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Critiques de Ludmila Oulitskaïa (328)
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Le corps de l'âme

Première rencontre avec l'écrivaine russe OULITSKAÏA avec un sujet délicat, le corps de l'âme, cet âme dont le poids exact serait de 21 grammes selon Duncan MacDougall, médecin américain (1907). Quand à son corps on va le découvrir à travers ces 11 nouvelles que l'écrivaine a classé sous deux différents titres, Les amies et le corps de l'âme . Des histoires qui surprennent par leur tissu de personnages très variées dans des relations et situations singulières, dont la majorité sont des femmes issues de minorités ethniques, à la recherche du sens de leurs vies, à la recherche d'eux-même.

Zarifa, azérie, femme d'affaire brillante, mariée à une arménienne est mourante. Avant de partir elle aimerait avoir une réponse aux trois questions qu'elle pose à une amie généticienne: C'est quoi l'intelligentsia ( l'écrivaine elle-même vient du milieu de l'intelligentsia juive moscovite) ? Qu'est-ce qui distingue les Arméniens des Azéris ?

Est-ce que je suis quelqu'un de bien ? Et c'est sa réaction aux réponses dans ses derniers instants de la vie qui nous feront sourire….

Alice rêve d'une mort programmée, mais sera vite rattrapée par la vie qui ne l'a lâchera plus vu la responsabilité dont elle lui en fera don…

Et que dire de Sonia qui trouve le sens de la vie dans la façon de s'alimenter, une fois le mari décampé. En résulte une magnifique image de papillon d'un réalisme poétique d'une douceur infinie…

Ou de Tolik, qui pénètre le paysage qui l'attire comme un aimant…

On aimerait presque être un de ces personnages pour faire l'expérience de cette frontière entre le corps et l'âme , la lisière entre la vie et la mort, fascinante mais oh combien risquée et dangereuse !



Entre les deux titres Oulitskaia nous offre un entracte personnel qui m'a coupée le souffle,



« Fin octobre. Un boulevard. Un banc.

À l'est, à la lisière des montagnes, le port de Gênes,

à l'ouest, si on cligne bien des yeux, la Côte d'Azur.

On épluche dans sa tête grise chaque fait

qui n'a pas été compris et perçu

comme il le faudrait maintenant.

Tout est mensonger, faussé, biaisé.

Idiote ! Imbécile ! I'm fucked !

Pas une seule leçon n'a été assimilée.

Mais quelle veine j'ai eue, et quelle veine j'ai encore.

Pas parce que je le mérite, juste comme ça…

L'entracte se termine,

c'est le début du troisième acte.

Tout est derrière moi, le premier bleu et le dernier cancer,

tout s'est écoulé,

le miel des rayons de la ruche,

le pus de la blessure les Évangiles, la Bible, le Coran,

Même le paradis désert du bouddhisme.

J'entre dans l'épisode final, et peu importe qu'il soit suave ou aigre, il se coule dans le sens ultime.

On aurait voulu une structure fractale, mais il n'y en a pas.

Il n'y a qu'une structure frontale, comme ce vers.

Il n'y a pas de poète sur la scène.

Mais la salle s'est tue.

Le rideau tombe. Un cabinet noir.

Il y a quelqu'un ici ? Ou il n'y a personne ? »



Même le désespoir pour elle ici est un sentiment à négliger. Une structure fractale aurait été beaucoup plus simple à vivre mais quel ennuie 😊, or il n'y a d'ailleurs qu'une structure frontal, d'où ces vies changeantes où le réel côtoie le surnaturel et l'imprévu recèle la douceur et la tendresse d'une vie qui est loin d'être généreuse. Un beau receuil non dénué d'humour, d'une simplicité et légèreté en contradiction avec la dureté et la complexité de l'existence. C'est ce que j'appelle le talent.



« Personne ne peut dessiner un atlas de l'âme.

Il ne nous est donné que d'entrevoir parfois une zone frontalière. »
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L'échelle de Jacob

Nora, décoratrice de théâtre, femme moderne qui élève seul son fils, découvre à la mort de Maroussia, sa grand-mère, les lettres qu’elle et son grand-père Jacob ont échangé pendant plus de vingt-cinq ans. Une correspondance épistolaire sincère, franche, respectueuse et attendrissante. « Un quart de siècle d’amour, d’amitié, de mariage… »



L'époque de Jacob et Maroussia (à partir de 1910, la mort de Tolstoi), et le présent de Nora (à partir de 1975-1981) sont les deux temps de narration de cette histoire familiale, une histoire de femmes libres surtout, qui entendent exister intellectuellement et socialement. D'origines bourgeoises mais progressistes, Nora comme sa grand-mère Maroussia sont féministes, souhaitent s'épanouir dans un travail valorisant et croient à la possibilité d'une justice sociale. Ce qui sur ce dernier point ne fut pas le cas de Jacob qui quand « La justice sociale tant attendue frappa ... abandonna sa carrière à peine commencée à l'institut et trouva un travail dans le département des statistiques du commissariat du peuple au Travail d'Ukraine ... se réduisit à des discussions dans un cercle intime ... son principal interlocuteur restait Maroussia, emballée par l'édification d'un avenir grandiose. » Jacob qui, par la suite accusé d'activités antisoviétiques, passa une bonne partie de sa vie en relégation.



De l'époque tsariste à celle de Poutine, en passant par celle de la révolution bolchevique et de l'URSS, avec Ludmila Oulitskaïa nul besoin d'enjamber les vides, ils n'existent pas ou si peu dans cette saga prenante de grand ampleur (plus de 600 pages quand même) inspirée par la vie de sa famille pendant tout le XXe siècle. Des juifs intellectuels et artistes pour la plupart, surdoués pour certains, dissidents pour d’autres, des hommes et des femmes avec des hauts et des bas qui ont été, à ne pas en douter, des acteurs et des témoins privilégiés de leur époque.
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Ce n'était que la peste

1939, en Russie.

À l'écart du reste du monde, un long bâtiment de plain-pied est enseveli sous la neige.



La gardienne, une vieille Tatare, est assise près d'un poêle en fer et mâchonne de sa bouche édentée, des tranches de viande séchée.



Plus loin, dans un local confiné, vêtu d'une combinaison de protection et doté d'un masque, un biologiste du nom de Rudolf Ivanovitch Mayer répartit une culture bactérienne dans des boîtes de Petri à l'aide d'une longue aiguille.



Dans la loge, le téléphone sonne avec insistance.

Ce passage m'a rappelé la virulence de l'appareil de Donald quand c'est Picsou qui appelle.

Mais je m'égare.



Suite aux hurlements de la gardienne qui l'enjoint de répondre,, Mayer se précipite, et ce faisant, son masque glisse, le joint d'étanchéité de la mentonnière s'est détaché.



C'est Moscou, en la personne de Vsévolod Alexandrovitch, Président de la commission, qui exige de Rudolf qu'il fasse le voyage pour faire un exposé sur son travail, bien que celui-ci demande encore deux mois pour le finaliser.



L'éminent biologiste travaille sur la peste pulmonaire, en pleine recherche d'un vaccin supposé lutter contre toutes ses variantes.



Pas de mystère, suite à la détérioration de son masque, Rudolf est contaminé mais prend le train jusqu'à Moscou, s'installe à l'hôtel, se fait même raser, fait son exposé à la Commission... et tombe malade.

Le médecin vient, le fait hospitaliser.



La Russie connaît un embryon d'épidémie, mais absolument toutes les personnes ayant été en contact avec le patient zéro sont identifiées et débusquées de l'hôtel, de chez eux en pleine nuit.



Quand des hommes du NKVD vont les chercher, les citoyens pensent de suite à une arrestation, forcément, et leurs réactions varient d'une personne à l'autre.



*******



Le livre est très court, mais plutôt détaillé concernant les personnages.

Un style très brut, il ne faut pas y rechercher d'envolées lyriques.



Accrochez-vous pour suivre au fil des noms et prénoms, mais une récap est fournie en entrée de livre.

J'aurais aimé que certains passages soient davantage creusés, ce qui aurait donné plus une profondeur émotionnelle au récit.



Au final, un grand soulagement, ce n'était que la peste !



.
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Le corps de l'âme

Première plongée dans l'univers de Ludmila Oulitskaïa pour moi et certainement pas la dernière. A présent il me tarde de lire un de ses romans tant j'ai aimé la fluidité de l'écriture de cette auteure russe.

Le corps de l'âme est un recueil de nouvelles articulé en deux parties distinctes : les amies et le corps de l'âme qui donne son nom au livre.



Chacune des parties est introduite par un chapitre très personnel, un avant-propos pour la première partie, ode aux amies, aux femmes, à la fois lyrique et crue, poétique et profondément humaine, et un entracte pour la seconde partie qui m'a infiniment touchée : elle y narre en une métaphore théâtrale sa fin de vie, sa vieillesse et l'approche de la mort. Ces deux passages intimes donnent le la à ce qui va suivre.



« J'entre dans l'épisode final,

Et peu importe qu'il soit suave ou aigre

Il se coule dans le sens ultime.

On aurait voulu une structure fractale, mais il n'y en a pas.

Il n'y a qu'une structure frontale comme ce vers ».



La première partie, composée de 5 textes, fait ainsi la part belle aux femmes. Des femmes qui aiment d'autres femmes, des femmes qui espèrent une ascension sociale, des femmes simples et humbles, d'autres qui manigancent et qui rusent…des femmes qui tentent de trouver leur place dans la société et de vivre tout simplement. J'ai été surprise par le style de Ludmila Oulitskaïa, son écriture n'est pas ciselée, elle n'est pas complexe, elle n'est pas grandiose et encore moins grandiloquente, mais se fait discrète au service d'une fluidité très agréable. L'histoire prend le dessus sur l'écriture. C'est ce qui me fait dire que j'apprécierais davantage ses romans, car à chaque fin de nouvelle je quittais avec regret le récit. La nouvelle intitulée L'étrangère a été ma préférée car l'auteure en profite pour se moquer de ses compatriotes, promptes aux commérages ou au racisme dès que cela les arrange.



« Elle l'avait pris pour un étranger convenable, mais c'était un Arabe…Il ne reviendrait pas. Il s'était servi d'elles, un point c'est tout ».



La seconde partie, le corps de l'âme, m'a davantage plu et interpellée. le récit se fait surréaliste pour interroger ce qu'est l'âme, où se situe l'âme, ce qu'elle recouvre précisément, ce qu'elle advient lorsque nous mourons. Enchainement de huit petits textes étranges et fabuleux, souvent à la lisière de la vie et de la mort, le message que porte Ludmila Oulitskaïa est optimiste et lumineux. Un personnage malade qui se fond dans une photo de paysage aimé, un médecin légiste qui s'interroge sur des traces étranges au dos d'un mort, une femme cultivée atteinte de la maladie d'Alzheimer qui retrouve des capacités infinies au moment de sa mort, un vieil homme qui est visité chaque nuit de façon sensuelle par une apparition…La vieillesse et la mort semblent être des passages pour un après meilleur où l'âme libérée virevolte et s'épanouit. Une façon pour l'auteure de conjurer sa propre vieillesse et de se libérer du joug angoissant de la fin à venir. Une magnifique méditation sur le sens de nos vies.



Son écriture, fluide, qui se laisse oubliée, est aussi étonnamment picturale, sensorielle et sensuelle. Elle le devient même de plus en plus au fur et à mesure que nous approchons de cette notion d'âme, ce qui est surprenant, décalé et même assez osé. L'auteure fait cohabiter les sens, la corporalité et l'analyse de l'âme...le titre prend là sans doute tout son sens. Du corps à l'âme, le passage du corps au céleste...de belles images partant du corps vers l'infiniment grand, vers le cosmique...

La façon d'introduire ses personnages m'a souvent faite sourire, comme cette « femme aux flancs affaissés et à la poitrine belliqueuse examinant du coin de l'oeil le jeune homme assis à l'autre bout du banc » ou celle-ci dont « l'odeur suave de ses aisselles continuait à flotter autour d'elle comme un fumet autour d'un kebab ». En quelques mots, des tableaux m'apparaissaient, des postures, des odeurs, des corps. Quant à la sensualité, prenons par exemple ce passage pour s'en convaincre :



« Il allait à sa rencontre, il était déjà en elle et elle en lui, leur étreinte était dense et humide, et voilà que déjà, cela approchait, c'était là, cette sensation de se fondre l'un dans l'autre, quand la frontière entre les corps disparait complètement, et, pour marquer ce triomphe suprême de la chair qui a renoncé à elle-même et se donne totalement à un autre, dans le grondement du sang dévalant le long des veines, deux flux d'une extrême pureté se précipitèrent l'un vers l'autre – le liquide visqueux et sacré qui contient le germe de la vie, et l'autre, l'eau accueillante qui invite et reçoit ».



Un recueil qui me donne vraiment envie de découvrir les romans de cette auteure, notamment le chapiteau vert et Sonietchka. J'ai préféré la deuxième partie consacrée à l'âme et porteuse de récits sublimes et lumineux, formidables méditations sur la vieillesse et sur la mort. Et bien entendu sur l'âme, ces 21 grammes de mystère, qui continue peut-être à exister après la fin de nos corps physiques, et à virevolter dans un monde et un temps parallèles…



« Il n'y avait aucun "d'abord", aucun "ensuite", tout se produisait au même moment, et dans une absolue plénitude ».



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Ce n'était que la peste

Un à un ils sont tous retrouvés puis isolés manu militari, sans explication. Ils s'imaginent le pire, car sous le camarade Staline, même coupable de rien cette mise à l'écart n'augure rien de bon. Pourtant quelque temps après ils sont relâchés. Enfin ceux qui ne sont pas morts. Morts de la peste.



Écrit en 1988, ce court texte a été inspiré à Ludmila Oulitskaïa par une épidémie de peste pulmonaire à Moscou en 1939, tuée dans l'oeuf par les autorités soviétiques (le NKVD) qui n'ont pas hésité à utiliser les méthodes fortes dont elles étaient coutumières en ces temps de purges staliniennes. Et ça a marché puisque en quelques jours (ou semaines) l'épidémie débutante a été circonscrite. Évidemment en cette période de pandémie de covid un texte qui interroge sur la nature des moyens employés pour tenter d'endiguer le mal, leur justification et leurs conséquences sur les libertés des individus...
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Le chapiteau vert

Les affres du stalinisme ne se sont pas volatilisées le 5 mars 1953, jour de la disparition du “Petit Père des Peuples”. Le soit-disant dégel khrouchtchévien fut de courte durée et il faudra attendre plus de trois décennies avant que la chute de l'URSS fasse voler en éclats la chape de plomb depuis si longtemps au-dessus les pays du bloc de l'Est.



Au sein de cet État mentalement dérangé la suspicion est omniprésente, le moindre dérapage par rapport à la norme en vigueur peut changer un destin. Outre leur aversion pour le stalinisme, le dénominateur commun à beaucoup de soviétiques est l'amour des livres devenus un substitut de la vie.

Cette envie d'apprendre, de se cultiver, de respirer à pleins poumons la littérature, avive l'amitié de trois adolescents dès les premiers jours de leur entrée en classe de sixième. Issus d'un milieu modeste, les inséparables Ilya, Sania et Micha forment, en ce début des années cinquante, le Trianon et s'appellent entre-eux les Lurs (Les Amateurs de Lettres Russes).

Quelle chance pour ce trio de copains d'avoir, à partir de la cinquième, un professeur follement épris de poésie ! Victor les entraîne régulièrement, amples explications à l'appui, dans des endroits de la capitale autrefois fréquentés par l'immense Pouchkine.

Un avenir enthousiasmant semble se dessiner pour chacun des trois compères respectivement attirés par la photographie, la musique et la poésie. Arriveront-ils à déjouer les vents mauvais du régime soviétique qui abhorre plus que tout les esprits non formatés ?



“Le chapiteau vert”, paru en 2011, est une incroyable immersion dans la dissidence soviétique et plus précisément au coeur de son samizdat aux ramifications multiples : une cause sacrée dans le progrès du monde à laquelle adhèrent avec fougue nos jeunes héros devenus adultes.

S'inspirant du parcours de vie de bon nombre de ses compatriotes, mêlant personnages historiques et de fiction, l'écrivaine moscovite Ludmila Oulitskaïa fait montre d'un savoir-faire remarquable quant à la construction de son roman. Une foultitude de personnages secondaires et même de troisième ordre se croisent d'un chapitre à l'autre, parfois l'histoire étonnante voire cocasse de l'un d'entre-eux est développée de façon détaillée.

Si l'érudition de l'auteure est d'emblée évidente, la rédaction de cette oeuvre a sans nul doute nécessité un long travail de recherche au niveau de plusieurs disciplines médicales ainsi qu'en musicologie. Pourtant l'écriture est toujours limpide : on reconnaît les grands écrivains dans leur faculté à vulgariser des sujets pointus !



Ludmila Oulitskaïa ne fait pas partie des intellectuels en odeur de sainteté au Kremlin. Comment pourrait-il en être autrement alors que le modèle national-autoritaire en place à Moscou n'est qu'un ersatz de démocratie ?

A mille verstes des clichés populistes, Ludmila Oulitskaïa réussit à transcrire de bout en bout la complexité de l'âme russe qui tour à tour verse de l'euphorie à la mélancolie. Son style foisonnant est dans la lignée des grands écrivains du 19ème siècle.

Sous “Le chapiteau vert” brille une intelligence subtile. En refermant ce long roman qui englobe la seconde moitié du siècle dernier, on applaudirait volontiers l'artiste !

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Ce n'était que la peste

Écrit en 1988, publié au printemps 2021, ce texte (document romancé ou roman documentaire) relate l'histoire d'une épidémie de peste pulmonaire (« taux de létalité : 100% ») qui s'est déclarée en URSS en 1939.

Déclenchée accidentellement dans un laboratoire à 800km de Moscou, elle est propagée par Mayer, le biologiste responsable dudit labo, à son insu puisqu'il est encore asymptomatique, alors qu'il se rend en train à la capitale pour y présenter un compte-rendu de ses recherches devant une quelconque commission médicale.

Lorsque les symptômes apparaissent et que le diagnostic ne fait plus de doute, il est hospitalisé et placé à l'isolement. Et la machine sanitaro-sécuritaire soviétique de se mettre en marche avec une redoutable efficacité : identification et mise en quarantaine des personnes qui ont été en contact avec Mayer sur tout son itinéraire; en 48 heures, 83 personnes sont extraites manu militari de chez elles, sans qu'on leur dise de quoi il retourne, et isolées de force à l'hôpital pendant plusieurs jours. Vu le contexte de l'époque, certaines de ces personnes ont cru être arrêtées dans le cadre d'une énième purge stalinienne. Mais au final, il s'avérera que « ce n'était que la peste »...



L'écriture est sèche, clinique, mais pas dénuée d'ironie pour autant, comme l'illustre le titre. Évidemment le texte a une résonance saisissante en ces temps de coronavirus, et il ne manque pas de susciter la question : l'actuelle pandémie aurait-elle été mieux endiguée sous un régime totalitaire ?

Comme le souligne Ludmila Oulitskaïa dans sa postface, la peste pulmonaire de 1939 s'est greffée sur une autre peste, celle du totalitarisme et de la terreur d'État. Il est interpellant de constater que l'épidémie a été jugulée grâce au NKVD, et qu'il « s'agit sans doute du seul et unique cas dans toute son histoire où cette institution féroce et impitoyable a travaillé pour le bien de son peuple, et non dans le but de le terroriser et de l'anéantir ». Elle s'interroge encore « avec une acuité nouvelle : quel mal est le plus terrible – celui des cataclysmes naturels et des épidémies, ou celui qui est généré par l'homme ? »

L'auteure, biologiste de formation, conclut entre optimisme (« l'actuelle épidémie sera vaincue, d'abord parce que, en vertu de toutes les lois, la souche du virus doit perdre de sa force et la maladie va devenir moins dangereuse. Ensuite, parce que jamais encore aucune infection ne s'était heurtée à une science aussi puissante et réactive »), et espoir prudent : « Le monde change de façon imprévisible, et on voudrait espérer que cette nouvelle épreuve à laquelle est confrontée l'humanité ne va pas nous rendre plus fermés et plus égoïstes mais, au contraire, va nous faire prendre conscience que, dans ce monde qui ne fait désormais plus qu'un, s'il y a beaucoup trop d'agressivité, de haine et de cruauté, il n'y a en revanche pas assez de compassion et d'amour. Et cela dépend de nous ».



Un texte captivant et très intéressant. A lire et à réfléchir.
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Ce n'était que la peste

Ludmila Oulitskïa raconte dans ce petit livre l'histoire d'une épidémie de peste pulmonaire qui s'est déclarée à Moscou en 1939 et qui a été stoppée grâce aux organes de la sécurité d'état de l'URSS, soit le NKVD.

Elle précise que c'est sans doute le seul et unique cas où cette institution féroce et impitoyable à travaillé pour le bien de son peuple et non dans le but de le terroriser et de l'anéantir.

Ce livre nous procure d'intenses interrogations comme par exemple si l'on se réfère à l'épidémie du coronavirus de savoir si elle aurait être pu endiguée beaucoup plus vite ?

Ludmila Oulitskïa ne fait pas l'apologie du NKVD, elle dit notamment dans sa postface que" les organes de la sécurité d'état se sont avérés plus forts que les forces maléfiques de la nature"

Précisant que la peste n'est pas le pire des fléaux pour l'humanité mais bien les épidémies de terreur qui sont des créations de l'homme.

Un petit opus à lire très intéressant qui permet des angles de vues inédits.

À lire assurément.
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Sonietchka

Je viens de reprendre ce petit roman de Ludmila Oulitskaïa lu il a plus de quinze ans et ce fut comme si je le découvrais car je ne me rappelais pas de grand chose.

Il se lit en quelques heures et le personnage de Sonietchka est intéressant : une petite femme sans attraits, grande lectrice, humiliée alors qu’elle était collégienne est demandée en mariage. Sa vie change alors, elle se comporte en parfaite ménagère et délaisse sa passion pour la lecture.

Elle traverse bien des épreuves - guerre, communisme, déménagements forcés, adultère dès son mari - mais garde toujours le sentiment profond d’être gâtée par la vie, et de façon imméritée.

Au crépuscule de sa vie, elle retrouve la lecture et le roman s’achève par ces mots :

« le soir, chaussant sur son nez en forme de poire de légères lunettes suisses, elle plonge la tête la première dans des profondeurs exquises, des allées sombres et des eaux printanières. »

N’est-ce point le plaisir que nous éprouvons avec les livres ?

Cela dit, je dois admettre que je ne me suis pas attaché au personnage de Sonietchka, son indéfectible sentiment de bonheur m’a paru trop étrange , mais j’ai apprécié son parcours, ainsi que les fines allusions à ce qu’était la Russie a l’époque soviétique,

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Un si bel amour et autres nouvelles

J'avais bien aimé "Sonietchka" paru en 1992 de cette auteure russe et lorsque j'ai appris qu'elle donnerait une conférence sur son oeuvre lors de la Foire du Livre d'Anvers en 2004, je me suis débrouillé pour y assister. Je n'étais pas le seul, loin de là, la salle était comblée comme s'il s'agissait de notre gloire nationale, le très populaire Pieter Aspe.



Ludmila Oulitskaïa, née dans l'Oural du Sud il y a 77 ans, est incontestablement l'écrivaine contemporaine russe de nos jours la plus lue à l'étranger. Elle n'est sûrement pas une groupie du maître du Kremlin, mais elle n'a pas à se plaindre d'interférences de la part de Poutine.



Comme elle l'a précisé elle-même, elle est "la dernière Juive d'une famille assimilée".

Oulitskaïa est diplômée en biologie de l'université de Moscou.

Son oeuvre littéraire est très variée : romans, recueils de nouvelles, pièces de théâtre, livres pour les enfants et pour les adolescents. Elle a remporté plein de prix littéraires : le Booker russe, Médicis étranger, le Prix Park Kyung-ni (Corée du Sud), le Prix Simone de Beauvoir et le prestigieux Prix Bolchaïa Kniga (grand livre) en 2007.



Le recueil compte 7 nouvelles de longueur différentes, allant de 10 à 46 pages.

J'ai commencé par la troisième nouvelle, qui est celle du titre du recueil.



Le si bel amour est celui de l'élève Tania Kolyvanova pour la nouvelle prof d'Allemand, la "divine" Evguénia Alexeïevna Loukina, "qui ressemble davantage à une actrice étrangère qu'à une enseignante soviétique". Elle est grande, habillée avec beaucoup de goût, a les cheveux noirs couverts d'une laque inconnue et porte au doigt une alliance plate tout aussi inconnue. Si Loukina impressionne tous les 41 élèves de la classe, la jeune Tania en reste proprement baba.



Du coup Tania décide de suivre Loukina lorsqu'elle rentre chez elle. Ce qui dans une ville comme Moscou est loin d'étre évident, car il faut y aller en métro et changer de ligne. En plus, la séduisante Loukina rencontre en chemin parfois des amants, tel ce beau militaire en superbe uniforme de haut officier.

En regardant sa maîtresse, qui ne se rend pas compte d'être escortée à distance, Tania "éprouvait le bonheur de côtoyer une vie magnifique, comme au cinéma...."

Pour le 8 mars, la journée des femmes, Tania veut offrir à son idole un splendide bouquet de fleurs. Seulement, les fleurs dans la capitale de l'URSS sont fort chères et elle a tout au plus 10 roubles ! Je vous laisse découvrir comment la gamine rassemble assez d'argent pour payer un bouquet de cyclamens pourpres.... et le reste de l'histoire.



La première nouvelle "Le 2 mars de cette année-là" se situe à la mort de l'horrible Joseph Staline, en 1953, et de sa dernière folie : la persécution des médecins juifs. L'exemple d'en haut contribue évidemment à créer une atmosphère antisémite en URSS. Ainsi, la petite Lilia Jijmorska est, comme petite fille juive, isolée à l'école. Personne ne lui adresse la parole, à part le méchant Bodrik pour lui demander pourquoi "vos Juifs ont tué notre Christ ?"



Nina a perdu en un an sa terrible mère et Sérioja, son terrible mari. Seule dans sa demeure, elle s'efforce d'éliminer les mauvais souvenirs de sa mémoire, mais alors ses nuits sont tourmentées par d'horribles rêves ! Elle finit par en parler à ses 2 amies : la savante Susanna Borissovna et la simplette Tomotchka, qui ne s'aiment guère, mais qui aident Nina chacune à sa façon. Et grâce à elles, Nina dort mieux, jusqu'au jour où elle est réveillée par une puanteur épouvantable. L'origine de cette puanteur s'avère être une "bête" (le titre de la nouvelle) et cette bête est "un gros matou", qui s'est introduit par un orifice sous le plancher de la cuisine. Un matou que Tomotchka, venue à la rescousse de son amie, regarde avec admiration, mais se débarrasser d'un félin intelligent n'est pas facile du tout....



Comme ces quelques exemples laissent supposer, l'auteure ouvre dans ce petit recueil tout de même un registre plutôt vaste et du point de vue qualité littéraire c'est tout bonnement du Ludmila Oulitskaïa !

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Médée et ses enfants

J'ai eu l'occasion de rencontrer Ludmila Oulitskaïa, il y a deux ans, à la maison de la poésie à Paris. C'est une femme étonnante, au caractère trempé. Son regard transperce, il nous dit qu'il n'a peur de rien.

Contrastant avec une voix douce et rocailleuse qu'on écoute sans fin devider l'histoire de sa vie, de cette Union soviétique qui a marqué une grande partie de sa vie.

Si je vous décris tant cette femme, c'est qu'à la lecture de: Médée et ses enfants, j'ai soudain trouvé une analogie troublante entre elle et son personnage de fiction.

Médée, dans le roman est une femme d'origine grecque, vivant en Crimée, dans la maison familiale de ses parents. Elle n'a pas d'enfants à s'occuper, seulement ceux des autres, ses frères et sœurs d'abord qu'elle a élevé à la mort de ses parents, puis ses neveux et nièces qui combleront sa vie. Elle est une femme forte, fière, semblable au roseau qui ne plie pas, elle résiste à la mort de son mari, surmonte le chagrin de sa stérilité et cet enfant né entre son mari et sa sœur.

Médée et ses enfants, nous parle de la vie, des sentiments terrés au fond des êtres, de cette nature flamboyante de Crimée, de cette mer jamais très loin.

Pendant toute ma lecture, le regard et la voix de Ludmila Oulitskaïa m'ont habité.

C'est une grande dame, très simple et modeste, une grands- mère qui veille sur le monde et sur nous.











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Sonietchka

Sonietchka n'est pas très jolie, mais ce n'est pas un problème car Sonietchka est passionnée par la lecture.

L'impensable pourtant se produit, lorsque Robert emprunte des livres dans la bibliothèque où elle travaille, et que Sonietchka abandonne la lecture pour l'épouser.



Un mariage, suivi d'une maternité presque miraculeuse, qui épanouit la jeune femme au delà de toute attente. Robert et leur fille Tania sont vraiment ce qu'elle attendait de la vie. de son côté Robert, l'artiste peintre qu'une relégation pour son esprit trop libre avait détourné de son travail le reprend, et s'amuse malgré les aberrations et les tracas du système soviétique. Sans aucun doute Robert et Sonietchka sont heureux. Et même quand Robert la trahit, Sonietchka salue le destin pour avoir donné à son mari vieillissant une belle jeune femme à aimer et à peindre.



C'est avec un humour irrésistible que Ludmila Oulitskaïa, dans une société soviétique inquisitrice et tracassière, brosse le portrait d'êtres terriblement attachants — l'altruiste et généreuse Sonietchka qui voue un amour inconditionnel à sa fille, son mari et la maîtresse de celui-ci. Robert et sa puissance créatrice que rien n'arrête, pas même un système visant à éliminer les gens comme lui. Tania, jeune fille résolument libre, et son opportune et bien séduisante amie à qui on a envie, comme eux, de tout pardonner.

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Le corps de l'âme

"Des échanges d’âmes, des âmes en plénitude, en suspens, en devenir, des âmes trop pleines, des reliquats d’âme, des âmes en transit… Magiques nouvelles pour une autrice russe réfugiée en Allemagne."

Brève de Pierre-Romain Valère pour le numéro d'avril de Double Marge
Lien : https://doublemarge.com/page..
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Sonietchka

J'ai emprunte ce livre, l'edition bilingue de Folio, a un des copains chez qui je me ravitaille habituellement.

-Tu l'as lu en russe?

Il me repond en un jargon inconnu. A son sourire angelique je comprends que c'est un collier d'obscenites. Je lui rends mon plus soigne rictus ironique et je lui fauche un deuxieme livre, pris au hasard. A petit crime petit chatiment.





Cette edition contient une preface de l'auteure ou elle s'etend sur ses antecedents juifs. Depuis son arriere- arriere- grand-pere, elle les decrit tous un livre a la main, la Bible ou un quelconque traite de morale religieuse. Et cette preface m'a pousse a relever certains details du livre, auxquels j'aurais prete moins d'attention sans elle, autres que l'amour de la lecture, qui est un de ses themes principaux.



C'est le recit d'une vie relativement tranquille, en des temps difficiles. Et tous les accents que j'ai economises ailleurs doivent etre mis sur relativement. Sonietchka, une jeune femme assez disgracieuse, trouve l'amour. Son mari est un peintre qui avait quitte (avait fui?) l'URSS et apres avoir tourne un peu partout est revenu. Persona non grata, on l'exile quelque part en Asie et elle le suit par amour. Ils arrivent a vivoter, se debrouillant meme une maison assez vaste. Les annees passent, leur maison etant destinee, comme tout l'entourage, a la demolition, on les reinstalle dans un tout petit appartement en ville. Ils continuent a vivoter, on lui alloue meme un atelier ou il peut peindre a sa guise. Leur fille, une jeune qui se veut libre, amene une amie a la maison, une jeune fille qui a du jusque la se prostituer pour vivre, et a elle aussi on trouve une place dans ce petit appartement. Oups! le mari aussi lui trouve une place dans son coeur et nous avons droit a un triangle amoureux pas tout a fait classique, avec separation partielle et consentement total. Sonietchka, a l'ebahissement de tout son entourage, trouve que son mari merite un amour de vieillesse. Quand il mourra, elle se demenera pour qu'il aie droit a un hommage et un enterrement dignes de lui. Et sa fille partie a Petersbourg, puis avec le temps en Israel, elle finira sa vie sans regrets, se refugiant dans la lecture.





L'ecriture, qui se veut simple, sied a merveille a l'histoire de cette simple femme, une survivante, a l'endurance plus solide que toute revolte. Et revele en filigrane, sans s'appesantir, l'aprete des temps.



En filigrane aussi, nous sont presentees des identites feminines differentes, pas seulement fruit d'epoque differentes. Comme une legere etude sur les conditions des femmes et leurs changeantes adaptations.



En filigrane aussi, la sovietisation, la dejudaisation si l'on veut, du judaisme russe. Sonietchka, diminutif de Sophia Iossifovna, Sophie fille de Joseph, est d'une ascendance juive dont elle n'a que faire. Mais quand elle recueille la jeune fille qui lui volera son mari, elle le fait comme une “mitsva, une bonne action, et pour elle qui, au fil des annees, percevait de plus en plus distinctement ses origines juives, c'etait a la fois une joie et un devoir agreable a remplir”.

Son mari, Robert Victorovitch, en fait "Ruwim, le fils d'Avigdor", a eu “des revirements foudroyants et joyeux du judaisme aux mathematiques”. “Dans sa jeunesse, Robert Victorovitch avait ete lui aussi au centre d'un tourbillon de courants invisibles, mais c'etaient des courants d'une autre nature, intellectuelle. [...] Durant ces annees cruciales de l'avant-guerre, ce petit cercle d'adolescents juifs precoces, des teen-agers, comme on dirait aujourd'hui, etudiaient non le marxisme, alors a la mode, mais le Sepher ha-Zohar, le Livre des Splendeurs, le traite fondamental de la cabale”.

Un de ses amis peintres, Timler, “fils d'un menuisier de village, avait fait deux ans d'etudes dans un kheder (ecole religieuse juive)”. Devant le triangle amoureux de son ami il s'exclame: “Que c'est beau!... Lea et Rachel… Je n'avais jamais realise a quel point Lea pouvait etre belle…” (Dans la Bible, ce sont les deux femmes de Jacob, Rachel etant la plus belle et la plus aimee. Dandine).





Je serais passe outre ces details sans la preface de l'auteure. Je leur ai donne peut-etre trop de place sinon trop d'importance, mais je suis convaincu, en fin de lecture, que ce livre n'est pas seulement une belle histoire russe, pas seulement un touchant portrait de femme, mais aussi, bizarrement, l'hommage de l'auteure a ses ancetres, ces juifs qui avaient toujours un livre en main.

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Ce n'était que la peste

Un roman de 1988 qui peut être lu différemment selon les époques.

Un roman qui retrace des faits réels : un tout début de peste à Moscou en 1939 et comment par une pratique violente de quarantaine le NKVD va réussir à stopper cette épidémie.

Un récit particulièrement glaçant, voire sidérant, qui m'a scotchée sur mon canapé. Ca fait relativiser tout ce qu'on a pu vivre.....

Un récit qui entremêle fiction et réalité pour montrer la violence des services secrets russes. Au point que finalement "ce n'était que la peste"..... la maladie paraissant finalement moins grave que les services de l'Etat !

Un texte très court, sidérant. J'en suis encore pantoise.....
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Ce n'était que la peste

Au plus fort de la pandémie de Covid 19 est ressorti ce texte de Ludmilla Oulitskaïa écrit en 1988.



Texte très court, ce n'est ni un roman, ni une nouvelle mais un scénario et écrit comme tel : récapitulation des protagonistes en introduction, description sommaire des lieux et des personnages.



Mais quelle force se détache de ce scenario !



Il se base sur un événement peu connu et occulté par le pouvoir : en 1939, le NKVD, de sinistre mémoire, a empêché le déploiement d'une épidémie de peste, la maladie fut jugulée et seuls trois personnes en moururent.



Rudolf Ivanovitch Mayer est chercheur dans un laboratoire et travaille sur un vaccin contre la peste. Il doit présenter ses travaux à la commission de santé à Moscou sans réaliser qu'il transporte le bacille de cette maladie suite à un moment d'inattention. Il sera fait appel au NKVD pour rechercher et isoler toutes les personnes ayant été en contact avec lui.

Et nous volià plongés dans ces années de terreur stalinienne …



L'autrice fait vivre ce récit avec beaucoup de dialogues, accordant à chaque protagoniste une scène, y essaimant des touches d'humour tout en soulignant la peur engendrée par ces irruptions de nuit de la police politique.



Et ce livre nous montre ainsi la seule réussite de la NKVD, mais entre une épidémie mortelle et la terreur du pouvoir, n'est ce pas cette dernière que l'on craint le plus ?



On pourrait reprocher à ce texte un manque d'approfondissement mais je ne le ferai pas ! C'est un scénario et il se revendique comme tel.

ce scénario, malgré cette économie de moyens littéraires, est extrêmement percutant et arrive à me donner des frissons. Mon imagination a comblé ce que la sobriété du texte dissimulait.

Judicieusement publié à nouveau lors de la pandémie que nous avons connue, il parait très actuel …







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Sonietchka

Les pauvres parents avait su me captiver, et je savais que Ludmila Oulitskaïa ne saurai me décevoir dans une nouvelle lecture.

C'est donc Sonietchka, que je viens d'accompagner le long de son existence étrangement lumineuse.

Sonietchka, les aléas de cette vie soviétique semblent glisser sur elle, sans jamais entamer son bonheur... Cette sorte de joie de vivre, cet optimisme permanent, éclairent cette femme grande et physiquement laide.

Heureuse Sonietchka, qui représente un genre de personnage tout à fait original et nouveau pour moi! Comme si la boulimie de lecture de cette femme avaient constitué une sorte de vaccin contre toute déprime!

Les autres protagoniste de ce court roman, ne sont pas en reste de pittoresque: Robert, le vieux mari artiste,Tania, la fille unique et jasia la fille adoptive et jeune maîtresse de Robert!.. Drôle de ragoût à la sauce de l'ancienne URSS, avec ses parfums de liberté sous-jacente, de contraintes et de corruption... Dans une sorte de comédie jamais grossière, Sonietchka m'a fait passer un agréable moment que je recommande donc à ses futurs visiteurs.
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Sonietchka

Dans l'URSS des années 30, Sonietchka est une jeune fille solitaire passionnée de lecture. Avec "un nez en poire et un derrière en forme de chaise", elle n'attire pas vraiment les regards, mais elle s'en accommode parfaitement, surtout depuis ce jour où, adolescente, elle a été humiliée par un de ses condisciples. Cet incident la "délivre à tout jamais du besoin de plaire, de séduire et d'ensorceler", et elle se replonge avec bonheur et bonne conscience dans les romans.



Forcément, elle devient bibliothécaire.



Un jour, Robert, un artiste peintre plus âgé qu'elle, se présente à la bibliothèque et, le lendemain, demande Sonietchka en mariage. A 27 ans, la jeune femme quitte son monde de fiction pour la vie réelle : "pendant ses années de mariage, la jeune fille irréaliste qu'avait été Sonietchka s'était métamorphosée en une femme d'intérieur assez pratique". Elle ne rêve plus au fil des pages mais désire "passionnément avoir une maison normale avec l'eau courante dans la cuisine, une chambre pour sa fille et un atelier pour son mari, avec des boulettes de viande hachée, de la compote de fruits et des draps blancs empesés qui ne soient pas confectionnés de trois bouts de tissu de taille différente". Sonia est heureuse et consciente de son bonheur, dont elle s'émerveille d'autant plus qu'elle le vit comme une sorte d'imposture : "au fond de son âme, elle s'attendait secrètement à tout instant à perdre ce bonheur, comme une aubaine qui lui serait échue par erreur, à la suite d'une négligence. [...] et ne cessait de se répéter : « Seigneur, Seigneur, qu'ai-je fait pour mériter un tel bonheur... »".



Et quand, vieillissante, Sonietchka se retrouve à nouveau seule, loin d'être amère, elle remédie à sa tristesse en se replongeant dans la lecture, "dans des profondeurs exquises, des allées sombres et des eaux printanières".



Sonietchka est un personnage peu banal : coeur pur et paisible, elle se laisse porter par la vie, s'adapte à tout sans se plaindre alors qu'elle en aurait tous les droits, tant elle est malmenée par l'égoïsme de son entourage et par les événements qui secouent l'URSS au milieu du siècle passé.



Ce qui m'a le plus frappée, c'est sa résignation, sa certitude de ne pas mériter d'être heureuse. Pourquoi ? Parce qu'elle est laide et aime la lecture, elle n'aurait pas le droit d'être aimée pour ce qu'elle est, de s'épanouir aussi dans la "vraie vie" ? L'auteure ne développe pas le thème et se contente de dresser le portrait d'une femme et de son époque, avec détachement et concision, sans empathie et guère plus d'émotions, mais avec quelques traits d'humour. Je n'ai pas compris le sens de ce court roman, à supposer qu'il y en ait un. Voilà donc un texte singulier qui me laisse un peu perplexe.



Quoi qu'il en soit, en ces temps perturbés par la distanciation et le confinement, il serait réconfortant de pouvoir, comme Sonietchka, traverser cette période sombre "en irradiant toujours du même bonheur résolument paisible et mystérieux". Je ne doute pas que la lecture et les livres y contribuent. Joyeux Noël à toutes et tous !
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Le chapiteau vert

Eprouvant !

Etre Russe dans la deuxième partie du XXe s. est le propre de Ludmila Oulitskaïa. Moscovite plus particulièrement.



Pour partie biographique présenté sous forme de fiction, ce livre raconte la destinée de trois garçons mais aussi d'une quantité impressionnante de personnages qui gravitent autour d'eux dans les années du dégel krouchtchévien jusqu'à celles de la perestroïka de Gorbatchev et l'effondrement de l'URSS.



Ce qui m'a le plus dérangée, ce sont les rebonds fréquents. L'un des trois garçons meurt p. 138 sans que l'on sache grand' chose de son histoire d'adulte, puis il ressuscite 150 pages plus loin pour ne plus quitter la scène. C'est fréquent et déstabilisant. La multiplicité des personnages alourdit aussi l'histoire et a eu raison de ma joie de lire.



Cependant, ce que je retiendrai de ce roman, c'est la personnalité remarquable du prof de lettres de ces enfants, qui leur a ouvert les yeux durant leur cycle d'études secondaires, les sortant momentanément d'une époque misérable et malade pour les conduire dans un univers où fonctionnait la pensée, où vivaient la liberté, la musique et les arts de toutes sortes. Chaque mercredi, il conduisait sa classe dans les hauts lieux littéraires de Moscou et leur racontait des anecdotes mémorables. Jusqu'à ce qu'il soit jugé indésirable puis condamné à une purge de sept ans et enfin, émigré. Il a été le révélateur de l'orientation de ces jeunes vies et ne sera jamais oublié.



Gloire soit rendue à ces profs qui savent éveiller les vocations et l'envie de connaître !



Autres pages très visuelles : la bousculade homérique et meurtrière dans les rues de Moscou le jour des funérailles de Staline en mars 1953, l'état constant de tension et de dissimulation, les soupçons, les arrestations arbitraires, les méthodes éprouvées des interrogatoires du KGB et le rôle des dissidents qui distribuaient leurs idées ou les romans de certains écrivains feuille à feuille au risque d'être emprisonnés, torturés, déportés.



Ludmila Oulitskaïa souffre et résiste avec ses protagonistes, et ne mâche pas ses mots sur cette période post-stalinienne qui n'a pas su se renouveler pour entrer dans le XXIe s. Le livre se termine par le décès du dissident et prix Nobel de littérature, exilé, Joseph Brodsky.



Voilà un livre, percutant sans doute, mais que je ne relirai pas. J'ai du mal à le conseiller aussi puisque je l'ai trouvé long et parfois très embrouillé.





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Ce n'était que la peste

Superbe petit livre, écrit en 1988, publié en France en 2021, qui relate sous forme romancée, comment les autorités soviétiques sont parvenues, en 1939, à juguler très rapidement les débuts d'une épidémie de peste déclenchée involontairement en laboratoire par un microbiologiste suite à une précaution insuffisante.



Rapidement, les services médicaux où est hospitalisé le malade, à savoir le microbiologiste qui vient d'arriver à Moscou après un voyage en train pour participer à une commission scientifique et politique, mettent tout en oeuvre pour remonter la chaîne des contacts et isoler les contaminés éventuels.



Le texte est rédigé au présent, mode qui convient fort bien à la vitesse de cette histoire, développée sur peu de jours, l'action part dans toutes les directions avec la recherche des "cas contacts", l'humour est très présent sur un scénario pourtant dramatique.



L'état totalitaire ne lésine pas sur les moyens mis en oeuvre pour isoler les contaminés présumés, au nombre de 83, ils sont quasiment arrêtés tout en étant rassurés sur leur proche avenir. On constate avec amusement -- le mot est peut-être un peu excessif -- que certains, croyant être arrêtés pour de menus larcins ou des actes plus sérieux à l'encontre du régime, n'hésitent pas à se dénoncer, voire à se suicider.



Ce récit est suivi d'une courte postface de Ludmila Oulitskaïa, écrite en 2020, dans laquelle elle évoque les changements nécessaires des comportements humains suite à l'épidémie de covid 19, en s'interrogeant sur le point de savoir si cette épreuve sera suffisante pour générer "compassion et amour" à la place de "haine, égoïsme et cruauté".



Livre magnifique à tous points de vues.
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