Citations de Italo Calvino (997)
[Marco Polo] – Il en est des villes comme des rêves : tout ce qui est imaginable peut être rêvé mais le rêve le plus surprenant est un rébus qui dissimule un désir, ou une peur, son contraire. Les villes comme les rêves sont faites de désirs et de peurs, même si le fil de leur discours est secret, leurs règles absurdes, leurs perspectives trompeuses; et toute chose en cache une autre.
– Moi je n'ai ni désirs ni peurs, déclara le Khan, et mes rêves sont composés soit par mon esprit soit par le hasard.
– Les villes aussi se croient l’œuvre de l'esprit ou du hasard, mais ni l'un ni l'autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. Tu ne jouis pas d'une ville à cause de ses sept ou soixante-dix-sept merveilles, mais de la réponse qu'elle apporte à l'une de tes questions.
– Ou de la question qu'elle te pose, t'obligeant à répondre, comme Thèbes par la bouche du Sphinx.
Les exploits que fonde une obstination tout intérieure doivent rester secrets ; pour peu qu'on les proclame ou qu'on s'en glorifie, ils semblent vains, privés de sens, deviennent mesquins.
Et c'est alors que survenaient les champions, au grand galop, sabre au clair, et ils n'avaient pas de mal à trancher la mêlée à coups d'épée.
Jusqu'au moment où se retrouvaient face à face les champions ennemis, bouclier contre bouclier. C'était le début des duels, mais comme le sol était déjà encombré de carcasses et de cadavres, il était difficile de se mouvoir, et quand ils ne pouvaient pas s'atteindre, ils se couvraient d'insultes. Là, ce qui était décisif, c'était le degré et l'intensité de l'insulte, car selon que l'insulte était mortelle, sanglante, insoutenable, moyenne ou légère, on exigeait différentes réparations, ou même des haines implacables qui se transmettaient de génération en génération. Donc, l'important était de se comprendre, chose qui n'était pas facile entre maures et chrétiens et avec les différentes langues maures et chrétiennes au milieu : s'il arrivait une insulte indéchiffrable, qu'est-ce qu'on pouvait y faire ? Il fallait se la garder et on pouvait rester déshonoré à vie. C'est ainsi qu'à cette phase du combat participaient les interprètes, troupe rapide, armée légèrement, montée sur des petits chevaux particuliers, qui tournaient autour des cavaliers, attrapaient les insultes au vol et les traduisaient illico dans la langue du destinataire.
"Khar as-sûs !
- caca de vermicelle.
-Mushrik ! dégueu ! pouilleux ! escalvao ! marane ! hijo de puta ! zabalkan ! merde !"
Ces interprètes, de part et d'autres, il avait été convenu tacitement qu'il ne fallait pas les tuer. Du reste, ils filaient à toute allure et dans cette pagaille, s'il n'était pas facile de tuer un lourd guerrier monté sur son gros cheval qui avait du mal à bouger ses pattes, tant on les lui avait entravées de cuirasses d'acier, vous imaginez ces acrobates ! mais pas de mystère : à la guerre comme à la guerre, et de temps à autre l'un d'entre eux y laissait la peau.
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Notre destin était le plus, le toujours plus, et nous ne savions pas penser au moins, ne serait-ce que fugitivement ; dorénavant, nous irions du plus à l'encore plus, des sommes aux multiples aux puissances aux factorielles sans jamais nous arrêter ou ralentir.
J'arrivai à un endroit où les buissons m'empêchaient de voir. Je m'ouvris un passage : sous mes pieds je vis le vide. La terre s'arrêtait là ; et moi, je me tenais en équilibre sur le bord.
A fréquenter ce brigand, Côme avait pris pour la lecture et pour l'étude une passion démesurée, qui devait lui rester sa vie durant. Désormais, on le rencontrait le plus souvent un livre ouvert à la main, à cheval sur une branche confortable, ou bien penché sur une fourche comme sur une table d'écolier, avec un feuillet posé sur une planchette, son encrier enfoncé dans une cavité du tronc, et écrivant avec sa longue plume d'oie.
On lit tout seul, même quand on est deux
...on peut tirer toujours plus de vérité de l'état d'exception que de la règle. p.168
Humainement, mieux vaut voyager que rester chez soi.D'abord vivre, ensuite philosopher et écrire. p. 160
L'écrivain N.M.M.* est la plus jeune de trois sœurs anglaises célèbres, tres belles en leur temps.L'une d'elles fut la maîtresse de Hitler, une autre est la femme de sir Oswald Mosley, le chef des fascistes anglais.Quand à elle, elle est communiste et a été la femme du fils de Neville Chamberlain, mort en combattant les républicains espagnols; p.105
*Nancy Mitford
J’avais l’impression qu’il m’ouvrait les portes d’un royaume nouveau, devant lequel il fallait rejeter méfiance et poltronnerie, pour s’élancer dans un grand mouvement d’enthousiasme et de solidarité.
Peut-être s'attendait-on à ce que, le vicomte redevenant entier , s'ouvrit une période de bonheur merveilleux : mais il est clair qu'il ne suffit pas d'un vicomte entier entier pour que tout le monde devienne complet.
Quand tu le lis, un texte est une chose bien présente, et contre laquelle tu es obligé de te heurter, tandis que, quand on le traduit pour toi à voix haute, c'est une chose qui n'existe pas, que tu ne parviens pas à toucher.
Parce que voir, cela signifie percevoir des différences, et, dès que les différences s'uniformisent en un quotidien prévisible, le regard court sur une surface lisse et sans prises. Voyager ne sert pas beaucoup à comprendre (cela, je le sais depuis un bout de temps ; je n'ai pas eu besoin d'arriver en Extrême-Orient pour m'en convaincre), mais sert à réactiver pendant un instant l'usage des yeux : la lecture du monde.
Attention : je vois à présent que les spécialistes écrivent "Phéniciens" entre guillemets, ou disent "les peuples qui sous le nom de Phéniciens"... Je ne sais pas ce que ça cache ; et je vous dirai même que je n'ai aucune hâte de le savoir. Une des rares certitudes qui me restaient étaient les Phéniciens. Or, tandis qu'il semble confirmé qu'ils ont inventé l'alphabet, le soupçon point qu'ils n'ont jamais existé. Nous vivons à une époque où ne se sauve plus rien ni personne (p.75).
Il n'y a plus d'Europe qui puisse regarder l'Amérique du haut de son passé, de son savoir et de sa sensibilité : l'Europe porte désormais en elle tant d'Amérique - non moins que ce que l'Amérique porte en elle d'Europe - que l'intérêt à mutuellement se regarder - non moins fort et jamais déçu - ressemble toujours plus à celui qu'on éprouve devant un miroir : un miroir doué du pouvoir de nous révéler quelque chose du passé ou du futur (p.30).
« L'ailleurs est un miroir en négatif.Le voyageur y reconnaît le peu qui lui appartient, et découvre tout ce qu'il a eu, et n'aura pas. » II.
« Mais la ville ne dit pas son passé, elle le possède pareils aux lignes de la main, inscrit au coin des rues, dans les grilles des fenêtres, sur les rampes des escaliers, les paratonnerres, les hampes des drapeaux, sur tout segment marqué à son tour de griffes, dentelures, entailles, virgules. »
Ce n’est pas que tu attendes quelque chose de particulier de ce livre particulier. Tu es un homme qui, par principe, n’attend plus rien de rien… Tu sais que le mieux qu’on puisse espérer, c’est d’éviter le pire. C’est la conclusion à laquelle tu es arrivé dans ta vie privée comme pour les problèmes plus généraux, et même mondiaux.