Je commence ce commentaire (on est le 5 septembre) alors que je n’ai encore lu qu’un peu moins des deux tiers du livre, mais je suis provisoirement « bloquée », car l’exemplaire (en broché) que j’ai, passe de la page 128 à la page 145. Alors, dans l’attente du nouvel exemplaire commandé (en espérant que celui-là sera bon !), j’ai interrompu ma lecture, mais il y a déjà tant à en dire que je pense ne pas trop m’égarer en établissant mon ressenti dès aujourd’hui.
Quelques jours plus tard, le 18 septembre… Je complète maintenant que j’ai (enfin !) terminé le livre : les quelques pages manquantes étaient, à mon sens, indispensables pour le sens global du livre, je suis donc bien contente d’avoir attendu de recevoir un exemplaire entier ; pour le reste, mes premières impressions notées ci-dessous dans un premier jet, restent entièrement valables, je n’ai désormais plus qu’à confirmer mon sentiment global.
Ainsi donc, écrivais-je déjà en plein milieu de ma lecture, il est carrément impossible d’entamer un livre de Janis Otsiemi sans savoir que c’est un auteur africain, plus précisément un Gabonais, que plusieurs présentent comme un nouveau maître du polar. Ça tombe bien : j’aime beaucoup lire des polars, mais j’en ai parfois un peu marre des éternels français ou américains, ou même des nordiques (que je pratique pourtant beaucoup moins). Or, même s’ils sont loin d’être redondants et que la lecture de certains, en tout cas, apporte son lot de nouvelles surprises, on reste quand même dans un monde que l’on finit par connaître plutôt bien. Sans arriver pour autant à de la lassitude (je continue encore et toujours à lire des polars nord-occidentaux, la plupart du temps avec plaisir !), il fait bon parfois être confrontée à un dépaysement plus ou moins marqué – et ici, autant le dire tout de suite, c’est un véritable bouleversement, souligné au fluo et clignotant avec vivacité !
Pourtant, on pourrait croire d’emblée qu’on sera dans un environnement potentiellement difficile (après tout, c’est un polar, n’est-ce pas ?) mais positivement poétique, en témoigne le joli titre. Eh bien, sachez-le : il n’en est rien ! (et je vous le dis en connaissance de cause : je m’étais bien un peu laissé piéger)
Ce titre nous plonge d’emblée dans un monde dur, car « luciole », c’est l’un de ces mots imagés qu’emploient les Gabonais pour désigner… les prostituées ! Par ailleurs, ce seul titre suffit à nous plonger dans une langue riche et foisonnante, parfois à la limite du vulgaire – et je ne parviens pas à décider si c’est délibéré pour bien nous plonger dans un certain monde (après tout, c’est un polar, bis), ou si c’est tout simplement la façon de parler « là-bas », que le francophone européen considère d’un regard biaisé et bien un peu malveillant, alors que nos propres discours sont trop souvent émaillés de mots douteux, grossièretés et autres obscénités plus ou moins choquantes, y compris en littérature ! Mais, disais-je donc, c’est aussi et surtout une langue riche et foisonnante, pleine d’expressions locales, parfois immédiatement compréhensibles, parfois un peu plus tirées par les cheveux et/ou liées à des événements locaux dont moi, en tout cas, je n’avais pas les clés sans explications. Or, justement, Jigal a veillé à « traduire » chacun de ces mots, chacune de ces expressions, par une note de bas de page (sans avoir fait d’étude statistique rigoureuse, j’estime qu’il y en a au moins deux par page, surtout dans ces deux premiers tiers du livre) et, cerise sur le gâteau : le mot concerné, dans le texte, est écrit en italique, si bien qu’on ne peut vraiment pas le manquer !
Seul petit bémol (qui me donne l’impression de dire quelque chose pour dire quelque chose…) : ces divers mots et expressions sont explicités une seule fois… mais certains reviennent ensuite dans le texte, et ne sont alors plus en italique, ni réexpliqués, ce qui m’a quelquefois posé problème, car je ne les ai pas forcément tous retenus, et comme je disais, tous ne sont pas facilement identifiables. Mais bon, c’est un moindre mal, qui aurait pu être « corrigé » avec – par exemple – un glossaire en fin de volume, solution qui présente aussi ses inconvénients, cela dit, comme l’obligation d’aller chaque fois à la fin du livre, alors qu’ici, (presque) tout est directement sous la main : bravo à l’éditeur pour ce travail !
Outre la langue, ce polar nous plonge également dans un monde qui est inimaginable à nos yeux d’Occidentaux, et on en est presque à se demander si on a connu une telle situation à une quelconque époque antérieure d’une police très organisée mais gangrénée par la corruption politicarde (entre autres) et surtout, surtout, surtout, sans aucun de ces moyens techniques qui sont devenus tellement évidents et incontournables dans nos sociétés occidentales – et dont l’importance est mise en avant à travers tous les polars de chez nous, sans même parler des nombreuses séries télévisées – alors que, quelques milliers de kilomètres plus ou sud, ça ressemble à de la science-fiction. Ici à Libreville, pas de médecine légale, pas d’analyses ADN ou simplement de relevés d’empreintes digitales ; pas non plus la moindre délicatesse envers les prévenus, dont on extorque les aveux selon ce dont on a besoin, par passage à tabac…
Pour citer un autre exemple : j’ai halluciné lors de la scène de l’attaque du camion de transports de fond ! C’est que, là-bas, on transporte les billets de banque dans une caisse sans système de sécurité particulier, que l’on dépose dans une cantine en fer, fermée par de simples cadenas !? Certes, de tels fourgons aussi peu sécurisés ont existé chez nous aussi… quand j’étais gosse (c’est-à-dire il y a longtemps !), ou même avant. Mais bon, ça fait des années que les transports de fonds, chez nous, sont tellement sécurisés qu’il faut appartenir au grand banditisme, être (très) lourdement armé et un peu cinglé (sachant que désormais les billets sont marqués, et/ou se marquent à la moindre ouverture du coffre) pour oser encore s’y attaquer… inimaginable pour un groupe de jeunes désoeuvrés sans envergure, et ayant (presque) tous une vague volonté de s’afficher dans une activité plus ou moins légale !
Ainsi, l’auteur nous raconte une histoire, tout simplement, et une histoire double : celle de cet homme atteint du SIDA qui a décidé qu’il ne mourra pas seul, ou ce groupe d’amis d’enfance vaguement interlopes qui ont fait le casse du siècle. On en viendrait presque à trouver sympathiques les quelques policiers chargés de ces enquêtes, pourtant tellement corrompus qu’ils ne valent pas mieux que nos malfaiteurs qu’ils tentent de poursuivre – malfaiteurs dont l’histoire particulière nous est donc présentée elle aussi, le lecteur sait directement qui a fait quoi et pourquoi dans cette double histoire : il ne joue décidément pas sur le suspense que peut contenir un polar, mais ça ne manque même pas !
Par ailleurs, Janis Otsiemi ne dresse pas un tableau noir de son pays. Il donne l’impression, tout en nous contant la vie à un instant T de ces quelques protagonistes dont l’un ne vaut pas mieux que l’autre, et tous ensemble sont attachants ; bref, il donne l’impression d’à peine effleurer toute une série de problématiques propres à son pays – que le lecteur européen présuppose d’emblée typiques de l’Afrique en général, or ici on voit pourtant quelques spécificités bien locales.
Ainsi en est-il de la corruption, dont j’ai déjà parlé ci-dessus (et qui existe tout autant chez nous, mais est peut-être combattue de façon plus efficace désormais ? hum...). Il évoque aussi les conflits inter-ethniques, notamment entre les Fangs et les Batéké, tensions larvées mais bien présentes, au sein même de la police (et probablement d’autres administrations) – une situation qui n’est pas sans rappeler ce qu’écrit, avec beaucoup plus de pessimisme, un certain Deon Meyer en Afrique du Sud (entre Zoulous et Xhosas alors) ! Il est aussi régulièrement question d’événements politiques, dont je n’ai pas la moindre idée car la politique gabonaise fait très rarement la une des journaux par chez nous… mais si ce n’est que brièvement expliqué, et vaguement intelligible, ça n’entrave pas la compréhension de l’histoire.
Plus surprenants sont, par exemple, l’évocation de la prostitution camerounaise au Gabon, quelques Congolaises ou Équato-guinéennes aussi, ces jeunes filles venues de leur pays encore plus pauvre, ne parlant souvent que leur langue tribale et à peine le français, car le Gabon leur offre de plus grandes « perspectives d’avenir »… Ou encore, si nombre de jeunes Gabonais espèrent obtenir une bourse d’études pour la France, le pays de rêve par excellence, obtenir une bourse pour la Tunisie semble une fameuse promotion quand même. (Honnêtement : qui, chez nous en Belgique ou en France, à moins d’avoir des connaissances spécifiques ou un projet particulier, rêverait d’avoir une bourse pour aller étudier en Tunisie, synonyme de pays de cocagne ?...)
Avec tout cela, l’histoire avance peu à peu et on suit les policiers dans leurs investigations, comme je disais sans véritable surprise puisque le lecteur est au courant de tout depuis le début. Néanmoins, j’ai été un peu déçue de voir comme tout s’emballe d'un seul coup dans les dernières pages : alors que les situations semblaient inextricables, les forces de l’ordre trouvent tout à coup la solution de chacune des deux histoires d’une chiquenaude, c’est trop facile, au point qu’on se dit « tout ça pour ça » ! De plus, l’auteur nous sert tout à coup une guerre des polices, entre police judiciaire et gendarmerie, qui ont traité séparément chacune des deux affaires qui nous occupaient, sans aucune intervention croisée , alors qu’il y était peu fait allusion jusque-là (ou alors j’ai loupé cet aspect, toute accrochée que j’étais à découvrir un réel « nouveau monde » !), et que ça n’apporte pas grand-chose à la compréhension finale des choses, si ce n’est accentuer encore une fois une corruption très, très présente à tous les niveaux au Gabon, et certainement dans les forces de l’ordre, mais on en était avertis dès le début.
Mais voilà : cette conclusion un peu abrupte donne une impression de précipitation, comme si l’auteur en avait eu assez d’écrire et avait tout résolu en quelques lignes sans plus aucune vraie surprise ni valeur narrative, pour en finir : dommage, car ça gâche une impression d’ensemble autrement très réussie, entre originalité et ce reflet d’une réalité bien dure, qu’on devine être le quotidien dans ce lointain Gabon…
Ainsi, en refermant ce polar, je peux dire que l’intrigue même est peut-être un peu décevante, mais ce n’est pas pour ça qu’on lit un tel polar Je retiens surtout sa grande originalité liée à ses réalités gabonaises, qui peuvent paraître archaïques ou hallucinantes à nos yeux nord-occidentaux quand il s’agit de traiter une (double) affaire criminelle. J’ai apprécié la grande richesse d’un langage foisonnant, parfois à la limite du vulgaire, souvent très imagé, indéniablement très « couleur locale », qui participe à nous transporter dans un autre monde : dépaysement et plaisir de lecture garantis !
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