« Prima Belladona » – JG Ballard – dans le recueil Vermilion Sands 1956
Vermilion Sands est un lieu de villégiature estivale d’une colonie de riches oisifs. La station balnéaire semble émerger des œuvres conjointes de Salvador Dali et de Frank Lloyd Wright, comme un rêve éveillé marqué par diverses névroses et une lassitude balnéaire provoquée par des bains de soleil répétés.
Dans ce creuset où l’extraordinaire paraît banal et l’ordinaire se teinte d’excentricité, il n’est pas rare de croiser des sculpteurs de nuages à l’œuvre sur le bord de l’autoroute, en quête d’un éventuel mécène, ou d’entendre les chants stridents, quasi hypnotiques, des sculptures soniques proliférant comme du chiendent dans les récifs de sable. On peut y acquérir des fleurs douées pour l’art lyrique ou une garde-robe complète confectionnée en biotextile dont l’étoffe vivante chatoie sans cesse au point d’ouvrir les portes de la perception.
Lorsque Jane Ciraclyde arrive à Vermillion Sands, Steeve, le propriétaire de la boutique Parker’s Chloroflora qui produit des fleurs chantantes et ses deux amis Harry et Tony sont subjugués. Alors qu’ils boivent de la bière sur leur balcon en admirant cette créature irréelle, presque mutante, à la peau dorée et aux yeux en forme d’insectes, qui évolue presque nue dans l’appartement d’en face, il se produit un incident curieux : un chant dont les fréquences atteignent l’inaudible perturbe l’atmosphère tandis que Harry et Tony se lèvent de leur chaise en hurlant. « Attention à toi ! » et Tony brise la plaque de verre de la table basse avec une chaise. « Mais qu’était-ce ? » demande Steeve. « Tu ne l’as donc pas vu ? Il était à dix centimètres de toi. Un scorpion, aussi gros qu’un homard. Il devait être sonique. On n’entend plus rien. »
Le lendemain, dans sa boutique, Steeve accorde une orchidée très particulière, l’Arachnide-Khan, avec une lampe à ultraviolets. Celui-ci, très rare en captivité ne chante pas vraiment, mais lui sert à harmoniser toutes les autres plantes. L’Arachnide est de mauvaise humeur et c’est la cacophonie autour de lui. Et puis tout s’apaise en un murmure serein. Jane vient d’entrer dans le magasin. À son contact, les plantes semblent charmées, fascinées et produisent instantanément des sons mélodieux... et voilà même que l’arachnide se met à chanter ! Mais là, c’est une autre histoire. Le spectacle de Jane et de l’orchidée qui se font face, aussi enflammées l’une que l’autre effraye à ce point Steeve qu’il va aussitôt couper l’alimentation des plantes en argon. Jane veut acheter l’orchidée quel qu’en soit son prix, mais Steeve refuse. Jane l’invite alors à voir son concert, le soir, au casino.
Ce fameux concert procure à tout Vermilion Sands des visions extraordinaires, mais Steeve y est peu sensible. Habitué au chant des fleurs, il se dit juste qu’il sait d’où vient le scorpion sur son balcon.
Jane s’entiche de Steeve au point de passer presque tout son temps avec lui. Et puis un soir, alors qu’elle doit être en train de chanter au casino, il entend de la musique dans sa boutique. Lorsqu’il entre, l’arachnide, enragé, s’est arraché de son pot et a triplé de volume pendant que Jane chante en face de lui. Le lendemain, l’arachnide est mort et Jane a déserté les lieux.
Vermilion Sands apparaît bien comme un décor dont l'apparence idyllique masque une nature plus anxiogène. Un décor dont les ors se ternissent et les couleurs gaies se craquèlent. Le reflet d'une période faste en train de s'achever. Une pantomime où les relations d'amitié s'avèrent superficielles et sans lendemain, où l'amour tient davantage de la prédation que de la communion. CB
Extrait d'un article paru dans Gandahar 5 Intelligence végétale en décembre 2015
Lien :
https://www.gandahar.net