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Citations de Jean Rouaud (317)


La nouvelle frontière, ce n'est pas la Lune, comme annoncée en désespoir de nouveaux terrains à conquérir, à la surface de laquelle aujourd'hui flottent bêtement sous les vents solaires six ou sept drapeaux d'un Etat fantôme, ce n'est pas Mars qui n'a que son désert rouge à proposer et dont les Martiens peuplent notre imaginaire, la nouvelle frontière, c'est le temps.
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La Bretagne avait le don de ces commerces composites où les couples réunissaient leurs talents comme on ajoute une corde à son arc dans l'espoir d'améliorer l'ordinaire. Certains étaient de vrais maître Jacques : maraîchers le matin, coiffeurs l'après-midi, agents d'assurances le soir. Le débit de boisson était l'appoint obligé. N'exigeant de son propriétaire aucune formation spécifique sinon de réussir à remplir les verres à ras bords ( avec ce coup de main précis qui imprime un demi-tour à la bouteille afin d'éviter que la dernière goutte ne glisse le long du goulot), il garantissait un revenu minimum mais constant, la baisse de la consommation n'atteignant les plus fervents que sur leur lit de mort.
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« Les morts, c’est comme la semence, on met en terre et après, tout dépend du ciel. » Peut-être en effet est-ce parce qu’ils enterrèrent d’abord leurs morts que les premiers hommes, confiants en la résurrection, inventèrent des millénaires plus tard ce geste plein d’espérance d’enfouir des graines dans le sol.
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Le photographe annoncé était Robert Doisneau et, heureux à l'idée de le rencontrer, j'avais emporté tous les ouvrages que je possédais de lui: quelques albums et son livre de souvenirs intitulé d'après un mot de Prévert " À l'imparfait de l'objectif ", paru l'année précédente. Sans qu'il en sût rien il avait été un de mes compagnons de route au cours de ces années obscures.Cette façon de s'intéresser aux gens modestes qui avaient constitué le tableau de son enfance et qu' il traquait encore dans les interstices d'une société bousculée par la modernité, avait guidé mon travail.

( p.225)
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Je m'imaginais réitérant inlassablement mon refus d'effectuer mon service militaire, comme je l'avais écrit sur toutes mes copies depuis deux jours. Objecteur de conscience, alors ? Non, non, pas seulement la conscience, tout objecte chez moi. Rien ne me va de ce que vous me proposez, ni l'uniforme quand je tiens à ma singularité, ni obéir aux ordres quand je tiens à ma liberté, ni porter une arme quand j'avance dans la vie, démuni, bras ballants. ( (Gallimard, 2010, p. 212)
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Ce qui nous réunissait dans ce bistrot de Montmartre, ce n'étaient pas simplement les hasards de la vie ou le jeu des relations. nous étions tous les trois des sortes de naufragés volontaires. Quelles que soient les raisons, personnelles ou relevant de l'histoire récente du pays, aucun de nous n'avait eu le désir de se fondre dans une vie programmée, ce qui, de l'extérieur, donnait l'image de ratés et de paresseux. De l'intérieur, on considérait les choses autrement. " Plutôt la vie avec ses salons d'attente/ Lorsqu'on sait qu'on ne sera pas introduit", dit Breton. Introduits, nous ne l'avions été nulle part. Quelquefois embarqués et toujours débarqués pour incompatibilité avec les lois fondamentales du monde du travail et de la promotion sociale. (p. 195)
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Si l'on considère que le kiosque évoque un théâtre de marionnettes- d'ailleurs les enfants le percevaient ainsi qui, s'éloignant, ne pouvaient s'empêcher de se retourner encore une fois, et de demander à leurs parents, pensant ne pas être entendus, mais par où il rentre le monsieur ? ou bien, c'est sa maison ? ou bien, c'est le père Noël ?
-, il en était le héros récurrent, d'où ne dépassaient que la tête, le haut du corps et les bras derrière ses piles de magazines. (p. 42)
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C’est la guerre qui l'avait chassé d'Europe. Il était venu au début des années trente à Paris parce qu’à New York il lui était impossible de s’affirmer comme écrivain, se sentant comme un poisson hors de l’eau, étranger en son propre pays. Parce que le regard des autres le voyait comme un raté. Parce qu’il se moquait bien de ce que la société attendait de lui, qu’il grimpe les échelons de la Western Union Telegraph où il était directeur du personnel. Parce que lui, ce qu’il voulait c’était écrire. 
Dans une lettre à Frédéric Jacques Temple qui fut son biographe, Henry Miller se confie: «Je n'ai jamais eu aucune aptitude à gagner ma vie. Je n’avais non plus aucune ambition. Mon seul but était de devenir écrivain.» Et plus loin: «Je n’ai jamais eu personne sur qui m’appuyer, qui me conseille ou me dirige.» Ayant lu à peu près tout ce qu’on pouvait trouver en français de sa main, jusqu’à sa correspondance avec Durrell, je m’appuyais sur lui. 
C’est l'avantage des livres, qu’ils effacent le temps, les différences de langue et de pays. À Miller j’enviais cette liberté profonde qui le voyait discourir sur les espaces infinis et trois pages plus loin clouer des bardeaux sur un toit. Sans cette liberté-là, écrire ne valait pas la peine. Il n’avait pas eu à choisir entre le cancer du lyrisme et la vie quotidienne. Avec un immense goût de la vie, il avait tout pris du ciel et de la terre, sans se livrer à un tri dédaigneux de ce qui était poétiquement valeureux ou pas.
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Soleil, lune, éclipse, étoiles, nuit, nuages, pluies, tempêtes, neige, orage, arc-en-ciel, il s'en passe de drôles là-haut. Même si depuis quelques milliers d'années on constate une nette amélioration. Souvenez-vous du temps de Lascaux, il ne faisait pas bon mettre un chien dehors, un temps peu clément, à courir tous aux abris sous roche, à s'enfouir sous terre. Température presque sibérienne, et une végétation rase, toundra, lichen, au bonheur des rennes. C'est sans doute en suivant ces grands troupeaux que ceux-là de la péninsule armoricaine ont dû rater un embranchement, bifurquer et être arrêtés par l'océan. Ils installèrent là leur résidence balnéaire, la terre prit un coup de chaud et peu à peu se couvrit de ces forêts denses que l'on regardait grandir. Là où autrefois, du temps de la steppe, le regard portait jusqu'à l'horizon, le voilà maintenant forcé de suivre ce mouvement ascensionnel. Changement de perspective. C'est désormais la verticale qui s'impose. On ne s'enfouit plus, on s'élève.

Sur ce haut blason armorié qu'est le menhir brisé aux restes dispersés à Gavrinis et Locmariaquer, les bâtisseurs sédentaires persistent et signent, où sont gravées une araire, des têtes de bovidés et une hache. Agriculture, élevage et déboisement. C'est exactement le programme de tout candidat du Néolithique. Respecté à la lettre à Carnac. Mais maintenant que les techniciens ont fait leurs preuves, on s'autorise à passer aux choses de l'esprit, la même chose, en fait, mais dans son émanation poétique.
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J'attends toujours que demain me rende heureux.
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Si Doisneau se repentait de son attitude, c'est bien que, spontanément de naissance, il savait qu'il aurait dû prendre le parti du pauvre Chaissac, qui avait tout pour être un frère, et non celui suffisant des puissants.D'autant qu'il l'avait vu profondément malheureux.Son village au milieu du bocage le martyrisait et sa femme le tenait pour un bon à rien.(...)
Chaissac n'était pas seulement peintre, mais poète :" c'est la magie des mots d'amour, d'une turbine regret d'un jour, j'en reste sardine." Je citai à Robert le poème. Le peu de reconnaissance qu'il avait eu de son vivant avait été un avertissement pour moi.
Cette photo de Doisneau où de profil, casquette sur la tête, il présente une de ses oeuvres, une pierre grossièrement retaillée sur laquelle il a peint un visage et un semblant de costume, était à mes yeux l'expression même de la solitude et du dénuement tandis que j'avançais dans mes " Champs d' honneur".Par un effet de miroir, je me préparais à encaisser ce chagrin d'une vie sans considération.

( p.232)
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Mais il n'y a pas que l'ennui, la solitude aussi amène à faire des choses étranges. (p. 10)
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C'est précisément au kiosque, au cours de ces sept années, que s'est opérée cette transmutation. Laquelle consistait à admettre ceci, qui ne se réalise pas du jour au lendemain mais est un long processus : il n'y a pas de choses viles (...) sinon par le regard qu'on pose sur elles. Dès lors on peut déposer comme offrande dans le temple poétique toute une brocante d'indésirables au rayon des précieux (...) (p. 119)
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Le Progrès est nécessairement infini, comme ces serments d'amour, plus qu'hier et bien moins que demain. (p. 60)
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A quoi bon le progrès si l'humanité commence d'emblée par la Chapelle Sixtine ? (p. 230)
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Leur intérêt [aux marchés], c'est le profit. Leur intérêt c'est, par exemple, de nous intéresser à des choses inintéressantes qui sont en revanche pour eux source d'intéressement. De sorte que la seule façon que nous ayons de nous défendre, c'st de marquer notre désintérêt. Notre désintérêt ne fait pas l'affaire leurs intérêts. Ce qui est intéressant. Pour nous bien sûr, pas pour les marchés.
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On connaît l'apostrophe solennelle de René
Char : « Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud », proférée en roulant les « r » et tombant de la haute stature du colosse du Vaucluse. Ce qui, en dépit de la considération pour sa poésie, peut conduire à se demander de quoi je me mêle, au nom de quoi aurait-il son mot à dire, qui plus est rétrospectivement quand les dés ont été depuis longtemps jetés, et d'abord qu'est-ce qu'il en sait, lui qui, en quatre-vingts ans, n'a quasiment jamais quitté L'Isle-sur-la-Sorgue alors que l'autre, encore gamin, avait déjà parcouru l'Europe à pied de l'Italie jusqu'à la Suède, échoué à Java après s'être engagé dans l'armée coloniale hollandaise pour toucher la prime, manqué de périr en mer en passant le cap de Bonne-Espérance et d'insolation sur une route italienne, travaillé dans un cirque, fabriqué des boîtes, été précepteur, traducteur, interprète, marin, dirigé un chantier à Chypre. Et on n’est pas encore à Aden, et de là à Harar en Abyssinie…
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Page 76 :
Mais quel "foyer" gigantesque que cet amas rocheux. Quel feu prodigieux devait s'élever ici vers le ciel. Et quelle force, les puissances terrestres, pour être en mesure de déplacer et d'agencer de tels blocs. Si je ne suis pas vu de vous qui circulez entre les immenses galets de grès en vous émerveillant d'une facétie de la nature, que vous attribuez à des restes de sables compactés de la plage d'une mer ancienne qui s'étalait là au temps que vous nommez l'Eocène, en m'introduisant dans ces failles, ces alcôves aménagées au coeur du chaos, je rentre en contact avec les puissances telluriques du lieu.
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Qu'il pleuve à marée montante, ce n'est pas à proprement parler une pluie. C'est une poudre d'eau, une petite musique méditative, un hommage à l'ennui. Il y a de la bonté dans cette grâce avec laquelle elle effleure le visage, déplie les rides du front, le repose des pensées soucieuses.
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"Embrassez votre père", avait-elle demandé devant le cadavre habillé, cravaté, allongé mains croisées au milieu du lit, position qui dénonçait bien le caractère extraordinaire de la situation (d'habitude, papa dormait à gauche). La première fois, il avait gardé un peu de chaleur. La peau fraîchement rasée de ses joues sentait l'eau de toilette, une certaine élasticité demeurait. L'épreuve n'avait pas été plus rude que d'embrasser un bébé endormi : on se penche avec précaution, on applique un baiser rapide, à peine le temps d'éprouver du bout des lèvres la température du corps, et hop, on retourne, mission accomplie, se blottir autour du fauteuil que maman n'a pas quitté. (La seconde fois, juste avant la mise en bière, alors qu'une odeur sure montait de son ventre, on s'était carrément dérobé.)
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