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Critiques de Jorge Semprun (195)
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Le Grand Voyage

Il y avait ceux qui était dedans et mourraient, et ceux qui continuaient à vivre dehors.



Jorge Semprun le dit lui-même, il lui aura fallu longtemps avant de prendre la plume et dire à ceux qui n'y étaient pas, ceux qui étaient en dehors de ça, comment c'était dedans. Le dedans c'était le wagon. le camp par la suite. Le dehors c'était tout le reste. En particulier les témoins, conscients ou non, mais toujours un peu complice quelque part, par action ou par démission. Ceux qui regardaient le train quitter la gare, longer la vallée de la Moselle, cahoter pendant des jours et des jours dans l'air glacial.



Le dehors c'est nous aujourd'hui, spectateurs incrédules d'une mémoire. Comment cela a-t-il été possible ? Nous n'y étions pas. Alors Jorge Semprun nous dit comment c'était dedans. C'était hier, c'était la réalité. C'était le cauchemar que l'imagination n'avait pu envisager. Et pour cause. L'imagination était restée dehors. C'est aujourd'hui le témoignage.



Il a fallu des années pour que le temps fasse son oeuvre. Que l'oubli fasse son oeuvre. Pas l'oubli de l'inoubliable bien sûr. Il est désormais inscrit dans chaque cellule de celui qui y était. Mais l'oubli de l'effroi, de la colère, de la vengeance. Il lui a fallu, à lui Jorge Semprun, le temps de bannir de son vocabulaire les mots durs, ceux dictés par la fièvre, pour en parler avec ceux de la mémoire, des mots froids et purs. Dépouillés du ressentiment.

Les mots adoucis ont plus de force pour exprimer l'indicible, et soulager le coeur.



Il a fallu écrire, plutôt que dire. Écrire pour ne pas être interrompu par un contradicteur. Il y en a eu. Il y en a encore. Écrire pour que les mots franchissent les générations et ne s'éteignent pas avec celui qui était dedans. Écrire pour que cet ouvrage rangé dans ta bibliothèque te fasse signe de temps à autre et te rappelle à l'inoubliable. Il y en a qui étaient dedans, et y sont restés. Tu es hors de tout ça. Spectateur éberlué.





N'oublie pas en particulier ces enfants dont je ne peux passer sous silence le sort qui leur a été réservé. Ces quinze enfants entre huit et douze ans, descendus miraculeusement d'un wagon en provenance de Pologne où tout le monde était mort congelé debout après dix jours sans boire ni manger. Quinze enfants massacrés parce que descendus vivants du wagon, d'une façon que je ne peux taire et te le dis page 194, édition Folio. C'est IN-SOU-TE-NA-BLE.



Le grand voyage, un ouvrage écrit en un seul chapitre ou presque. Comme un barrage qui se rompt d'avoir trop encaissé les coups de boutoir du cauchemar. Des souvenirs écrits à la première personne par celui qui était dedans. Dans le wagon. Des fragments de vie inoubliables avant, pendant, après le wagon. Après la libération. Des fragments qui se bousculent pêle-mêle tout au long d'un chapitre sans respiration. Et puis un deuxième chapitre, très court, écrit à la troisième personne. Par celui qui est dehors à l'heure où il écrit ces mots, rescapé, harcelé par ses propres souvenirs gravés dans son être, mais alors purgés de la haine après une convalescence nécessaire à l'épuration de ce venin qui est la cause de tout.



J'ai lu plusieurs témoignages de ceux qui ont été dedans, moi qui suis dehors. On ne peut dire que l'un est plus saisissant que l'autre. le fond est toujours dans les abysses de la bassesse humaine. C'est la forme, le savoir dire qui fait la différence. Celui de Jorge Semprun nous aspire dedans.



L'être n'est-il donc que corruption de lui-même au point de précipiter son retour vers le non-être ?

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L'évanouissement

Manuel tombe du marchepied d'un train en marche ; Il chute ; Il se blesse ; S'évanouit. Quand il revient à lui, sa mémoire est confuse, une voilure déchirée qui claque au vent. Deux images stagnent dans le cerveau de Manuel, deux images poétiques : la neige qui tombe et les lilas, l'odeur des lilas… Manuel est tombé du train qui le ramenait chez lui, dans sa banlieue parisienne et on murmure « a-t-il voulu se suicider ? ». Chez lui, à l'hôpital, il cherche à percer le mystère de ses deux images. Ancien déporté, il est revenu depuis peu ; sans l'écarter, ni la nier, la mort ronronne en lui ; il la câline presque, comme la seule concrétisation de sa vie. Alors il se remémore des souvenirs de sa vie passée, des fragments : le maquis, les combats, l'arrestation par la Gestapo, Buchenwald ; le reste n'a rien de tangible, presque une indifférence, une désinvolture du quotidien.

Que ce soit au bord d'un lac suisse où dans une chambre parisienne, Manuel redoute et espère ses amantes ; il redoute qu'elles l'enchaînent et espère qu'elles lui enlèvent son masque de solitude. Mais comment leur dire ? Alors, il préfère rire, boire, se moquer gentiment d'elles. Jorge Semprun dans ce beau livre limpide et léger comme un flocon de neige, parle de déracinement, d'incommunicabilité, d'amour et de perte. Les souvenirs de Manuel sont ceux de Semprun ; Souvenirs du passé, souvenirs de l'enfant espagnol déraciné, souvenirs du combattant, souvenirs du déporté, souvenir du clandestin du Parti communiste espagnol qui revient dans son pays. Et toute cette mémoire frappe fort dans sa tête, mais veut-il seulement lui ouvrir ? La dureté de la neige et la fragilité des lilas peuvent-elles panser ses blessures et angoisses anciennes, présentes et futures ?

Suffiront-elles à ne plus le faire s'enfuir dans la nuit soudain frappé d'insomnies ? Suffiront-elles à ne plus le faire glisser d'un train en marche ? Car dans ce livre la question demeure ? Manuel a-t-il voulu s'abandonner dans les bras de la mort comme dans les bras d'une amoureuse sincère et laisser son retour artificiel à la vie sur les chemins de sa mémoire...
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Le Grand Voyage

Le grand voyage, c’est le récit du trajet dans un wagon de train, avec 119 compagnons, vers la déportation. Ce n’est pas tant le voyage lui-même que le souvenir, l’empreinte indélébile laissée par le voyage dans la mémoire de Jorge Semprun.



Sous forme de longs monologues dans les pensées, des pensées qui occupent l’esprit pendant ces longues nuits, parfois des souvenirs de la résistance, de l’arrestation ou de la prison, des dialogues avec le « gars de Semur », compagnon d’infortune. En suivant le fil des souvenirs, on a parfois des événements qui viendront après, dans l’horreur camp et dans les jours qui ont suivi la libération.



Un texte biographique tout en introspective, sur un sujet difficile à supporter, mais avec aussi des réflexions sur la liberté, le partage, l’amitié.

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L'Ecriture ou la vie

Très beau récit. Semprun écrit ce livre en 1992, presque cinquante ans après avoir été libéré du camp de concentration de Buchenwald. Le récit nous révèle par des incessants allers-retours au fil des souvenirs et de la mémoire de l'auteur, comment il a été possible pour lui d'écrire après avoir vécu l'horreur absolue des camps. Comment écrire de la fiction ? Comment raconter ? Où est le rêve, la réalité ? Où est la vrai vie ? Les rescapés des camps de concentration n'en sont jamais réellement sortis, le mal absolu les hante pour toujours et leur donne cette sensation que la réalité est le camp et que maintenant ils vivent un rêve terrible car ils vont finir par se réveiller, ou ce qu'ils ont vécus n'est qu'un cauchemar et que ces années d'horreurs n'ont jamais existé. Sensation renforcée par l'incrédulité des gens lorsque la vérité sur les camps a été révélé. Semprun raconte comment Primo Levi n'a pas trouvé d'éditeur lorsqu'il a voulu publier son premier livre "Et si c'est un homme".

Semprun nous livre des réflexions admirables sur le mal, la volonté de vivre, la mort, l'écriture.

Si les premières pages du récit sont assez perturbantes par le style, au fil des pages on se laisse prendre par ces sauts incessants dans la mémoire de l'auteur. Les souvenirs et les thèmes reviennent de manière incessante et lancinante comme des leitmotiv qui hantent l'esprit de Semprun et qui l'empêche de vivre. La neige symbolise l'enfer de Buchenwald et revient sans cesse dans ses cauchemars.

Au fil du récit on a le sentiment d'écouter Semprun réfléchir à haute voix, d'être à ses côtés et de comprendre comment pendant des années écrire serait le droit chemin à la mort.

Seul l'art, la fiction sera capable de raconter.

"Comment raconter une vérité peu crédible, comment susciter l'imagination de l'inimaginable, si ce n'est en élaborant, en travaillant la réalité, en la mettant en perspective? Avec un peu d'artifice donc!....... par l'artifice de l'oeuvre d'art bien sûr!" (p166 Ed Folio).

"A Buchenwald, les SS, les Kapo, les mouchards, les tortionnaires sadiques, faisaient tous partie de l'espère humaine, que les meilleurs, les plus purs d'entre nous, d'entre les victimes... La frontière du Mal n'est pas celle de l'inhumain, c'est tout autre chose. D'où la nécessité d'une éthique qui transcende ce fonds originaire où s'enracine la liberté du Bien que celle du Mal... Une éthique, donc, qui se dégage à jamais des théologies, puisque Dieu par définition, est innocent du Mal. Une éthique de la Loi et de sa transcendance, des conditions de domination, donc de la violence qui lui est justement nécessaire..." (p216 Ed Folio).

La fin de l'ouvrage est désespérante. La réflexion sur l'inéluctable disparition des rescapés des camps et donc la perte de la mémoire physique du Mal absolu "dans la juste mesure où il es niché en chacun d'entre nous, comme liberté possible" (p374) vient en contradiction sur ce que nous révèle Semprun concernant l'utilisation de Buchenwald par les staliniens comme camp de concentration et où une nouvelle fois des milliers de personnes ont disparu. Le Mal absolu continu d'être présent parcequ'il est une liberté possible de chacun d'entre nous et donc il y aura toujours des témoins pour parler de ce Mal.

Un seul petit reproche au récit de Semprun, de nombreuses citations de poèmes, de textes en anglais, en allemand, en espagnol, italien,... m'ont perturbé dans ma lecture car la qualité et la profondeur de ces extraits m'ont échappé, ne connaissant pas suffisamment toutes ces langues, même si Semprun donne au fil du texte des traductions morcelées et des commentaires.

Livre très intellectuel mais une fois dépassé les références littéraires, philosophiques et poétiques on se laisse prendre par ce récit. Semprun nous invite, au travers de son expérience douloureuse, à une très belle réflexion sur le Mal.
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Quel beau dimanche !

Un livre exceptionnel.

Exceptionnel de par son auteur, Jorge Semprun, philosophe, dissident communiste, ex-ministre et résistant, déporté à Büchnewald.

Ce livre est aussi exceptionnel par son contenu matrice, un dimanche à Bûchenwald pendant l'hiver 1944

Encore un livre sur la shoah pourra t-on objecter...

Ce livre est bien plus que cela.(de plus Büchenwald n'était pas un camp, d'extermination mais un camp de concentration) Autour de cette journée pivot et de l'événement inouï, l'auteur fait des incursions dans le passé ou la période plus contemporaine, relatant sa vie de résistant, de responsable communiste, de réfugié espagnol. Cette architecture peut déconcerter le lecteur qui est déboussolé s'il n'a pas sous ses yeux un livre avec un récit au style "jardin à la française", une trame bien liinéaire, bien rangée.. Au cas présent, le propos est toujours intelligible passionnant et poignant.

L'oeuvre s'ouvre avec une scêne hallucinante, l'auteur est sur le point d'être abattu par un SS et doit son salut grace à Goethe...s'il est un endroit où la culture pouvait a priori n'être d'aucun secours c'était bien ce lieu de la négation absolue de toute dignité spirituelle. Ces premières lignes il n'y a guère que celles de Salambo, de mon point de vue, pour être aussi puissantes.

Le lecteur découvrira aussi des aspects méconnus de l'univers concentrationnaire de Bûchenwald où les communistes allemands assuraient de facto la gestion d'aspects essentiels de la vie du camp en particulier l'affectation des détenus. Une affectation dans un commando extérieur comme la dantesque usine souterraine de Dora et c'était la mort assurée dans des conditions de souffrance abominables.Cette situation n'est pas sans interpeller sur des questions philosophiques que Primo Levi avait aussi évoquées. La survie justifie t-elle la négation de certains principes éthiques ? Comment qualifier ce droit de vie oiu de mort de certains détenus sur la majorité des autres?

Oui un livre exceptionnel et un chef d'oeuvre
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L'Ecriture ou la vie

Récit sur l'avant et l'après Buchenwald, sur la formation intellectuelle et littéraire, traversé par la philosophie et la poésie. Quelques scènes du camp, avant et après sa libération, des bribes de la clandestinité espagnole, les femmes, l'alcool, les nuits blanches de 1945. Comme ça, comme cela vient au fil de l'écriture, des souvenirs de la vie du camp(Semprun est un écrivain à digressions). Evoqués, esquissés, qui font l'objet de romans à part entière. Ici s'exprime le "je", celui du cheminement vers la vie, qui sera au final celui vers l'écriture. Qui maintiendra le plus possible le camp loin de la vie, fera en sorte qu'il ne soit pas la seule réalité.
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L'Ecriture ou la vie

Après avoir lu Adieu, Vive Clarté... relatant l'adolescence et l'exil du narrateur et Le Grand Voyage retraçant l'arrivée de Gérard à Büchenwald, je viens de finir L'Écriture Ou La Vie racontant la sortie du camp du personnage principal. Bien sûr, ces trois romans ont un contenu très fortement autobiographique même s'ils ne suivent pas de façon précise la réalité chronologique et authentique de la vie de Semprun et parfois s'en écartent franchement. Mais là n'est pas l'intérêt majeur du livre : Semprun reste avant tout un écrivain des sensations, seule semblent compter pour lui les émotions qui ont forgé sa mémoire et qui lui permettent de relier entre eux des moments espacés de sa vie. Il nous montre au-delà de la réalité narrative, la façon dont il construit ses romans et les rapports très étroits qu'ils entretiennent avec son organisation mentale et ses convictions d'homme. Cette façon d'écrire donne une impression très forte de romans clos, d'enfermement de l'auteur dans son monde, ce qui d'un certain point de vue renforce l'impact et le sens de sa narration. On ne soulignera jamais assez son extrême pudeur à évoquer les moments les plus déchirants de son existence sans jamais les aborder en toute clarté, en nous laissant sur le bord de la confession: à nous de combler les vides... ou du moins d'essayer de les imaginer!
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La deuxième mort de Ramon Mercader

Des rues d'une ville des Pays-Bas ou des routes d'Espagne, se tient un serpent de mer insaisissable et mythique, Loch Ness silencieux perdu sur les côtes de la mémoire. L'animal hoche lentement la tête, l'animal de l'appareil politique du bloc Ouest et du bloc Est ; Tel l'Hydre de Lerne il scrute ses ennemis et ses partisans. Il les considère l'un et l'autre de la même façon : potentiellement dangereux, manipulables, manipulés, infidèles. Dans ce microcosme d'espions qui s'épient mutuellement même à l'intérieur de leur propre camp tout se déforme : la moindre pensée, le moindre geste. Semprún nous entraîne dans une lente déconstruction et décomposition de l'âme ; La pensée n'est plus un rempart propre à l'individualité mais une arme. Une arme qui peut se retourner contre soi. Ce n'est pas un livre d'espionnage, ni un livre policier, c'est une contemplation morbide d'une idéologie politique et humaine, d'autant plus amère et douloureuse qu'elle a été la moelle épinière de Semprún pendant si longtemps. Mais il n'en parle pas avec âpreté, plutôt avec désenchantement, réalisme et une certaine tristesse. Comme un amour porté aux nues, qui vous a profondément déçu. C'est un livre sur le secret, sur les secrets. Ceux qu'on redoute ; le secret individuel ; Les secrets interdits par le Parti et les secrets du Parti tous aussi dangereux, sinon plus.

Ramón Mercader est un agent soviétique ; Mais qui est vraiment Ramon Mercader ? C'est un homme marchant seul sur une plage du Nord ; Un homme cherchant la faille dans sa propre mission pour s'y engouffrer et peut-être disparaître aux yeux de sa hiérarchie, des espions américains et d'Allemagne de l'Est qui le surveillent. Cet homme qui a choisi pour patronyme, avec une certaine ironie, celui de l'assassin de Trotsky, envoie des télégrammes codés à sa femme et à sa fille, restées en Espagne. C'est un homme qui n'attend aucune défaite, ni victoire ; Il fait son « métier » par devoir, avec un reste de sincérité idéologique partant en lambeaux. Son monde est en carton-pâte, le faux et le vrai ne sont plus discernables ou le sont trop bien et c'est encore pire. Des marins espagnols qui chantent des chansons russes, des rendez-vous d'affaire comme des miroirs sans tain, des femmes muettes cherchant la vérité, des hommes muets cachant la vérité, des silhouettes qui avancent dans un labyrinthe sans fin, avec l'ombre transparente de la mort dans chaque recoin, dans chaque mot et chaque geste.

Ces hommes habitués au sacrifice, le leur et celui des autres pour une cause et un idéal plus grand et plus inaccessible que la religion ne peut offrir. Ces portraits laminaires d'êtres qui ont été broyés à un moment de leur vie par ce même idéal, trahis en quelque sorte par ce qu'ils plaçaient au coeur de leur vie, pour ne pas dire leur foi : le système stalinien. Ces hommes qui malgré tout continuent à oeuvrer pour celui-ci, à tuer pour celui-ci, lui qui a failli les tuer eux-mêmes. Ces hommes peuvent paraître incompréhensibles pour nous. Ils ont tellement cru à leur idéal, tellement cru qu'il allait se révéler et se réaliser sous leurs yeux ; Cet idéal pour lequel ils ont combattu durement, ont été emprisonnés, déportés ; cet idéal qu'ils ont touché du doigt, piqués par sa quenouille empoisonnée. Quand cet idéal s'est transformé en monstre, les yeux de ces hommes n'ont pas cillé, ou si peu ; Comment croire qu'on les avait dupés ? Comment admettre que ce n'était pas un monde idyllique ?

Ramón Mercader a une part de Jorge Semprun ; Une part de sa vie, une part de son combat, une part de ses erreurs et de sa désillusion. Il a aussi, comme Semprún, cette ironie mordante, parfois un peu cynique et qui pourrait apparaître comme frivole en certaines circonstances. Ramón Mercader rit tout seul sur la place, dans les rues ; de grands éclats de rire qui désarçonnent ceux qui l'épient. Pourquoi rit-il ? Est-il fou ? Il rit peut-être parce qu'il sait qu'il est arrivé au bout de son chemin, au bout de ce qu'il pouvait donner à la Cause ; Qu'il a épuisé toutes ses ressources, chaque recoin de son âme.

Les premières pages nous plongent d'emblée dans une atmosphère presque létale ; Un homme contemple un tableau « La Vue de Deflt » de Vermeer au musée Mauritshuis. Ce sont des pages fluides, émouvantes dans la description du tableau. D'une belle écriture ou pointe une certaine recherche, mais cette pointe d'application ne me dérange pas, au contraire, elle sublime l'instant, le cajole. Ce tableau est pour cet homme un refuge, son espace mental à lui, rien qu'à lui. Nous nous perdons avec lui dans ce tableau. Cet homme est Ramón Mercader. Il s'attarde ensuite devant le tableau de Fabritius « le Chardonneret » ; le temps s'allonge ou se suspend comme pour éloigner pour quelques instants la part de fatalité régissant le destin de Ramón Mercarder. Car cet homme n'a pas d'alternative, d'autres ont décidé à sa place sa ligne de vie, et sa ligne de chance est bien infime. Quand il comprend qu'un piège inexorable se referme sur lui, il tente pour quelques jours d'infléchir sa destinée, pour quelques jours seulement. Suprême liberté. Est-ce pour cela qu'il rit tout seul ?

Comme presque toujours dans les livres de Semprún, les histoires s'emboitent, se recoupent, s'entremêlent, l'histoire intime et l'Histoire, le passé et le présent, la réalité et la fiction. Au détour d'un chapitre, nous quittons ce nid d'espions pour une histoire d'amour, un jardin en fleur, des jeux d'enfant, puis nous replongeons dans ce chaudron fétide et dénaturé. Semprún nous parle de l'histoire du mouvement communiste : de la guerre d'Espagne à la mort de Staline et aussi de la lente, lente déstalinisation de l'Union Soviétique officialisée par l'organisation du XXe Congrès. Ce n'est pas un livre didactique, ce n'est pas un pensum idéologique ; C'est une fresque qui couvre des années et est ici ramassée sur quelques semaines, comme si le temps s'était rétréci, précipité sur une contraction de la mémoire pour nous faire voir tout un monde sombre et douloureux, avec des éclats de lumière, un monde absurde aussi jusqu'au ridicule ; mais un ridicule mortifère.

Le serpent de mer s'endort à la fin de ce livre, repu et satisfait ; jusqu'à son prochain réveil.

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Le Mort qu'il faut

C'est à un douloureux travail de souvenir que l'auteur, rescapé de Buchenwald, nous invite. Sans se complaire aucunement, à aucun moment dans sa propre misère, il nous décrit la vie, la lutte quotidienne pour survivre.

Il nous raconte surtout, fait que j'ignorais, toute l'incroyable organisation que les détenus sont parvenus à mettre en place et enfin la petite société avec ses langues, ses cultures, ses castes aussi que constitue cet univers concentrationnaire.

Il nous relate par le détail l'organisation que tous les membres de toute nationalité du parti communiste internés ont mise en place pour résister encore modestement mais efficacement contre la folie nazie.

C'est surtout, au travers de cette vie réduite à presque rien, un hymne à la grandeur de la philosophie, à la pensée et à la force des convictions, à la poésie aussi que nombre des détenus récitent seuls ou ensemble, un appel à l'humanisme tout court enfin.
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L'Ecriture ou la vie

Avant de faire un petit commentaire sur le livre ,de Jorge Semprun,j 'ai relevé au cours de ma lecture , l 'anecdote que raconte ,Jorge Semprun ,en public en juin 2001

"IL n' y a pas longtemps ,au cours d 'un dîner chez Michel Rocard ( ...) ,quelqu' un m 'interpelle et dit " Mais toi , qu ' est-ce que tu es au fond ,écrivain ou homme politique ? Espagnol ou Français ? "Et devant cette alternative , devant cette injonction, j 'ai dit : " Moi ,je suis un ancien déporté ."Parce que ça me paressait une figure ,un concept qui englobait tout le reste .Je pense être un ancien déporté espagnol , ancien déporté français ,ancien déporté communiste ,etc .J ' étais ancien déporté."

Dans ce livre ,l 'auteur raconte ce qu ' il a vécu dans le camp de Buchenwald .Les atrocités commises par les nazis qui sont devenus de véritables zombies !

IL nous fait découvrir la réalité des camps ,l asservissement des êtres humains ,le mépris du genre humain .Tout simplement c 'est un livre qui témoigne d' une certaine époque .

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L'Ecriture ou la vie

Semprun a vécu l'enfer des camps, Buchenwald pour lui, alors qu'il était déjà un intellectuel et militant communiste. Il va garder de cette dure expérience un ressenti qui marquera toute son œuvre.

Ici, il entreprend de raconter son voyage, son parcours à travers l'enfer et sa survie quotidienne. C'est un témoignage supplémentaire sur l'horreur mais on y ajoute ici deux qualités supplémentaires, l'envie d'écrire avec style, avec une plume littéraire et presque philosophique (ce qui rend la lecture difficile), et le bilan qu'il fait de cette expérience, surtout dans son envie d'écrire et son acharnement à survivre, ce qui justifie le titre.

Il a choisi les deux, ceux qui l'ont fait vivre jusqu'à il y a peu de temps encore et en cela le livre est une belle plongée dans la pensée d'un écrivain qui a vécu un événement fondateur.
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L'Ecriture ou la vie

La poésie devient subsistance

Ses mots sont comme un sirop

Contre le mal absolu



Jours dénués d'humanité

Qui auront généré l'enfer

Pour exorciser l'irréversible :



Faudra-il écrire, vivre ou mourir ?
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Adieu, vive clarté..

Jorge Semprun dans «Adieu vive clarté» revient sur ses années d’adolescence à Paris avant la guerre et sur son enfance. Il ne le fait pas de manière linéaire. Il répond aux clins d’oeil des hasards de la vie et les suit, curieux lui-même de savoir où cela va le mener.

Le fil de trame de ses souvenirs reste souvent, comme ça l’est aussi dans «L’écriture ou la vie», des extraits de poèmes ou des textes qui sont liés à un moment de sa vie. Une réminiscence, un détail en fait renaître d’autres, les événements se croisent et se répondent et forment sans en avoir l’air une trame cohérente qui fait qu’on ne se perd pas. Disons qu’il y a une logique sous-jacente de la mémoire qui vient au jour petit à petit.



Les titres des chapitres nous révèlent le point central de chacun, ce qui fera leur cohésion.

Mais chaque chapitre est riche de multiples anecdotes et d’aller et retour d’un présent vers un passé plus lointain.



Chapitre I : J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans

Baudelaire dont la découverte est liée au séjour à La Haye où son père représente la République espagnole .....Début de l’exil et de son lot d’humiliations et fêlure due à la perte brutale de sa mère.



Chapitre II : Je lis Paludes...

En cherchant qui lui a fait lire Paludes de Gide, ce livre qu’il a lu et relu, il nous parle de Armand interne comme lui à Henri IV et d’autres amis, et d’autres livres encore.. Et puis «L’essence de Paludes est dans sa langue. On ne peut concevoir Paludes dans aucune autre langue que le français.»

Et cette langue il veut se l’approprier «J’avais besoin de cette langue, qui, apparemment, coulait de source, mais dont la limpidité était le résultat d’un exigeant travail sur l’inertie et l’opacité naturelles du langage» ; cette langue qu’il décide de parler sans accent suite à une remarque d’une boulangère du quartier latin.



Chapitre III : Voilà la Cité sainte, assise à l’occident ...

Rimbaud «Paris se repeuple» qu’il se récite dans le métro qu’il prend pour aller de Saint Michel à la Gare du Nord : O lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares ! / Le soleil essuya de ses poumons ardents / Les boulevards qu’un soir comblèrent les Barbares, / Voilà la Cité sainte, assise à l’occident !

lié à ses déambulations dans Paris et à la découverte des femmes ainsi que Belle de jour de Kessel.



Chapitre IV : Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres : Adieu vive clarté de nos étés trop courts ...

Le livre s’ouvre sur Baudelaire et se clôt avec lui.



Pourquoi n’ai-je pas lu plus tôt les livres de cet homme que pourtant j’admirais ? Ses deux livres (Adieu vive clarté et L'écriture ou la vie) que je viens de lire pratiquement d’une traite sont bouleversants de courage et d’humanité, de ceux qui vous remettent d’aplomb, vous redressent si vous êtes tentés par l’ «A quoi bon» du découragement.
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L'Ecriture ou la vie

Difficulté de raconter l'horreur au risque de ne pas être cru, difficulté de vivre tout court à la libération après un retour du camp de Buchenwald où la mort était trop familière et tellement imminente, mais où la fraternité et la poésie était omniprésente chez ces compagnons d'infortune.

À lire absolument pour ne pas oublier.

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L'Ecriture ou la vie

Je lis rarement des livres sur les camps, par dégoût de la violence et de l'atrocité du contenu. Mais ce livre est une merveille de légèreté, de grâce, de sublimation de l'horreur : ce qui ne lui ôte rien en force, suggestion ou clarté. Jorge Semprun a su s'élever bien au-delà de cette terreur par la force de la poésie et de la philosophie.

Arrêté et déporté à Buchenwald en septembre 1943 à l'âge de 20 ans, il se considère comme un revenant et non comme un rescapé, comme tous ceux qui ont vécu ce voyage au bout de l'enfer, de l'anéantissement de l'être.

Lorsque le camp est libéré en avril 45, il découvre dans le regard des trois officiers britanniques qui se tiennent en face de lui l'effroi et l'épouvante et au même instant il doute que le monde soit prêt à entendre les privations, la déchéance, l'horreur nue et surtout cette abominable et persistante odeur des fumées du four crématoire sur la colline de l'Ettersberg qui avait été autrefois un lieu de conversations philosophiques entre Goethe et Eckermann.

Les vers de Baudelaire, d'Aragon de Celan, de César Vallejo lui reviennent en mémoire lorsqu'il tient dans ses bras ses amis mourants.

Est-il possible de survivre ? Primo Levi se suicidera (?) 42 ans après sa sortie du camp, le 11 avril 1987, jour anniversaire de la libération de Buchenwald, l'année où Jorge Semprun reprend l'écriture de son roman, abandonné parce qu'il avait choisi la vie au prix de l'oubli, par impossibilité de survivre à l'écriture. Lorsqu'il décide de reprendre le livre, les angoisses reviennent sans prévenir, à tout moment, "la certitude angoissée de la fin du monde, de son irréalité, en tout cas".
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Federico Sanchez vous salue bien

Rappelons, pour ceux qui l'ignorent ou qui l'auraient oublié, que Jorge Semprun fut, de 1988 à 1991, ministre de la culture en Espagne dans un des cinq gouvernements successifs présidés par Felipe Gonzalez.

Dans ce "roman" (œuvre plus autobiographique que fictionnelle), il nous fait part de son ressenti et en profite pour régler férocement ses comptes avec quelques pontes (Alfonso Guerra, Enrique Muica, ...) d'un PSOE dont l'hégémonie (démocratiquement acquise depuis 1982) sera finalement minée par la corruption, les pratiques clientélistes et une arrogance partisane de très mauvais aloi.

Admettons que cela puisse présenter quelque intérêt pour tout qui souhaite découvrir l'envers du décor ou revivre un pan d'histoire de ce grand pays européen.

Mais, comme il en a pris, avec le temps, de plus en plus l'habitude, l'auteur nous promène de souvenirs ou réminiscences narcissiques en digressions érudites voire pédantes sans guère se soucier de cohérence narrative.

C'est assez déroutant, plutôt insupportable, pour ne pas dire franchement ch....

Sachez aussi que Jorge Semprun ne fait pas dans la dentelle.

Résolument à charge contre celles et ceux qu'il méprise, il ne se montre, par ailleurs, que fort peu critique (bien au contraire) à l'égard notamment de la politique économique ultra libérale suivie par le PSOE dès son arrivée au pouvoir, initiée, imitée ou amplifiée par d'autres fossoyeurs de la sociale démocratie européenne tels que T. Blair, J. Delors, G. Schröder, M. Rocard,...

Anecdotique peut-être mais révélateur, J. Semprun évoquant F. Gonzalez qu'il adule, nous dit laconiquement : "Il a eu la vertu de saisir les nécessités du réel". Formule certes plus élégante mais tout aussi lapidaire et péremptoire que le fameux T.I.N.A. de M. Thatcher.

On est donc en droit de s'interroger : Le "naturel social" de l'auteur précédemment occulté ne semblerait-il pas revenir au galop ?

Il m'a été, en tout cas, particulièrement difficile de supporter cette suffisance de classe, ce mépris condescendant à peine voilé de grand intellectuel imbu de lui-même, au-dessus de la mêlée, s'autocongratulant à tout-va et, pour finir, ce pesant réquisitoire qui en devenait insignifiant à force d'être excessif.

Et pourtant, j'apprécie énormément la prose de Jorge Semprun quand, "humble parmi les humbles, il nous apporte, entre autres, témoignage de son vécu d'adolescent déporté à Buchenwald et d'adulte dans la clandestinité anti-franquiste.

En l'occurrence, sa relative modestie, son parler-vrai peuvent nous interpeler, nous émouvoir et, au final, nous convaincre.
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L'Ecriture ou la vie



N°232

Décembre 2000





L’ECRITURE OU LA VIE - Jorge SEMPRUN- Editions Gallimard.





D’emblée, le titre du livre m’a déconcerté.

Pouvait-on concevoir qu’on opposât l’écriture à la vie, cet acte qui, par excellence est synonyme d’existence ?

J’ai donc lu ce récit, attentif à une explication de ce qui me semblait être un paradoxe.



Le texte révèle une partie de la vie de l’auteur et plus précisément son séjour au camp de concentration de Buchenwald où il fut enfermé comme prisonnier politique, les rencontres qu’il a pu y faire, les expériences qu’il en a retirées.

A l’époque, jeune étudiant communiste Espagnol mais vivant en France, il pensait que l’écriture qu’il pratiquait lui-même dans la poésie pouvait exorciser la mort. Il s’est aperçu qu’elle y renvoyait ! En réalité il était un véritable apatride, ni Français ni Espagnol, mais un communiste convaincu, un être qui est passé à travers la mort où plus exactement que la mort a traversé et quand en avril 1945, les troupes du général Patton ont libéré le camp, c’est un peu comme s’il ne restait de lui que les yeux, des yeux hagards qui ne parvenaient plus à croire à la fin de cet enfer, à la vie enfin redevenue possible, libre, loin des hurlements des SS, des mauvais traitements, des fours crématoires… Ces yeux qui jadis avaient eu plaisir à regarder les femmes, ses yeux aussi qui faisaient son charme, résumaient ce qu’il était à cette époque, dans ce camp soudain tranquille, mais que les oiseaux eux-mêmes avaient abandonné à cause de cette insupportable odeur de chair humaine brûlée qui retombait sur le camp en une sorte de suie !



Son séjour dans ce camp où tant de camarades et d’amis ont trouvé la mort a été pour lui une période entre parenthèses que l’écriture lui a permis (peut-être ?) d’exorciser. En tout cas, quand il en parle, il dit « Une autre vie plus tard », comme si la première s’était arrêtée à son entrée dans ce camp, à l’oubli de son nom au profit d’un numéro matricule (44904), qu’il n’était devenu rien d’autre qu’une ombre, le contraire d’un homme !



Pourtant dans ce camp où l’on torturait, où l’on travaillait jusqu’à l’épuisement, où l’on souffrait, il se passait des choses étranges comme ses réunions dans le local des contagieux où les Allemands ne mettaient pas les pieds par peur de la maladie, dans ce local des latrines aussi où l’on parlait de philosophie, de littérature et de liberté…



C’est un paradoxe, mais Buchenwald était proche de la ville de Weimar qui fut le siège d’une éphémère république mais surtout la ville où Goethe aimait venir trouver l’inspiration. Faut-il rappeler que les nazis tortionnaires faisaient aussi pousser des fleurs dans les camps d’extermination !



Même parti de ce camp maudit, il traînait derrière lui en quelque sorte la mort comme son ombre. Rien, pas même un corps de femme « la certitude apaisante de sa beauté ne m’avait distrait de ma douleur, rien d’autre que la mort, bien entendu. »



C’est donc une sorte de renvoi à la condition humaine, celle d’un être qui doit perpétuellement souffrir parce que son destin en a décidé ainsi, parce qu’il aura toujours dans sa mémoire les squelettes ambulants, un peu comme des sculptures de Giacometti, ces morts vivants, ces hommes à jamais disparus dans la fumées des crématoires, cette propension qu’a l’homme à être cruel pour l’autre quand il y va de sa survie ou parfois de son plaisir sadique, à mettre en relief « cette région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité » comme le dit Malraux.



C’est que la fraternité, il l’a rencontrée à Buchenwald quand le communiste allemand prisonnier qui l’a enregistré à son arrivée, lui ayant demandé son métier et s’étant entendu répondre « étudiant » (Studden) a pourtant inscrit sur sa fiche « Stukatten » ce qui correspond à peu près à décorateur. Dans ce camp, il valait mieux être un bon ouvrier qu’un intellectuel ! Celui qui avait fait cette faute d’orthographe l’avait fait exprès, par fraternité communiste. Longtemps après il s’est souvenu du regard de cet homme dont l’engagement politique valait au moins qu’il se trompât pour sauver un frère. Au surplus, la pratique courante de l’allemand permit à Semprun de travailler dans un bureau, de comptabiliser les entrées et les sorties, les morts surtout, c’est à dire de pouvoir survivre relativement loin de ces mauvais traitements…



Dès lors, sourd un sentiment de culpabilité qu’il n’éprouve cependant pas, celui d’être revenu de l’enfer grâce à un mot vraisemblablement intentionnellement mal orthographié. Il s’interroge bien au contraire sur la chance qu’il avait eue d’avoir croisé cet Allemand, d’avoir été sur la route d’un communiste comme lui qui avait eu l’intention de faire ce qu’il pouvait pour lui sauver la vie, d’être, si l’on peut dire, au bon moment, au bon endroit. « La chance ne s’apprend pas, on l’a », a dit Blaise Cendrars.



Il y a donc, à ce moment-là, pour lui de l’estime, malgré tout ce qu’il pensera plus tard de l’idéologie communiste, de ses déviances, de ses dérives et de ses crimes semblables à ceux des nazis (Buchenwald deviendra après la guerre un camp d’internement russe),à ce moment précis, entre ces deux hommes c’est le respect qui prévaut, au nom d’un idéal individuel, d’un engagement personnel, malgré le silence sur les atrocités, le pacte-germano-soviétique qui tournera au conflit… Il éprouve le besoin de préciser « J’ai toujours respecter plus tard la part d’ombre, d’horreur existentielle abominable, même si le respect ne vaut pas pardon et encore moins oubli. »



Et puis, il y a la neige, cette neige omniprésente du temps de son séjour à Buchenwald comme pendant le temps de sa liberté, cette neige qui recouvrait Weimar comme le souvenir, comme les reproches intimes que l’on peut se faire à soi-même. Ce manteau blanc uniformise tout, les images comme les sons, purifie aussi les formes en en gommant les contours. Cette neige qui l’accompagne jusque dans son sommeil comme une obsession lui rappelant la souffrance et la mort.



Pourtant, quelques cinquante années plus tard, il revint dans cet ancien camp nazi qui fut aussi un camp stalinien après la guerre. La nature y avait reverdi, les arbres repoussé, mais il apprit que cette végétation croissait sur des restes humains, ces cadavres enterrés sur place dans des fosses communes comme si tout cela pouvait être oublié.



Dès lors, l’écrivain qu’il est se doit de témoigner, ne serait-ce qu’au non du « devoir de mémoire » et donc d’écrire. Pour se pose de nouveau le problème du titre de ce récit « l’écriture ou la vie », comme si, encore une fois l’une excluait l’autre. J’ai donc lu ce livre avec toujours en tête cette question pour laquelle je voulais trouver une réponse. Décidément cet homme, et plus précisément son parcours m’étonnaient. Républicain espagnol, résistant français, communiste convaincu et brillant intellectuel, il avait survécu à tout ce que l’homme avait pu enfanter de mauvais, de dangereux, de mortel pour lui-même, et plus exactement pour ses semblables, mais trouvait quand même les mots pour nous parler de la beauté des femmes, de la grandeur de l’homme, de sa culture. En parlant de Maurice Halbachs, de Diego Morales et de combien d’autres inconnus sans nom ni visage, il a porté témoignage. Donc l’écriture est quand même bien la vie ! Et puis il évoqué si bien les poètes, René Char, Vallejo, Primo Lévi que je ne comprends toujours pas cette oppositions entre l’écriture et la vie. J’ai cherché des bribes d’explications dans ce témoignage « l’écriture m’a rendu de nouveau vulnérable aux affres de la mémoire » et si je comprends bien, il avait choisi de vivre en étouffant les mots qu’il portait en lui, parce ces mots le renvoyaient à la mémoire c’est à dire à la mort.



A le lire, ce projet de livre a été maintes fois abandonné « (il) était devenu un autre, pour rester en vie », comme si l’écriture le renvoyait à une part de lui-même qu’il voulait oublier, à cause d’une culpabilité peut-être d’avoir échapper à tout cela, au point de porter en lui cet ouvrage pendant des années et que sa volonté de vivre était telle qu’il ne pouvait pas revenir en arrière sans ouvrir la « boîte de Pandore » de la mémoire et de retrouver la mort…



Et pourtant, il l’a fait et devant son parcours, on ne peut qu’être admiratif et respectueux. Je tiens pour évident qu’un homme qui ne transige pas, qui a le courage d’aller jusqu’au bout de ses idées sans tergiverser, malgré les contradictions d’un système dont il n’est pas personnellement responsable, mérite, à tout le moins notre estime !



Il a donc porté témoignage et ce document est précieux non seulement pour ce qu’il dit mais surtout peut-être pour l’itinéraire qui fut le sien a été sincère, rigoureux… Mais je ne peux pas rappeler le mot de Malraux « Écrire, c’est arracher quelque chose à la mort ».





© Hervé GAUTIER.
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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L'Ecriture ou la vie

Pour être honnête, j'avais acheté le livre parce que la couverture un peu morbide m'avait sauté aux yeux. Mais je ne comptais pas le lire de suite.

Et puis est passé "Le temps du silence" sur Arte, film dont l'histoire est inspirée du livre. Donc comme j'ai beaucoup aimé le film, j'ai fini par aller chercher cet ouvrage dans les rayonnages de ma bibliothèque.



Je pensais le lire d'une traite mais le début est très dense et digressif, il est facile de perdre le fil dans tous ces récits qui s'imbriquent les uns dans les autres. J'étais en vacances et je n'avais pas envie de me prendre la tête donc je l'ai laissé de côté quelques jours. Et après deux autres livres, je suis naturellement revenue à lui.



Et quelle histoire que la vie de Jorge Semprun! Cette lutte incessante pour faire semblant d'oublier et être capable de vivre une existence normale. Et en même temps ce besoin intérieur de finir par sortir cette vie d'avant.

Les mots sont justes, ils touchent.

C'est grand. Merci pour cet ouvrage.
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Le Grand Voyage

Livre poignant qui relate " le voyage " de l'auteur dans un wagon à bestiaux.

Trajet de la déportation.

Dans une écriture sobre il nous fait vivre ses craintes, ses espoirs, sa lutte.

A lire par tous (et surtout les plus jeunes pour qui les années 40 c'est bien loin ), pour comprendre la chance que nous avons de vivre dans un pays en paix et que rien n'est jamais acquis.
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Netchaïev est de retour



Le Netchaïev de ce livre n'est pas l'auteur du " Catéchisme révolutionnaire " , celui dont s'inspira Dostoïevski pour " Les possédés " , le Stepan de " Les justes " de Camus , mais peu ou prou son double littéraire dont Semprun , en en réinventant le personnage , met en scène le retour . Ici Netchaïev se nomme Daniel Laurençon que ses ex camarades pensaient mort et qui revient les hanter .



Citant Paul Nizan ( La conspiration ) et Dostoïevski ( Les possédés , Semprun , en nous donnant ses sources , situe clairement l'acte militant jusqu'à la frontière de ses limites acceptables ( le meurtre politique ) . Point de vue complémentaire donc aux réflexions de Camus et Dostoïevski .



Comme d'autres titres de Semprun , l'écriture de celui-ci est proche d'un scénario cinématographique et Jacques Deray s'en inspira en 1991 pour son film au titre éponyme dans lequel Vincent Lindon incarne Netchaïev , aux cotés d'Yves Montand ( inspecteur Marroux ) , Miou-Miou etc .....





Le roman , haletant comme un polar politique , met en scène l'inspecteur Pierre Marroux , un peu juge et parti , d'ex militants " révolutionnaires " embourgeoisés et ce Netchaîev qui revient se venger d'une trahison .





L'action se situe au alentours de mai 1968 , ébauche d'une révolution manquée .
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