’elle attendait un train pour aller à son mariage. À une quinzaine de pages de la fin, il indique qu’en Amérique, à Hull, il y avait Céline aussi, la première année. Il ajoute : Céline avec qui j’ai fait un livre, Les yeux dans le mur. Il rattache ainsi le présent récit aux deux autres avec lesquels il est réuni dans Trois pas vers la couleur, constituant ainsi une trilogie thématique : l’inspiration par une muse, le travail sur le souvenir et la mémoire, la distorsion de la forme narrative, en poussant la possibilité de découpler le récit et les réflexions qu’il inspire. À plusieurs reprises, le lecteur se demande quels liens entretiennent le récit de voyage d’Edmond et son flux de pensées courant en bas de page. Mais en parallèle de ça, le récit de voyage suit exactement un tracé que le lecteur peut voir sur une carte : Ottawa, Montréal, Trois-Rivières, l’Île aux grues, Trois-Pistoles, Rimouski, les Appalaches canadiennes, le Nouveau Brunswick, l’Acadie, retraverser le Saint Laurent, Tadoussac, l’île d’Orléans, la ville de Québec. Il y a même une carte en planche 9. Le souvenir de sa relation avec Neige trouve sa source dans un voyage effectué aux États-Unis durant cette période, et l’histoire familiale de Jocelyne se rattache à la genèse de la devise du Québec : Je me souviens. Cette phrase bouclant avec le thème de la mémoire, des souvenirs accumulés. Une fois encore, la prise de recul sur l’ouvrage fait ressortir sa solide structure et sa logique interne, à l’opposé de divagations mises bout à bout comme elles viennent.



Troisième récit en couleurs de l’artiste : Edmond Baudoin la met en œuvre à sa guise, ou selon sa fantaisie, sans trop se soucier des règles en la matière. Le voilà qui avance dans un couloir aveugle, aux parois de guingois, avec des sortes de portes sans poignées. Les contours sont tracés au pinceau, avec une épaisseur irrégulière, parfois un trait fin pour juste une longueur, peut-être tracé à l’encre. La mise en couleurs apporte la texture au mur, l’ambiance à la séquence. Lors de la descente sur les marches flottantes vers la terre ferme, les couleurs s’arrangent en camaïeu de bleu pour le ciel, avec une zone un peu plus foncée pour la silhouette d’une chaîne de montagnes. En bas de la troisième planche, les bâtiments sont plutôt représentés en couleur directe. Il en va de même pour la majeure partie de la gare en planche cinq, mais la partie de droite est délimitée par un trait de contour noir. En planche sept, le premier plan composé des huisseries d’une baie vitrée et d’une rambarde est également réalisé avec des formes détourées d’un trait noir, alors que l’arrière-plan, une vue sur les toits enneigés de la ville est en couleur directe. Avec cette liberté de représentation, l’artiste donne à voir de magnifiques paysages : la descente du ciel, les montgolfières au-dessus d’Ottawa, les montagnes enneigées entre l’habitation d’Edmond et celle de ses amis, une façade peinte à Montréal, un vol d’oiseaux au-dessus de l’île aux Grues (juste des taches blanches se détachant sur le bleu du ciel), un canoë flottant sur un lac, une longue plage caressée par une eau blanche, la traversée du Saint Laurent en transbordeur au niveau de Tadoussac, la silhouette d’un trois-mâts dans une eau et un ciel mordorés, une promenade à pied dans les bois, etc.



Comme d’habitude, Baudoin a sa manière bien à lui de représenter les êtres humains, ou plutôt de les interpréter pour se focaliser sur ce qu’ils ont de vivant, au lieu d’essayer de capturer une ressemblance photographique. Il laisse le blanc de la page pour la peau de la jeune femme blonde sur le quai : celui lui confère une nature quasi spectrale malgré ses vêtements bien concrets. Par contraste, Guy et sa femme Violette apparaissent bien réels, très vivants, ouverts et sympathiques. Laurence reste un peu à distance, une beauté froide, solitaire et ne cherchant pas la présence ou l’attention d’autrui. Chez cet auteur, le voyage n’est jamais désincarné, jamais une succession de cartes postales concoctées pour une consommation immédiate. Les lieux sont habités et prennent leur saveur grâce aux individus qui sont les amis de l’auteur. Celui-ci ne côtoie pas des gens, mais des êtres humains avec leur histoire personnelle, Guy étant par exemple un prêtre défroqué ayant été l’équivalent d’un prêtre ouvrier avec une forte conviction dans Vatican II. En parallèle et en bas de page, court la réflexion de Baudoin sur l’amour, les individus avec qui on se sent bien, la vie qui a amené à de telles rencontres et les souvenirs qu’on transporte avec soi. Il continue sur le regret de ne pas pouvoir recommencer toute relation à neuf, en se débarrassant de ces souvenirs qui incitent à la comparaison avec des relations antérieures, et en même temps qui construisent l’individu, assure sa continuité, les conditions mêmes pour qu’il puisse apprécier la rencontre et la relation qui s’en suit. D’une certaine manière, le lecteur peut éprouver la sensation que ce fil de pensée est totalement dissocié du voyage raconté en BD ; d’une autre, c’est le principe sous-jacent du comportement d’Edmond, et aussi l’aboutissement de son expérience de vie du moment. De la même manière qu’il continue à voyager, sa pensée continue à cheminer. À l’avant dernière page, il se promène en forêt et se retrouve face à un cerf : dans cet instant suspendu dans le temps, le lecteur éprouve l’impression que l’esprit d’Edmond se retrouve également face à un constat trop énorme pour lui. Cette suite logique de moments qui le construit ne laisse peut-être pas tant de place à l’existence d’un libre arbitre, mais l’auteur préfère continuer sa route plutôt que de penser à cette idée comme à une destination.



En lisant ce tome, le lecteur se rend compte qu’il forme le dernier d’une trilogie très lâche, dont aucun tome ne nécessite la lecture des autres pour être pleinement apprécié, mais dans lesquels court une forme de thématique sur le voyage, les points de contact entre les individus et la construction de l’être humain par la succession de moments qui s’enchaînent. De manière imperceptible, parce qu’il le fait tout le temps, Edmond Baudoin expérimente dans la narration visuelle, par la couleur, mais aussi le traitement des formes, et également la relation distendue entre le récit en bande dessinée et les réflexions en texte. Comme d’habitude, une expérience de lecture unique, riche en chaleur humaine grâce à un créateur frère en humanité.
Commenter  J’apprécie          250
Le chant des baleines

Aujourd’hui que sont devenus l’homme au ventilateur, la femme aux seins coupés, l’hôtesse de Tokyo ?

-

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2005. Cette bande dessinée a été réalisée par Edmond Baudoin pour le scénario, les dessins, et les couleurs et elle compte cinquante-deux pages. Elle a été rééditée dans Trois pas vers la couleur avec Les yeux dans le mur (2003), et Les essuie-glaces (2006).



Combien de marins, combien de capitaines, sous la surface dorment les baleines. Edmond se tient sur le pont d’un navire, un mât avec un drapeau juste à côté de l’endroit où il est accoudé au bastingage. Il fixe la ligne d’horizon au-dessus du bleu de l’océan, alors que le soleil se lève, la nuit cédant place au jour. Il s’interroge. Des bouts de phrase qui se répètent et qui fuient dans l’eau noire. Des idées molles englouties dans le remous des hélices. Le jour se lève à la poupe. La nuit s’en va devant. Un homme, c’est un accord de musique. Des milliards d’hommes, des milliards d’accords, tous différents. Qu’est-ce que lui Edmond cherche ? Quelle est sa note ? Son accord de musique ? Qu’est-ce qu’il espère trouver dans ses départs sans arrivée ? Il n’a rien appris de plus que ce qu’il savait quand il a quitté son village. Mais il ne sait plus comment faire machine arrière. Trop de temps a passé. Personne ne l’attend plus nulle part depuis longtemps. Personne, et ça ne lui paraît même plus étrange. Tout lui semble normal. Il a sans doute dépassé la limite. Quelle limite ? Quelle musique ? Quelle musique ? Comment trouver sa note dans cette cacophonie ? Et surtout pourquoi essayer ?



Le navire en a croisé un autre, puis il est arrivé dans le port de la mégapole. Edmond a débarqué et il quitte les quais du port à pied. Il arrive dans le quartier d’affaires avec ses gratte-ciels, ses hommes en costume noir pendus au téléphone, et les femmes en tailleur noir, elles aussi collées au téléphone. Il marche à contre-courant de cette foule. Sur le bateau, un jeune homme lui avait dit que son projet était de se faire exploser au centre d’un centre commercial. Edmond lui a dit d’attendre qu’il n’y ait personne autour de lui. Se faire exploser ou essayer quelque chose comme écouter le chant des baleines, quelque chose comme ça. Entre ces deux extrêmes, y a-t-il un espace ? Les hommes et femmes d’affaires se sont mis à courir et Edmond court dans l’autre sens, sortant de la foule, sortant du quartier d’affaires, arrivant dans un parc, sans s’arrêter de courir. Il pense à une chose lue dans un journal au Québec : une femme s’était fait faire l’ablation des deux seins, de peur, plus tard, d’avoir un cancer. À Chicago, il a vu, sur une affiche, une femme tenant dans ses bras un bébé. Le texte qui accompagnait cette scène expliquait qu’il est important de toucher ses enfants, que le contact avec les parents leur fait du bien. Un soir d’été, à Paris, à la terrasse du café Le Bonaparte, un homme lui a dit qu’il ne pouvait plus dormir depuis que ses riches beaux-parents lui avaient enlevé l’autorisation de voir sa fille âgée de trois ans.



Ouvrir une bande dessinée d’Edmond Baudoin est une aventure à chaque fois, même si le lecteur est familier de son œuvre, de sa manière de dessiner, de ses thèmes de prédilection. La structure de la présente œuvre se dévoile assez rapidement : un voyage réalisé à pied, après la traversée d’océan en bateau. Le personnage ne porte pas de nom, mais le lecteur y voit un avatar de l’auteur. Il avance : au cours du récit, il déclare qu’il souhaite découvrir ce qui se trouve derrière un col, derrière une colline, une montagne, derrière ce qui barre l’horizon. Son interlocuteur lui répond qu’il est allé de l’autre côté et qu’il n’y a rien de plus qu’ici, ce qui n’entame en rien la détermination d’Edmond. Au cours de ce périple, Edmond ne s’arrête que deux fois : une nuit à passer à dormir dans un champ aux côtés d’une jeune femme, un repas partagé avec un couple âgé dans leur maison isolée dans la montagne. Le lecteur a tôt fait de comprendre qu’il ne doit pas prendre ce déplacement continu à pied, au sens littéral : il s’agit d’une métaphore. Le marcheur avance dans la vie et il traverse différents paysages qui sont autant de phases de sa vie. Les dessins montrent littéralement quelqu’un qui va de l’avant, avec des cases majoritairement de largeur de la page. Comme dans la vie, il n’y a pas de retour en arrière possible, l’écoulement du temps ne se faisant que dans un sens.



Une fois que le lecteur a pris conscience de cette métaphore, le principe d’intrigue disparaît : Edmond met en scène son cheminement dans la vie. Il y a donc cette avancée en marchant, en traversant des paysages, parfois en interagissant avec eux, parfois en rencontrant un ou deux êtres humains., une fois une foule, et parfois la solitude. Pendant les cinq premières pages, il n’y a que des cases de la largeur de la page : cela donne plus d’ampleur au paysage dans des images panoramiques. L’artiste réalise ses dessins au pinceau, avec parfois un contour irrégulier, parfois épais, parfois très fin. La première case comprend deux silhouettes de baleine, noyées dans le bleu de l’océan, un équilibre calculé entre représentation et formes abstraites. Baudoin sait très bien jouer des possibilités entre ces deux extrêmes. En planche deux, la case du milieu présente un dégradé de bleu en fond pour le ciel, une grosse masse noire au milieu dans la moitié supérieure, et une forme écrasée brune avec un trait de contour, dans la moitié inférieure. Le contexte, case d’avant et celle d’après, ne laisse planer aucun doute sur ce qui est représenté : le buste d’Edmond vu de derrière. Mais prise à part du flux narratif, cette case pourrait être interprétée différemment, voire rester abstraite. De temps à autre, le lecteur peut repérer une autre case fonctionnant ainsi, mais elles restent assez rares. D’autant plus que la couleur apporte des éléments d’information supplémentaires, entre naturalisme et expressionnisme, qui diminuent d’autant la latitude d’interprétation.



La troisième planche correspond à l’arrivée dans la mégapole, avec ses constructions qui deviennent de plus en plus porche comme dans un travelling avant. L’artiste représente beaucoup plus de choses : les nombreux buildings chacun avec leur architecture propre, les grues, les cheminées d’usine, le dôme d’un édifice religieux, etc. Dans la cinquième planche, le dessinateur réalise une case d’une demi-page permettant de découvrir un quartier de la ville dans une vue du ciel inclinée. La case du dessous montre Edmond, toujours de dos, marchant à contre-courant de la foule, avec le détail des façades d’immeuble, la signalisation verticale et ces individus au visage fermé et aux tenues vestimentaires austères. Par la suite, Baudoin donne à voir les arbres et les bacs d’un parc, un échangeur autoroutier de grande envergure, les vestiges d’une installation industrielle en périphérie, un pont ferroviaire métallique, de grands espaces naturels ouverts, les bâtiments en ruine d’une ville abandonnée, peut-être détruits par des bombardements et des affrontements armés, une guérilla urbaine, la maison à étage en bois du vieux couple, les formations rocheuses que gravit Edmond. De temps à autre, une case provoque de vagues réminiscences chez le lecteur sans qu’il ne parvienne à mettre un nom dessus. Il peut penser à Vincent van Gogh à un moment. Puis, lorsque le personnage traverse la ville en ruine, l’artiste indique par une petite note dans une graphie plus petite et plus légère le tableau dont il s’est inspiré. Il référence ainsi à six tableaux de Francisco de Goya (1746-1828).



Le lecteur relève d’autres références au fil des pages : à une exposition de Zoran Mušič (1909-2005, peintre et graveur), à P.J. Harvey, à Stina Nordenstam, à Billie Holiday, à Pier Paolo Pasolini (1922-1975) au travers d’une citation. Il sourit en voyant mentionnée la chanson Le chien dans la vitrine (1953), de Lise Renaud (1928-), avec les aboiements de Roger Carel (1927-2020), car l’auteur y faisait déjà référence dans Couma acò (1991). Il mention également un séjour au Liban en 1987, et celui-ci avait donné lieux à une histoire courte dans Chroniques de l’éphémère (2000). Mais ces passages s’avèrent également compréhensibles si le lecteur n’a pas connaissance de ces autres œuvres. Avec cette liberté narrative dont il a le secret, Edmond Baudoin semble sauter du coq-à-l’âne au gré de sa fantaisie, comme une sorte d’état de fugue.



Au gré des pages, le lecteur relève des réflexions personnelles sur des sujets comme le rapport au corps, entre la peur du cancer du sein et le réconfort affectif du bébé en contact avec la peau de sa mère, la perception esthétique du sexe masculin, le hasard des rencontres fortuites entre deux étrangers, le souvenir de ses amours passés, le tumulte déshumanisant des grandes foules urbaines, le questionnement sur l’expression artistique (Comment dire, et, surtout, pourquoi essayer ?), le devoir filial vis-à-vis de sa mère, la beauté de la nature, la peur de l’autre lors de la rencontre avec un homme armé. Ce dernier déclare à Edmond : Vous ne devriez pas marcher sans arme, sur cette route. Personne ne le fait, alors ça fait peur à ceux qui vous croisent. Et quand on a peur, on tue. Ces phrases prennent toute leur ampleur quand le lecteur garde à l’esprit que cette route est une métaphore pour la vie. Si parfois, le flux de pensées de l’auteur semble vagabonder en s’éloignant du récit de voyage, il s’avère que qu’il n’en est rien : ce flux se nourrissant des situations, y répondant.



Qu’il ait lu de nombreuses BD de cet auteur ou que ce soit sa première, le lecteur effectue la même expérience unique. Personne ne dessine comme Edmond Baudoin, même s’il ne s’agit que de dessins au pinceau. Personne ne raconte comme lui, même si chaque page se présente sous la forme de cases sagement rectangulaires avec une bordure. Peu d’artistes savent exprimer leur personnalité et leur état d’esprit au travers leurs œuvres, avec la même sincérité, la même honnêteté, la même simplicité que lui. Le lecteur se sent privilégié de pouvoir ainsi accompagner Edmond, de faire un bout de chemin avec lui, de partager sa vie avec une telle générosité.
Commenter  J’apprécie          250
Viva la vida

Merci pour à Presence pour avoir vu passer sa critique de ce scénariste que j'aime beaucoup. Baudoin et Troubs nous offrent une B.D. engagée. Ils sont allés croquer les mexicains et ont commencé par El Paso, ville frontalière du Texas où l'on compte en moyenne vingt meurtres par jour. Descriptions de certains tellement horribles qu'on a du mal à croire que ce sont des humains. le leitmotiv est : quel est votre rêve ? Réponses : travail, sécurité, liberté, manger, un toit, etc. Finalement ce que nous avons à peu près tous en Europe. Courageux et nécessaire ! ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️ ⭐️

Commenter  J’apprécie          253
Le petit train de la côte bleue

Le petit train de la côte bleue est un récit de voyage, entre la bande dessinée et le carnet de voyage. Mais c’est un tout petit voyage, qui va de la gare saint charles à Marseille à Miramas, en passant par le sud, le long de la côte. Le dessin d’Edmond Baudoin est à l’encre de chine, brut, beaucoup de pinceau, un peu de rotring, sans nuances de la vis, des contrastes forts qui transcendent la lumière du soleil du sud. Quelques impressions, quelques rencontres furtives, des lieux pittoresques, quelques beaux points de vue, et d’autres lieux moins bucoliques, des friches industrielles, du béton tagué, des câbles électriques qui barrent le regard, mais toujours cette beauté de la lumière. Il nous raconte ce pays en peu de pages, quelques moments furtifs, la réalité crue. L’art de Baudoin, c’est de montrer sa relation à ce qu’on voit en quelques épiphanies, c’est de nous apprendre à regarder, à apprécier la lumière, les ombres, de saisir de modestes instantanés, de découvrir la beauté dans ce qui est simple, de donner une noblesse à l’anecdotique.
Commenter  J’apprécie          250
Humains, la Roya est un fleuve

Pourquoi vous faites ça ?

-

Cet ouvrage constitue un récit complet indépendant de tout autre. Sa première édition date de 2018. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario et les dessins, par Jean-Marc Troubet (Troubs) et Edmond Baudoin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, comptant 107 planches. Le tome s'ouvre avec une introduction d’une page, rédigé par Jean-Marie Gustave Le Clézio. Il évoque la phrase de Michel Rocard, en 1989, alors premier ministre : la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. L’écrivain pose la question : comment peut-on faire le tri ? Il évoque la situation que les migrants fuient, pas par choix. Il en appelle au pragmatisme : dans l’Histoire les empires fondés sur l’injustice, l’esclavage, sur le mépris n’ont jamais survécu. Il en appelle à agir, : il suffit de renverser le raisonnement, de cesser d’agir sous l’impression d’une menace. Ces deux auteurs ont précédemment réalisé deux autre récits de même nature : Viva la vida (2011) sur les habitants de Ciudad Juárez, Le goût de la terre (2013), sur des habitants de villages dans une zone rurale de la Colombie.



Deux oiseaux sur une branche, l’un d’eux fait remarquer qu’en 2011, ils sont allés au Mexique, en 2013 en Colombie, pour le faire le portrait des réfugiés. Aujourd’hui, c’est ici. Le 2 juillet 2017, Baudoin est en France à Chamonix. Il regarde les nuages. Le glacier des Bossons qui diminue un peu plus. Il regarde le Mont-Blanc. Le 19 juin, il revenait de Chine, en octobre, il va au Québec, le 13 novembre en Angleterre, le 22 en Russie. Il va partout dans le monde. On l’y invite. Pourquoi pour lui c’est possible et par pour un Afghan, un Soudanais, un Érythréen, un… Demain, lundi 3 juillet, à Nice, il va retrouver Son ami Troubs. Ils vont faire un livre qui ne va pas s’appeler Tintin dans La Roya. C’est parce qu’ils ne savent pas qui de eux deux est le capitaine Haddock ou Tintin.



Leur premier rendez-vous est en Italie, avec Enzo Barnabà. Il habite un petit village au-dessus de la frontière : Grimaldi Superiore. Ils ont rendez-vous avec lui à 17 heures, ils sont à Menton à 13 heures. Ils ont le temps. Ils traversent la frontière à pied. Ils ne voient pas de migrants, ou alors ils sont hollandais. Un des policiers italiens, d’un simple coup d’œil et d’un hochement de tête, leur faire signe de passer. C’est comme pour les voitures : elles sont fouillées selon l’aspect (et peut-être la couleur ?) de leur carrosserie. La frontière entre Menton et Vintimille est dessinée sur une crête rocheuse qui plonge dans la mer. Trois routes et une ligne de chemin de fer la traversent. En haut, c’est l’autoroute avec ses deux tunnels, de deux voies chacun qui percent la montagne. Au milieu, c’est par un pont. Il y a un poste de douane de chaque côté, et bien sûr, une boutique détaxée entre les deux. (et même un étal de fruits et légumes sur le trottoir). Des dizaines de T.E.R. et des trains de marchandises empruntent tous les jours un tunnel étroit. La route du bas plonge aussi dans un tunnel. L’ancien poste frontière franco-italien est là : côté français. Et si on suit la côte à pied, on arrive en Italie sur une plage. C’est une jolie petite crique avec un commerce de glaces, de transats et de parasols… un petit paradis estival.



C’est donc le troisième ouvrage réalisé à quatre mains par deux bédéistes : chacun dessinant des planches et écrivant. La différence entre les deux se fait plus facilement que précédemment : par les traits de contour plus épais et plus charbonneux d’Edmond Baudoin, par ses textes écrits en lettres capitales, par les dessins moins chargés de noir de Troubs, et son texte écrit en minuscules. Mais dans certaines pages, le lecteur découvre une autre manière de dessiner qui peut être de l’un ou de l’autre. Cette bande dessinée ne se présente pas sous une forme traditionnelle. Il y a très peu de dialogue, seul moment où les auteurs font usage de phylactères. La composition des pages comporte souvent deux illustrations et du texte à côté, ou au-dessus. Il peut s’agir aussi bien de montrer ce que font les auteurs, par exemple marcher, qu’un endroit où ils arrivent, et souvent des plans poitrine ou des gros plans sur des personnes qu’ils rencontrent, des migrants comme des habitants qui les aident d’une manière ou d’une autre. Comme les deux ouvrages précédents, le lecteur ne sait pas trop s’il s’agit d’une bande dessinée de type reportage, ou plutôt d’un texte illustré savamment composé par les deux auteurs. Peu importe.



Comme ils l’annoncent dans la première page avec ces deux oiseaux sur une branche, Troubs & Baudoin reprennent leur idée d’aller à la rencontre de personnes, et de faire le portrait en échange de la réponse à leur question : pourquoi font-ils ça ? Ils ont retenu de retranscrire majoritairement la réponse des aidants. Ils rencontrent d’abord Enzo Barnabà, un écrivain et historien, qui a longtemps été professeur, et qui leur montre le passage illégal de la frontière, par la montagne au-dessus des tunnels. Les images montrent le visage sillonné de rides de l’homme, les flancs de la montagne, le chemin au milieu de la végétation, trois immigrants, des vêtements au sol. Il y a une forme changeante d’interaction entre texte et dessin : parfois presque une redondance, le texte disant ce qui est montré, parfois une complémentarité sophistiquée, parfois une forme d’illustration accompagnant le texte. Le lendemain matin, le lecteur découvre un autre portrait, celui de Daniel Trilling, un journaliste anglais venu interviewer Enzo sur la question des réfugiés. Puis les artistes et leur guide repartent dans la montagne : les dessins se composent de formes un peu lâches donnant plus une impression qu’une description photographique. En même temps, le lecteur éprouve bien l’impression de voir le paysage observé par Troubs & Baudoin en empruntant le chemin des réfugiés et en regardant vers la mer, puis vers Menton.



Les auteurs font une pause dans leur marche : Troubs est représenté en train de dessiner, dans deux dessins en pleine page, une silhouette assise au loin, puis un peu plus rapprochée dans un paysage naturel. Puis un portrait en plan italien dans un troisième dessin en pleine page. La page suivante passe à Jean-Claude, un ami d’Enzo pour une nouvelle rencontre, un nouveau portrait, et une nouvelle réponse à la question de pourquoi il fait ça. Le deuxième dessin sur cette page est celui presque en ombre chinoise de deux réfugiés se précipitant pour se coller contre la paroi, alors qu’un train vient à passer dans le tunnel. Sur cette page, le texte est largement majoritaire. Ainsi de place en place, les auteurs rencontrent des citoyens investis dans l’aide à ces migrants qui passent proches de leur foyer, dans un dénuement terrible, ayant souffert tout le long du voyage, souvent victimes de sévices, fuyant une situation pire chez eux. Le lecteur fait ainsi la connaissance de Delia, patronne d’un café restaurant, de sa nièce Alexa, de Nazario, de Manuela, de Jacques Perreux, d’Andrée, de François-Xavier un prêtre, de Claudine, de Cédric Herrou, d’un groupe appelé les Vikings composés d’Allemands, de Hollandais, de Suédois, d’Italiens, de Français, et de nombreux autres. À chaque fois, Troubs ou Baudoin en réalise un portrait le plus souvent en plan taille ou en gros plan : des êtres humains normaux et banals qui ne peuvent pas rester indifférents à la souffrance devant leur porte.



Bien évidemment les migrants sont également présents : ils passent et ils reçoivent l’aide des citoyens rencontrés et présentés par les auteurs. Ces derniers en font leur portrait, comme en toile de fond. Puis de la planche 55 à la planche 63, les deux dessinateurs reprennent leurs fonctions avec les portraits échangés contre des réponses. Ils demandent : parlez-nous de votre voyage. Quels sont vos rêves ? Tout du long de l’ouvrage, les auteurs sont marqués par le calme des réfugiés. Lors de cette séance de dessin, ils sont confrontés au fait que les migrants réfléchissent, car il y a tellement de souvenirs qui leur reviennent qu’ils restent muets. Ils préfèreraient prendre le temps d’expliquer leurs histoires parce que parler d’une chose c’est comme nier toutes les autres. Cette séquence est particulièrement émouvante, tout en tenant à distance le pathos. Baudoin & Troubs souhaitent montrer la personnalité de celui ou celle qui se tient devant eux, au temps présent. Baudoin commence par dessiner les yeux, mais ses vis-à-vis évitent le regard. Il insiste en mettant deux doigts dans le siens. D’un coup, ils acceptent le dialogue silencieux et c’est lui qui panique en voyant ce qu’ils lui montrent. Et le lecteur est bord des larmes avec ces simples phrases et le portrait en gros plan de quatre êtres humains.



En choisissant cet ouvrage le lecteur a des a priori diverses et variés, dépendant de sa familiarité avec ces auteurs, avec leur démarche. Il peut être pris au dépourvu par la forme même de ce reportage, une narration qui relève plus du texte illustré, mais avec des spécificités de la bande dessinée, ce qui en fait une forme hybride. Il peut se préparer à côtoyer des drames insoutenables, et une misère humaine étouffante. Ça ne se passe pas exactement comme ça : les auteurs ont à cœur de transcrire la chaleur humaine de leurs rencontres, à commencer par l’humanité des habitants apportant leur aide sous une forme ou sous une autre, sans pour autant les présenter comme des héros, sans la dimension spectaculaire presque inévitable qui accompagne les reportages des médias traditionnels. Il s’agit d’êtres humains refusant de considérer les femmes et les hommes qui fuient leur pays, comme un phénomène de société ou comme des groupes, ou pire encore des statistiques. Au bout de quelques pages, le lecteur ne se préoccupe plus de savoir s’il lit une bande dessinée ou un objet hybride : il ressent à quel point ce mode d’expression permet aux auteurs de restituer ce qu’ils ont vécu, avec honnêteté et fidélité, y compris dans l’expression de leurs ressentis et de leurs émotions, de façon incidente et prévenante vis-à-vis du lecteur. Une réussite extraordinaire.
Commenter  J’apprécie          242
Gens de Clamecy

Il faut croire les choses possibles.

-

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa publication initiale date de 2017. Il a été réalisé par la documentariste Mireille Hannon et le bédéiste Edmond Baudoin. Il s’agit d’une bande dessinée en noir & blanc, qui comptent soixante-dix-neuf planches. Elle s’ouvre avec un texte d’introduction de deux pages, rédigé par Thomas Bouchet, enseignant chercheur en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne, intitulé De barricades en barricades. Ce texte porte sur l’expérience révolutionnaire et républicaine des années 1848-1851. Il comporte cinq parties : le 24 février 1848 la France entre en République, quatre mois plus tard le 26 juin 1848 Paris saigne, six mois plus tard le 20 décembre 1848 un quasi inconnu devient président, dix-sept mois plus tard le 31 mai 1850 le droit de vote est confisqué à des milliers de Français, dix-huit mois plus tard au matin du 2 décembre 1851 le Président assassine la République.



Clamecy. La ville a longtemps été la capitale du flottage du bois de chauffage coupé dans les forêts du Morvan et transporté par voie d’eau en passant par Clamecy jusqu’à Paris. Mais pourquoi Clamecy s’est révoltée en 1851 ? C’est à cause de la République de 48 (1848). En 1848, la deuxième République est instaurée en France. Elle va appliquer pour la première fois le suffrage universel masculin, abolir définitivement l’esclavage dans les colonies françaises, prendre des mesures sociales. Elle va être abolie par un coup d’état le 2 décembre 1851. C’est le futur Napoléon III qui fit le Coup d’État. Ce fut pour beaucoup de Français une grande tristesse. Il y eut des révoltes contre l’abolition de la République. En fait en décembre 1848, Napoléon III n’est pas encore empereur, mais le prince Louis-Napoléon Bonaparte, premier président français à avoir été élu au suffrage universel. Paris-Clamecy, ce n’était pas proche à l’époque des diligences. Pourtant les liens étaient étroits. Avec les travailleurs du bois qui montaient régulièrement sur l’Yonne ravitailler la capitale, les idées de la République étaient largement partagées. Difficile d’imaginer aujourd’hui le climat politique explosif de l’époque. Des millions d’individus accédèrent en 1848 pour la première fois à la parole politique. C’est l’affirmation d’une citoyenneté toute nouvelle qui s’exprime. C’est l’allégresse. Des arbres de la Liberté, bénis par le clergé, sont plantés dès février jusqu’en avril. En 1848, la ville de Clamecy compte 6.200 habitants. Deux arbres de la Liberté y sont plantés : place de Bethléem et place des Barrières. Les républicains fondent des associations, des clubs, des comités qui fonctionnent en réseaux à l’échelle des départements. Des contacts avec Paris et avec les grandes villes sont constitués. À Clamecy, on se réunit dans plusieurs cafés, chez Gannier place des Jeux, et chez Denis Kock dans le quartier de Bethléem. On peut aussi citer le cabaret Rollin en Beuvron.



En compagnie de Mireille Hannon, Edmond Baudoin séjourne à Clamecy. Il réalise le portrait de quarante-quatre Clamecycois en l’échange de leur réponse à la question : quel est votre rêve d’une société idéale ?



La couverture est composée d’une mosaïque de vingt visages, des habitants de Clamecy, commune française située dans le département de la Nièvre, en région Bourgogne-Franche-Comté, comptant environ trois mille cinq cents habitants. L’introduction explique l’expérience révolutionnaire et républicaine des années 1848-1851. Le début de l’ouvrage porte sur cette expérience à Clamecy. Le lecteur se dit que cette partie a été réalisée par la documentariste et que Baudoin a joué le rôle de dessinateur, peut-être en apportant sa touche au texte. Comme à son habitude, il construit ses pages à sa guise, sans se soucier d’une quelconque doctrine en matière de bande dessinée. Ainsi dans les cinq premières pages, le lecteur voit des dessins au pinceau ou à l’encre, avec du texte sur le côté, ou au-dessus, ou en dessous, presque des illustrations montrant les lieux ou les actions, complétant le texte. Puis en pages cinq et six, le lecteur découvre une photographie d’une une du quotidien Le bien du Peuple, et une autre d’une affiche de proclamation du comité démocratique provisoire et permanent de Clamecy, deux documents des années 1850. Puis les pages neuf et dix sont dépourvues de mot, la première comprenant deux cases de la largeur de la page, la seconde une illustration en pleine page de type expressionniste avec le visage d’un homme surimprimé sur le tronc d’un arbre, un cavalier militaire le pourchassant en arrière-plan. Dans les deux pages suivantes, l’artiste se met en scène évoquant deux de ses précédentes œuvres avec Troubs. Puis la page d’après s’apparente à une planche de bande dessinée traditionnelle avec des cases qui racontent une séquence dans une unité de temps.



Sur les soixante-neuf pages de l’ouvrage, vingt-huit sont consacrées à la résistance contre le gouvernement de Napoléon III et la répression que subissent les Rouges : le lecteur y perçoit la voix de la scénariste, même si la narration visuelle, le lettrage sont du Baudoin pur jus. En fonction des séquences, il représente des scènes de combat de rue, une armée en ombre chinoise, un officier en train de lire une proclamation, ou même il intègre une photographie d’une troupe de militaire, faisant usage de sa liberté de forme en termes de narration visuelle. Le lecteur peut ainsi suivre le déroulement de cette deuxième République à Clamecy, la répression qui a suivi, jusqu’à l’amnistie quelques années plus tard. Il sent bien qu’il s’agit du travail de la documentariste, que Baudoin transpose sous une forme condensée et adaptée à la bande dessinée telle qu’il la pratique. Il s’agit d’une reconstitution historique vivante, avec un bon dosage entre les décisions du gouvernement, les événements nationaux, et la vie quotidienne au travers de plusieurs habitants de Clamecy. Le lecteur perçoit bien également l’implication de Baudoin, sa soif de liberté et d’égalité, son refus de l’indifférence, son indignation toujours vivace face aux souffrances des êtres humains qu’il croise et à l’injustice du monde.



Pour la première fois dans ce genre d’ouvrage, Edmond Baudoin inclut l’intégralité des portraits qu’il a réalisés, certainement parce qu’il disposait d’outils de reprographie facilement accessibles pour en faire une copie. Il évoque au début de l’ouvrage les deux autres qu’il avait précédemment réalisés avec Troubs (Jean-Marc Troubet). Viva la vida (2011), à Ciudad Juárez, ville située au nord de l'État de Chihuahua au Mexique, en échange d’un portrait, ils demandaient à leur interlocuteur de leur donne son rêve de vie. Dans Le goût de la terre, en Colombie, en échange d’un portrait, ils posaient la question : donner votre souvenir de la terre. Cette fois-ci, le bédéiste est seul pour recueillir les réponses à la question du rêve d’une société idéale, et seul à réaliser les portraits. Les réponses évoquent les thèmes suivants : l’éducation, revaloriser le travail manuel, la liberté, donner du travail, la fraternité, la disparition de la monnaie, l’abolition de la dictature de l’argent, faire confiance à la jeunesse, que le bien public de tous soit une finalité, un partage plus équitable des richesses du monde, que la Terre ne soit qu’un seul et même pays, la possibilité de se loger, de travailler pour gagner de quoi manger, élever ses enfants, la décroissance, une sobriété heureuse, l’égalité sans racisme, l’honnêteté sans mensonge, le respect entre les gens, l’égalité de droit, moins de misère et plus de solidarité, moins de discrimination, préserver la nature, rêver… Le lecteur perçoit qu’il s’agit souvent de réactions par rapport aux injustices sociales, mais aussi par rapport au fonctionnement systémique du capitalisme, et à des préoccupations plus globales comme le devenir écologique de la Terre ou les conditions de la santé mentale et du vivre ensemble.



Le lecteur considère ces portraits d’inconnus avec leur nom, admirant la manière dont le dessinateur capture leur personnalité tout en étant bien incapable d’établir un lien empathique avec eux, car cela reste des traits noirs sur une page, même s’il est possible de se faire une idée de leur statut social, même si leur regard capte l’attention. Fidèle à son habitude, Edmond Baudoin développe quelques réflexions sur son travail : Chaque visage est comme un nouveau pays, un nouveau voyage. À chaque fois, il lui faut comprendre ce pays étranger, faire venir à la surface de sa conscience ce que cet inconnu éveille en son humanité. La part de soi qui est dans l’autre ; la part de l’autre qui est en soi. Un peu plus loin, le portraitiste continue : Faire un portrait, c’est s’arrêter, arrêter sa fuite en avant, arrêter un être humain parmi sept milliards d’êtres humain, s’arrêter avec un inconnu pas toujours sympathique. Il poursuit : Il est comme tout le monde, il a des a priori. Toujours le modèle regarde son portrait en devenir, il lève les yeux quand le pinceau quitte la feuille. Il y a alors deux êtres humains qui se regardent, deux humains dans un quart d’heure d’intensité, ce n’est pas si souvent.



Un nouvel ouvrage d’Edmond Baudoin, un nouveau voyage en terre inconnu, aux côtés d’un guide familier et bienveillant, pour le lecteur et pour les autres. Le lecteur a bien conscience que le bédéiste n’a pas réalisé cette bande dessinée tout seul, car la partie historique sur le deuxième République française et la répression des Républicains qui s’en est suivi relève plus du documentaire, que des BD habituelles de l’auteur. Cette partie s’avère intéressante et édifiante, rendue concrète et vivante par la narration visuelle atypique. Entre deux phases de l’Histoire, s’intercalent les quarante-quatre portraits, ainsi que deux réflexions sur l’exercice du portrait, et la relation qui s’établit entre artiste et modèle, ce dernier thème étant une constante dans l’œuvre de Baudoin. Le lecteur qui a pu apprécier les collaborations entre lui et Troubs se retrouve fort aise de pouvoir découvrir la galerie complète de portraits, et de voir se dessiner les rêves sociétaux des habitants, et en creux une société éminemment perfectible.
Commenter  J’apprécie          230




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Edmond Baudoin (1308)Voir plus


{* *}