Isaac Bashevis Singer

- Oh Nathan, nous avons déjà perdu ce monde-ci et j'ai bien bien peur que nous perdions aussi celui à venir."
A quoi il finit par répondre une fois :
- Eh bien, tant pis, mais l'enfer est pour les hommes, après tout, pas pour les chiens..."
[Celui qui voit sans être vu]

Chaque être était semblable à une serrure, - munie de sa propre clé. Seul quelqu'un comme lui, Yasha, savait ouvrir toutes les âmes.

"Tzipa, tu es une grande sotte, mais ton fiancé est un sot, lui aussi, et vous serez deux sots très heureux si Dieu le veut."

J'étais un personnage anachronique à tous points de vue, mais je l'ignorais ; de même que je ne savais pas que mon amitié pour Shosha, la fille de nos voisins, Bashele et son mari Zelig, avait quelque chose à voir avec l'amour, cela se passait entre des jeunes gens mondains, qui se rasaient la barbe et fumaient des cigarettes le jour du shabbat, et des filles qui portaient des corsages à manches courtes et des robes décolletées. De telles sottises ne pouvaient concerner un écolier de sept ou huit ans issu d'une famille de hassidim.

Ils font tous semblant. Le monde entier joue la comédie parce que chacun a honte d'avouer : je ne sais pas.

Se faire passer pour quelqu'un d'autre était-il un moyen de provoquer la rencontre de deux âmes ? Sinon, comment des comédiennes telles que Mademoiselle Rachel, Sarah Bernhardt ou Eleonora Duse réussissaient-elles à ensorceler les plus grands esprits de leur temps ? Les acteurs étaient des médiums, même s'ils l'ignoraient. Ils ouvraient la porte à des êtres qui existaient et cherchaient à se faire connaître.
Quand ils se trouvaient encore à Black River, Hertz s'était rendu compte que Miriam, souvent, parlait de faits et de détails sur sa famille à lui qu'elle ne pouvait pas avoir appris quelque part. Il comprenait maintenant pourquoi tant de médiums et de spiritualistes se trouvaient pris dans toutes sortes de tromperies. Pour eux, la fraude elle-même était la réalité. En un sens, c'était vrai concernant les mensonges de Hertz. Comment pouvait exister ce qu'on appelle le mensonge dans un univers créé par Dieu ?
Lui, Hertz, était d'accord avec Spinoza sur un point : il suffisait d'être assez malin pour attraper des éclairs de vérité partout, en extorquer à tout le monde, dans n'importe quelle situation. Si Dieu lui en accordait le temps, il allait écrire un livre qu'il intitulerait "La vérité du mensonge".

Vous connaissez le dicton : quand deux époux dorment sur le même oreiller, ils finissent par avoir la même tête. [Celui qui voit sans être vu]

Oui, chacun meurt, mais le monde ne finit pas pour autant. La terre, les étoiles, les comètes, les plantes sont en elles-mêmes une histoire divine, une source de vie, un conte éternel et merveilleux que seul Dieu connaît en entier.

Mon père avait la main lourde. Quand il me giflait, je voyais ma grand-mère morte. [Le feu]

Ici et là, des clients attablés lisaient ouvertement des journaux yiddishs. Ils n'avaient à se cacher de personne. Pour Herman, ce spectacle était toujours une sorte de miracle et chaque fois il se demandait : "Combien de temps cela durera-t-il ?"

Ceci arriva dans cette année terrible où les piliers de la terre furent ébranlés par l’imposture de Sabbataï Zevi. (Que son souvenir soit effacé !) Celui-ci (car nos péchés sont grands) se convertit lui-même et détourna beaucoup d’autres des justes sentiers, et beaucoup de fidèles parmi eux : et il embrasa chaque coin de la terre de l’Exil.

Une pensée lui vint que les femmes ne commencent vraiment à vivre qu'après la mort de leur mari.

-Il y a des règles que même un maître doit suivre. Aucun roman ne devrait être plus long que Guerre et Paix. Même Guerre et Paix est trop long. Si la bible avait été en dix-huit volumes, il y a longtemps qu'on l'aurait oubliée.
-Le Talmud est en trente-six volumes et les juifs ne l'ont pas oublié.
-Les juifs se souviennent trop. C'est notre malheur. Voilà deux mille ans qu'on nous a chassés de Terre Sainte et, maintenant, nous essayons d'y retourner. C'est fou n'est-ce pas ? Si seulement notre littérature reflétait cette folie, elle serait magnifique. Mais notre littérature est raisonnable à un point inquiétant.

Qui peut comprendre l’âme féminine ? Même la plus angélique des femmes abrite en elle des démons, des lutins et des diablotins.

Il dénoua la corde qui fermait le sac et donna un coup de langue. Bien évidemment, il voulait savoir si j'étais du sucre ou du sel. Mais moi, en une seconde, je m'étais transformé en veau. Vous avez droit à trois questions pour trouver à quel endroit il me léchait.

J'avais un métier où l'on est sûr de ne jamais chômer. Je viens de Tzivkev et, là-bas, j'étais fossoyeur. C'était un petit village mais on y mourrait autant qu'ailleurs. [A la lumière des bougies commémoratives]

Tout en s’affairant, la vieille femme marmonnait entre ses lèvres décolorées et hochait la tête de haut en bas, on eût dit qu’elle détenait une vérité accessible seulement à ceux qui ne sont pas abusés par les vanités de la vie terrestre.

Le corps est comme un vêtement très solide et puis, d'un seul coup, toutes les coutures craquent. Vous en recousez une et trois autres se déchirent.

La tombe attend. Les vers ont faim.

Page 32 Gimpel le naïf

Quelque chose en lui se lamentait à propos d’un malheur pour lequel il n’existe aucune consolation. « C’est sans doute parce qu’on est en train de massacrer les Juifs d’Europe », se dit-il. Alors qu’il ne pensait, ici, qu’à satisfaire ses passions, des êtres qui lui étaient chers étaient probablement soumis à toutes sortes de tortures dignes de l’Inquisition. Qui pouvait imaginer les enfers que la bête humaine est capable d’inventer ? Des recherches sur la nature humaine ? Mais elle avait démontré depuis longtemps de quoi elle était capable. La racheter ? La question serait alors de savoir si elle méritait le rachat.