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Citations de Jean Rouaud (317)


Quand le soir tombe, le jeune homme au teint blafard entre en agonie. Cette fois, le médecin major ne laisse plus d'espoir. La jeune promise passe régulièrement dans la pénombre, et doucement, pour ne pas gêner ceux qui dorment, pose un linge frais sur son front, remonte les draps sur sa poitrine, et, quand un accès brutal de toux le fait se dresser dans son lit, elle le prend comme un enfant dans ses bras et lui verse entre les lèvres une cuillerée de sirop.
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La pluie s'annonce à des signes très sûrs : le vent d'ouest, net et frais, les mouettes qui refluent très loin à l'intérieur des terres et se posent comme des balles de coton sur les champs labourés, les hirondelles, l'été, qui rasent les toits des maisons, tournoient, attentives et muettes, dans les jardins, les feuillages qui s'agitent et bruissent au vent, les petites feuilles rondes des trembles affolées, les hommes qui lèvent le nez vers un ciel pommelé, les femmes qui ramassent le linge à brassée (incomparables draps séchés au vent de la mer - cet air homéopathique d'iode et de sel entre les fibres), abandonnant sur le fil les épingles multicolores comme des oiseaux de volière, les enfants qui jouent dans le sable et que les mamans rappellent, les chats à leur toilette qui passent la patte derrière l'oreille, et trois petits coups d'ongle sur le verre bombé du baromètre : l'aiguille qui s'effondre.
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Avant toute chose, grand-mère ne voulait pas qu'on pensât qu'il était dans ses habitudes de faire les poches de son mari. Ce n'était pas son genre. Mais il fallait considérer les circonstances et, là, ces soi-disant aveux abracadabrants, il y avait de quoi nourrir des soupçons. Des soupçons entièrement justifiés d'ailleurs : elle montrait à Lucie un petit rectangle de carton rose, un billet portant date et destination et dénonçant sans discussion, un aller-retour pour - et plutôt que de prononcer là peine prononçable elle le donna à lire - l'île du Levant : le paradis des naturistes.
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Avec grand-père, on avait tout de la mouche du coche. On avait beau le mettre en garde, le prévenir en rapprochant les mains l'une vers l'autre que l'obstacle à l'arrière n'était plus qu'à quelques centimètres maintenant, il vous regardait avec lassitude à travers la fumée de sa cigarette et attendait calmement que ses pare-chocs le lui signalent. A ce jeu, la carrosserie [de la 2 CV] était abîmée de partout, les ailes compressées, les portières faussées. La voiture y avait gagné le surnom de Bobosse. Si grand-père l'apprit jamais, il faisait montre de suffisamment d'indifférence pour ne pas s'en émouvoir, et il est vraisemblable que ses pensées nous avaient catalogués une fois pour toutes : petits morveux, ou ce genre. Peut-être s'en moquait-il vraiment.
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De fait, il (grand-père) fumait bien son champ de tabac à lui seul, allumant chaque cigarette avec le mégot de la précédente, ce qui, quand il conduisait, embarquait la 2CV dans un rodéo improvisé. Le mégot serré entre le pouce et l'index de la main droite, la cigarette nouvelle au coin des lèvres, il fixait attentivement la pointe rougie sans plus se soucier de la route, procédant par touches légères, tirant des petites bouffées méthodiques jusqu'à ce que s'élève au point de contact un mince filet de fumée. Alors la tête rejetée en arrière pour ne pas être aveuglé, bientôt environné d'un nuage dense qu'il balayait d'un revers de la main, il soulevait du coude la vitre inférieure battante de la portière, jetait le mégot d'un geste vif et, toujours sans un regard pour la route, donnait un coup de volant arbitraire qui secouait les passagers en tous sens.

page 10 - J'ai adoré imaginé la scène!
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Ne t'inquiète pas, me disait Chardin. L'art se moque de ce qui brille. Fais comme moi. Fais la sourde oreille. Rends compte le plus honnêtement, le plus simplement, de ce que tu vois. Et si tu sais voir, ce qui implique de fermer les yeux, tu y verras des beautés qui valent largement celles des beaux quartiers. (p. 13 / Gallimard, collection Blanche, 2010)
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- On affirme souvent que « tout le monde peut écrire ».
Jean Rouaud : - Je l’ai moi-même cru longtemps, et j’ai été plutôt enclin
à inciter à écrire tous ceux qui en manifestaient le désir. On est tous,
tout le temps dans l’écriture – d’un rapport, d’une carte postale, pour
laquelle on essaie de trouver une tournure un peu fine, un peu drôle.
Et on est tenté de se dire qu’il suffirait d’allonger la phrase pour lui
faire porter une histoire, et que, ma foi, de la carte postale au roman,
il n’y aurait qu’une question de temps et d’énergie.
En fait, je crois de plus en plus que ce saut de la carte postale au livre,
c’est l’engagement de toute une vie. Ce n’est pas quelque chose qui
se fait impunément. Il y a un prix très lourd à l’écriture, qui consiste
à abandonner, en fait, quasiment toute ambition sociale."
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Mais enfant, l'expression « vieux garçon » m'intriguait. J'essayais d'imaginer un bébé avec des rides et une moustache blanche. J'ai compris plus tard qu'un vieux garçon est un petit garçon qui se refuse à vieillir.
Page 18
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N'ayant aucun talent de ce genre, je savais bien quelles fiches on sortirait à mon intention : OS, autrement dit ouvrier spécialisé, ce qui contrairement à sa dénomination signifiait un homme sans qualification. (Gallimard, 2010,p. 89)
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C'est un sentiment que je connaissais bien, ce besoin de rectifier sa position dans le miroir de l'autre. Une façon de dire ne vous méprenez pas sur moi, ne tirez pas de conclusion à partir de ce que vous percevez. Tentation de se démarquer de la fonction à quoi les gens vous réduisent. Et vous réduisent longtemps quand bien même elle n'est plus d'actualité. J'avais beau avoir quitté le kiosque depuis des années, il se trouvait toujours des gens qui me renvoyaient au marchand de journaux. Ce qui ne partait pas toujours d'une intention bienveillante. Ce qui traduisait dans ce cas, en cherchant à me rabaisser, le peu d'estime qu'ils avaient pour la fonction. (p. 72)
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"Il apparaît que c'est un talent de savoir cajoler un enfant, le bercer, inventer pour lui une foule de diminutifs, lui chantonner des chansons douces, attendre patiemment qu'il ait fini de mastiquer avant de lui tendre une nouvelle cuiller, c'est un don, comme le dessin, la poésie ou l'art d’accommoder les restes."
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Ce sont mes livres au fil des parutions qui m'ont peu à peu ouvert les yeux.C'est parce que quelque chose m'entravait, m'empêchait de vivre, que je m'étais lancé, en toute innocence, dans le récit de mes morts.

( p.97)
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Page 80 :
Imaginez au débouché d'une sente obscurcie par le couvert des arbres tomber sur cette plage de galets géants, non pas enracinés comme l'est une montagne surgie du sol, mais déposés, comme s'ils étaient le résultat d'un bombardement céleste de grêlons monstrueux, lesquels dans leur chute prodigieuse auraient provoqué une trouée dans la prolifération des arbres et repoussé à la périphérie l'invasion de cette armée de fûts dressés, rétablissant face au bouillonnement éphémère de la vie végétale l'éternité immobile du minéral. Vengeance des "forces" du ciel contre les "forces" de la Terre ? Le monde du haut contre le monde du bas ? La guerre des mondes ? Mais comment ne pas voir dans ce déluge de rochers la manifestation et la présence des puissances supérieures ?
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Page 85
Après la mort de papa, c’est un sentiment d’abandon qui domine. Le cours des choses épousait sa pente paresseuse avec un sans-gêne barbare : jardin envahi par les herbes, allée bordée de mousses vertes, le buis qui n’est plus taillé, les dalles de la cour qui ne sont plus remplacées et où l’eau croupit, le mur de briques percé de trous, les objets en attente d’un rangement, les rafistolages dans un éternel provisoire. Plus rien ne s’opposait au lent dépérissement.
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Rapides, tendues, ou au contraire se posant en bout de course avec mollesse, les gouttelettes frappaient au petit bonheur le coin de l'oeil, la tempe, la pommette, ou visaient droit au creux de l'oreille, si imprévisibles, aux paramètres si compliqués, qu'il était inutile de chercher à s'en prémunir, à moins de s'enfouir la tête dans un sac. Le jeu, bataille navale rudimentaire, consistait simplement à annoncer "Touché" quand l'une d'elles, plus forte que les autres, nous valait un sursaut, le sentiment d'être la cible d'un tireur inconnu.
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Le temps pour les vies procède comme pour les tableaux, les recouvrant d’une pellicule terne qui fait douter de l’éclat de leur jeunesse.
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Il livra ses premières impressions, précisa bien entendu qu'il n'était pas un spécialiste, que son ressenti n'engageait que lui et n'avait pas de valeur d'exemple, mais il avait pris beaucoup de plaisir et puis ah oui, il avait beaucoup ri.Comment ça ? Il avait ri ? Oui, enfin souri, souvent. Et je tombai des nues.J'étais persuadé d'avoir écrit un livre endeuillé, inondé de chagrin, et quelqu'un en qui j'avais pleine confiance m'expliquait que mes sombres nuages étaient troués de rais de lumière. Loin de m'en indigner, la nouvelle me ravit.

( p.157)
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J'avais le sentiment d'être Van Gogh chez les Verdurin, son oreille dans la poche.D'où je tirai cet aphorisme : je parle de Van Gogh je suis tout, je suis Van Gogh je ne suis rien.
Quand bien même j'aurais aspiré à autre chose, ma place on me l'avait assignée. C'était celle du chouan au milieu des émigrés dans un salon de Londres.

( p.105)
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Pénible, la vente des journaux pouvait l'être, principalement les longs mois d'hiver où je désespérais de la venue des beaux jours.(...)

Quant au faible prestige de la profession, inutile de m'enfoncer davantage, j'étais parfaitement au courant.

(...)Mais ça m'était égal à présent que mon manuscrit était accepté par l'éditeur. Je pouvais bien vendre des journaux à vie.J'avais désormais le seul passeport qui m'intéressait à présenter à mes semblables.On ,et quelqu'un dont le jugement valait de l'or, m'avait reconnu écrivain. Je figurais dans le même catalogue que Beckett et les auteurs du Nouveau Roman (...)

( p.52)
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Si la réplique m'avait marqué c'est sans doute que cette idée d'un premier ancêtre, d'un " premier homme" comme dit Camus, m'encourageait dans ma quête d'une reconnaissance littéraire. Qu'il n'était nul besoin pour ça de quartiers de noblesse et de sang bleu. La poésie nichait aussi bien dans la tête d'un truand du Quartier latin à la fin du Moyen-âge que dans celle, butée, d'un collégien de Charleville sous le Second Empire. On pouvait être à soi- soi-même son propre lignage et à rebours, grâce au pouvoir d'agencement des mots, anoblir ceux de qui l'on procède et qui, aux yeux du monde, étaient jusque- là des moins que rien.Si je réussissais ma " campagne poétique ", moi le sans- grade rejoignant à grands coups de phrases comme de sabre les princes du verbe, j'adoubais les miens.

( p.26)
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