Citations de François Mauriac (1322)
Où Beethoven aujourd'hui serait-il exilé ? Je n'ai jamais entendu la radio allemande diffuser la IXe Symphonie : " Tous les hommes sont des frères ! "
(Vues sur l'Allemagne - Février 1939).
Le pluvieux automne chuchotait sur les tuiles. Un contrevent claquait ; le cahotement d’une charrette s’éloignait.
Tu ne saurais croire comme il fait bon vivre au plus epais d'une famille...
Entre maman et moi, je ne me souviens pas qu'il y ait jamais rien eu d'autre que des jugements passe-partout, très souvent en patois, car ils servent aussi pour les métayers, pour les domestiques. Peut-être est-on séparé par l'âge ou par la différence sociale au point qu'il n'existe pas de langage commun... Mais j'ai observé que les métayers ne parlent pas non plus entre eux : quand ils se rencontrent, ils se demandent : As déjunat ? (As-tu déjeuné ?) L'important et même l'unique intérêt de la vie tient dans la nourriture qu'ils ont ou non mâchée de leurs gencives sans dents, comme s'ils ruminaient. Les êtres qui s'aiment, est-ce qu'ils se le disent ?
Il y avait eu la veille quinze ans que Thérèse, escortée de son avocat, était sortie du tribunal de la sous-préfecture, avait traversé la petite place déserte en répétant à mi-voix : "Non-lieu ! non-lieu !" Libre enfin avait-elle cru... Comme s'il appartenait aux hommes de décider qu'un crime n'a pas été accompli, lorsqu'il l'a été en effet ! Elle ne s'était pas doutée, ce soir-là, qu'elle entrait dans une prison pire que le plus étroit sépulcre : dans la prison de son acte et qu'elle ne s'en évaderait jamais.
Eh bien ! oui, je parle seul parce que je suis toujours seul. Le dialogue est nécessaire à l'être humain. Qu'y a-t-il d'extraordinaire dans les gestes et dans les paroles d'un homme seul ?
Dans la pignada pleine de mouches,elle connut que sa fidélité au mort serait humble gloire et qu'il ne lui appartenait pas de s'y soustraire.Ainsi courut Noêmi à travers les brandes,jusqu'à ce qu'épuisée,les souliers lourds de sable,elle dût enserrer un chêne rabougri sous la bure de ses feuilles mortes mais toutes frémissantes d'un souffle de feu,un chêne noir qui ressemblait à Jean Péloueyre. (page 178).
Les êtres que nous connaissons le mieux, comme nous les déformons dès qu'ils ne sont plus là!
Deux vieux époux ne se détestent jamais complètement.
Complaisamment il rappelle les vertus de Noémi que M.le curé a choisie entre toutes et qui édifie la paroisse. Elle appartient à cette race qui ne cherche dans le mariage aucune joie charnelle, femme de devoir, soumise à Dieu et à son époux, ce sera une de ces mères comme on en rencontre encore et de qui rien, en dépit de multiples grossesses, n'entame la candide ignorance.
Des millions, mais pas un verre d’eau fraîche.
De même qu'ici toutes les voitures sont "à la voie", c'est à dire assez larges pour que les roues correspondent exactement aux ornières des charrettes, toutes mes pensées, jusqu'à ce jour, avaient été "à la voie" de mon père, de mes beaux-parents.
Vous avez eu la chance que je survive à ma haine. J'ai cru longtemps que ma haine était ce qu'il y avait en moi de plus vivant. Et voici qu'aujourd'hui du moins, je ne la sens plus. Le vieillard que je suis devenu a peine à se représenter le furieux malade que j'étais naguère et qui passait des nuits, non plus à combiner sa vengeance, mais à chercher le moyen de pouvoir en jouir.
...car il suffit à des frères d'être unis par les racines comme deux surgeons d'une même souche, ils n'ont guère coutume de s'expliquer : c'est le plus muet des amours.
Comme devant un paysage enseveli sous la pluie, nous nous représentons ce qu'il eût été dans le soleil, ainsi Thérèse découvrait la volupté.
Tel est l'instinct de l'amour qui ne veut pas périr :lorsque se dérobe sous lui la terre, lorsque est détruit son ciel familier, il invente un autre ciel et une autre terre. C'est l'heure où l'être qui n'est plus aimé murmure à celui qui ne l'aime plus :"Tu ne me verras pas. Je ne t'importunerai pas. Je vivrai dans ton ombre. Je t'entourerai d'une protection dont tu n'auras même pas conscience. "
A l'instant de l'adolescence, telle est la richesse de notre coeur qu'il néglige de s'arrêter longtemps sur les mêmes tristesses, les mêmes joies. Ce n'est pas qu'il oublie : il s'approvisionne d'émotions pour ses futurs hivers. Plus tard, il retrouve au fond de soi le vestige d'amitiés et d'amours qu'il avait crues mortes.
La famille ! Thérèse laissa éteindre sa cigarette ; l’œil fixe, elle regardait cette cage aux barreaux innombrables et vivants, cette cage tapissée d’oreilles et d’yeux, où, immobile, accroupie, le menton aux genoux, les bras entourant ses jambes, elle attendrait de mourir.
On racontait qu'il recevait chez lui, dans la maison de Bourideys, où ses parents étaient morts, cette créature et qu'elle osait se montrer, à onze heures du matin, sur le pas de la porte, en peignoir rose, les pieds nus dans ses pantoufles, et la tresse dans le dos.
L'oncle Péloueyre mourut à Bordeaux, chez cette fille, alors qu'il y était venu pour faire un testament en sa faveur.
Son père le chérissait comme un souffrant reflet de lui-même, comme son ombre chétive dans ce monde qu'il traversait en pantoufles ou étendu au fond d'une alcôve parfumée de valériane et d'éther.