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Critiques de Lluis Llach (113)
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Les Yeux fardés

Fan de l'immense auteur et compositeur LLuis Llach, considéré depuis les années 70 comme le symbole de la résistance de la langue catalane face au régime franquiste, et de sa chanson L'Estaca, connue pour avoir été l'hymne officieux catalan de résistance au franquisme et souvent reprise, je viens de découvrir ses écrits à travers son premier roman Les Yeux fardés ( Prix Méditerranée étranger 2016 ) : un vrai coup de coeur !.

Le livre débute par un chapitre intitulé "Voulez-vous que je vous dise Monsieur le réalisateur ?" où le narrateur Germinal Massagué, 87 ans s'adresse à un jeune réalisateur pour lui confier son histoire "Je ne veux pas parler de la mienne en particulier...Vous voyez ce que je veux dire...". Les autres chapitres auront pour titre simplement premier enregistrement, deuxième ..., troisième ..., jusqu'au vingt-sixième et dernier enregistrement suivi de l'épilogue.

L'auteur va d'abord évoquer la rencontre de ses parents Marie Guillaume de Sète et Josep Massagué ì Fita, marin. Follement amoureux, ils vont partir s'installer à la Barceloneta, quartier populaire et vivant de Barcelone situé près de la plage et du port. Josep trouve "une place sur les quais pour extraire les trésors et les saletés du ventre des bateaux qui arrivaient de partout" car il a dû changer de métier pour Marie devenue Marí, celle-ci voulant épouser un homme et non pas un fantôme.

Un an plus tard, en 1920, naît Germinal. Cette année-là, quatre femmes dont Marí, du même âge et du même quartier, qui s'entendent bien et sont devenues amies, mettent au monde un enfant. C'est ainsi que Joana, Mireia, David et Germinal formeront la bande des quatre, surnom donné par Ramon Ramanguer, grand amateur de littérature et gérant d'un local qui se voulait être une librairie : "le Crépuscule du Capitalisme". Ces quatre formeront deux couples Mireia et David et Joana et Germinal. Ils vont découvrir leur corps, vivre leurs premiers émois et explorer ce quartier de la Barceloneta, à la culture ouvrière militante. Bientôt Germinal découvre le vrai amour, pur et sensuel pour son ami David, "l'ami aimé", une passion qui les unira et qui guidera son existence entière, même pendant la guerre civile.

Lluis Llach s'attache à nous décrire la vie dans cette Barceloneta, l'appartement dans lequel vivait Germinal et ses parents. Il dresse de magnifiques portraits de toutes ces familles et notamment de ces quatre jeunes, "Chacun de nous, était un élément représentatif de la population de ce quartier", sans oublier leur environnement. Il met l'accent sur l'entraide qui règne au sein de ce quartier, sur l'amour de la liberté et l'amour de l'indépendance qui le caractérise.

La proclamation de la République, le 14 avril 1931, leur permet d'espérer. Mais dès fin 1933, la droite factieuse gagne les législatives et commence une période effarante appelée le bienio negro, les "deux années noires" où la droite espagnole la plus sombre revient au pouvoir avec une féroce soif de vengeance. L'indépendance de la Catalogne est remise en cause. Mais les élections de février 1936 voient la victoire du Front populaire, victoire de courte durée car au mois de juillet de la même année "Un ramassis de généraux fascites... proclama le coup d'État contre le Front populaire, contre la Catalogne".

Cette guerre civile marquée par la séparation, les bombardements, la mort, va profondément bouleverser nos amis, le quartier et la ville, amoureux de la liberté. Ce livre est un bel hommage rendu à ces hommes et ces femmes qui ont combattu jusqu'au bout aux côtés des Républicains.

Roman d'amour et roman de guerre, Les yeux fardés nous fait plonger dans la vie de ce quartier de Barcelone, des années 1920 à l'après-guerre civile avec les horreurs du franquisme, au travers de la vie et des amours du narrateur.

À la fois ode à la liberté, à la jeunesse, à l'amour avec des héros ordinaires, et hymne à la résistance de ceux qui, même vaincus et détruits ne renoncent pas !

La révolte, l'idéal, la tendresse, l'amitié, l'amour, la fraternité, la sensualité, la grâce sont les principaux sentiments portés par ce roman plein d'humanité qui m'a émue, bouleversée et dont la lecture m'a apportée énormément de plaisir et touchée en plein coeur.

En conclusion : le talent littéraire de Lluis Llach est à la hauteur de son talent musical. J'ai retrouvé dans son roman à la fois son engagement politique et ses mots qui réveillent en nous amour et humanité et portent un message de paix et d'espoir.

À noter la belle couverture avec une photo d'époque où il est facile d'y reconnaître Germinal, tel qu'on se le représente.

📖 *Les Yeux fardés* de Lluís Llach est disponible en livre numérique : https://www.placedeslibraires.fr/…/9782330058241-les-yeux-…/


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Les femmes de La Principal

Décidément, cette littérature espagnole recèle d’excellents auteurs avec lesquels, je prends un réel plaisir de lecture à cheminer en leur compagnie.



Après « Les yeux fardés » dont le récit m’avait particulièrement enthousiasmée, émue, racontant ce quartier populaire de la Barceloneta au moment où Barcelone bascule dans la guerre civile, je me suis délectée de la lecture de ces femmes de la Principal. L’auteur confirme son talent mais dans un registre différent même si le cadre historique est toujours le même.



Lluis LLach n’en finit pas de nous parler de cette époque où l’Espagne courbe l’échine sous le franquisme et de toutes les passions qui accompagnent cette période. Il y a des moments où l’ambiance devient, en fond de narration, comme oppressante si la sensibilité de la lectrice ou du lecteur s’y prête.



L’héroïne de ce roman c’est la Principal, un domaine viticole situé à Pous, en région catalane. Le récit démarre en 1893. Le propriétaire, Andreu Roderich, cède le vignoble atteint du phyloxéra à son unique fille, Maria, vingt ans. Quant à ses quatre fils, bien dotés, ils deviennent des notables barcelonais. Maria donne naissance à une lignée de Maria, trois générations de femmes aux caractères bien trempés, possédant des personnalités différentes, bigote, franquiste, ou bien passionnée, clairvoyante, avisée, pour terminer en 2001 avec la dernière Maria totalement émancipée en femme de son époque. Et puis il y a Ursula, nourrice, qui traversera toutes les crises, toutes les victoires des Maria sans jamais baisser les bras, grande protectrice de ses « petite ou gamine ». Ce sont leurs combats que nous racontent Lluis LLach pour maintenir cette propriété en pleine activité et leurs luttes incessantes dans un monde viticole masculin.



Afin de rendre très attractive cette lecture, l’auteur pimente son roman d’une énigme policière. Un crime atroce qui a eu lieu la veille de la guerre civile, évincé par les évènements, et resté sans suite. Mais en 1940, un inspecteur, très inspiré par Agatha Christie, particulièrement consciencieux et conscient de ses prérogatives, décide de rouvrir le dossier et de remonter le temps. C’est un peu le fil rouge de la narration, ce qui permet de remonter le temps tout en donnant une cohésion au récit et d’appréhender la société de l’époque.



C’est une histoire passionnante, romanesque, très fluide, très agréable à lire tout en restant très consistante sur les particularités de ce régime unique : les abus de pouvoir et les relations qui en découlent, l’injustice, les apparences et la religion catholique instituée en religion d’État. Les personnalités sont très bien travaillées et donnent du relief à l’histoire de la Principal. C’est une lecture parfaite pour s’offrir un moment de détente tout en restant au plus près de l’histoire de cette période trouble.





J'y ai aussi trouvé quelques messages sous jacents que chacune, chacun interprétera à sa façon, selon sa philosophie.



J’ai retrouvé les thèmes chers à Lluis LLach qui figuraient aussi dans « Les Yeux fardés » : l’homosexualité, la résistance, l’église, le désir.



Je souligne ici la très belle photographie de Jacques Henri Lartigue qui attire de suite le regard comme celle des « Yeux fardés » que j’avais aussi remarquée.





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Les Yeux fardés



« Il nous racontait les nombreux voyages que maître Lull avait accomplis en mer. Puis il nous parla du Livre de l’ami et de l’aimé et nous en lut plusieurs passages. Dès que j’entendis ce titre, Le livre de l’ami et de l’aimé, celui-ci se condensa en une seule merveilleuse expression : l’Ami Aimé. C’était comme si la lumière était soudain entrée au milieu du désordre de mon cœur. Cette expression définissait de façon inattendue la confuse pelote de sentiments et de sensations énigmatiques que je ressentais pour mon camarade. »



Lluis Llach, ardent défenseur de la culture catalane, exilé sous Franco du fait de son engagement, chanteur, m’était totalement inconnu jusqu’à ce jour et jusqu’au billet de nos amis andras et krout. C’est son premier roman et c’est une réussite, Il n’y a qu’à regarder la couverture, elle parle d’elle-même, en noir et blanc, c’est l’instantané d’un quartier populaire. Il y a bien longtemps que je cherchais à lire une fiction mêlant la grande et la petite histoire. J’étais en quête d’une immersion dans l’histoire catalane des années 20 jusqu’à l’après guerre civile pour mieux appréhender l’atmosphère, m’en imprégner, être au plus près des gens, devenir républicaine catalane le temps d’un roman. Et ce livre a répondu au-delà de toutes mes attentes !



Lluis, jeune réalisateur, en manque d’inspiration, propose à un vieux monsieur de 87 ans, Germinal Massagué, bel homme, aux yeux fardés, de lui confier son histoire ainsi que celle de la Barceloneta. Germinal regrette que ce ne soit pas Fellini. Malgré son manque d’enthousiasme, il va lui confier le récit de sa vie, l’histoire de la Barceloneta, de ce quartier portuaire populaire où vivent tant de pêcheurs, de ces barques reposant sur le sable de la plage, de ces ruelles écrasées sous le soleil, de ce linge aux fenêtres, des senteurs maritimes, de cette vie faite de difficultés mais aussi de solidarité, de fraternité, d’amour qu’il aimerait faire revivre au travers du destin de quatre enfants, élevés ensemble, deux garçons et deux filles, les « inséparables ».



L’écriture possède une telle vitalité que je me suis retrouvée à la place de Lluis. J’avais la caméra au poing et Germinal me parlait, me racontait cette Espagne populaire et militante. Sous mes yeux, la Barceloneta s’est animée tout au long de nos vingt six entretiens.



Gros plan sur les quatre inséparables, les deux filles, Joana et Mireia et les deux garçons, Germinal et le beau David, si intelligent, si beau, si sensible, sur ses parents, un papa docker « beau comme un Dieu de l’Antiquité » - « Les dieux n’ont absolument rien à démontrer, ils sont des dieux, un point c’est tout, mon père était de cette trempe », une merveilleuse maman made in France, de Sète plus exactement.



La pauvreté, la misère est palpable mais l’amour, la lumière jaillissent de ce récit. Les enfants sont heureux et insouciants. Ils ne sont pas atteints par la situation effarante des ouvriers, les injustices, les jalousies, les attentats, les réunions syndicales, ce monde qui ne leur ai pas encore accessible mais qui pourtant, gémit et agonise autour d’eux. Ils ne prennent pas conscience des difficultés qui minent leurs parents. Ils partagent tout, leurs premières amours, leurs premières découvertes de la sexualité, dans un climat total de désinhibition voire d’un langage très cru.



Mais dans ce chaos ambiant où les affrontements présagent un avenir très sombre, il y a l’école. Chez Josep Massagué, les mots « éducation, connaissance et culture » occupent les autels les plus élevés de son Olympe personnel. Alors ce ne sera pas n’importe quelle école, une école particulière qui développe de nouvelles méthodes d’éducation, un lieu merveilleux de transmutation où malgré les diversités de provenance, de classe social, de langues diverses, une fois passé la blouse, les enfants sont tous égaux. L’école de la mer est de ces lieux exceptionnels où des hommes et des femmes œuvrent pour donner un sens à l’un des plus beaux mots qu’on puisse trouver dans un dictionnaire « enseignement ». Sans oublier, l’autre lieu de culture et du militantisme, la librairie de Ramon Ramanguer, aux yeux cachés derrière ses deux culs de bouteille, « Le Crépuscule du Capitaliste ».



Puis vient l’adolescence et dans un récit magnifique, bouleversant, Germinal se dévoile et révèle son amour pour David, cet « Ami Aimé », ce bouleversement intérieur qui le révèle à lui-même, ce diamant brut caché au plus profond de son cœur, qu’il porte comme un feu intérieur et qui jamais ne faiblira.



Le temps passe et subrepticement sape l’insouciance des enfants, les sépare, la Grande Histoire rejoint la petite histoire avec violence et glisse vers l’obscurité. Germinal s’engage puis c’est le tour de David. La Lumière fait place aux ténèbres et j’ai glissé lentement avec eux dans cette nuit qui recouvre l’Espagne, approché la vie de femmes et d’hommes qui ont vécu cette nébulosité, cohabité avec la petitesse de l’être humain, et approché le véritable Amour, celui qui résiste à tout, qui vous consume au risque de vous amener sur le terrain du châtiment.



L'auteur possède, à l'image de Stefan Zweig, la remarquable capacité d'entrainer son lecteur au plus profond de l'âme humaine, de dépeindre les pensées qui assaillent l'esprit humain, nous permettant ainsi de nous identifier à ses personnages. C’est un roman fort, vibrant, enflammé, militant où Barceloneta vous prend dans ses filets et ne vous laisse pas de répit. Stupéfaction quand Barcelone digne, souffre, saigne, mais illumine le récit. C’est un immense appel à la Liberté !



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Les Yeux fardés

Tout, d'abord, je veux remercier l'amie fidèle et très chère (pas besoin de la citer, elle se reconnaîtra), qui m'a permis de découvrir ce merveilleux ouvrage, et de rencontrer ce grand auteur catalan qu'est Lluis Llach, avec son écriture, son engagement, ses rêves et utopies, sa poésie.



Avant que les villes ne deviennent des lieux de passage, des dortoirs saturés, vides de toute essence, on trouvait dans chacune d'entre elles, quelle que soit la partie du monde, un quartier populaire qui possédait l'Âme de la population, ses traditions, ses vies faites de misère et de bonheur, de richesse humaine et de rêves!

A Barcelone, c'était le quartier de la Barceloneta. Et c'est là que nous allons suivre la vie de notre personnage principal : Germinal Massagué

Germinal!!! Vous réalisez? rien qu'avec ce patronyme, on a compris que le personnage aura un destin hors du commun, un axe de vie très singulier.

Donc, c'est à travers vingt six enregistrements que nous allons dérouler la vie de Germinal, son enfance, sa famille, son histoire ...

L'histoire de ce quartier situé près de la mer, prés de la plage, lieu de rendez-vous des pêcheurs en journée, des amis et amoureux, le soir.

Nous allons vivre avec les habitants de ce quartier avec leurs bonheurs et leurs misères mais surtout la solidarité qui règne entre eux, ce ciment formidable qui fait la force de ce quartier

Mais c'est aussi une formidable histoire d'amitié que Germinal va nous conter à propos de Mireia, David et Joana, que nous allons voir grandir, vieillir, aimer et parfois mourir.

Mais c'est surtout une formidable histoire d'amour dont je ne vous dirai rien car je préfère vous la laisser découvrir. C'est elle le fil conducteur de ce récit qui nous amènera à la toute fin de ce récit.



LLuis Llach est un formidable conteur mais aussi, un personnage engagé qui installe sa narration chargée d'émotions dans un contexte historique qui est ici celui de l'Espagne des années 1920 jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Ce pays meurtri qui va lutter de toutes ses forces pour rechercher à faire vaincre ses utopies (ne ratez surtout pas cette formidable aventure de 'l'Ecole de la Mer", mise en pratique d'une fantastique utopie éducative) face à un monde issu de la vieille noblesse, grande bourgeoisie et de la religion la plus conservatrice. Ce monde qui n'hésitera pas à mener un coup d'état pour écraser dans le sang et la brutalité la plus inouïe, le véritable humanité, la seule, qui habitait dans cette ville!

Je vous recommande notamment, ce fameux épisode historique du passage de l'Ebre qui nous est conté avec détails par l'auteur et dont nous connaissons ce formidable chant révolutionnaire : El paso del Ebro.

El Paso Del Ebro

(Le passage de l'Èbre)



El Ejército del Ebro

L'armée de l'Èbre

Rum bala rum bala rum ba la !

Rum bala rum bala rum ba la !

Una noche el río pasó,

Une nuit passa le fleuve

Ay Carmela, ay Carmela.

Ay Carmela, ay Carmela.



Y a las tropas invasoras

Et aux troupes d'envahisseurs

Rum bala rum bala rum ba la !

Rum bala rum bala rum ba la !

Buena paliza les dió,

Elle donna une bonne raclée

Ay Carmela, ay Carmela.

Ay Carmela, ay Carmela.



El furor de los traidores

La fureur des traîtres

Rum bala rum bala rum ba la !

Rum bala rum bala rum ba la !

Lo descarga su aviación,

Lui a envoyé l'aviation

Ay Carmela, ay Carmela.

Ay Carmela, ay Carmela.



Les Yeux fardés est un formidable coup de coeur que je vous recommande si vous voulez découvrir un roman fort, intense qui va vous prendre aux tripes!







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Les femmes de La Principal

Trois femmes puissantes, ces Maria, mère, fille, & petite fille, qui dirigent avec maestria le domaine viticole de la Principal. La Vieille et la Senyora surtout sont de beaux personnages féminins, originaux et surprenants - la dernière Maria, nettement moins étonnante, plus bavarde, fait à vrai dire un peu pâlotte à côté.

Mais il y a d’autres personnages qui m’ont beaucoup plu - c’est peut-être même le petit défaut de ce livre, d’avoir trop de bons personnages, on n’a pas suffisamment le temps de s’attacher à chacun d’eux autant qu’il le mériterait - c’est qu’elles ont bon goût les Maria, du moins la Vieille et la Senyora, elles savent choisir un mari. Comment ne pas être, comme la Vieille, sensible au charme de Narcis Magis, exerçant consciencement et avec raffinement ce qui chez lui s’apparente à une vraie profession (pour laquelle je me sentirais comme une profonde vocation): ne rien faire, si ce n’est lire, se promener, réfléchir? Et, du début à la fin, au charme de la belle folie des amours de la Senyora, si loin du convenu et de l’attendu?

Surtout que cette histoire d’amour participe avec piquant et de façon bien ingénieuse et réjouissante à l’intrigue policière. Et aussi à la dimension anti-franquisme, anti-hypocrisie que Lluís Llach, auteur de l’Estaca, hymne catalan de résistance à Franco, sait construire de façon très habile et prenante.
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Les Yeux fardés

Trente ans de chansons, trente ans d'engagement contestataire et révolté avant de devenir ce brillant écrivain et nous offrir ce récit "un hymne à la liberté"

Lluis Llach incarne l'âme catalane et la résistance au franquisme "L'ESTACA"

Un chant d'espoir !



Ce premier roman : un choc pour moi !

Un récit de fiction mais sur un contexte bien réel

Et quel contexte !

Barcelone, cette ville si singulière, colorée, engagée !

Car qui n'a jamais rêvé, enfant, d'aller à l'école les pieds dans le sable ! Ce souhait fut réalisé il y a un siècle à la Barceloneta : L'Ecole de la Mer, l'école la plus moderne de l'époque !

Il fera partie de mes plus belles lectures, peut-être la plus forte !

Parce que ce livre respire, transpire l'Amour, la générosité, des émotions puissantes . Ne vous méprenez pas "il ne dégouline pas de bons sentiments" car ces sentiments sont exprimés au péril de leur vie, avec la force du désespoir et la volonté de ne jamais cesser la lutte contre le pouvoir autoritaire.

Cette lecture m'a prise au coeur, aux tripes : je ne pourrai pas l'oublier !

Ce récit est centré sur un personnage : Germinal.

Une enfance heureuse avec ses trois amis dans un quartier ouvrier, pauvre, anarchisant, rêvant de libertés et croyant à la République !

Des parents aimants, une communauté soudée, faite d'entraide, de respect, de charisme.

Un père prêt à tout pour défendre la liberté et sa révolution ! Un père voulant élever son fils dans une conscience politique par la culture, un père capable, à cette époque, de dire "je t'aime" à son fils.

Cette bande des quatre : deux filles, deux garçons soudés depuis l'enfance : l'amitié, la naissance de leurs premiers émois, des corps qui se découvrent ...

Et puis le vrai Amour, celui qui n'ose s'affirmer : c'est entre les deux garçons qu'il va grandir, pur et profond, caché, inavoué.

Germinal fougueux, passionné et son "Ami Aimé" David sa sensibilité, son intelligence, sa timidité :

Une poignante histoire d'Amour entre ces deux hommes, la passion de toute une vie !

Sortir de cette enfance bénie et découvrir les horreurs de la guerre civile, la dictature franquiste et son affreuse réalité qui détruit tout : les vies, l'amour, les consciences, les intelligences, les rêves et instaure un climat de peur, de haine, d'humiliations ...

Qui réduit tant de femmes et d'hommes à n'être plus rien, à être effacés de toute mémoire, même de la leur !

J'ai adoré tourner les pages de ce livre car il convoque un pan de l'histoire, la soif de liberté, les idéaux

Et même vaincus et détruits, quelque chose en eux résiste !



Cela se passait en Catalogne, au siècle dernier.

Cela se passe aujourd'hui, dans l'ombre de ce que les images et les mots ne nous disent pas, ne peuvent nous dire ...



Livre de l'ami et de l'aimé de Raymond Lulle

Verset 4

L'ami pleurait et disait :

« A quand le temps où se dissiperont les ténèbres du monde pour que se ferment les voies de l'enfer ?

Et l'eau qui a coutume d'aller en aval, quand sera-ce pour elle l'heure d'aller en amont ?

Et les innocents, quand seront-ils plus nombreux que les coupables ? »
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Les Yeux fardés

Germinal Massagué, devenu un vieil homme de 87 ans aux yeux étrangement fardés de bleus va accepter, afin que tout ce qu'il a vécu ne soit pas perdu, d'enregistrer ses souvenirs au cours de 26 séances, en se confiant à un jeune réalisateur, Lluis Sedan.

« Quatre-vingt-sept années de vie, construites jour après jour, entre la colère des dieux et le châtiment des démons, la passion et le dégoût, l'héroïsme d'une action et la médiocrité de toutes les autres, l'amour qui ne meurt pas et la mort de celui qui tombe amoureux… »



Germinal est le fils de Josep Massagué, orphelin, embarqué à 14 ans sur un vieux paquebot le Sirena qui faisait route toutes les semaines entre Sòller et Sète et Marie Guillaume sétoise qui le suivra à Barcelone.



Malgré la pauvreté, il vécut une enfance et un début d'adolescence heureuses, en compagnie de ses trois amis, Joana, David et Mireia. Bercés par la mer, le quartier plein de vie et de couleur de la Barceloneta leur était « comme un foyer vaste et généreux » prolongation de la chaleur familiale.

A la sortie de cette enfance protectrice il vont se sentir d'autant plus vulnérables que va se développer graduellement une violence qu'ils ne mesurent pas immédiatement mais à laquelle ils seront inéluctablement confrontés.

Ils vont être conduit de perte en perte, au milieu du chaos grandissant de la guerre civile.

Et le pire sera après la victoire des troupes nationalistes.

« Je commençais à comprendre ce que signifiait perdre la guerre. J'étais allé me battre, tuer, survivre, mais pas une fois alors que la mort me frôlait je n'avais pensé à ce qui se passerait si nous perdions la guerre. Et voilà que soudain j'étais en train de découvrir et de mesurer le prix inconcevable que nous aurions à payer, et cela me prenait au dépourvu. p 268

Car les forces noires ne peuvent tolérer la beauté, l'intelligence et la générosité qui leur sont un affront en les renvoyant vers leur laideur et leur abjection. Alors ils massacrent, ils salissent et plus encore ils essaient de tuer toute humanité dans les êtres les plus généreux pour les réduire à leur merci.



Dans toute cette horreur, il reste pourtant un îlot de beauté et d'amour qui survit, sous les auspices de Ramon Llull, entre Germinal et L'Ami Aimé



«  L'Ami allait par une ville comme un fou en chantant son Aimé ; et les gens lui demandèrent s'il avait perdu la raison. Il répondit : « Mon Aimé m'a pris ma volonté et je lui ai donné mon entendement ; il ne me reste donc que la mémoire pour me souvenir de mon Aimé. » (54, Livre de l'Ami et de l'Aimé)



Anava l'amich per una ciutat com a foll, cantant de son amat ; e demanaren-li les gents si avia perdut son seny. Respòs que son amat havia pres son voler, e que ell li avia domat son enteniment ; per açò era-li romàs tan solament la remembrament, ab què remembrava son amat.





Cet ilôt est né pour les deux amis au sein de leur école, nommée L'école de la mer, fondée par des hommes et des femmes qui oeuvraient pour donner un sens à l'un des plus beaux mots qu'on puisse trouver dans un dictionnaire : « enseignement » ; une école dont la devise était : « Apprendre à Penser, à Ressentir, à Aimer »

Et même si tout a été tenté pour détruire cet idéal, il reste dans les mémoires.



Un livre beau et bouleversant qui émeut autant que certaines chansons de Lluis Llach comme Nuvol Blanc. Ce roman plein de vie, d'humanité et d'amour laisse plein d'admiration et de compassion vis à vis de tous ces êtres qui se sont battus pour leur liberté.

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Les femmes de La Principal

Deuxième livre de cet auteur

Un magnifique essai transformé :

Deux lectures passionnantes !

Un clin d’oeil fardé à l’ami Babelio

Qui m’a permis De découvrir cet auteur

Hasta la littérature siempre !



LIuis LIach souffle dans ses livres le vent puissant de l’histoire, de sa plume libérée ses convictions humanistes et nous emporte ainsi dans sa création littéraire.

Un hommages aux femmes de sa lignée !

Dans un paysage humain, social et politique, il raconte l’histoire de ces femmes dans le monde rural, comment elles devaient gérer la vie, les rapports sociaux même les rapports sexuels… survivre au machisme, à la morale catholique et civique et se défendre de tous les dangers de cette époque sous le franquisme !



Au coeur de la Catalogne, la Principal immense domaine viticole qui fait vivre la région et enrichit ses propriétaires. Elle appartient à la famille Roderich.

Les femmes de la Principal

Elles s’appellent toutes Maria, trois générations de femmes qui vont s’imposer dans ce milieu masculin de la vigne.

En 1893 la première Maria a vingt ans lorsque le phylloxéra s’abat sur les vignes catalanes.

Son père visionnaire, a établi ses quatre frères à Barcelone afin qu’ils terminent leurs études et démarrent des carrières de notables.

Maria qui n’est que la fille de cette fratrie restera au village, condamnée à dépérir auprès des ceps infectés, enterrée vivante sous les pierres de cette maison, simplement parce qu’elle est une femme !

Sauf si son père ne lui dit pas tout …

Elle n’a que vingt ans et elle est surnommée « la vieille ». Elle va se battre et redonner au domaine ses lettres de noblesse.

Une Maria courageuse, fière, intelligente dotée d’un caractère bien trempé.

Si je ne devais retenir qu’un passage de ce livre, ce serait cette inoubliable scène chez le notaire, au moment de l’héritage.

Une revanche sublimée pour cette fille face à ses frères.

Jubilatoire : je l’ai lu deux fois !!

Elle épouse Narcis Magi un esthète cultivé, romantique, différent des autres avec ses valeurs singulières pour l’époque. S’il n’a pas comblé son attente « la volupté des corps », il lui a ouvert un espace abstrait de liberté et à sa mort les fenêtres se sont refermées : elle a terminé sa vie seule franquiste et bigote.



Ils auront une fille Maria « la senyora » libérale, émancipée, elle reprend le flambeau, méprise toutes les règles mais continue de s’en servir et en profiter.

Elle est amoureuse d’un « indéfini », un bisexuel LIorenç - personnage émouvant - et pour satisfaire son désir et son amour tumultueux, elle va se rebeller, tourner le dos à toutes les règles établies et prendre le risque d'écouter ses sentiments.



La troisième Maria contemporaine recueillera l’héritage et les écrits de son père.



Et puis il y a la force tranquille de cette maison Ursula, la nourrice, engagée à l’âge de quatorze ans comme « bonne à tout faire » et amenée « à tout faire » avec Mr Andreu !!!

Elle sera là pour les deux premières Maria « ses gamines » leur offrira un dévouement sans faille .

Un personnage attachant, perspicace : la sagesse contenue.



Cet univers bourgeois, ces femmes fortes, intelligentes, fières, excentriques, indépendantes et belles :

c’est déjà beaucoup !

Mais en plus très riches, ça aide !

J’ai craint un instant la caricature mais l’habileté de l’auteur est d’entretenir une certaine ambiguïté, l’ambivalence de ses personnages.

Il mène de front cette saga et l’enquête policière : une intrigue qui tient et captive le lecteur de bout en bout.

C’est le second souffle à ce récit !

L’inspecteur Recader à qui il donne le mauvais rôle car du mauvais côté : celui du pouvoir franquiste et répressif. Mais il se révèle intelligent et sensible !

LIuis LIach est dans la nuance et le suspens !



J'ai aimé traverser ce siècle guidée par cette voix, ce visage qui incarne la lutte, la résistance contre le fascisme, contre le franquisme, imprégnée des quelques notes égrenées par son piano .....



















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Les femmes de La Principal

J’ai toujours eu un faible pour certains auteurs espagnols contemporains comme :

Ildefonso Falcones, Antonio Garrido, Matilde Asensi ou Eduardo Mendoza.

Aujourd'hui, Lluis Llach vient enfler de son souffle épique le gonfalon de mes inclinations littéraires.

Son roman est ancré aussi profond que les ceps centenaires de la propriété viticole de la Principal au cœur de la fière Catalogne administrée par trois générations de femmes d’exception.

Sa plume est encrée dans le sang de la vigne et s’écoule fluide et bouillonnante sur les pages de ce roman truffé de secrets, de non-dits et de oui-faits, de nobles causes et de minables manigances.

Une touche de grandiloquence dans mon commentaire pour amplifier les comportements chevaleresques et les miteuses trahisons dans cette Espagne de la fin du 19ème siècle jusqu’à la sortie de la guerre civile, gangrénée par le Franquisme débutant mais jamais balbutiant fort de ses certitudes et de ses outrances.

Toute la puissance de ces intrigues noueuses est exacerbée par la faille prodigieuse entre les détenteurs du pouvoir : militaires, ecclésiastiques, propriétaires terriens se permettant tous les excès, tous les abus en toute impunité et les asservis, ces reliquats de « républicains » accusés de tous les maux sans savoir s’en absoudre.



La volonté phénoménale et la superbe audace de ces trois femmes inflexibles vont déjouer toutes sortes de sordides complots allant du phallocentrisme à la pédophilie.



Ce concentré de souvenirs qui sent le terreau et la terreur, les graves et la gravité avec ces tranches épaisses de fratries fracturées qui empoisonnent les vies sont un bonheur de lecture où les choses qui vont sans se dire vont tellement mieux en les disant…En les lisant !







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Les Yeux fardés

Emouvance ! Ce mot m'est venu : émouvance, et non émotion trop rapidement plurielles et séquentielles. Emouvance comme une évidence qui sonne à l'unisson avec Enfance, Souffrance, Jouissance, Béance, Transcendance et les contient toutes à la fois simultanément. Et donc …





Quelle émouvance quand un vieil homme examine « en aplomb » sa vie et, pour se faire l'étale, comme l'aurait fait jadis le père de son Ami Aimé sur la plage au bout de la Barceloneta pour son filet, au pied de la Sarita son bateau, afin d'en examiner consciemment la solidité de chaque noeud et l'ampleur des déchirures que seul l'amour de sa vie savait si bien repriser !





« Qu'il est loin l'âge tendre ! » et l'école de la Mer au souvenir vivace, à l'idéal si haut, dont la devise était : « Apprendre à Penser, à Ressentir, à Aimer » faudrait-il l'oublier au prétexte que l'homme n'apprendra décidément jamais ? Dans les quartiers populaires de la Barcelone des années vingt effervescente de luttes syndicales, de combats politiques, dans une rareté de sous mais une richesse de coeur, s'ébattait joyeusement La bande des quatre : deux filles, deux garçons dont je terrai les noms par pudeur et pour ne gâcher en rien votre découverte.





Las après la fulgurance de la République, voilà les années 1936-37, les affres du Fascisme, la guerre civile, le sanguinaire Franco, la répression… Certes la Shoah, mais la guerre civile : le massacre entre voisins, entre familles ; non, il n'y a pas d'échelle dans l'horreur quand soudain la haine dévore le coeur des hommes. Les membres de la bande sont écartelés : l'un exilé en Argentine, l'un écrabouillé sous les bombes, l'un sombrant dans la folie, le dernier à la dérive. Mais toujours Barcelone, multiple, ensorcelle et enchante.





Et pourtant à travers tout, l'amour, le vrai, l'inconditionnel. L'amour … qui reconstruit, qui n'oublie rien … Caspe, Casa Elizade, Poblenou, L'Ebre, Montjuïc, la Bota, Pedro-Mata, "Copacabana"... autant de stations d'un amour crucifié. Plus encore, cette phrase qui transcende tout : "Elle faisait partie de ces gens qui avaient tout vécu : la guerre, la faim, les privations, la répression, mais qui étaient encore debout, le regard digne. Elle était encore capable de sourire." p. 310 Celle-là je pouvais mal de la rater y ayant retrouvé le sourire illuminé par les épreuves de mes grands-parents, car oui, les épreuves traversées par deux guerres donnaient une tendresse et une lumière particulières à leurs yeux quand ils me souriaient.





Alors forcément cinq étoiles et pour celles et ceux qui louperaient cette petite phrase pas d'inquiétude, l'épilogue efface le moindre doute. Roman dur. Roman tendre. Ainsi les Yeux fardés bien loin de se racrapoter en une simple lamentation s'illuminent en un hymne à l'amour. Quand beaucoup d'autres romanciers se contenteraient de nommer les horreurs pour une salutaire prise de conscience, Lluis Llach va bien plus loin pour nous réconcilier avec notre humanité.





François Cheng lors de la grande librairie du 29 janvier disait : "Si on est écrivain, si on est digne de ce nom, il faut, dans la mesure du possible, porter toutes les douleurs du monde et essayer de les transformer, de les transfigurer en une sorte de lumière qui nous aide à vivre." Je vous le dis donc sans fard les yeux dans les yeux, ce livre est la parfaite illustration de son propos.
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Les Yeux fardés

A mi-chemin entre la poignante nostalgie de Fellini et les amours interdites d'Almodovar, Germinal raconte sa jeunesse dans le vieux Barcelone, l'école de la Mer et la Nausica, la toute jeune république menacée par le putsch et la guerre.



C'est aussi une magnifique amitié avec David, platonique et secrète puis follement amoureuse, et pour laquelle Lluis Llach trouve des mots admirables, quoique parfois triviaux.



Pas besoin du trop rocambolesque dénouement pour me séduire et je découvrirai avec plaisir d'autres oeuvres de Mr Llach!

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Les femmes de La Principal

Les femmes de La Principal, propriété viticole mise à mal par le phylloxéra en 1893, sont au coeur de cette intrigue qu'elles dominent de bout en bout.



Ce sont les trois « Maria » :

Maria Roderich, fille d'Amadeu Roderich et Blanca Basses, qui hérite de la propriété « La Principal » à la mort de son père, surnommée « la Vieille » par tout le village alors qu'elle n'a que 20 ans.

« Nul doute que cette femme possédait un fort caractère et menait l'hacienda comme si elle avait géré une caserne."

Elle se choisira pour mari Narcîs Magì, fils unique de commerçants de Rius, homme paisible, cultivé, pour lequel « ne rien faire se révéla une véritable profession ». Il amènera à La Principal son piano à queue noir et des livres.



Sa fille Maria Basilla Magì i Roderich née en 1910, surnommée la Senyora, va braver tous les interdits en prenant pour amant Llorenç fils de Neus la cuisinière qui aime aussi bien les hommes que les femmes. Elle finira par l'épouser.



Quant à la petite fille Maria Costa, fille de Llorenç Costa, femme d'affaires efficace, elle poursuit le développement des ventes à l'exportation de vins Carignan de La Principal et préfère par-dessus tout son indépendance. Même si elle aurait aimé avoir elle-aussi une fille, son désir de rester libre et indépendante l'a emporté

Elle entretient une belle complicité avec son père Llorenç.



Aux trois Maria on peut ajouter Ursula la nourrice qui a eu une fille qui ressemblait étrangement à Amadeu Roderich, et Neus Costa, la cuisinière mère de Llorenç. Elles ont toute la confiance de leurs maîtresses, et font, d'une certaine manière, partie de la famille. Ursula, Neus, Llorenç et Caterina sa soeur sont les seuls domestiques autorisés à dormir dans la maison.



On sent la joie malicieuse de l'auteur qui prend un malin plaisir à se glisser dans la personnalité des trois Maria qu'il admire et aime. Trois femmes qui savent louvoyer pour prendre et garder la main dans ce monde d'hommes. Trois femmes qui se jouent de tous les pouvoirs qu'ils soient familial, politique, policier ou ecclésiastique.

Trois femmes libres qui, sous des dehors autoritaires et indépendants, sont par-dessus tout de grandes amoureuses de leur terre et des hommes qu'elles se choisissent en toute liberté, sans se préoccuper du qu'en dira-t-on qui pourtant va bon train dans le petit village de Pous situé dans la région viticole de l'Abadia dont Amadeu le second contremaître dit « c'est un petit village ici et la jalousie est une pourriture qui se glisse dans toutes les maisons. »

Tout le village vit au rythme de La Principal et de la famille possédante.

Des scènes burlesques et des dialogues satiriques offrent un côté théâtral baroque correspondant parfaitement aux représentants de l'état, à ceux de l'église et aux riches propriétaires qui sont en représentation permanente. Ils jouent le rôle qui correspond à leur rang, ils en épousent les règles. le visage offert au public n'est pas celui de l'intimité.

Dans un échange plein de sincérité avec son père Llorenç, Maria Costa analyse parfaitement le fonctionnement de sa grand-mère et de sa mère :

«… la Vieille acceptait de se plier à toutes les règles qui assuraient en retour les privilèges des puissants, car au-delà d'y croire fermement, l'atmosphère du pouvoir la protégeait en tant que femme. Plus tard, ma mère a méprisé toutes ces règles et s'en est bien moquée, mais elle a continué à s'en servir et à en profiter au maximum. Et si je devais être cohérente, au moins une fois dans ma vie, je pourrais admettre que moi-même, je les critique farouchement et j'en bénéficie à mon tour. »



La vie bien hiérarchisée de tout ce petit monde, que l'auteur tourne en dérision, va être bousculée par une enquête policière concernant le meurtre du contremaître de la Principal, Ricard Nebot, commis à Pous le 18 juillet 1936. Son corps mutilé a été abandonné sur le banc de pierre devant l'entrée de la Principal. L'inspecteur Lluis Recader, grand lecteur d'Agatha Christie, avait ouvert un dossier à cette époque mais il avait été contraint par les circonstances d'abandonner cette enquête qu'il reprend le jeudi 7 novembre 1940, bien décidé cette fois à trouver le coupable….



Le ton souvent railleur parfois même mordant, les passions et la sensualité qui l'habitent, plusieurs retournements habiles de situation et un dénouement surprenant, font de ce roman une belle réussite.

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Les femmes de La Principal



J'ai mis un certain temps à lire ce roman, le lecteur doit être attentif car les méandres des souvenirs, l'alternance de trois époques et le fait que les trois maitresses-femmes du livre ont le même prénom, cela brouille un peu l'esprit au départ ! Ensuite, on s'y fait très bien.



Il est temps maintenant de vous faire pénétrer dans le domaine viticole de la Principal. Tout commence en 1873. La crise du phylloxera finit par ravager les vignes catalanes. Et, par le fait d'un événement familial tragique, la jeune Maria se voit devoir gouverner la Principal. Ce sera ensuite le tour de sa fille, puis de sa petite-fille. A cette histoire se déroulant donc sur trois générations, jusqu'en 2001, s'associe une enquête policière bien mystérieuse.



J'ai aimé ce roman pour plusieurs raisons: les trois Maria sont complexes ( la dernière est moins décrite), révèlent de fortes personnalités, dures souvent , forcées qu'elles sont d'évoluer et de se faire respecter dans un univers machiste. Mais elles ont aussi des failles, sentimentales, qui les rendent attachantes.



Les autres personnages piquent également notre curiosité, ils sont atypiques, originaux comme Ursula ou l'inspecteur. Les périodes de troubles politiques, les préjugés sociaux, les protocoles à suivre dans ce monde de bourgeoisie provinciale étriqué où la femme n'est qu'une épouse et une mère, l'hypocrisie concernant les vices de certains religieux, tout est bien analysé. Enfin, l'aspect policier donne de la vivacité au récit et relance l'intérêt.



Un roman prenant, que j'ai eu grand plaisir à lire!
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Les Yeux fardés

Difficile de tourner la dernière page du livre de LLuis LLACH « Les yeux fardés » sans ressentir une vive émotion à l’idée de quitter cette histoire absolument magnifique et ses personnages extrêmement touchants.



Germinal, un vieil homme de 80 ans, raconte l’histoire de sa vie à un jeune réalisateur catalan. Nous découvrons ce récit à travers vingt-six enregistrements.



Ils sont quatre : Germinal, David, Joana et Mireia, nés en 1920. Ils vivent depuis leur naissance dans le quartier populaire de Barcelone, La Barceloneta. Inséparables à la vie et à la mort, ils vont traverser l’Histoire dans une Espagne Républicaine prometteuse d’espoir de liberté jusqu’à la guerre civile qui va rebattre irrémédiablement les cartes de leur destin pour les conduire au chaos total.



Les quatre amis vivent leur enfance et leur adolescence dans les ruelles de ce quartier, sur la plage entre les barques échouées, dans une totale insouciance du monde adulte qui les entoure. Ils découvrent ensemble l’apprentissage de l’école, de la connaissance, leurs premiers émois sexuels ainsi que leurs premières expériences, leur premier amour.

Puis en grandissant, petit à petit chaque personnalité s’affirme et chacun semble filer vers une destinée qui lui est propre.



Mais l’Histoire en a décidé autrement à travers l’arrivée irrémédiable de la guerre civile qui amènera Franco au pouvoir dans une Espagne Franquiste.



A travers son récit bouleversant et magnifique, Germinal nous emmène au cœur de Barcelone d’abord lumineuse, éblouissante, remplie de promesse d’un avenir meilleur puis soudainement totalement meurtrie, fracassée par la guerre, bombardée et totalement détruite par l’aviation fasciste. Mais c’est aussi une magnifique histoire d’amour : celle que Germinal et David éprouvent l’un pour l’autre. Ensemble, ils vont découvrir leur homosexualité. Nous allons découvrir leur passion indestructible, leur amour inconditionnel même au plus fort de la guerre civile et de sa tyrannie. Unique et grande passion qui guidera l’existence entière de Germinal.



Ce roman est pour moi un petit bijou, voire un chef d’œuvre. A travers l’écriture sublime de LLuis LLACH, nous découvrons l’histoire d’une ville, Barcelone, ainsi que le destin de ses habitants, hommes et femmes prêt à tout pour défendre leur liberté. Mais on y côtoie également tout ce qu’il y a de plus ignoble et d’abjecte chez l’être humain.



Ode à Barcelone, ode à la passion entre deux êtres, « les yeux fardés » vous transperce au plus profond de vous-mêmes. C’est tout simplement un très grand roman. Ne passez pas à côté.

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Les Yeux fardés

Ce n'est qu'une fois ce roman refermé que j'ai découvert que son auteur, Lluis Llach, ancien chanteur engagé, est un indépendantiste catalan pur et dur. Si je l'avais su, je n'aurais peut-être pas lu ce livre -et qu'est-ce que j'aurais raté !

J'ai été emportée par l'histoire de la Barceloneta des années 20 et 30, ce petit bout alors misérable de la capitale catalane, racontée par un vieux Monsieur aux yeux fardés de bleu. Interviewé par un réalisateur, il fait revivre ce quartier ouvrier et pauvre où il a grandi, avec ses 3 meilleurs amis, parmi les adultes qui parlaient de lutte politique et syndicale, dans une Espagne où la monarchie basculait alors dans une fragile République. Evidemment, leur jeune existence est percutée par la Guerre Civile qui éclate en 1936, puis par la dictature franquiste qui s'abat sur le pays.

Mais c'est aussi l'histoire d'une passion amoureuse...

J'ai adoré ce roman, écrit avec le coeur (et avec talent). Je l'ai dévoré. J'ai été touchée par la beauté du rêve républicain : "C'était une époque où on croyait encore à l'être humain comme à une entité unique, qui méritait d'avoir une chance face à son destin et qui était doté d'une générosité magnifique. Vous imaginez ça, au début du XXIème siècle ? Pas moi." J'ai été émue par la beauté du rêve libertaire : [décrivant le départ de la colonne Durruti pour l'Aragon] "Et plusieurs mètres derrière, un autre autobus reconverti en bibliothèque roulante, afin que les citoyens en lutte puissent lire au front. Vous imaginez ça, vous ?"

Bien sûr, c'est une histoire dramatique qui nous est racontée, où les personnages hurlent de terreur en se jetant sous une table quand les bombes se mettent à tomber dans le quartier ; nul héroïsme de pacotille dans ce roman : la guerre est sale, elle tue, elle rend les femmes folles et fait pleurer les hommes. Et pourtant, il faut continuer à vivre -et à aimer et désirer.

Llach recrée bien (me semble-t'il) l'ambiance qui régnait dans les milieux républicains, entre espoir et fatalisme. C'est extrêmement fort, et pourtant c'est chaud et tendre comme les souvenirs. Une vraie merveille.
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Les femmes de La Principal

Une saga familiale qui court sur plus d'un siècle portée par trois femmes fortes : trois Maria de mère en fille.

Nous sommes dans une propriété viticole en Espagne et le récit fait des va-et-vient dans les époques.

L'ambivalence de ces trois femmes et les difficultés qu'elles affrontent nous les rendent distantes, peu attachantes.

Le récit est intéressant mais le rythme est un peu lent et la psychologie des personnages insuffisamment fouillée à mon goût ; une enquête pour meurtre va prendre le pas sur le combat de ces femmes pour sauver leur domaine.

Néanmoins, l'écriture est élégante ; nous ressentons la chaleur de l'été, la sécheresse de la terre et la dureté des relations sociales.

Par sa plume, l'auteur dénonce le patriarcat, le poids de clergé, l'intolérance, et le fascisme.

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Les Yeux fardés

Dans un très long monologue narré avec vivacité, naturel et persuasion, le très âgé Germinal (eh oui, en ce temps-là, du début des années 20, beaucoup de parents catalans pouvaient appeler leur fils Germinal) raconte sa vie à un réalisateur. Une vie mouvementée, remplie de passion, de débrouillardise et de solidarité.



Je ne la dévoilerai pas ici, mais je peux dire avec certitude qu’elle m’a emportée avec un bonheur total pendant plusieurs jours dans ce quartier de Barcelone, quartier d’ouvriers, de pêcheurs, de petites gens : la Barceloneta.

Une adolescence heureuse en compagnie de deux filles et d’un garçon du même âge, et puis la guerre civile, celle qui a tout dévasté, le passé, le présent et l’avenir.



Tout m’a semblé passionnant à vivre et à lire. Les actions sont mêlées aux sentiments tumultueux, aux réflexions pertinentes et aux descriptions sans fard… ce qui est curieux pour un livre dont le titre est « Les yeux fardés ». Mais la signification de ce titre, vous la connaitrez seulement à la fin, après une lecture exaltante.

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Les femmes de La Principal

Quelques semaines après avoir découvert l'écrivain Llach, « Les femmes de la Principal » confirme le talent de l'artiste catalan. Ce roman propose une intrigue beaucoup plus audacieuse puisqu'il retrace le destin de trois femmes sur plus d'un siècle. Il se déroule principalement dans une hacienda. Sautant d'une période à une autre, puisqu'il s'agit de montrer à la fois les ruptures et les constantes historiques, « Les femmes de la principal » est aussi un roman policier, où un inspecteur franquiste, Lluis Recader, s'attelle à résoudre un « cold case », variation littéraire et catalane du gaspacho andalou que le regretté et gourmet Montalbán aurait probablement apprécié à sa juste valeur. Recader est un étonnant policier qui se révèle sagace et, à sa manière, tolérant. Ce personnage permet de balayer l'argument de l'envahissant militantisme supposé de Llach. Bien sûr, « Les femmes de la Principal » décrit une Espagne franquiste obscurantiste et violente mais l'auteur ne verse pas pour autant dans le manichéisme, n'en déplaise aux grincheux qui ne manqueront pas de juger le livre sans avoir fait l'effort de le découvrir.

Si la troisième Maria, la petite-fille, est moins mise en valeur que sa mère et sa grand-mère, peut-être faut-il y voir la conséquence de cet apaisement que connut l'Espagne à la mort du Caudillo ? Ce déséquilibre entre les trois femmes ne m'a en rien gêné.

Comme dans « Les yeux Fardés », la sexualité est un axe majeur de l'intrigue et, notamment, son articulation avec la religion. Question articulation, les prélats ibériques n'ont d'ailleurs visiblement rien à envier à leurs homologues irlandais.

La quatrième de couverture, ainsi que cette chronique jusque là, pourraient laisser à considérer que seule la bourgeoisie catalane est mise en scène. Il n'en est rien ! On évitera la tarte à la crème anglaise en qualifiant l'ouvrage de Downton Abbey catalan mais précisons que la domesticité n'est pas oubliée : Ursula est un personnage important de cette histoire. le plus important ? Et s'il fallait chercher, non pas une héroïne, mais un héros, Llorenç Costa, drôle de mâle d'un pays à qui l'on doit le mot macho, pourrait postuler…

Livre rythmé et profond, « Les femmes de la Principal » donne envie de découvrir les deux autres romans de Llach.

En attendant, je vais tenter de remettre la main sur un de ses vieux CD n'en déplaise aux grincheux qui ne manqueront pas d'estimer que cette chronique est partisane : hasta la littérature siempre !
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Les Yeux fardés

Un vieil homme raconte sa vie à un metteur en scène qui espère en tirer un scénario, pour un film historique. Il faut dire que Germinal a vécu une existence mouvementée, qui a épousé les soubresauts de l’histoire. Né dans un quartier populaire de Barcelone en 1920, il a connu les agitations politiques, la guerre civile et ses ravages. Et puis, il a vécu un grand amour, qu’il n’a jamais pu oublier.



C’est incontestablement un livre sympathique, le principal intérêt en est sans doute la description de la vie des gens du peuple, dans un quartier animé, pauvre mais plein de chaleur humaine. De grands espoirs y naissent, celle d’une émancipation, d’un monde qui va dans le bon sens, avant de connaître les désillusions, et les violences de la guerre et de la répression.



Mais j’ai eu peu décroché à partir de la moitié. En partie à cause de l’écriture, très simple, et aussi du récit, qui tirait quand même un peu du côté sentimental, essayant d’émouvoir à tout prix, y compris celui d’une certaine invraisemblance.



C’est une lecture dans l’ensemble plaisante, même si j’ai trouvé des longueurs, et que cette manière de raconter l’histoire par la biais de vies émouvantes n’est pas forcément ce que je recherche en priorité.
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Les Yeux fardés

Certaines reconversions me laissent dubitatif, ce qui, depuis Desproges, est fort gênant : Noah chanteur, Ségolène Royal chroniqueuse chez Hanouna, Marine Le Pen sémitophile…

Lluis Llach romancier, en revanche, je suis admiratif…

J’arrête d’ailleurs de tenter par tous les moyens de convoquer l’humour pour relater les impressions laissées par ce puissant bouquin. D’abord parce que de l’humour, il n’y en a pas ici… L’époque et le lieu s’y prêtent difficilement… Barceloneta, quartier de la capitale catalane, la Guerre civile… Que ceux que l’Histoire rebute, soient rassurés, l’immense intérêt des « Yeux fardés » est de mettre en scène des hommes et des femmes qui s’efforcent de ne pas seulement survivre au milieu du chaos mais de continuer à espérer dans un décor urbain et social rigoureusement et magnifiquement décrit.

Pas d’humour, donc… Pas obligé, comme sur France Inter le matin, de systématiquement tenter de se fendre la poire quand le fond de l’air est sombre. Gaza ou Kiev en 2023…Barcelone en 1936… Sale temps pour les marioles…

Pas d’humour, non ! L’amour, en revanche, déborde, dégueule même… Physique, filial, fraternel, maternel, rarement heureux… La haine n’est pas en reste…

Que de lignes ignées pour souligner la grandeur des uns, la bassesse des autres… Les plus désespérés sont les chants les plus beaux et ces Yeux fardés sont de ceux que l’on oubliera pas de sitôt. La fin du livre est émouvante tout autant qu’éprouvante… Bien longtemps que je n’avais pas ressenti une telle émotion. Et je ne lis pas que de la piquette ! Il reste après cette lecture, un goût âpre, un tanin tenace. Germinal Massagué a acquis au cours des pages une telle épaisseur qu’il n’est nullement exagéré de prétendre que l’on quitte un proche, ou du moins, un attachant témoin. Le lecteur est devenu ce réalisateur qui, dans le livre, recueille la précieuse parole. Ce réalisateur, qui, passé le choc de la première rencontre, voit se délier l’écheveau les souvenirs d’une époque tragique. Lluis Llach n’a pas vécu la Guerre civile. Par contre, la répression franquiste, l’exil, il peut en parler, ils les a déjà chantés… Dès lors, il est à parier que la quête de Lluis Llach n’est pas seulement littéraire, elle vaut aussi par sa dimension personnelle, cette touchante interrogation intime dès lors qu’est abordé ce mouvement politique, laboratoire totalitaire pour le nazisme. Grâce à ce livre, nous accompagnons l’auteur dans sa recherche, nous partageons non seulement son indignation pour les lâchetés des démocraties européennes, en premier lieu celle du Front populaire, mais également sa condamnation des exactions franquistes. L’auteur, pourtant, ne fait pas l’impasse sur les rivalités intestines du camp républicain. Pour les besoins de ce livre, Lluis Llach a su rehausser sa splendide panoplie d’artiste d’une plume d’historien et d’une grande cape de romancier.

Ayant sous le coude « Les femmes de La Principal », la perspective de reprendre bientôt une autre bonne grosse louche de liberté me réjouit…
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