Citations de James Graham Ballard (254)
Les premières vagues d'attaquants avaient balayé l'aérodrome. Les appareils, qui se détachaient très nettement sur les immeubles de la Concession française, volaient à présent en direction de Shanghai, prêts à mitrailler les docks et la base d'hydravions de Nantao. Mais autour du camp les batteries antiaériennes tiraient toujours en l'air. Des obus traceurs brodaient leurs tapisseries dans le ciel, des fils de phosphore se tricotaient et se retricotaient. Au centre de tout cela, la grande pagode de Longhua surgissait de la fumée qui montait des hangars en flammes et ses canons crachaient un plafond continu de DCA.
"Susan, pour l'amour de Dieu, où as-tu la tête ? Ce n'est pas le moment de faire du théâtre!"
Elle s'appuya contre lui, esquissa un sourire sans joie.
"Je ne fais pas de théâtre, Donald", murmura-t-elle. "Non, crois-moi. J'aime vraiment regarder le vent. La ville entière commence à s'écrouler. Bientôt, tout sera balayé... Peter, toi, tout le monde."
Les enfants frapperont-ils encore? Je parierais qu'ils vont maintenant s'en prendre à toutes les personnes qui symbolisent l'autorité en général et plus particulièrement celle des parents. C'est donc bien le régime de tendresse et de sollicitude instauré à Pangbourne Village avec les meilleures intentions du monde - modèle imité un peu partout dans les résidences de grand standing au sud de l'Angleterre, en Europe de l'Ouest et aux Etats-Unis - qui a engendré ces fils de la vengeance et les a envoyés défier le monde même qui les avait aimés.
Les flammes montaient en spirales entrelacées, comme les idées qui flottaient à la périphérie de son cerveau.
Moins un (p.198)
Il est impossible d'échapper au temps, voyez-vous. Subjectivement, c'est une dimension malléable, mais, vous aurez beau vous transformer vous-même, vous n'arriverez jamais à arrêter cette pendule - il désigna celle placée sur le bureau - ni à la faire marcher en sens inverse. Et de la même façon, il vous est impossible d'échapper à la Cité.
La ville concentrationnaire (p.67)
Elle était dans le véhicule abîmé comme la statue d’une déesse à l’intérieur d’une châsse consacrée dans le sang d’un jeune fidèle.
Il le savait bien : cette volonté de survivre, de maîtriser l'île et d'en exploiter les maigres ressources , c'était un but plus important que de s'échapper.
Kerans s’assit au bord du lit, attendant que s’apaisât en lui le martèlement des jungles fantômes. Tels d’infinis hauts-fonds, les résidus des rêves s’étiraient sous la surface de la réalité.
Les immeubles couverts d’arbres émergeant sur ses berges semblaient vieux de millions d’années, vomis par le magma terrestre à l’occasion de quelque terrible cataclysme, puis embaumés durant l’éternité qu’il leur avait fallu pour s’affaisser.
Toutefois, je suis convaincu qu’au fur et à mesure que nous remontons le temps géophysique, nous réintégrons le couloir amniotique et remontons aussi le temps spinal et archéopsychique, rappelant dans notre inconscient les paysages de chaque ère, avec son terrain géologique distinctif, sa flore et sa faune uniques, aussi reconnaissables pour nous qu’ils le seraient pour le passager d’une machine temporelle à la Wells. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un trajet touristique mais d’une totale réorientation de la personnalité.
De même que la psychanalyse reconstruit la situation traumatisante originelle afin de libérer les informations refoulées, nous nous trouvons désormais replongés dans le passé archéopsychique, nous redécouvrons les tabous et les impulsions archaïques demeurés latents durant des ères entières.
Pendant une période initiale de vingt ans, la vie s’était progressivement adaptée au climat modifié. Un ralentissement du rythme habituel s’était révélé inévitable, l’énergie manquant pour repousser les jungles envahissantes de la région équatoriale. Non seulement la croissance de toutes les plantes s’était accélérée, mais la radioactivité accrue favorisait aussi les mutations. Les premières formes botaniques monstrueuses étaient apparues, rappelant les gigantesques arbres-fougères du Carbonifère, tandis que se produisait une poussée radicale de tous les animaux et végétaux inférieurs.
Comme en témoignait leur siège au sein des ex-salles de conseil d’administration, les lézards s’étaient emparés de la ville. Ils constituaient à nouveau la forme de vie dominante.
Cette réserve et cet isolement croissants, manifestés aussi par les autres membres de l’unité, et auxquels seuls le dynamique Riggs semblait insensible, rappelaient à Kerans le métabolisme relâché et le repli biologique de toutes les formes animales sur le point de subir une métamorphose importante. Parfois, il se demandait quelle zone de transition il était lui-même en train d’aborder, certain que son repli personnel n’était pas le symptôme d’une schizophrénie latente mais d’une préparation minutieuse à un environnement radicalement nouveau, doté de ses propres paysages et logiques internes, où les anciens modes de pensée ne constitueraient qu’un fardeau.
Le disque solaire n’était plus une sphère bien définie mais une large ellipse qui embrasait l’horizon telle une colossale boule de feu. Son reflet sur la lagune changeait la surface de plomb terne en un éclatant bouclier de cuivre. Vers midi, moins de quatre heures plus tard, les eaux sembleraient enflammées.
Jim avait décidé que les Chinois appréciaient le spectacle de la mort parce qu'il leur rappelait la précarité de leur propre existence. S'ils aimaient être cruels ,c'était pour la même raison, afin de se remémorer à quel point il était vain de penser que le monde pût être autre chose
Pendant ce temps, j’en étais toujours au point mort question écriture. La raison m’avait convaincu de mettre un terme à mes efforts pour surpasser Finnegans Wake, et je n’étais ni assez musclé ni assez morbide pour imiter Hemingway. Le problème, c’était que je n’avais pas trouvé de forme qui me convienne. La fiction populaire était trop populaire, la fiction littéraire trop sérieuse. On publiait une avalanche de mémoires et de romans sur la Seconde Guerre mondiale, mais, étonnamment, l’idée d’écrire un roman sur ma propre expérience du conflit ne me venait pas à l’esprit. Même les évènements sinistres dont j’avais été témoin enfant, à Shangai, n’étaient pas comparables aux horreurs du génocide perpétré dans les camps de concentration nazis.
Ils furent bientôt au sein de la forêt, découvrant de l'intérieur un monde enchanté. Les arbres de cristal y étaient tendus d'un treillis de mousses semblable à du verre. L'air s'y révélait notablement plus frais, comme si tout avait été gainé de glace, mais un incessant jeu de lumière se déversait sur eux à travers la canopée.
Le processus de cristallisation était plus avancé. les clôtures qui longeaient la route étaient si lourdement incrustées qu'elle formaient une palissade continue, bordée de chaque côté par un givre blanc épais d'au moins quinze centimètres.
Ils avaient besoin de parents qui ne s'intéressent pas à tout ce qu'ils font , qui ne craignent pas d'être irrités ou ennuyés par eux, qui n'essaient pas de gérer chaque minute de leurs vies avec la sagesse de Salomon.
Il est très probable que ce n'est pas la contraception qui mettra fin à l'explosion démographique, mais la sodomie. (p.302)