Citations de Guy Boley (327)
Certes, j'aurais pu à ce moment-là commencer à penser que maman devenait folle. Mais pour un enfant, une mère n'est qu'amour.
L'église Saint-Martin des Chaprais est assez laide: il est préférable d'avoir la foi avant d'y entrer . (...) Elle n'a rien de commun avec ses somptueuses consoeurs gothiques qui élèvent l'âme, ses romanes qui la confinent, ses baroques qui la cisèlent. (p. 96)
Seul l’art guérit les âmes. Seul l’art parvient à enlever à la vie l’absurdité qui la recouvre de son voile d’horreur et de sa vanité.[Nietzsche]
Il l'aime, cette salle. C'est grâce à elle et à son indigence qu'il est devenu champion. C'est contre ça, aussi, qu'il s'est battu. Par fierté. Pour être au-dessus de cette misère, financière ou littéraire, maternelle ou orpheline, et se prouver à lui, et à tous ceux du club, que l'essentiel est en chacun, que le destin est comme un fer rougi à blanc que l'on peut plier sur l'enclume et auquel on peut donner la forme que l'on veut. (p. 117)
On ne choisit pas son enfance, on s’acclimate aux pièces du puzzle, on bricole son destin avec les outils qu’on a sous la main, …
J'ignorais que mon père avait des rêves si grands. Toujours on sous-estime les gens qu'on aime trop, ou ceux qu'on aurait dû aimer davantage.
(...) c'est ainsi que l'on devient un homme, un conquérant, un Attila en herbe : en reniant son passé, en écrasant autrui ; surtout s'il est petit ; surtout s'il nous renvoie l'image de ce que l'on fut naguère.
Nul ne contredit l'abbé : personne dans le quartier, ne connaît Shakespeare. Ni aucun autre auteur de génie. Ni autre auteur tout court. C'est un quartier populaire, d'ouvriers et de cheminots, on y aime la boxe, l'opérette, le musette accordéon, on n'y lit quasiment pas, la culture est une affaire d'élégants , d'oiseux, d'aristocrates. Car lire est dangereux, ça instille dans les coeurs des mondes inaccessibles qui ne portent au fond d'eux qu'envies et frustrations; ça rend très malheureux quand on est gens de peu, de savoir qu'il existe, dans un ailleurs fictif, des vies sans rides, ni balafres, où les rires, l'argent, la paix, l'amour poussent aussi joliment que du gazon anglais. (p. 79)
Ce quartier fut toute sa vie, sa seule mappemonde, sa scène de théatre, son unique opéra.
La société a des règles qu'il ne faut pas transgresser, surtout pas dans ce jeu codifié à l'extrême qu'est celui de la mort. Raison pour laquelle maman n'est pas devenue, par exemple, hystérique ou suicidée. Juste une douleur digne, calibrée.
Il commençait à boire, en revanche. Et pas en amateur, mais en professionnel...Très vite, il devint champion du monde des trinqueurs, catégorie poids lourds. Il ne vola pas son titre.
Papa dans l'atelier se venge sur l'enclume et dans les hurlements massacre la ferraille qui craque et crie et geint quand de toutes ses forces il jette contre les murs, contre la forge, contre les vitres, le sol, le ciel et les enfers, ces nœuds de fer tordus chauffés à blanc qui naissent sous ses mains et qui ne disent rien d'autre que sa colère immense et ne clament rien d'autre que sa pauvre impuissance.
p.77
Toujours on sous-estime les gens qu'on aime trop, ou ceux qu'on aurait dû aimer encore bien davantage. Quelque grandiose qu'ait pu être notre ferveur pour eux, on découvre après coup, l'ayant crue colossale, qu'elle fut au bout du compte assez mièvre, étriquée, déficiente.
Alors acier acier assieds-toi petit que je te forge l'âme entre enclume et marteau, que je te forge un arc à hauteur de tes rêves.
Ce que Fritz ne peut décemment avouer, c'est qu'à Leipzig, et sans oser le dire à Ritschl qui fut pour lui l'équivalent d'un père, il avait déjà senti, confusément, en un premier temps, puis très vite, et avec certitude, que c'en était fini de l'amour qu'il portait à la philologie. Cela ne l'amusait plus de touiller des vieilleries dans les cartons du temps.Il ne trouvait sa joie que là où le destin ne l'avait pas placée : dans la poésie, la musique, les philosophes actuels qu'il découvrait avec passion.Sans omettre une constante : la solitude.Il rêvait déjà de grottes, de cavernes, de grands arts solitaires réant au fond des bois comme les cerfs de Diane, d'une vie monacale dans laquelle il serait tout à la fois Montaigne, Leopardi, La Rochefoucauld, Bach, Goethe et Schumann.
( p.175)
La nuit porte dans ses nuages de petits bonhommes de neige qui ne demandent qu'à choir. Le jupon de l'hiver se met à dévoiler ses jolies chevilles blanches. On se croirait à l'aube d'un rendez-vous galant.
Sur les étagères, épars, mes livres d’alors, ceux-là mêmes que je lisais avec frénésie et dont on m’accusait de les préférer aux être humains ! Ce qui n’était pas faux. Je lisais comme certains boulimiques se gavent de nourriture, et quand mon petit frère est mort, j’ai lu davantage, à outrance, de façon névrotique, je me suis enfermé à l’intérieur des pages comme derrière des barreaux.
De dessous, évidemment, la lumière jaillit toujours des entrailles de la toile, de dessous toutes ces couches et sous-couches de peintures qui s'amassent, se recouvrent, et mutuellement finissent par s'épouser.
On ne choisit pas son enfance, on s’acclimate aux pièces du puzzle, on bricole son destin avec les outils qu’on a sous la main.
Quand un monde s'écroule, tous ceux qui vivent dedans, au loin ou à côté, s'en trouvent affecectés. Et s'ils ne meurent pas, toujours ils perdent pied.