Jules Supervielle n'est pas le plus connu des poètes français et il n'est pas improbable que dans un futur plus ou moins proche ces écrits achèvent de se disperser dans les limbes de l'oubli. Et ce serait une importante perte pour la littérature. Il faut lire ou relire Jules Supervielle tant sa poésie est singulière, émouvante et attachante.
Pour autant, il ne faut pas craindre de s'empêtrer dans les mots qui s'accumulent, se dissipent, s'entrechoquent sous nos yeux. Rien n'est simple avec Supervielle, poète troublé et troublant. Par exemple, qui était vraiment ce Guanamiru, personnage sud-américain, comme l'était Supervielle qui naquit en Uruguay avant d'émigrer en France et de perdre ses parents à l'âge de 8 mois (et de ne l'apprendre qu'à 9 ans), et surtout double aux ardeurs débridées ? Et l'on ne peut pas aborder sa poésie sans avoir conscience de cette dualité, Supervielle homme marqué par le double sceau de la perte (de ses parents) et de l'errance (il naviguera toujours entre l'Uruguay qui l'a vu naître et la France qui l'a formé).
Cette dualité, mais aussi cette violence retenue, ce lyrisme sans cesse freiné, donne à ses vers et à sa prose une odeur, une couleur, une émotion unique. Au travers de cette plongée dans son inconscient il frôle par moment sa psychose, ses angoisses profondes qui le conduisent inévitablement à la dépression, mais parvient toujours à en réchapper par des pirouettes de langage, une réécriture de ses oeuvres ou une réminiscence à double-sens.
Malgré tout, s'il est essentiel d'approcher l'homme pour approcher l'oeuvre, il est vain de croire que l'on peut en saisir toute la richesse et la profondeur. Autant prétendre saisir l'horizon. Et finalement ce mystère, cette intimité foisonnante à l'image de la jungle amazonienne, cette complexité qui nous repousse parfois à l'écart n'occulte en rien la beauté des mots. Il me semble que si le mystère, voire l'obscurité nous attirent parfois, ce qui nous retient en fin de compte c'est la grâce. Les poèmes de Jules Supervielle en sont empreints.
Équateur
Sous la véranda de stuc rose
Les colons jambes croisés, vêtus de blanc et de soleil,
Dans la chaleur urgente n'osent
Bouger de peur de se blesser aux rais qui coupent comme verre.
[…]
Retour à l'Estancia
[…]
Je me mêle à une terre qui ne rend de comptes à
personne et se défende de ressembler à ces paysages
manufacturés d'Europe, saignés par les souvenirs,
à cette nature exténuée et poussive qui n'a plus que
des quintes de lumière,
et, repentante, efface, l'hiver, ce qu'elle fit pendant l'été.
[…]
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