Citations de Kazuo Ishiguro (471)
« Ne me croyez pas grossier de ne pas monter voir mon père dans son état de décès à ce moment précis. Vous comprenez, je sais que mon père aurait souhaité que je continue mon travail maintenant. » (p. 124)
" Vous rendez-vous compte, Mr. Stevens, de ce que cela aurait signifié pour moi si vous aviez pensé, l'année dernière, à me faire part de vos sentiments ? Vous avez vu à quel point cela me bouleversait de voir mes filles renvoyées. Vous rendez-vous compte de l'aide que cela aurait apportée ? Pourquoi, Mr. Stevens, pourquoi, mais pourquoi, faut-il toujours que vous fassiez semblant ? "
Le problème, Chrissie, c’est que vous êtes comme moi. Nous sommes tous les deux des êtres sensibles. Nous ne pouvons pas nous en empêcher. Notre génération reste attachée aux sentiments d’avant. Une partie de nous-mêmes refuse de lâcher. C’est la partie qui s’obstine à croire qu’il y a quelque chose d’inatteignable au fond de chacun d’entre nous. Quelque chose d’unique, qu’il est impossible de transférer. Mais il n’existe rien de tel, nous le savons à présent. Vous le savez. Pour les gens de notre âge, c’est difficile de l’accepter. Nous devons lâcher prise, Chrissie. Il n’y a rien ici. Rien à l’intérieur de Josie que les Klara de ce monde ne soient capables de continuer. La seconde Josie ne sera pas une copie. Elle sera exactement la même et vous aurez le droit de l’aimer autant que vous aimez Josie aujourd’hui. Ce n’est pas de foi dont vous avez besoin. Mais de rationalité. J’ai dû le faire, c’était dur, mais à présent ça fonctionne très bien pour moi. Et ce sera pareil pour vous.
Mais notre destin, à nous et nos semblables, est d'affronter le monde comme des orphelins que nous sommes, pourchassant au fil de longues années les ombres de parents évanouis.
"Promets moi, princesse, que tu n'oublieras pas ce que tu ressens pour moi en ce moment dans ton cœur. A quoi servirait un souvenir surgi de la brume s'il se contente d'en chasser un autre?"
Mais çà ne veut pas dire, évidemment, qu'il n'y a pas de temps à autre des fois - des moments de grande tristesse - où on se dit à soi-même "Quel terrible gâchis j'ai fait de ma vie". Et on se met à penser à une vie différente, à la vie meilleure qu'on aurait pu avoir. Par exemple, je me mets à penser à la vie que j'aurais pu avoir avec vous, M. Stevens...
Après tout on ne peut plus faire tourner les aiguilles dans l'autre sens maintenant. On ne peut pas s'attarder sans cesse sur ce qui aurait pu exister.
Il n'est nullement souhaitable, en effet, de toujours dire à ses élèves ce que l'on sait et ce que l'on pense ; dans bien des cas, il est préférable de se taire pour leur donner la possibilité de débattre et de réfléchir par eux-mêmes.
Vous savez, le Migi-Hidari n’était qu’un petit cabaret jadis. Ce n’était pas plus grand qu’ici. Mais avec le temps nous avions réussi à en faire ce que l’on sait. Qui sait ? Peut-être qu'il n’y a qu’à recommencer la même chose avec votre bar. Maintenant que la situation s’arrange un peu, il devrait y avoir de nouveau de la clientèle.
Et entre-temps, les industriels s’enrichissent, et les politiciens trouvent toutes les excuses pour se dérober et bavardent.
Ce doit être merveilleux. De n’avoir rien à regretter. De ne pas avoir envie de revenir en arrière. De ne pas songer sans cesse au passé.
Qui aurait pu douter, à ce moment-là, qu'en vérité je m'étais autant rapproché du moyeu de la grande roue qu'un majordome pouvait le souhaiter ? Je peux donc supposer qu'à ce moment-là, tandis que je méditais sur les événements de cette soirée - ceux qui avaient eu lieu et ceux qui étaient encore en cours -, ils me semblèrent résumer tout ce que j'étais parvenu à réaliser jusqu'alors dans ma vie. Je ne vois guère d'autres explications à ce sentiment de triomphe qui m'exalta ce soir-là.
Quelquefois le froid était tel que vous deviez empiler sur vous tout ce que vous trouviez, et si vous couchiez avec quelqu'un là-dessous, vous aviez l'impression qu'une montagne de literie vous martelait, de sorte que la moitié du temps vous ne saviez pas si vous le faisiez avec un garçon ou avec toutes ces choses.
C'est drôle d'évoquer maintenant ce que c'était au commencement, car lorsque je pense à ces deux années aux Cottages, la peur et l'affolement du début ne semblent pas cadrer du tout avec le reste du séjour. Si quelqu'un mentionne aujourd'hui les Cottages, je pense à des journées insouciantes où nous passions nonchalamment d'une chambre à l'autre, à la langueur de l'après-midi qui se fondait dans le soir, puis dans la nuit. Je songe à ma pile de vieux livres de poche aux pages tremblotantes, comme si elles avaient autrefois fait partie de la mer. Je pense à ma manière de les lire, allongée sur le ventre dans l'herbe les chauds après- midi, mes cheveux - que je laissais pousser alors - retombant toujours en travers de mes yeux. Je pense aux matins où je me réveillais dans ma chambre au sommet de la Grange noire en entendant les voix des élèves dehors, dans le champ, en train de discuter de poésie ou de philosophie ; ou aux longs hivers, aux petits déjeuners dans les cuisines embuées, aux discussions filandreuses sur Kafka ou Picasso autour de table. C’était toujours ce genre de choses au petit déjeuner ; jamais avec qui vous aviez couché la veille, ni pourquoi Larry et Helen ne se parlaient plus.
Les grands majordomes sont grands parce qu'ils ont la capacité d'habiter leur rôle professionnel, et de l'habiter autant que faire se peut.
Assurément l’enfance n’est pas le seul moment où nous soyons susceptibles de cette forme d’héritage; un maître ou un mentor vénéré au début de l’âge adulte, laisse lui aussi son empreinte; et quand bien même on a été amené à ne plus accorder la même valeur à son enseignement, voire à le rejeter, certain traits tendront encore longtemps après à survivre, telle une ombre de cette influence vous accompagnant tout le long de la vie.
Après tout, que pouvons-nous gagner à toujours regarder en arrière, et à nous blâmer nous-mêmes parce que notre vie n’a pas pris exactement la tournure que nous aurions souhaitée ? L’implacable réalité, pour les gens comme vous et moi, c’est que nous n’avons pas d’autre choix, assurément, que d’abandonner notre sort entre les mains de ces grands personnages situés au moyeu de la roue du monde, et qui ont recours à nos services.
Un majordome d'une certaine qualité doit, aux yeux du monde, habiter son rôle, pleinement, absolument ; on ne peut le voir s'en dépouiller à un moment donné pour le revêtir à nouveau l'instant d'après, comme si ce n'était qu'un costume d'opérette.(p234)
Voyager par avion est d'une rapidité impressionnante, mais c'est au prix de l'inconfort et de la désorientation.
C'était aussi ce qui rendait Hailsham si spécial, a-t-elle-dit une fois. Cette manière de nous encourager à apprécier le travail des autres. (p.33)
"Or, si la plupart des majordomes, je suis prêt à le concéder, risquent de découvrir en dernière instance que la capacité d’y parvenir leur manque, je crois profondément que cette dignité est un objectif que l’on peut viser avec profit tout au long d’une carrière." P 43