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EAN : 9782707348852
256 pages
Editions de Minuit (31/08/2023)
3.25/5   202 notes
Résumé :
Je voulais que ce livre traite autant des ouvertures que des fins de partie, je voulais que ce livre me raconte, m’invente, me recrée, m’établisse et me prolonge. Je voulais dire ma jeunesse et mon adolescence dans ce livre, je voulais débobiner, depuis ses origines, mes relations avec le jeu d’échecs, je voulais faire du jeu d’échecs le fil d’Ariane de ce livre et remonter ce fil jusqu’aux temps les plus reculés de mon enfance, je voulais qu’il y ait soixante-quatr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (52) Voir plus Ajouter une critique
3,25

sur 202 notes
Coincé dans son appartement bruxellois par le confinement consécutif à la pandémie de mars 2020, Jean-Philippe Toussaint organise ses échappatoires. Ses après-midis seront consacrés à la traduction de la nouvelle de Zweig, le Joueur d'échecs, dont le protagoniste Monsieur B., assigné à résidence par la Gestapo, ne tient le coup que parce qu'il a réussi à subtiliser un ouvrage consacré au jeu d'échecs. Et puisque, lui aussi, comparant ce jeu à la vie, y voit une façon rassurante d'approcher le monde, le matin il écrira son prochain livre, L'Echiquier. Un programme qui devrait d'autant plus lui convenir en cette période déstabilisante qu'il se fait cette réflexion : « Qu'importe ce que je recherche à travers l'écriture, qu'importe, finalement, ce que les livres racontent, l'écriture est cet abri mental dans lequel je me réfugie pour résister au monde. le livre, pendant que je l'écris, devient un sanctuaire, un lieu clos où je suis protégé des offenses du monde extérieur. »


Dès lors, structurant son texte en soixante-quatre fragments pour arpenter la géographie de sa mémoire, non pas de manière linéaire mais par bonds et gambades à la manière du cavalier dont la polygraphie ne lui permet pas moins de parcourir toutes les cases de l'échiquier sans jamais repasser par la même, l'écrivain s'observe, à mesure que, de souvenirs en souvenirs, il commente la genèse de ce premier ouvrage autobiographique, entreprendre « un parcours vers les origines », une plongée à la rencontre de son « continent englouti », là où sous la surface du visible gît « quelque chose de noué », un « noeud secret qu'il s'agit d'élucider ». Et ce qu'il met au jour, en une sorte de dédoublement qui lui fait assembler des éclats de son enfance, de son adolescence et de sa vie avec Madeleine en un tout romanesque – souvenons-nous que Monsieur B., à force de jouer dans sa cellule, mentalement et contre lui-même, les parties proposées dans son livre, s'est lui aussi dédoublé au point de se retrouver au bord de la schizophrénie –, ce qu'il découvre, avec beaucoup d'émotion, qui explique ni plus ni moins que sa vocation d'écrivain en même temps que son goût pour le jeu d'échecs, c'est sa relation à son père.


Maniant ainsi, comme Nabokov qu'il analyse avec admiration, la virtuosité de la ligne – c'est-à-dire de la construction d'ensemble du roman : « C'est très technique, et cela demande beaucoup de préparation. Cela me fait penser à certains coups d'échecs, apparemment anodins ou innocents, qui préparent en réalité une subtile combinaison à long terme » – et la virtuosité du détail – « c'est quand Nabokov, délaissant les grands desseins de la composition, s'empare d'un pinceau très fin et intensifie un contour, accentue un cil. C'est la souplesse, c'est la ductilité de son trait de plume, c'est la précision de sa touche, pour souligner un détail, faire vivre un reflet de lumière sur le velouté d'une épaule, chatoyer une couleur, briller un rayon de soleil sur le pare-brise d'une voiture ou dans les lunettes d'un personnage, dans lequel on aperçoit soudain, en reflet, avec un frisson d'incrédulité, la tête chauve de l'auteur – qui vous fait un clin d'oeil » –, il réussit, par petites touches servant, au millimètre près, un dessein d'ensemble savamment calculé, encore une fois dans le droit fil de la métaphore du jeu d'échecs, un livre assurément brillant, original dans sa construction, drôle et émouvant dans l'intimité de ses questionnements existentiels, d'une grande beauté enfin quand il évoque sa relation à son père. Un père qui, très symboliquement, refuse soudain de se mesurer à lui lorsque le fils se retrouve assez fort pour le battre aux échecs, mais qui, effaçant toute rivalité, l'encourage à devenir écrivain comme lui.


Entre journal de confinement et exercice autobiographique, un récit aussi brillant que singulier qui, filant la métaphore du jeu d'échecs, déroule, en même temps que la bobine de vie de l'auteur, son rapport à l'écriture et, à travers elle, à la vie et à la mort. Aujourd'hui plus que jamais, si Jean-Philippe Toussaint a la passion des échecs et de la littérature, c'est parce qu'ils lui offrent « une protection intellectuelle inégalable contre les menaces du monde extérieur. »

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Jouer avec la vie
ou
vivre pour jouer ?

Vivre. Apprendre à vivre. C'est un peu comme prendre le train en marche. On n'a pas le choix : il n'y a ni cours ni mode d'emploi. Désolé, Georges.

C'est brutal. Alors, l'on ressent le besoin de se protéger, peut-être en intercalant quelque chose entre soi et les faits nus. Un sens, quelque chose qui donnerait, qui ferait sens. Ou au moins, qui reformulerait les données, qui procurerait l'illusion du contrôle que l'on souhaiterait avoir. Peut-être même, quelque chose qui permettrait de vivre ailleurs…

Si la vie est affaire tellement sérieuse, pourquoi ne pas choisir un jeu ? Un jeu dont la complexité serait telle qu'on pourrait s'y perdre ? Et qui conférerait aux joueurs une maîtrise quasi totale : connaissance parfaite des règles, par ailleurs fixes, des buts, des moyens et du territoire. Est-ce pour cela que, jeune, Jean-Philippe Toussaint a été séduit par le jeu d'échecs? Un jeu qui, avec ses dix à la puissance cent vingt parties possibles, avoisine la complexité de la vie humaine, mais où l'on peut choisir où et quand jouer.

Mais même le grand maître ne crée pas le jeu d'échecs. Il le joue, il domine peut-être ses adversaires, mais il subit autant qu'eux les règles et le chronomètre. Tandis qu'il est des activités où le joueur peut créer le jeu même. Par exemple en littérature. Est-il étonnant que Jean-Philippe soit devenu écrivain ?

Mais la vie peut, tout à coup, contourner les meilleures défenses. Un virus, le confinement, mettent à plat la vie professionnelle de l'auteur. Qui, dès lors, redéploie ses armes pour faire face. Pour occuper le vide laissé par les conférences que l'on ne donnera pas, les voyages qu'on ne fera pas, les rencontres qu'on n'aura pas, il décide d'écrire. Traduire une nouvelle de Zweig faisant une large part au jeu d'échecs - voilà qui est indiqué ! Et puisque l'écriture et le jeu sont des vies symboliques, des manières de négocier la vie, bien réelle, pourquoi pas un ouvrage autobiographique ? Un ouvrage où l'on essayerait de démêler les faits, les écrits, les jeux, qui ont structuré cette vie au point d'en former le tissu, la substance ?

C'est ce livre que je vous propose de lire.

Ah, j'oubliais. L'auteur est un grand anxieux. Il n'arrête pas de se rassurer en nous expliquant ses mérites littéraires. Allons, Jean-Philippe, respirez bien à fond, comptez jusqu'à dix, dites vous bien qu'on vous aime. Ca va mieux ? Bon, alors continuons. Mais avec quatre étoiles au lieu de cinq. A force de carillonnades vous vous faites sonner les cloches.








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* ZUGZWANG mot compte triple *

Et me voilà bien obligée de jouer, de mettre à la disposition de vos mirettes mon humble critique de ce bouquin.
Pourtant ce n'est pas facile !
Tel le Mogadon (mais sans accoutumance), l'échiquier a sur moi un effet soporifique bienfaisant et bénéfique.
* Fini la vie de Panda, grâce à l'échiquier, vous ne serez plus cernés !*

Jean-Philippe Toussaint nous livre sa vie en 64 cases. Il fallait bien trouver quelque chose à faire pendant le confinement. Partant de là, ca peut être bien ! le bonhomme écrit bien... j'ai de lointains souvenirs de Fuir qui n'était pas trop mal.

Et que nous raconte l'auteur ?

Je vous livre ça en vrac :
- Son écriture et ses livres, ses difficultés de traduire Zweig
- Sa rencontre avec Madame
- La mise en scène de sa pièce Echecs
- ses souvenirs de parties d'échecs
- ses amis d'enfance
- ses simultanées
- ses amis disparus
- maman, papa,...

Le problème, Jean-Phi, il a oublié de roquer !
Et de là, on a l'impression qu'il ne maitrise plus son autobiographie et qu'il y a trop de cases sur son échiquier. J'aurais préféré un blitz ou un 50 coups.
Rien grand chose n'a éveillé mon intérêt, le zygomatique n'a nullement frémi, l'oeil n'a pas frisé.

Une chose est certaine, il ne m'a pas damé le pion !




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Le livre en train de s'écrire

C'est durant le confinement que Jean-Philippe Toussaint a écrit son livre le plus intime, où il évoque ses souvenirs d'enfance, son père, ses amis à son oeuvre littéraire. le tout en 64 chapitres, comme autant de case de L'échiquier.

«Les échecs — leur symbolique, leur romantisme, leur abstraction rassurante — ont toujours été intimement mêlés pour moi à l'écriture. Ils sont le sujet de mon premier roman, Échecs. Et, depuis que j'ai donné ce même titre, Échecs, à ma traduction de la nouvelle de Zweig, les deux textes se rejoignent dans mon esprit dans une boucle temporelle vertigineuse. Je commence ainsi à prendre conscience que, si je continue à tirer sur ce fil — le fil du jeu d'échecs —, c'est toute la pelote de ma vie qui pourrait se dévider, se débobiner et se dérouler dans ces pages.» Et voilà comment, durant les journées de confinement Jean-Philippe Toussaint décide de meubler son temps en divisant sa journée en deux, la traduction de Échecs de Stefan Zweig d'une part et l'écriture de réflexions autour de sa passion pour ce jeu d'autre part. C'est cette seconde partie qui a donné ce livre riche de souvenirs et qui va bien au-delà du projet initial. Car effectivement, très vite la pelote de sa vie s'est dévidée… Une pelote que l'on voit se dérouler au fur et à mesure dans ce livre en train de s'écrire.
Son point de départ pourrait se trouver dans un hall d'école, pavé alternativement en plaques blanches et noires. Des cases sur lesquelles les pièces seraient constituées des membres de la famille, des amis d'enfance, des auteurs qui ont accompagné l'auteur de la salle de bain. À la place du roi et de la reine, on placera son père Yvon, «directeur du Soir de Bruxelles, une personnalité reconnue, bien introduite auprès de la classe politique et habituée des plateaux de télévision» et avec lequel il jouera longtemps aux échecs. Jusqu'à ce qu'il soit plus fort que lui et qu'il mette fin à ces échanges, se refusant à perdre. Un père qui aura la lucidité de voir en son fils un futur écrivain. Sur sa mère, qui tenait une librairie-galerie, il est plus discret, mais aussi plus tendre, tout comme pour ses deux grands-mères et pour Madeleine, celle qui deviendra son épouse.
S'inspirant de Georges Perec – il s'agit d'aller d'une case à l'autre sans jamais y revenir – le romancier passe de la famille aux amis, les Bonhomme, Garrec, Caratini, Lehrer. Ou encore Dominique D. un camarade de classe fantasque dont il apprendra la mort tragique. Un drame qui frappera aussi Gilles Andruet, le champion d'échecs qui le fera progresser et dont il ne voudra pas croire qu'il a été assassiné.
Hommage émouvant aux amis disparus, ce livre évoque aussi les grands maîtres, Fischer et Spassky, Karpov et Kasparov, Youssoupov ou encore Kortchnoï que l'auteur a failli pousser au nul, sans doute l'une de ses réussites majeures.
Bien entendu, la littérature échiquéenne ne pouvait manquer dans ce livre. Zweig, cela va de soi, tout comme Perec, mais aussi Nabokov et sa Défense Loujine, Borges et même Lewis Carroll.
Dans cette vraie-fausse autobiographie, Jean-Philippe Toussaint joue beaucoup et propose au lecteur de jouer avec lui. Avant de finir sur une note plus grave, comme il l'a confié à Livres-Hebdo : «Dans le jeu d'échecs le rapport à la mort est évident, il faut tuer le roi, le temps se réduit comme peau de chagrin, le temps de la partie c'est le temps de la vie. Il y a de même dans le travail d'écriture cette acuité au temps qui passe. Je crois qu'il faut être hypersensible à la mort pour bien écrire.» Est-il utile d'ajouter que ce livre est très bien écrit ?


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« J'attendais la vieillesse, j'ai eu le confinement » C'est sur ce quasi alexandrin que J.P Toussaint commence ce que l'on pourrait nommer son  « journal de confinement.» En effet, comme l'explique l'auteur hanté par la vision du désoeuvrement, dans la mesure où tout ce qui était prévu fut soudain annulé, il fallut trouver d'autres occupations. Ses projets partent alors dans trois directions : une traduction du « Joueur d'échecs » de S. Zweig (roman dans lequel un personnage central est confiné lui aussi!), un essai sur la traduction (qui va très vite être abandonné) et un livre autobiographique qui prendra la forme d'une plongée en soi-même, d'un va-et-vient constant entre les lieux d'autrefois et ceux d'aujourd'hui, un texte qui sera en somme une espèce d'« échiquier de la mémoire ».
Jamais me semble-t-il le ton de J.P Toussaint n'a été aussi personnel ni aussi intime.
Ce confinement le ramène dans un premier temps vers les lieux du passé : l'école de la rue Américaine, le quartier de l'enfance : les rues Jules Lejeune et Washington, la place Leemans à Bruxelles, le collège de l'Ermitage... À vrai dire, j'avais l'impression de lire un texte de Modiano : les mêmes évocations un peu troubles, la même opacité qui donne un caractère étrange et mystérieux aux souvenirs. Des noms et des prénoms reviennent mais pas forcément des visages. L'auteur raconte le destin incroyable d'amis qui sont morts, très jeunes souvent. Il semble surpris par le peu de choses dont on se souvient des gens qu'on a croisés. Toussaint nous transporte dans un passé lointain et gris duquel émergent des êtres aux contours flous tandis que d'autres visages se font plus précis.
Évidemment l'auteur s'interroge : « L'heure de l'autobiographie, pour moi, aurait-elle sonné ? » La mort rôde… Difficile de ne pas se sentir concerné par le temps qui passe. le ton devient mélancolique.
Les souvenirs d'enfance conduisent l'écrivain à évoquer le jeu d'échecs auquel il jouait régulièrement avec son père, grand journaliste et directeur du Soir. Se dessine alors la relation au père et le souhait de ce dernier que son fils devienne écrivain. « Je n'ai pas eu la vocation, j'ai eu la permission.» Et de préciser : « Le livre que je suis en train d'écrire est un livre d'origine. C'est l'histoire d'une vocation, non pas comment je suis devenu joueur d'échecs - non, je ne suis pas devenu joueur d'échecs-, mais comment je suis devenu écrivain. »
J.P Toussaint propose aussi des analyses, des réflexions théoriques au sujet de la littérature. Il dit ce qu'elle est ou n'est pas. Il dit de quel ordre est son travail sur la langue et les mots.
À cela s'ajoutent des passages vraiment très drôles : certaines scènes sont franchement irrésistibles comme celle où il essaie des masques dans une pharmacie, celle du rendez-vous chez l'ophtalmologiste, le docteur Praggnanandhaa ou bien la scène où il avoue à Madeleine, sa femme, que cette crise sanitaire « finalement, ça l'arrange » (en effet, visiblement, il a plutôt très très bien vécu son confinement!) Nous assistons là à de véritables scènes d'anthologie ! Ses réflexions sur ses problèmes de traduction sont aussi très amusantes. Cela crée des ruptures de ton étonnantes où l'on surprend l'auteur dans sa vie quotidienne..
Toussaint nous propose ainsi un récit autobiographique fragmenté en 64 chapitres (comme les 64 cases du jeu d'échecs.) le propos semble moins structuré qu'à l'ordinaire et donne l'impression d'épouser le flux de la mémoire : on passe d'un souvenir à l'autre, d'une anecdote à une réflexion sur l'écriture ou la vie. Tout est mouvement et l'on se déplace librement sur l'échiquier de l'existence : « Tout au plus me contenterai-je de promener négligemment mon Cavalier de case en case au gré de mes souvenirs, en tâchant de redonner vie à quelques fragiles silhouettes furtives et émouvantes qui ont traversé ma vie. »
« L'échiquier » est un texte très intime dans lequel on a l'impression de découvrir un auteur qui dit souhaiter que ce livre soit « un rempart contre le monde extérieur, un talisman, une égide. Je voulais que ce livre soit une réflexion plus ample sur la littérature, je voulais que ce livre dise l'origine de ce livre, qu'il en dise la genèse, qu'il en dise la maturation et le cours, et qu'il le dise en temps réel. Je voulais que ce livre soit sensible, concret, malicieux, humain, ombrageux, généreux, je voulais que ce livre soit tout à la fois un journal intime et la chronique d'une pandémie, je voulais que ce livre ouvre la voie à la tentation autobiographique, qu'il soit une conjonction de hasards et de destinée, de contingences et de nécessité... »
Oui, le livre est tout cela. Il m'a beaucoup touchée.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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critiques presse (5)
LeFigaro
06 novembre 2023
Dans ce récit autobiographique, l’écrivain s’interroge sur l’origine de sa vocation.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
OuestFrance
30 octobre 2023
Dans son premier récit autobiographique, l’écrivain et scénariste belge se livre à une partie d’échecs dont il est grand amateur. Son enfance, son adolescence, ses réflexions sur l’écriture, ses méditations sur la traduction, sa passion pour ce jeu en sont les pièces principales.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
Culturebox
09 octobre 2023
Autobiographie, journal, mémoires, pensées… Ce livre hybride, irrigué à de multiples sources tractées des profondeurs de sa mémoire, Jean-Philippe Toussaint le déploie d'une écriture tout aussi bigarrée, tantôt sophistiquée, tantôt familière, parlée, orale, directe.
Lire la critique sur le site : Culturebox
SudOuestPresse
25 septembre 2023
Jean-Philippe Toussaint remonte l’échiquier de sa mémoire et compose un récit ludique et délicat sur les origines de sa vocation.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
LaLibreBelgique
24 août 2023
"L'Échiquier" est un livre à couches multiples, construit comme un jeu d'échecs avec 64 courts chapitres, comme les 64 cases du plateau. Et Toussaint s'autorise à naviguer dans son livre comme le fait le cavalier aux échecs, sans suivre une ligne droite.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (57) Voir plus Ajouter une citation
(…) à l’époque, j’ignorais que tout joueur d’échecs de bon niveau est capable de jouer une partie à l’aveugle, et même, avec un peu de pratique et d’entraînement spécifique, d’affronter plusieurs adversaires sans voir l’échiquier. En 1933, Alekhine, ouvrant le bal, s’était ainsi mesuré à l’aveugle à trente-deux adversaires, et, le record, aujourd’hui, est détenu par un grand maître qui s’est servi de la méthode mnémotechnique dite du palais de la mémoire pour affronter simultanément quarante-huit adversaires. Ce Timour Gareïev, originaire d’Ouzbékistan, a choisi de faire son show en 2016 en direct de Las Vegas, et, pour l’aider dans sa performance, il avait exigé un accessoire particulier, auquel je n’aurais pas pensé spontanément, une bicyclette de fitness. Pendant toute la durée de la simultanée, il avait pédalé lentement sur son vélo d’appartement, les yeux bandés, seul au milieu du cercle de ses adversaires assis devant leurs échiquiers.
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À l'heure où on nous incite de toutes parts à réfléchir au futur, c'est vers le passé que je me tourne irrésistiblement. Je sens en permanence, dans mes rêveries ou dans ce que j'écris, le passé qui affleure.
Des sirènes inconnues m'appellent vers les grands fonds océaniques de mon adolescence, et je ne fais rien pour résister au charme de leur chant, à l'agrément de leurs lyres, je me laisse descendre avec délices vers les abysses, avec volupté, avec ivresse, je n'oppose pas de résistance, j'accompagne le mouvement du souvenir.
Mais j'ai bien conscience aussi qu'à écouter ces sirènes et à m'enfoncer ainsi toujours plus voluptueusement dans les profondeurs de la mémoire, c'est autant vers le passé que vers la mort que je me dirige - car on n'entreprend pas impunément une telle exploration dans les temps disparus -, et que, une fois le voyage commencé, la descente vers les abysses entamée, il ne faudra plus quitter ce rêve ou cette invocation, il ne faudra en aucun cas ouvrir les et regarder tout en bas- au risque de l'effroi.
Car, aux confins de ces grands fonds, à travers les eaux troubles et indécises du souvenir, c'est le terme du voyage qui se profile et c'est le visage de ma propre mort que je risque d'apercevoir dessiné dans le sable.
p.84
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(...) je voulais que ce livre soit une réflexion plus ample sur la littérature, je voulais que ce livre dise l'origine de ce livre, qu'il en dise la génèse, qu'il en dise la maturation et le cours et qu'il le dise en temps réel; (...) Je voulais que ce livre soit sensible, concret, malicieux, humain, ombrageux, imprévu, généreux, je voulais que ce livre soit tout à la fois un journal intime et la chronique d'une pandémie...

(p.189)

Qu'impôrte ce que je recherche à travers l'écriture, qu'importe, finalement, ce que les livres racontent,l'écriture est cet abri mental dans lequel je me réfugie pour résister au monde.

(p.193)
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Par ailleurs, je voudrais dissiper deux malentendus .
1) La littérature n'a pas pour vocation de raconter des histoires.
2) L'écrivain n'a pas à délivrer de message.
La littérature est un art. Dans le meilleur des cas, il peut se dégager d'un livre une vision du monde, un rythme, une énergie, et un échange d'intelligence et de sensibilité peut s'opérer entre l'auteur et le lecteur. C'est ce qui se passe en général avec les livres des grands auteurs, reconnus par la critique et l'université.

(p.38)
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(Les premières pages du livre)
1
J’attendais la vieillesse, j’ai eu le confinement.

2
Il arrive, parfois, dans la vie, que le temps du monde, le temps de l’histoire — le temps des guerres et des pandémies — entre en résonance avec le temps intime de nos vies personnelles. C’est ce qui m’est arrivé au printemps 2020. Ce qui est advenu alors, pendant ce premier confinement qui a engourdi le monde, c’est une collision inattendue, une coïncidence imprévisible entre deux moments de ma vie que rien n’aurait dû rapprocher.

3
Un jour, pendant le confinement, je suis repassé devant l’école de la rue Américaine où j’allais quand j’étais enfant. Les rues de Bruxelles étaient désertes, on apercevait très peu de voitures dans le quartier. Arrivé devant le bâtiment en briques rouges de mon ancienne école, j’ai poussé la porte et j’ai jeté un coup d’œil dans le hall d’entrée. Je reconnaissais à peine les lieux, seule l’odeur m’a transporté fugitivement en arrière dans le temps, tout le reste me demeurait étranger. Derrière une succession de portes vitrées et de couloirs, je devinais un arrière-plan indifférencié de fenêtres en hauteur et de salles de classe. Une cour de récréation, un préau désert. Je ne suis pas entré dans l’école, je suis resté sur le pas de la porte. Je me tenais là, immobile au seuil de ce grand hall dallé de noir et de blanc, et ce qui apparut alors devant moi dans la lumière éblouissante du soleil de ce matin de mars, dans une sorte de réverbération visuelle issue des profondeurs du temps, comme lorsqu’on aperçoit, dans un mirage, des formes très lointaines qui se mettent à onduler sous la chaleur, c’est le carrelage en damier noir et blanc de ce grand hall d’entrée tel qu’il devait être au milieu des années 1960, souvent mouillé de pluie, avec des traînées de boue et des traces humides de pas et de cartables à moitié effacées. Je regardais ce vieux carrelage noir et blanc aujourd’hui sec et poussiéreux sur lequel se reflétaient et s’entremêlaient des ombres en mouvement, lentes et paresseuses, venant des branches des marronniers de la cour de récréation ou de plus loin encore, des abysses du passé, et je me suis alors rendu compte — jamais cela ne m’avait frappé auparavant — que le sol du hall d’entrée de mon ancienne école avait des allures d’échiquier.

4
J’étais là, immobile, devant l’échiquier de ma mémoire — et j’y resterai tout au long de ces pages, c’est le présent de ce livre, c’est son présent infini.

5
Dans La Vie mode d’emploi, Georges Perec applique un principe dérivé d’un vieux problème bien connu des amateurs d’échecs : la polygraphie du Cavalier. Il s’agit d’un problème mathématicologique, appelé aussi algorithme du Cavalier, fondé sur la marche du Cavalier aux échecs, qui consiste à faire parcourir au Cavalier les soixante-quatre cases de l’échiquier sans jamais s’arrêter plus d’une fois sur la même case. Je ne viserai pas ici une telle exhaustivité autobiographique. Non. Tout au plus me contenterai-je de promener négligemment mon Cavalier de case en case au gré de mes souvenirs, en tâchant de redonner vie à quelques fragiles silhouettes furtives et émouvantes qui ont traversé ma vie.

6
Le phare, symbolique, du quartier de mon enfance, c’est l’immeuble du 2, rue Jules Lejeune, à Bruxelles, qui se dresse à l’angle de la place Charles Graux et domine de sa hauteur la rue Washington. C’est un immeuble de pierre grise et de briques rouges qu’on aperçoit de loin, et je ne manque jamais, quand je repasse aujourd’hui dans le quartier, de jeter un regard à la fenêtre du quatrième étage. Je regarde cette fenêtre, et j’ai parfois l’impression de deviner l’enfant que j’étais derrière la vitre. Oui, je me revois là en pyjama en train de guetter le retour de mes parents qui ne rentraient pas. Mes premiers souvenirs d’inquiétude datent de cette époque — et, si le souvenir est si vif, c’est que c’est sans doute là, à sept ans, que j’ai imaginé pour la première fois la mort de mes parents.

7
Rue Jules Lejeune, rue Washington, place Leemans, je pourrais établir la carte de la géographie privée de mon enfance, où quelques lieux apparaîtraient comme autant d’abris rassurants, la Plaine de jeux Renier Chalon, mon école de la rue Américaine, le super GB du voisinage qui a fini par changer de nom pour des raisons de restructurations commerciales qui m’échappent et m’indiffèrent, le « petit Espagnol » de la chaussée de Waterloo, où mes parents nous emmenaient parfois dîner ma sœur et moi. Au cœur de cet univers stable et rassurant de l’enfance trônait la chambre de la rue Jules Lejeune que j’occupais avec ma sœur. Je me souviens des environnements fictifs qu’on y construisait avec Anne-Do, de nos cabanes imaginaires, des noms qu’on s’inventait pour agrémenter nos chimères. Moi, j’étais Michel, en hommage au héros éponyme de la Bibliothèque verte, Michel mène l’enquête, Michel en plongée, Michel poursuit des ombres. Michel ! Au-delà de cette topographie stable autour du havre de paix de la rue Jules Lejeune, un monde inconnu s’étendait, immense et indifférencié, où ne surnageaient que quelques rares îlots familiers, Sars-Dames-Avelines, Ostende, Le Coq, où nous passions les vacances avec nos grands-parents, et qui, dans la perception enfantine que nous avions alors du monde, nous paraissaient à des distances transatlantiques de Bruxelles.

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Nous sommes en septembre 1963, quelques semaines seulement après ma première rentrée scolaire à l’école de la rue Américaine. Au panthéon familier et réconfortant de mes parents et de mes grands-parents, vient de s’ajouter un nouveau personnage bienveillant, l’instituteur, M. Massoul. Assis derrière nos pupitres dans une de ces salles de classe des années 1960 agrémentée d’un tableau noir et de cartes de géographie aux couleurs que le souvenir délave, nous apprenons à écrire, nous traçons, avec un porte-plume, des rangées de lettres d’une écriture arrondie, appliquée. Silence dans la salle de classe, crissements des plumes métalliques sur le papier blanc légèrement pelucheux des cahiers d’écolier. L’instituteur nous donne un devoir pour le lendemain, des lignes de lettres à tracer. De retour à la maison, je fais mes devoirs dans ma chambre de la rue Jules Lejeune. Appliqué, je trace des lignes de lettres dans mon cahier d’écolier, des lignes de « a », des lignes de « b », des lignes de « c ». Tita, ma grand-mère maternelle, est à la maison ce jour-là. Elle boit une tasse de thé et me regarde tracer mes lettres avec attendrissement derrière sa voilette — pressent-elle déjà l’écrivain que j’allais devenir ? —, et soudain je fais une tache d’encre sur la feuille. Blop. Un pâté. Ma poitrine se contracte, je suis sans force, le monde vient de s’écrouler autour de moi. C’est la première catastrophe absolue à laquelle je suis confronté dans ma vie professionnelle. Je ne sais comment réagir. Je suis un petit garçon de six ans (même pas six ans, cinq ans et demi à la rentrée scolaire 1963), et je suis effondré. Tita prend les choses en main, cela ne lui paraît pas aussi dramatique qu’à moi, aussi irrémédiable, cette tache dans mon cahier d’écolier. Avec une gomme, elle essaie de faire disparaître la tache. Rien n’y fait, l’encre ne part pas avec cette qualité particulière de gomme dont elle se sert, qui ne réussit qu’à affaiblir encore un peu plus le papier, à le froisser davantage, à le fragiliser, à le mettre en danger. J’observe, d’un regard anxieux, le déroulement des opérations. Je suis au bord des larmes. Il faut employer les grands moyens. Une lame de rasoir, dit Tita. Une lame de rasoir ? Branle-bas le combat dans l’appartement, on cherche une lame de rasoir, on va de pièce en pièce, on ouvre les tiroirs, Tita finit par dénicher une lame de rasoir dans la salle de bain. Elle m’assure que je vais être sauvé, que tout va s’arranger, que je devrais pouvoir éviter la prison. Tita s’assied devant mon cahier d’écolier, elle se prépare pour l’intervention, elle relève les manches de son cardigan, elle éprouve la lame de rasoir sur le buvard du bureau, elle sort un coin de langue entre ses lèvres pour affûter sa concentration. Avec précaution, elle se met à gratter, prudemment, l’encre dans mon cahier, à le râper avec le tranchant de la lame. La tache s’étiole, s’amincit, s’amoindrit — et soudain la lame perce le papier. Il y a un trou dans mon cahier ! Au drame s’ajoute le drame, à la catastrophe se greffe la catastrophe, c’est le sur-accident selon le vocabulaire consacré. Un trou, béant, cerné de minuscules résidus crénelés d’encre bleue, en plein milieu de la page de mon cahier d’écolier. C’en est fini pour moi, je m’effondre sur le bureau, je sanglote, en appui sur mon bras. C’est l’exil, le bannissement assuré. Je ne sais plus comment l’histoire s’est terminée (sans doute Tita a-t-elle écrit un mot à l’instituteur pour lui expliquer l’incident). Mais cet épisode traumatique de mon enfance révèle un trait de mon caractère qui m’aura empoisonné toute la vie, la quête épuisante de la perfection, qui, ce jour-là, s’est manifestée avec d’autant plus d’intensité que j’en ignorais la cause, que j’en subissais les souffrances sans en connaître l’origine.

9
J’ai un autre souvenir de la même eau. C’est quelques années plus tard, j’ai maintenant une dizaine d’années, et nous faisons une dictée. Je m’applique. M. Massoul, notre instituteur, passe entre les rangées, jette un coup d’œil sur les cahiers. Parfois, il s’arrête auprès d’un camarade et lui indique un mot ou une phrase du doigt pour signaler la présence d’une faute. La dictée se poursuit. L’instituteur s’arrête à côté de moi, regarde par-dessus mon épaule et me dit avec bienveillance qu’il y a une faute, mais il ne me dit pas où, dans quelle phrase, dans quelle partie du texte. Il me dit juste : « Il y a une faute » — et c’est comme s’il venait de placer une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je cherche, mais je ne trouve pas la faute, je sens le contact acéré du fer de la pointe de l’épée
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