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Citations de Emmanuelle Lambert (82)


Eva absente, il lui gardait son amour ; il avait fait le pari que, depuis la signification secrète qu'il avait accordée au mot de collision, les aléas des événements seraient les échos répercutés d'un chant qu'ils avaient entrepris tous deux, et dont la ligne mélodique perdurerait par-dessus le temps et par de-là leurs deux vies
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« Giono »
On dit de lui, c’est un solaire. Un amoureux des hommes, des bêtes et de la nature, aux jambes plantées droit dans la terre. On dit, Giono, sorcier de la langue, conteur, poète traversé de légendes comme on en racontait au pays lorsqu’il était enfant. Elles sont des temps lointains, des origines où l’on croyait au cosmos. L’homme s’y sentait petit. Posé tout nu sous le ciel étoilé, il était pris dans l’immensité qui l’englobait, l’avalait, le digérait, par-dessus l’espace et par-delà le temps. Alors, nous savions qu’il y avait des choses plus grandes que nous-mêmes, et qu’on entend dans le vent.
Il vient de là, Giono. C’est une image ancienne, une aquarelle aux couleurs naïves et bientôt effacées. Les pieds dans le sol, il tend le menton à l’air du Sud. Les cheveux clairs et ondulés sont peignés en arrière, et pour un peu, pour rendre l’image vraiment parfaite, on lui ceindrait le front d’une couronne de laurier. Ses yeux pâles sont clos. Il renifle la brise qui fuse dans les arbres, là-bas, au pied des montagnes. Les fruits qui, en s’ouvrant, éclatent, il sait les entendre. Il connaît dans sa chair la chaleur qui monte et le tremblement de la colline. Et il écrit.
Il écrit tout, la pierre, la lavande, la terre ocre, les fleurs, les rivières, les bosquets, les bois et les pins odorants, maître en son domaine où s’ébrouent bergers, paysans, artisans, femmes, enfants. Et taureaux, chiens, vaches, moutons, sangliers, poissons, grenouilles, cochons, truies, chèvres, biches, oies, cerfs, loutres, écureuils, loups, chevaux, chats, marmottes, renards, crapauds, lièvres, serpents. Oiseaux, des oiseaux, par milliers. Rien n’échappe à son œil, pas même les fourmis.
Il écrit tant qu’on le croirait fou, possédé par l’urgence de pondre des chefs-d’œuvre à la pelle, l’un après l’autre, telle une déesse primitive engendrant les premiers hommes à la queue leu leu, prêts à partir au combat, lequel, on ne sait encore, il y a toujours un combat à mener pour un homme en vie.
Il écrit des livres pleins ; ils débordent, ils explosent de gros temps qui approche, d’épidémies menaçantes, de maux qui accablent les hommes (inondations, éboulements, incendies), d’arbres qui ploient et de fleuves à franchir, de périples dans la neige, d’échappées sur des toits. D’aventuriers en cape, en canne et en chapeau, de femmes à cheval, de temps lointains, d’histoires d’amour charnel, filial, amical. Chacun est une odyssée, une aventure, une cavalcade. Ces livres agités ne finiront pas sages, endormis sur une étagère. Littéralement, ils déboulent.
On dit aussi, Giono, c’est la beauté de la langue et du chant. On en a les preuves, dans les livres, mais aussi dans les enregistrements. Accent. Débit. Sa voix surgit du passé. Giono a publié son premier livre, Colline, en 1929. C’était il y a quatre-vingt-dix ans.
Les écrivains, alors, avaient dans la gorge la terre d’où ils venaient. Colette roule la Bourgogne, Genet traîne le Morvan, Paulhan pointe, aigu, et les lettrés, les éduqués, déjà n’ont plus d’accent, déjà, après guerre, ils commencent à parler tous pareil. Un jour, ils écriront des livres tout lisses, tout blancs, des livres de culture hors sol et qui seront parfois très beaux.
Lui, il charrie dans sa voix le troupeau des ancêtres et le souvenir des lieux. La brûlure du soleil qui pleut, l’ennui des insectes qui bourdonnent les jours d’été. Et le vent. On ne dit pas que, sur les photos qui nous restent de lui, il nous regarde comme s’il se payait notre tête. Si on l’observe attentivement, on lui trouvera un air à la fois bonhomme et détaché, un air narquois. Mais enfin non, c’est impossible, Giono c’est la poésie, la Provence. Cela, on le dit volontiers. L’Italie. La chaleur. On dit, l’humanité.
Et pourtant, regardez bien ce regard d’amande. Ce nez busqué, ces lèvres minces qui jamais ne sourient en plein. La manière dont il tient le corps en retrait, derrière sa pipe, à demi caché dans la fumée. Ou alors il pose comme l’écrivain qu’il est, mettant ses mains en valeur, et la plume et le sous-main, le bureau, le manuscrit. Le plaid.
Et toujours ce demi-sourire, derrière les lèvres pincées. Tendez l’oreille, vous l’écouterez nous dire : « Vous en voulez, de l’écrivain ? En voici. » Oui, on ne le dit pas, mais on dirait bien qu’il se fout de nous.
Son air faussement aimable me confirme dans mon tempérament méfiant. Il me semble en effet que la première disposition à avoir, lorsqu’on s’attaque à l’œuvre d’un écrivain, est de tenir l’écrivain lui-même à bonne distance. Surtout s’il sourit comme ça.
Pour l’exposition qui m’a été commandée, j’ai un but, un « agenda » comme disent les Anglo-Saxons, en ajoutant un soupçon de sournoiserie (ou de stratégie) à l’affaire : rendre intelligible le sujet Giono, mettre un ordre dans le désordre de l’écriture, les contradictions des déclarations, les images successives, les témoignages. Composer avec le bruit du temps et de la postérité. Tracer une ligne ou un propos, offrir aux autres une vision et leur faire saisir le mouvement de la création, la beauté du style et la chair de l’homme qui a écrit.
Il peut bien continuer de sourire, il n’est là qu’en pensée, s’amusant par-dessus mon épaule. Il est mort voilà cinquante ans.
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Toujours , il est furieux que la réalité l'entrave, plein de haine pour cet oncle épouvantable [Frère de la mère de Giono, qu'il a accueilli sous sous son toit ] qu'il souhaite tuer à coups de poings, , tant il est odieux. Plein de ressentiment envers sa mère, dont il décrit toute la famille, elle incluse, comme d'"horribles gens". Il les rend responsables des malheurs de son père, leur attribuant l'instinct mauvais des médiocres qui, terrassés par la bonté, l'aspirent jusqu'à ce qu'elle retombe , vide et inanimée, comme une chrysalide sèche.
il résume la chose en trois coups de canif : " Il était bon. Ils l'ont su très vite. Il a été perdu.
On sait que son père lui manque, même si jamais il ne l'écrit. (p. 113)
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Cependant beaucoup vous connaissent vraiment, beaucoup vous ont lu, beaucoup vous aiment avec la ferveur et la candeur qu'on a pour l'auteur connu dans l'adolescence, lorsqu'on se cherche, qu'on rêve ou qu'on s'ennuie. Eux, ils vous aiment vraiment, ils disent votre gloire et offrent à d'autres les livres qui les ont transformés. (p. 63)
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c'est que vous, le lecteur de Faulkner et de Virgile, avez réussi une chose merveilleuse et que l'époque depuis laquelle j'écris peine parfois à concevoir. Vous êtes un écrivain profond et complexe. Et vous êtes un écrivain populaire, vous qui venez du peuple.Cela tient davantage à la part rayonnante de vos livres. Celle où l'on sauve les gens, où l'on se propulse dans le passé, au soleil de l'Italie, et où l'on plante des arbres. Les écrivains populaires sont-ils davantage tournés vers le bien ? De ce point de vue, Camus fait encore des ravages. (p. 62)
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Il ne me la fera pas. Je vais le lire et je vais le prendre, par tous les livres et par toutes les lignes, et j'irai le chercher dans ses contradictions et ses délires, dans son moi d'écrivain qui se dérobe car je sais qu'écrire, c'est toujours se mettre à l'abri de son oeuvre, même si l'on affecte de se dévoiler. (p. 34)
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Giono a publié son premier livre, -Colline-, en 1929. C'était il y a quatre-vingt dix ans.
Les écrivains, alors, avaient dans la gorge la terre d'où ils venaient. (p. 13)
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Ce livre n'est pas un livre de deuil. Le deuil, c'est après. Il travaille votre être, votre corps, vos rêves et peut vous arracher à la vie présente. Si l'on y sombre, on erre pour le restant de sa vie, contemplant les vivants de loin, sans désir aucun de les rejoindre. On est mieux avec ses morts, dans une éternité douce de chagrin. Les sensibles, les friables, les êtres trop usés pour porter la charge de la vie peuvent s'y trouver très bien. Pour les autres, le deuil prend son temps, puis pose la frontière.
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Dans la pièce le silence était plein. Je pensais que la chambre était lente, et les vers du poème d'Apollinaire, qu'il déclamait souvent, m'arrivaient en tête, "Comme la vie est lente", la mort qui traîne, les ondes lasses, toujours les mêmes, de ces flux et reflux qui ballottaient mon père, le pétrissaient en silence, le temps que ça avance comme ça doit avancer, c'est le temps qu'il faut à la vie pour mourir, et nous autour, comme des andouilles à attendre, "Et comme l'espérance est violente".
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Giono est poète, sa tête éclate de livre en livre. Les éclaboussures de son être et de son cœur, parlent directement à notre personne intérieure, celle qui lit et se cache, amie de sa propre solitude. Au fond de nous, nous la connaissons.
Elle aime le doute, préfère la rêverie à la réflexion, se méfie de la vérité, est prise de peur si elle écrit.
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Une idée commune voudrait que les écrivains, les poètes, les artistes soient de braves gens tout occupés à notre consolation. C’est une envie de notre époque. Pourquoi pas. Une chose est sûre : ils sont, depuis toujours, tout aussi occupés à bien autre chose. Ils façonnent la glaise du temps avec leurs mains. Ils regardent la mort de face. Ils savent le dérisoire de la vie, pourtant la seule chose qui tienne, et lui redonnent de la grandeur. Ils sont traversés par les choses. Et Giono, comme eux, est traversé par un éclair qui ne peut exister sans l’ombre qu’il vient fendre.
Je ne m’y attendais pas, ayant découvert ses livres à l’école avec un ennui poli et légèrement intrigué. Lorsque je me mis à le relire à l’âge adulte, je pensais retrouver le monsieur en veston, ses moutons, ses oliviers, sa Provence et sa chaleur. Je croyais à tout ce qu’on dit de lui, et qui n’est pas tout à fait vrai. Ma surprise fut à l’image de sa violence à lui : totale. Car chez Giono, au milieu des pages admirables sur la grande nature et les caractères héroïques, les oiseaux geignent avant de chanter. Le sol est asséché, ou inondé, quand il n’étouffe pas sous la neige. Les êtres se vident par le haut, par le bas. Ils assassinent les humains, éventrent les animaux pour sentir la chaleur de leurs entrailles. Ils les égorgent pour tuer leur propre ennui. Ils se pendent. (…) Les femmes déplorent, peinent, sont duplices, violées, suicidées, en fuite, séquestrées. Les enfants souffrent de faim, de maladie ou de difformité, et de mauvais traitements. Les bébés meurent, malades ou empoisonnés, devenus blancs, violets, noirs, l’écume aux lèvres, les yeux démesurés.
Alors, alors seulement surgissent les êtres merveilleux qu’il a semés sur les chemins de son œuvre, ses doubles idéalisés, sorciers, sourciers, ménestrels, musiciens, guérisseurs et aventuriers, comme le si bel Angelo du Hussard sur le toit, courant dans les airs au-dessus de l’épidémie de choléra. Alors seulement peuvent-ils voler sur les dévastations, et tenter leur art de résurrection. Comme l’écrivain arrivé au bout de sa discipline, si l’on admet que la littérature est l’art d’arracher les êtres à la mort pour les catapulter parmi les vivants. Comme le jeune poète dont le cœur palpite dans les ténèbres sans fond d’où remontent les cauchemars translucides et visqueux. Comme le petit soldat qui, « tout sali de sang », a rampé hors de sa tranchée, de son boyau, et s’est mis à écrire des livres hallucinés.
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Il est seul avec son intervieweur. L'image est en noir et blanc et la réalisation, simple, alterne les plans de l'un à l'autre : elle a une forme de pudeur ou de discrétion. Elle appartient aux temps pas si lointains où la parole d'un homme valait plus que son image. (p. 158)
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Une idée commune voudrait que les écrivains, les poètes, les artistes soient de braves gens tout occupés à notre consolation. C'est une envie de notre époque. Pourquoi pas. Une chose est sûre : ils sont, depuis toujours, tout aussi occupés à bien autre chose. ils façonnent la glaise du temps avec leurs mains. Ils regardent la mort de face. Ils savent le dérisoire de la vie, pourtant la seule chose qui tienne, et lui redonnent de la grandeur. Ils sont traversés par les choses. Et Giono, comme eux, est traversé par un éclair qui ne peut exister sans l'ombre qu'il vient fendre. (p. 34)
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Elle n’avait pas été détruite, ni ne s’était suicidée, pas plus qu’elle n’avait essayé de négocier, de le faire chanter, de se venger. Elle s’était contentée de déserter le terrain de leur affrontement.
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Puis cette question finale : " Je me demande si tout ne vient pas de l'abandon par la mère." Madame G., avant d'être flic, a été assistante sociale.
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Elle l'a répété, écrire mène à écrire. On a envie d'ajouter " et seulement à ça" tant le besoin de leçons, de dictactique des gens est lassant. Les écrivains ne sont pas là pour nous édifier.
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Le morceau le plus spectaculaire du corps de cette femme que nous cessons de scruter est celui que nous ne voyons pas, et qui a créé des couches et des couches de malentendus faciles, pour pouvoir progresser,ondoyant, à l'intérieur d'une société qui ne lui était pas acquise. Il abrite sa beauté insaisissable, son aplomb et sa fulgurance.C'est son cerveau.
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Le vendredi matin ma sœur et moi sommes arrivés en même temps. Dans la chambre de l’épouse nous attendait sa douleur et son épuisement m’ont attendrie, bien que j’ai toujours été trop vieille et mal aimable pour avoir une belle-mère de mon âge.
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Il suintait la solitude d’un enfant grandi sans mère, et la conscience douloureuse de la différence sociale lorsqu’on l’expédia dans une autre des écoles du groupe des Frères des écoles chrétiennes, les Francs-Bourgeois de Paris. Ils était la bonne œuvre brillante et perdue parmi les grosses de riches. On dit que certaines personnes portent leur embryon mort de leur jumeau dans leur corps, dans des endroits incongrus. Il me semble que, pour certains, l’enfance désolée s’accroche à leur corps comme l’embryon mort à son double.
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Une fois encore, j'allais passer l'après-midi dans une chambre aux murs pastel. J'y chercherais sa chaleur, tournée vers lui comme on s'expose à l'âtre, avançant les mains jusqu'à ce que leur couleur change. À chaque visite, il avait moins d'énergie, mais j'en partais avec quelque chose. Une plaisanterie, un regard, un reste de sa présence. Des morceaux du passé.
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