Citations de Louis Calaferte (698)
Par nature, je suis porté aux choses de l'esprit, les seules qui aient pour moi du prix.C'est d'elles que j'ai toujours retiré mes satisfactions intimes, même au temps de ma jeunesse pauvre; à elles que, certains jours de grand épuisement moral, j'ai dû de ne pas renoncer à ma vie mesquine.
( Denoël,1971)
Il y a dans la maladie un redoutable moment, que j'ai éprouvé lundi dernier au cours de ce long malaise, celui pendant lequel on ressent qu'une force obtuse nous conduit à sa guise, que toute apparence de volonté est vaine, que le biologique est tout-puissant, l'esprit scandaleusement brimé par l'organique.
Nous rêvons de passions et finissons par des accommodements.
La capacité d'amour du chien est proprement infinie; au point qu'il accorde son affection à ceux-là mêmes qui se montrent envers lui indifférents, voire cruels. Rien ne me touche comme cette disponibilité du cœur.
Ce qu'on peut se dire à la fin d'une journée c'est: encore un jour sans catastrophe, sans maladie, sans chagrin, sans misère. En somme, encore un jour de bonheur.
Je serais heureux, moi, d'entrer dans des églises, d'y trouver des prêtres "mystiques", quitte à partir dans la connerie, mais, au moins, des gens qui vous soulèvent. C'est comme les poètes... Peu importe qu'ils aient tort ou raison, on s'en fout. Ce qu'on souhaite, ce sont des gens qui vous soulèvent.
(Extrait des entretiens avec Pierre Drachline)
Ne décevez pas ceux qui vous aiment, c'est là votre plus grand bien sur la terre, qui ne se renouvellera pas, que vous pouvez à jamais compromettre pour la seule satisfaction d'une inconséquence.
Difficulté de se tenir dans la présence de Dieu au contact quotidien du monde. La solitude, l'éloignement, favorisent cette démarche, mais n'est-ce pas en acceptant le monde qu'il faut faire le chemin?
Chaque jour en m'éveillant j'attends "quelque chose" qui tiendrait du miracle.
“Les livres me donnaient confiance. Sentiment assez indéfinissable. Ils représentaient une force sûre, un secours permanent. Toujours réceptif, un livre ! À la première lecture on a laissé une marque à telle ou telle page, le coin plié c'est le passage qui répondait à une préoccupation, un doute. Le dialogue est ininterrompu . D'autant plus vaste qu'on y ajoute tout ce qu'on veut l'auteur n'a fait que poser les jalons indispensables. À vous de faire la tournée d’inspection.”
Créer, c’est dénoncer. Se retirer. Couper les ponts. Être contre. La révolte, le mépris, le cynisme, le scandale, l'hermétisme, la démesure ou le délire marquent la poignée des grands livres que nous admirons.
Cette hargne imbécile contre tout ce qui présente le monde et sa vérité sous une lumière nouvelle, brutale, tragique, délivré du vieux moule de l’ordre établi qui permet à la multitude de s’endormir chaque soir sur ses deux oreilles jusqu’au sommeil dernier dans la parfaite apothéose de la nullité triomphante. Cette haine de l’idée qui ne répond à rien de personnel. Cette haine de la création qui n’emprunte pas les passages cloutés prévus à cet effet.
L’Histoire prouve surabondamment que les hommes de pouvoir sont des dérangés mentaux, probablement d’une sexualité trouble. Dérèglement qui explique les monstruosités qu’ils sont susceptibles d’ordonner ou de couvrir de leur autorité. (l’oeuvre commence ainsi)
Perversion du raisonnement capitaliste: nous avons de l’$ parce que nous l’avons gagné (sont oubliées les conditions d’injustice); que nous l’ayons gagné a permis de vivre à des gens simples qui, sans nous, eussent été à la misère, etc. (L’oeuvre se termine presque ainsi)
Le mot est avant tout un cri. C’est par un cri que nous nous manifestons au monde. Expression ! C’est-à-dire besoin incontrôlable de faire entendre sa voix. Les mots sont faits pour scintiller de tout leur éclat. Il n’y a pas de limite concevable à leur agencement parce que il n’y a pas de limite à la couleur, à la lumière. Il n’y a pas de mesure à la mesure des mots. Il ne viendrait à personne l’idée de mettre un frein à la clarté nue de midi en été. Les mots. Silex et diamant. Votre rôle est de fouiller là-dedans à pleines mains au petit bonheur. Pourvu que ça rende le son qui est en vous au moment où vous écrivez.
On eût dit qu’il savait tout de nos lourdes peines d’enfants, et peut-être, vraiment, savait-il tout de ce long désespoir, de cette plainte venue de loin, cramponnée en nous comme une affreuse petite bête noire. Comme un cancer. On eût dit qu’il avait, avant nous, éprouvé cette patiente morsure de l’incurable cancer de la mauvaise chance.
Là-haut, Lédernacht criait au village le retour du petit Lédebaum d’autrefois, mais nul ne le reconnaissait. Et chacun sortait pour le voir. Les hommes demandaient : « Alors fiston ? », et le petit Lédebaum répondait : « La paix. » La paix, voilà.
À nous, gosses, il faisait peur. Droit, solide comme l’arbre dans l’orage, il avançait pas à pas sur le pavé. Et, sous ses pas, le pavé chantait la litanie des crevards. Il avançait, les mains calées dans les poches ventrières de son pantalon de coutil bleu. Les mains sur le ventre, oui, pour contenir la formidable douleur qui bouillonnait au-dedans.
Lorsque notre professeur, Loucheur, — il louchait — annonça les résultats officiels de l’examen, et que seul mon nom fut jeté par sa voix de chien maigre dans le vide du silence, une large, une profonde et vaste stupéfaction pétrifia les copains. On me regarda avec des yeux moqueurs, des yeux méprisants, des yeux haineux. Les copains qui avaient tous échoué en bloc n’en revenaient pas. Moi non plus. Loucheur non plus. J’étais le premier bâtard de mon quartier qui allait quitter l’école avec autre chose que des poux et le vice de la masturbation collective : mémoire d’homme.
Il fait dehors
un gris soyeux
que des vents frôlent
mets ta tête sur mon épaule
ferme les yeux
il fait dehors un gris soyeux
Aromates de nos douceurs
et quelque chose en toi qui tremble
une éternité dans nos coeurs
c'était autrefois et ailleurs
nous dormions tous les deux ensemble
Il fait dehors
un gris soyeux
que des vents frôlent
mets ta tête sur mon épaule
ferme les yeux
il fait dehors un gris soyeux
p182-183 (Edition NRF)
Je ne te verrai plus sur terre
mais peut-être en des paradis
loin d'ici
de l'autre coté de la mer
P204 (edition NRF)
Il reste peu de chose de cette lancinante désolation ; les ombres que je traque m’échappent, et seul un malaise m’étreint devant cette vie nouvelle qui a pris racine sur les lieux où j’ai tout espéré. Mes fantômes mêmes se refusent à me suivre, et il ne traîne dans l’air qu’une inhumaine musique faite pour accompagner les larmes, tandis que je voudrais dire pour un camarade mort et une Petite Fille que j’aime un merveilleux chant d’amour…